samedi 29 juin 2019

G

 Je suis allé chez le coiffeur. La personne qui s’occupe de ma coupe est toujours la même. C’est une jeune femme souriante qui est dix centimètres de plus grande que moi. À cause de la température, elle portait un vêtement décolleté. C'était une stimulation trop forte pour un puceau. De temps à autres, je sentais son souffle sur mon cou et mon oreille. J'ai failli mourir d'une crise cardiaque.
 Dans le salon, on entendait une émission de radio. Pendant que la coiffeuse me coupait les cheveux avec des ciseaux brillants, ils ont passé un morceau que j’avais déjà entendu quelque part. Les paroles disaient : « You’re just somebody that I used to know ». Cest une chanson très célèbre qui avait reçu un prix célèbre il y a quelques années. Jai essayé de me souvenir du nom du chanteur. Je pensais que cétait juste un pseudonyme, sans nom de famille, un peu comme « Aragon » ou « Eminem ». Et si je ne me trompais pas, son nom commençait par « G », « GA » ou « GO ». Mais je n’arrivais pas à me le rappeler. « Go…go, go, gorilla ? », me suis-je dit. « Gaulois ? … Nous sommes en 50 avant Jésus-Christ. Toute la Gaule est occupée par les Romains... Toutes? Non! Un petit village d'irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l'envahisseur ! ...Non, c'est pas ça ». « Go, Gollum ? Gollum ! Gollum ! My precioouuuuss….. Non, c’est autre chose ». Finalement, je ne suis pas parvenu à me souvenir du nom du chanteur. Pendant la coupe, j’avais l’impression irritante que des fourmis grouillaient sous ma peau. 
 Ensuite, cela a été un moment de torture. La coiffeuse s’est assise sur une chaise, et a sorti une tondeuse pour parfaire son œuvre. La vibration de la tondeuse me chatouille toujours. Comme d’ordinaire, je me suis mordu les lèvres pour ne pas rire ; j’ai essayé de penser à des choses tristes comme l’exécution de la famille Romanov (Un peloton d’une douzaine d’hommes apparaît et le geôlier déclare : « Nikolaï Alexandrovitch, les vôtres ont essayé de vous sauver, mais ils n’y sont pas parvenus. Et nous sommes obligés de vous fusiller. Votre vie est terminée. »). Mais chaque fois que j’essayais de me représenter le massacre, Gollum intervenait, et j’avais envie de rire.
 J’ai finalement pouffé. « Ça va ? », s’est inquiétée la coiffeuse. « Ça me chatouille », ai-je dit honnêtement. « D’autres clients ne disent pas ça ? », ai-je ajouté pour masquer mon embarras. « Si, les enfants….. », m’a-t-elle dit.
 C’était sur le chemin du retour que je me suis souvenu que le nom du chanteur était Gotye.

vendredi 28 juin 2019

Le Planétarium (5)

 Je me trouvais seul avec la fille dans la chambre. Déconcerté, je me suis assis sur la chaise et j’ai essayé de réfléchir sur ce qui m’arrivait, mais ma tête était confuse et aucune idée ne me venait à l’esprit. Petit à petit, j’ai commencé à me rendre compte de mon erreur. J’ai également compris pourquoi la propriétaire parlait de façon hésitante et pourquoi tant de répétiteurs n’avaient pas tenu plus de deux semaines. J’ai levé la tête. La fille dormait toujours paisiblement. La propriétaire m’avait dit que sa fille était tombée dans le coma. Je pensais sans aucune raison qu’elle était guérie, mais qu’elle avait peut-être des séquelles. J’avais tort. Elle ne s’était pas réveillée. Elle n’est jamais sortie de son rêve infini. Elle était toujours dans le coma, ou ce serait plus simple de dire qu’elle était réduite à l’état végétatif. 
 En regardant son visage endormi, je me suis demandé ce que je pouvais faire maintenant. Les cahiers que j’ai apportés de chez moi ne servaient à rien. C’est comme si on apprenait les mathématiques à un arbre. 
 J’ai tué le temps en lisant un livre que j’avais trouvé dans l’étagère. J’avais perdu la sensation du temps et j’ai regardé mon portable. Quatre heures s’étaient déjà passées depuis que je suis venu ici. Pouvais-je rentrer sans le dire à la propriétaire ? J’ai pris mon sac et je me suis approché de la porte. Il semblait qu’il n’y avait personne à l’extérieur de la chambre. Au moment où j’ai mis ma main sur la poignée, la porte s’est ouverte soudain. Madame Alekhine se tenait là, un plateau dans ses mains. 
« Les leçons vont-elles bien ? », m’a-t-elle demandé en posant deux thés sur la table.
« Euh… oui », ai-je menti. Je ne pouvais pas lui dire que j’ai passé quatre heures en lisant un livre. 
« Qu’avez-vous fait exactement ? Comment trouvez-vous ma fille ?
- Je…je…je me suis juste présenté et je lui ai raconté un peu ce que j’ai fait à l’université. Et, je lui ai appris un peu l’anglais. Votre fille est très…adorable et très bien éduquée », ai-je bredouillé.
 Madame Alekhine s’est tue pendant un moment. L’air rêveuse, elle semblait réfléchir à quelque chose. 
« Que vous a-t-elle dit précisément ?
- Elle ?
- Lune ».
 Cette fois, c’était moi qui suis resté silencieux. Pourquoi me posait-elle cette question ? Quelle intention avait-elle ? Évidemment, la fille ne disait même pas un mot. La fille était végétative. Le seul bruit qu’elle faisait, c’était la respiration paisible. J’ai regardé les yeux de mon interlocutrice. Ils étaient fixés sur moi. Les coins de ses lèvres étaient légèrement levés si bien qu’elle semblait sourire, mais c’était un sourire figé, comme un masque qu’on ne peut pas enlever.
« Lune…m’a dit qu’elle était ravie de me rencontrer, ai-je dit.
- Et ensuite ?
- Qu’elle voulait écouter des histoires…diverses histoires…des histoires tristes, joyeuses, émouvantes, effrayante… 
- En avez-vous raconté une ?
- Oui, l’histoire d’une taxidermiste qui a empaillé son mari et son fils.
- Bien », a-t-elle dit, et elle s’est tue de nouveau. Elle semblait toujours réfléchir ou sinon perdue dans ses pensées. Au bout d’un moment, comme si elle s’était souvenue de quelque chose, elle a dit d’un air joyeux : « Prenez le thé. Il va refroidir ». J’en ai pris un, et elle aussi. Mais Madame Alkehine n’a pas bu son thé. Elle s’est levée et s’est approchée du lit. Elle a porté la tasse à la bouche de Lune. Des lèvres de la fille endormie coulait le liquide doré en trempant sa chemise de nuit blanche. 

lundi 24 juin 2019

À la recherche d'un appartement


 J’ai déménagé. J’avais vécu pendant trois ans dans une résidence universitaire qui me rappelle une prison. Ma chambre était petite. Les parties communes étaient délabrées.
Je n’avais pas choisi cette résidence. C’était le Crous qui l’avait choisie pour moi lorsque j’étais au Japon. Il était compliqué de chercher un logement étant dans un pays éloigné de plus de neuf mille kilomètres. Je n’avais pas d’autre choix que de l’accepter. Je l’ai acceptée. Je suis venu.
 Si je ne l’ai pas quittée au bout d’un an, c’est parce que j’avais la flemme de chercher un autre appartement. Ce n’était pas difficile d’imaginer que la quête d’un logement serait une corvée. De plus, je travaillais comme interprète pendant l’été et je n’étais pas souvent à Strasbourg durant les grandes vacances. La raison qui m’a retenu dans cette résidence ressemblant à un HLM était la présence de deux chats. Ces deux chats me permettaient de tolérer une vie qui semble être au seuil de dignité limite garantie par la Constitution japonaise : « Toute personne a droit au maintien d'un niveau minimum de vie matérielle et culturelle ». Mais à la troisième année, l’un des deux chats, le petit, avec qui je jouais souvent, a fugué. Depuis lors, il n’est jamais revenu.
 Comme je craignais de devenir fou si je restais dans cette résidence, j’ai décidé de me mettre à chercher un appartement après avoir terminé ma licence. Ce printemps, j’ai reçu un mail de Crous disant que je devais le quitter parce que j’y avais vécu trois ans, et que c’était le nombre maximal de renouvellement. C’était une belle occasion.
 Toutefois, comme je l’avais imaginé, chercher un appartement n’était pas simple surtout lorsqu’on est à la fois étudiant et étranger. On m’a dit que les personnes vivant à l’étranger ne peuvent pas se porter comme étant mes garantes. Il y avait plusieurs garanties morales comme celle de Visale, mais j’ai aussitôt découvert que la plupart des agences immobilières ainsi que les propriétaires n’y faisaient pas confiance. Au début, je guettais le Bon Coin. J’ai envoyé des messages à plusieurs annonces. Une fois, une certaine « Jeanne » m’a répondu par mail. Elle me disait qu’elle m’acceptait sans garant mais à condition de payer 400 euros comme garantie. Étrangement, elle demandait de verser cette somme via un site suspect avant même de visiter l’appartement. Elle me disait que je pourrais le visiter vendredi. Je lui ai dit que je n’étais pas disponible vendredi. Elle me disait que je pourrais le visiter vendredi. J’ai pensé qu’elle était folle. Si elle n’était pas folle, c’était un escroc sans aucune jugeote. J’ai cherché sur Google les photos que « Jeanne » avait mises sur son annonce. Il s’est avéré que les images étaient prises d’une agence immobilière quelconque. J’ai enregistré le mail de « Jeanne » sur plusieurs sites de rencontre homosexuelle, et j’ai bloqué son mail.
 La situation en devenait désespérante. Je n’ai aucune famille en France. Mes amis sont étudiants. Personne ne peut se porter comme étant mon garant. À ce moment-là, j’ai eu une idée. Je me suis souvenu que ma correspondante Pauline est professeure. Me disant que c’était normal même si elle refusait ma proposition, je lui ai demandé de se porter comme ma garante. Elle l’a accepté.
 Jusque-là, j’étais un soldat sans armes. Maintenant j’avais l’impression d’avoir une épée et un bouclier. J’ai commencé à visiter des appartements. Mes conditions sine qua non étaient les suivantes : 1. Pas très loin de l’université. 2. L’appartement doit être idéalement doté d’une baignoire. 3. L’appartement doit idéalement avoir deux pièces. Parmi ces conditions, le plus important était la baignoire. J’en avais marre de la douche. Je voulais prendre un bain. Une fois, j’ai trouvé un appartement près de l’université, avec une baignoire, et qui n’était pas cher du tout. Le plafond et le sol étaient un peu abîmés, mais j’ai envoyé mon dossier à l’agence avant que quelqu’un d’autre ne le prenne. L’agence m’a dit que j’aurais la réponse dans la semaine. Une semaine, puis deux semaines se sont écoulées. Je n’avais toujours pas de réponse. J’ai donc appelé l’agence. On m’a alors dit que mon dossier était refusé. Je n’étais pas particulièrement déçu car je n’ai confiance en personne. Et comme dit Woody Allen dans « Annie Hall », « life is divided into the horrible and the miserable».
 Jusqu’à ce moment-là, je pensais que je pourrais avoir un appartement si je donnais à l’agence un dossier complet. Mon dossier était refusé tandis qu’il était complet et le personnel qui s’en est occupé m’avait dit que tout était bon. J’ai alors changé de stratégie. J’ai décidé d’envoyer mon dossier à plusieurs agences immobilières en même temps. Ce n’était peut-être pas très sincère, mais beaucoup d’agences ne tenaient pas leur promesse. On est quitte.
 Deux mois ont passé. Je n’avais toujours pas de logement. Dans un mois, je devais quitter ma résidence. Un jour, sur Facebook, je suis tombé sur l’annonce d’une fille. Elle disait qu’elle cherchait d’urgence quelqu’un qui louerait son appartement. Sur les photos qu’elle avait mises en ligne, on voyait deux pièces, une baignoire et l’appartement n’était pas loin de l’université. Je lui ai envoyé un message. J’ai visité son appartement le jour même. C’était exactement ce que je recherchais. Elle m’a dit qu’elle allait envoyer un mail à son agence. Quelques jours plus tard, elle m’a demandé de revenir à son appartement et m’a dit qu’il y aurait une personne de l’agence immobilière et deux autres candidates.
 Je suis ainsi revenu à l’appartement. Quelques minutes plus tard, une employée de l’agence, qui est une dame très gaie et bavarde est arrivée. Ensuite, une fille nous a rejoints. L’autre fille, qui portait des lunettes, est aussi arrivée avec un peu de retard. L’employée de l’agence nous a dit que la propriétaire préférait quelqu’un de calme qui voudrait rester longtemps, parce qu’une ancienne locataire qui était aussi étudiante, invitait fréquemment ses amis pour faire la fête. Beaucoup de choses m’ont traversé l’esprit. Les deux filles avaient l’air calmes et gentilles. Elles étaient françaises. Le fait que je sois de nationalité japonaise allait peut-être jouer en ma défaveur. Mais je sais que les femmes n’aiment pas souvent les femmes. J’ai présenté mon dossier à la personne de l’agence. Elle nous a dit d’attendre la semaine prochaine pour avoir la réponse. La semaine prochaine, j’ai eu la réponse de sa part qui n’était ni oui ni non. Elle disait que la propriétaire souhaitait que mes parents se portent aussi mes garantes en plus de ma correspondante. C’était facile. J’ai dit oui. Ma recherche d’un appartement, longue et épuisante, s’est ainsi terminée. Je n’ai plus besoin de guetter sur le Bon Coin. Je n’ai plus besoin de visiter un appartement. D’une fenêtre de mon appartement actuel, dans la soirée, on voit une grande roue illuminée.


lundi 3 juin 2019

Le Planétarium (4)

 Vers l’aube, j’ai reçu un appel. Sans que je puisse sortir de ma rêverie, j’ai décroché dans la torpeur. « Allô ? », ai-je dit. J’entendais des parasites. J’entendais la respiration de la personne qui était de l’autre côté du fil, mais elle se taisait. « Allô ? À qui ai-je l’honneur ? », ai-je dit. La respiration de mon interlocuteur ne me permettait pas de savoir si c’était un homme ou une femme. Alors que j’allais lui dire quelque chose, il a raccroché. Le bip sonnait solitairement comme un trapéziste pendu dans l’espace. 
 Je me suis réveillé vers sept heures du matin. À cause de l’appel étrange, mon sommeil était peu profond. J’ai bu un café en regardant l’actualité du matin à la télé. Des affaires semblables les unes aux autres que j’avais déjà entendues quelque part se répétaient tous les jours. Une femme névrosée avait tué son enfant et son mari. Un train était déraillé dans un pays lointain et trois cents passagers étaient morts. Cinquante personnes tuées dans un attentat. Un homme politicien était accusé d’avoir détourné de l’argent. 
 Je me suis mis à me préparer pour sortir. Toutefois, je ne savais pas ce qui était exactement nécessaire pour mon travail. Dans mon sac, j’ai mis quelques stylos, un cahier et quelques livres. Pour mon premier jour, cela semblait suffisant. S’il y avait quelque chose de manquant, je pourrais préparer après être rentré ce soir. 
 Je suis monté dans le métro comme d’habitude. Les voitures étaient plutôt désertes. Les passagers avaient tous l’air fatigués et mélancoliques. Je suis descendu près de la rivière. Ensuite, je devais traverser le bois comme la veille. Je mettais au moins une heure pour me rendre à la grande maison. Cet itinéraire était plutôt long, mais je devais le supporter en tenant compte de la haute somme du salaire. 
 Devant la porte en fer, j’ai sorti de ma poche la clef que j’avais reçue la veille. Au début, je me suis demandé où je devais l’enfoncer car je ne voyais la serrure nulle part. À un moment donné, j’ai réalisé que le bec de la chouette gravée sur le heurtoir en était une. Ma clef s’est glissée dedans, et la porte lourde s’est ouverte. 
 Le couloir était tout à fait silencieux et sombre. J’ai allumé la lumière et je suis entré dans le salon qui était vide. N’y a-il personne dans la maison ? « Bonjour », ai-je crié, mais je n’ai eu aucune réponse. « La propriétaire et la domestique doivent être absentes. C’est pour cela qu’elle m’a donné la clef hier », me suis-je dit. J’essayé de me rappeler comment j’étais arrivé à la chambre secrète. J’ai monté l’escalier au rez-de-chaussée. Au premier étage, on arrivait devant une étagère qui dissimulait un autre univers. Comme Madame Alkehine avait fait, je l’ai tournée.
 « Est-elle réveillée aujourd’hui ? », me suis-je demandé devant la chambre de la demoiselle sans oser y entrer. J’ai frappé quelques fois à la porte et j’ai dit : « Bonjour. Je suis votre nouveau répétiteur ». Aucune réponse. J’ai appuyé mon oreille sur la porte, mais tout était silencieux comme après un massacre. J’ai frappé de nouveau à la porte. Au moment où j’ai mis ma main sur la poignée, la porte s’est ouverte soudain et j’ai failli tomber. 
« On vous attendait », m’a dit la domestique. 
 La domestique s’appelait Madame Koenig. Elle m’a dit qu’elle travaillait pour Madame Alekhine depuis plus de trente ans, et que ses parents servaient également les parents de la propriétaire. Je ne savais pas quel âge avait. Ses cheveux coupés court était tout blancs. Sa peau était entièrement ridée comme la terre asséchée. Elle m’a dit qu’elle vivait toute seule dans le pavillon isolé de la maison. On aurait dit qu’elle faisait partie de la maison. 
 Dans la chambre, il y avait seau rempli d’eau. Un chiffon était mis au bord de la fenêtre. Elle était sans doute en train de faire le ménage. Les rayons du soleil faisaient dessiner les détails de la pièce que je n’avais pas vus la veille. Sur le mur, un échantillon de papillons empaillés était accroché. Quelques cahiers et stylos étaient éparpillés sur le bureau, comme si leur propriétaire les avait utilisés la veille. Du vent a soufflé de la fenêtre ouverte. En bas, la fontaine étincelait sous la lumière. 
 J’ai jeté un coup d’œil au lit. La fille dormait paisiblement comme la veille. Les yeux clos et les mains croisées sur la poitrine, elle était complètement immobile.
« Je suis vieille. Je supporte de plus en plus mal les travaux comme ceux-ci, a dit la vieille dame, le regard dans le vide. À partir d’aujourd’hui, c’est votre travail.
- Quel travail ? Je suis venu en tant que répétiteur… », ai-je dit.
 La dame s’est approchée de l’armoire. Elle a sorti une chemise de nuit et l’a arrochée sur la chaise. Ensuite, elle s’est approchée du lit. Elle a glissé la main derrière le dos de la fille pour la dresser. Ses mains ont commencé à déboutonner l’habit de la fille. 
 J’ai détourné le regard. À ce moment-là, Madame Koenig m’a dit de venir à ses côtés. « Regardez bien. À partir de demain, c’est votre travail », m’a-t-elle dit. Alors que la vieille domestique enlevait les vêtements, la fille semblait toujours dormir profondément. « Pourquoi elle ne se réveille pas ? », lui ai-je demandé. La domestique ne m’a pas répondu. La tête de la fille s’est inclinée brusquement. Elle ressemblait maintenant à une poupée de taille humaine. La vieille dame a également décollé la couette, pour lui enlever la culotte. Je sentais un étrange sentiment de culpabilité. Je ne devais pas regarder le corps nu d’une fille que je ne connaissais pas. Je me sentais comme si j’étais humilié, alors que c’était elle qui était dénudée devant un inconnu. Inconsciemment, j’ai baissé le regard. « Regardez », m’a dit la vieille dame d’un ton ferme. Bien que son regard fût fixé sur le corps nu de la jeune fille, elle semblait savoir tout ce que je pensais dans mon esprit. « Je reviens », a dit la domestique, et elle est partie. 
 Les bras et les jambes écartés, le corps nu, lisse et blanc de Lune comme la neige se couchait aisément sur le lit. Les yeux clos, elle ne sortait toujours pas de son rêve. Ses poils d’or fins, couvrant entièrement sa peau, se dessinaient sous la lumière du soleil. J’ai eu envie de la toucher. Craintivement, en faisant attention à ne pas faire de bruit, j’ai avancé un pas.
 À ce moment-là, la poignée a été tournée. La domestique est revenue avec une serviette de laquelle montait une vapeur, et un bassin rempli d’eau chaude.
 Elle a trempé la serviette dans l’eau et l’a tordue. Et elle s’est mise à frotter le front de la fille. La serviette a effleuré le contour des sourcils, du nez, puis des lèvres de Lune. La domestique a essuyé son cou, sa poitrine. Elle a levé un peu les bras de la fille dormante pour passer la serviette sur ses aisselles. De temps en temps, elle la trompait dans l’eau chaude et la tordait. 
 En mettant beaucoup de temps, elle essuyait entièrement le corps de la fille. Laver le corps d’un être humain complètement endormi semblait un travail beaucoup plus laborieux qu’on ne l’imaginait. Une sueur coulait sur son front et la demoiselle soufflait un peu. La vieille dame a ramassé toutes ses forces et a inversé la jeune fille, pour essuyer ensuite son dos, ses fesses, ses cuisses et ses jambes. 
 Lorsque tout a eu terminé, elle s’est ensuite mise à habiller Lune d’une autre chemise de nuit qu’elle avait accrochée sur la chaise. Finalement, la domestique l’a couchée sur le lit, et a mis une couverture en serviette dessus.
« Madame est quelqu’un qui aime la propreté. Il faut essuyer son corps tous les jours. Tous les deux jours, on la fait prendre le bain, m’a-t-elle dit, cette fois en me regardant droit dans les yeux.
- Je suis venu en tant que répétiteur. 
- Il faut essuyer son corps tous les jours. Tous les deux jours, on la fait prendre le bain », a-t-elle répété d’un air péremptoire. 
 Elle a repris son ustensile. Au moment de me laisser dans la chambre, elle m’a dit : « À partir de demain, vous devez aussi faire le ménage.
- Où est Madame Alekhine ?
- Madame travaille ».
 Mais où…, ai-je envie de lui dire, mais la porte était fermée.