mercredi 28 juin 2017

Harry Potter

Une petite fille blonde, vêtue d'une robe blanche d'été s'est assise à côté de moi à la station Parlement Européen.
Elle a sorti un livre d'Harry Potter de son sac à dos et elle s'est mise à le lire.

J'ai refermé ''L'étrange bibliothèque'' de Haruki Murakami et l'ai mis sur mes genoux.
Tandis que je regardais le paysage défiler par la fenêtre, j'ai tout à coup eu envie de lui dire que Hedwige serait abattue, que Dobby serait assassiné par Beatrix, et que Harry épouserait au final Ginny Wiesley.

Mais j'ai avalé mes paroles.
Je n'ai pas l'habitude d'adresser la parole aux inconnus, qui que ce soit.

Je me suis souvenu que je lisais aussi Harry Potter lorsque j'avais son âge.
Lorsque la réminiscence de l'infirmerie de mon école primaire a traversé mon esprit, le tram passait la station Observatoire.

mardi 27 juin 2017

Anna

J'ai parlé avec Anna sur Line.
Elle m'a montré une règle étrange dont une partie était entièrement bosselée.
L'inégalité complexe de cette règle reflétait les rayons du soleil d'une manière enchevêtrée tel un kaléidoscope.
Je lui ai demandé ce que c'était.
Elle m'a dit que c'était une règle.
"Je le sais, lui ai-je dit.
- C'est une règle que je mordille à longueur de journée, a-t-elle ajouté pour mieux m'expliquer.
- Ta règle est sale, ai-je dit.
- Elle est propre", m'a-t-elle dit en articulant chaque syllabe du mot "propre".

Elle m'a également montré une peluche en forme d'ours avec laquelle elle dort toutes les nuits.
Elle avait l'air contente de me la montrer.
L'ourson avait l'air fatigué.

Tout à coup, elle a poussé un cri, 
"Mon Dieu ! Il a un trou !".

lundi 26 juin 2017

Le musée Tomi Ungerer



Si vous êtes assez attentif, juste à côté de la station République, vous apercevrez trois brigands qui vous regardent depuis le jardin.
Un chapeau à bords larges et un manteau noirs comme la nuit la plus profonde, cachent leur nez et leur bouche, seuls leurs yeux brillent dans les ténèbres.
Ces ''trois brigands'' sont la création du dessinateur d'origine alsacienne, Tomi Ungerer.

Leur apparence m'est familière depuis mon enfance puisque ''Les trois brigands'' était mon livre préféré lorsque j'étais écolier.
Je me rappelle que je fréquentais la bibliothèque de mon école primaire, qui n'existe plus aujourd'hui, juste pour lire ce livre.
L'atmosphère mystérieuse, un peu terrifiante de ce monde m'avait enchanté.
Plus tard, j'avais demandé à mes parents d'acheter ce livre.
La version japonaise ''Suteki na san-nin gumi'' qui signifie ''Les trois bienfaiteurs'' contrairement au titre originel, se trouve encore dans l'étagère de ma chambre dans mon pays natal.

Ces trois hommes mystérieux sont-ils méchants ou bienveillants ?
Leur travail commence toujours la nuit.
En se dissimulant dans l'obscurité, ils commettent des vols à main armée en employant divers moyens (une hache, du gaz lacrymogène...)
Un jour, dans une charrette qu'ils ont braquée, ils trouvent une petite fille blonde dormant avec des richesses.
Que feront-ils de cet argent et de cette petite fille innocente ?
J'évite de tout raconter afin de vous laisser le plaisir de lire ce livre.

J'ai toutefois toujours cru que Tomi Ungerer était américain.
À la fin du récit, il y avait une brève présentation de l'auteur avec sa photo, qui disait qu'il vivait aux États-Unis.
Après que je suis arrivé à Strasbourg, j'ai appris qu'il était originaire d'Alsace.
Lorsqu'il était jeune, il avait quitté la France pour tenter sa chance au nouveau monde.

Le musée Tomi Ungerer expose notamment les dessins de son enfance qu'avait soigneusement conservés sa mère.
Le spectateur remarquera que chaque dessin fait raconter une histoire.
Des thèmes sombres tels que la guerre ou le nazisme apparaissent souvent avec une touche d'humour noir.
Des chars occupent les rues, des cadavres sanglants de soldats sont abandonnés, Hitler crie devant l'audience en agitant vivement le bras.
Ces collections permettent au visiteur de comprendre comment un garçon alsacien plein d'imagination et de talent est devenu un dessinateur de renommée mondiale.

De temps en temps, la vie nous apporte des petites coïncidences.
Lorsque j'étais petit, mon univers était si restreint que je n'avais jamais pensé au monde qui s'étendait au-delà de la mer.
Vingt ans plus tard, je me trouve dans la ville où mon dessinateur préféré de l'enfance a grandi.

dimanche 25 juin 2017

La coquille Saint-Jacques

Le poissonnier chez qui je vais souvent m'a demandé si je prenais des noix de Saint-Jacques comme d'habitude.
C'est vrai que je prends souvent des Saint-Jacques et que je les apprécie.

Lorsque j'étais à Sapporo, j'en dégustais souvent.
Hokkaido est une contrée réputée de la qualité des fruits de mer.
Si bien que j'ai plus d'habitude de manger du poisson que de la viande jusqu'à présent.
Par contre, je ne sais pas jusqu'à quel point l'environnement contribue au développement du goût d'une personne, parce que mon frère n'aime pas le poisson et mon grand-père qui est décédé il y a quelques années n'a jamais consommé de poisson cru.
Si bien que je partageais les sashimis de thon avec mon père et mes cousins au nouvel an.

J'apprécie surtout de déguster des Saint-Jacques crues.
La sensation que le liquide contenant le parfum de la mer remplit ma bouche me fait frissonner de joie.
Toutefois j'ai remarqué que les Français jettent les manteaux, qu'on appelle "mimi(oreille)" en japonais.

Après une brève réflexion, j'ai dit à Monsieur le poissonnier que j'en prendrais la prochaine fois.
Il m'a dit que les Saint-Jacques étaient bon marché aujourd'hui et il m'a demandé si je préférais en acheter le jour où ils seront plus chers.
Au final, j'ai acheté quinze bulots et dix Saint-Jacques.
Comme il l'avait dit, elles étaient meilleur marché que d'habitude.

La canicule

Cette canicule est insupportable pour un pingouin originaire d'Hokkaido comme moi.
J'ai ouvert la fenêtre mais aucun vent ne soufflait.
Certes la chaleur de l'Europe est plus agréable que celle de Tokyo, étant donné que l'air n'est pas humide.
Toutefois l'île de Hokkaido bénéficie d'un été plus court et frais en contre partie d'un hiver long et glacial.

En cherchant l'endroit le plus frais dans ma résidence, je me suis souvenu d'un roman d'un écrivain ukrainien Andrei Kurkov, intitulé "Le pingouin".
Dans cette histoire, après que sa copine l'a quitté, un écrivain peu populaire vit avec un pingouin qu'il a adopté d'un zoo.
Ce pingouin nommé "Micha" est dépressif car l'été de la Russie l'accable.

Tandis que je buvais une 1664 à côté d'une fenêtre dans le couloir (C'était l'endroit le plus frais que j'ai trouvé), j'ai vu un garçon grand et une fille relativement petite devant une porte.
Nos regards se sont croisés et il m'a dit bonjour.
Aussitôt que je lui ai dit aussi bonjour, le jeune couple est entré dans la pièce.

J'ai continué à boire ma 1664 en regardant le parking qui n'avait rien d'intéressant. 
Quelques instants plus tard, la porte s'est rouverte et le jeune homme s'est approché de moi.
Il m'a demandé de quelle origine j'étais.
J'ai tout à coup eu honte de boire la journée, toutefois l'alcool diminuait ma timidité. 
Je me suis demandé si j'allais répondre que j'étais russe d'origine japonaise mais au final je lui ai honnêtement répondu que j'étais japonais.
Il m'a dit qu'il venait de terminer sa licence de japonais et qu'il aidait son amie qui venait d'emménager ici.

J'ai craint qu'il m'inonde de questions concernant le manga et l'anime (je ne les déteste pas mais je ne regarde plus d'anime à part Gundam.) mais heureusement il n'était pas otaku. 
Il s'est mis à m'exprimer son avis personnel sur les batailles de Genji et Heishi

mercredi 21 juin 2017

Le musée historique de la ville de Strasbourg



Il y a une lumière qui éclaire les enfers.
Ce matin, le soleil brillait. 
Les oiseaux fredonnaient, les arbres murmuraient.
La cloche de l'église annonçait neuf heures du matin.
En regardant les toits de maison, je me suis dit que ce serait un jour idéal pour me rendre au musée historique de la ville de Strasbourg.

Avant d'aller au musée, je suis descendu à la station République et j'ai rendu deux livres de Yoko Ogawa à la BNU.
J'ai emprunté ''Les frères Karamazov'' et ''La marche de Mina''. 
Au moment où je suis sorti, une fille qui marchait devant moi a tenu la porte pour moi. 
Ses cheveux s'agitaient comme un écureuil qui danse. 
J'ai été étonné car aucune voix n'est sortie de ma gorge.

J'ai marché dans la direction de la Cathédrale en écoutant la neuvième symphonie de Schubert (dirigée par Seiji Ozawa). 
À vrai dire, je ne connaissais pas la localisation du musée. 
Je savais seulement qu'il était au bord de l'Ill, proche de la Cathédrale. 
J'ai traversé un pont et je suis passé par la Place Kléber.
Devant la Cathédrale il y avait beaucoup de monde, notamment des touristes âgés et des groupes d'adolescents, qui appréciaient la beauté de Strasbourg de la même façon.

Après avoir erré de ci de là, j'ai découvert un bâtiment blanc au toit triangulaire. 
Je l'ai immédiatement reconnu comme étant le musée que je cherchais. 
Il faisait frais à l'intérieur. 
Une femme asiatique à la peau brunâtre m'a accueilli avec un sourire aimable. 
J'ai regretté que le stock de mes sourires soit épuisé à ce moment-là. 
J'ai mis un jeton que j'avais reçu à la réception dans le portique et l'accès à la collection s'est enfin ouverte.

Isolée du monde extérieur, toute l'histoire de Strasbourg était éternisée au musée.
La collection commençait par l'ère où les Romains régnaient sur cette terre.
Allant jusqu'à la seconde guerre mondiale, elle s'achevait par la naissance de l'Union européenne.
L’abondance de la collection dépassait mon imagination.
Les objets tels que des monnaies, des canons, des épées, des armures, des tableaux ont stimulé ma curiosité et mon imagination.

J'ai notamment apprécié une vieille maison de poupées.
Elle était présentée dans une boîte obscure. 
Aussitôt que j'ai appuyé sur un bouton, la vie miniature des gens de cette époque est apparue dans la lueur.
Cette maquette était assez grande, l'intérieur était séparé en quatre pièces par des cloisons.
D'après l'explication, l'extérieur de la maison manquait mais l'intérieur était laissé dans un état favorable.

Assis à la table, un mari et une femme lisaient un livre.
Un ange était pendu au plafond.
Mais son visage était défiguré.
Si bien qu'il ressemblait plutôt à un condamné à mort pendu qu'un ange qui descendait.
À côté de cette pièce se trouvait une cuisine.
Une diversité de casseroles était accrochée aux murs.
Un four en forme d'une vase était posé à droite comme une marmite des enfers.
Au centre, une mère et sa fille dansaient.
Mais leurs membres étaient rigides somme si elles étaient victimes d'une paralysie.
Leurs regards étaient fixés dans différentes directions.
Lorsque la mère contemplait la Cathédrale, l'attention de la fille était fixée sur la Forêt noire.
En bas, un jeune couple en costume alsacien se regardait l'un l'autre.
La jeune femme tenait un bouquet de fleurs qu'elle venait sans doute de cueillir dans le jardin.
Le mari lui tendait la main en disant quelque chose.
Avaient-ils des modèles ?
Ou étaient-ils le fruit de l'imagination de l'auteur ?
La pièce voisine donnait vers l'extérieur de la maison.
Autour d'un puits, une femme était penchée contre la cloison.
À ses pieds se tenait une enfant mais la proportion étrange la faisait ressembler plutôt à une naine.
À l'opposé se penchait une autre femme contre la clôture.
Ces deux femmes se ressemblaient tellement.
Elles avaient presque le même visage.
Étaient-elles jumelles ?

En outre, la ville de Strasbourg en ruine après la guerre de 1870 m'a intéressé.
Deux judas rouge et vert permettent de voir en relief des photos de la ville de Strasbourg détruite. 
Devant les décombres, un groupe de soldats me regardaient.
Cette guerre a dévasté Strasbourg.
La ville a subi les bombardements de la Prusse pendant trente-quatre jours.
La bibliothèque et de nombreux édifices ont rejoint ce tas de gravats.
La Cathédrale de Notre-dame a aussi eu des dégâts.
Deux cent Strasbourgeois ont succombé, trois cent citoyens ont été blessés.
Environ 10,000 habitants ont perdu leur domicile.
L'Alsace-Lorraine est tombée.

Après la défaite de l'Allemagne à la première guerre mondiale, la République d'Alsace-Lorraine a revendiqué son indépendance.
Mais la France en a repris possession, mettait fin à ce court épisode d'indépendance. 
À ce moment-là, l'usage de l'alsacien et l'allemand a été interdit.
Le français est redevenu la langue officielle. 
Cependant, la paix n'a pas duré longtemps.
Durant la seconde guerre mondiale, en 1940, Paris a capitulé face à l'Allemagne.
Le destin de la France est tombé entre les mains de Hitler.
La même année, le 7 août, les Nazis qui considéraient les Alsaciens comme une race germanique mineure ont annexé l'Alsace-Lorraine à l'Allemagne.
C'est alors que naquit l'expression ''Malgré-nous'', qui désigne les Alsaciens incorporés dans l'armée allemande contre leur gré. 

Dans la section consacrée à la seconde guerre mondiale, on trouve trois écrans. 
Chaque écran affiche les portraits de trois Strasbourgeois.
Si on clique sur le profil d'une personne, son histoire s'affiche.
C'étaient des gens ordinaires dont les noms sont inconnus, comme la plupart d'entre nous.
Une fonctionnaire, un chauffeur, un professeur, une mère...
Certains ont survécu, d'autres ne sont jamais revenus.

J'ai particulièrement apprécié la salle dans laquelle était exposée une énorme maquette représentant la ville de Strasbourg au Moyen Âge.
Lorsque j'y suis entré, la salle était obscure.
Au moment où je me suis approché de la maquette, une lumière détectant mon mouvement s'est allumée pour l'éclairer.
Au fond de la salle, des jumelles étaient posées sur un parapet. 
Elles permettaient de regarder la ville dans ses moindres détails.
J'étais tout seul dans la pénombre.
Un silence total régnait dans la pièce.
J'ai pu constater qu’une église, la cathédrale ainsi que les ruelles aux alentours demeuraient inchangées depuis cette époque
J'ai souhaité qu'il neige sur ces toits en brique orange.
Les gens de l'époque ont sans doute regardé la neige couvrir tendrement les maisons de Strasbourg.

J'ai rendu l'audioguide à la réception.
J'ai dit au revoir à la même femme et je suis sorti.
Trois heures s'étaient écoulées dans le musée.
Afin de fuir la chaleur insupportable, je suis rentré en longeant l'Ill jusqu’à la station Galia, en songeant au général Kléber et à Gutenberg, à Reichsland et au tableau du maire Küss dans les ruines.
Près d’un pont, des garçons en bermuda s'exposaient au soleil.

Situé à l'extrémité Est de la France, au centre de l'Europe, Strasbourg est une ville, qui malgré les destructions et les bombardements subis, se dressait devant moi comme si elle n'avait pas été altéré par le temps.

mardi 20 juin 2017

Le doigt

Le doigt

Aurélien

Dans la cour de l'université, j'ai trouvé un doigt. J'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'un ver blanc. Il avait l'air souple et immobile. Je m'en suis approché et je me suis accroupi pour le contempler de près. Ce ver blanc était légèrement courbé. Il n'avait ni œil ni bouche. Je l'ai pris dans ma main et c'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que ce n'en était pas un. Ce n'était pas un ver. C'était un doigt. Le doigt était froid et rigide comme s'il était en céramique. Sans doute coupé par un couteau tranchant tel qu'un bistouri, il était coupé à la troisième articulation au niveau de la paume. L'ongle était lisse et dur. À la coupe on voyait encore de la chair et les traces de nerfs qui étaient pétrifiées. Par sa longueur et sa forme frêle, j'en ai déduit qu'il s'agissait de l'index qui un jour avait appartenu à une femme. Le lustre de la peau prouvait que son ancien propriétaire était encore jeune. Cependant imaginer une femme à partir d'un simple index était assez difficile. Je l'ai soigneusement couvert d'un mouchoir et je l'ai mis dans la poche.

C'était le début de l'automne. Les arbres avaient commencé à perdre leurs feuilles. Les couples en pull-over se promenaient main dans la main en respirant l'air frais à pleins poumons. Je n'avais même pas une fille avec qui j'aurais pu réchauffer mes mains gelées. Tout ce que j'avais, c'était cet index dans ma poche.
La nuit est tombée. J'ai posé l'index sur un mouchoir à côté de la fenêtre. Je l'ai contemplé pendant un certain temps comme un scientifique étudie minutieusement l'aspect d'un virus. J'ai caressé cet index avec le mien. Il n'a manifesté aucune réaction. Ensuite je l'ai piqué avec un crayon pointu. C'était pareil. L'index restait paralysé. Son sommeil était aussi profond qu'une grotte insondable. Pour l'empêcher de s'enfuir, j'ai bouché le goulot avec un bouchon de liège. Je l'ai provisoirement nommé ''Mitsouko''. J'ai écrit dans mon cahier, '' 21 Octobre, index trouvé dans le buisson de la cour de l'université, nommé Mitsouko''

           
Le lendemain matin, lorsque je me suis réveillé, Mitsouko s'était affaiblie. La surface de sa peau était asséchée, elle était allongée comme si elle était au bout de ses forces. J'avais oublié d'aérer la fiole. Je l'ai tout de suite débouchée et j'ai percé le liège de trous pour qu'elle puisse respirer. J'y ai également ajouté un peu d'eau. On dirait qu'elle a repris des forces maintenant. Son lustre est revenu, elle a imperceptiblement levé la tête comme en signe de remerciement. ''Je vous en prie'', lui ai-je dis.
J'ai fait une affiche et j'en ai collé les copies partout dans l'université. Le texte de l'affiche était comme suit ;

RECHERCHE PROPRIÉTAIRE D'UN DOIGT
taille ; 7 centimètres
poids ; 1,5 grammes
couleur ; blanc
lieu de la découverte ; le buisson

En bas, j'ai mis mon numéro de portable. J'ai même illustré l'affiche d'un portrait du doigt. Je suis plutôt doué pour le dessin.


                 
Vers le soir, j'ai reçu un coup de fil d'une fille inconnue. Sa voix était si faible que je l'entendais à peine.
''-C'est toi qui as fait l'affiche du doigt ?
-Effectivement.''
Nous avons pris rendez-vous une heure plus tard dans la cour de l'université. Je me suis assis sur le même banc que ce matin. En regardant les passants, j'ai attendu l'arrivée de la fille inconnue. Les étudiants rentraient chez eux ou allaient boire un verre. Un groupe de filles et de garçons bavardait d'un air jovial, peut-être qu'un garçon avait fait une plaisanterie spirituelle car une fille en pull rouge a éclaté de rire. J'ai jeté un coup d’œil sur la fiole. Le doigt se reposait comme tout à l'heure comme un chat blotti. Au loin j'ai remarqué la silhouette d'une fille qui marchait vers moi. Le rythme de ses pas était parfaitement synchronisé avec ses cheveux. L'effet du crépuscule rendait sa silhouette bleue. Cette fille qui s'est assise à côté de moi était relativement jolie mais c'était le type de fille qui ne laissait aucune impression aux gens. Elle baissait les yeux comme si elle sombrait dans une pensée métaphysique puis elle en est sortie.
''Tu peux me le montrer ?''
Elle semblait éviter d'utiliser le mot ''doigt''. Je lui ai montré la fiole et je lui ai demandé si ce doigt lui appartenait. Elle n'a pas répondu à ma question, elle l'a prise dans sa main et elle l'a observé comme un archéologue qui vérifie l'authenticité d'un fossile. Pendant qu'elle le regardait, j'admirais ses doigts soutenir la fiole. Elle s'est mise à raconter le résultat de cette vérification.
''-Lorsque je suis née, j'avais un sixième doigt. Normalement on tranche tout de suite un tel doigt superfétatoire, et un tel cas n'est pas rare. Mais mes parents n'ont pas demandé au médecin de l'enlever. Ce sixième doigt se situait à côté de mon auriculaire. Il était paralysé et je ne pouvais pas le faire bouger. Mais il ne me gênait pas non plus, sauf l'hiver parce que je ne pouvais pas me mettre un gant. D'habitude les gens n'y faisaient pas attention. En quelque sorte, la présence de ce doigt me rassurait comme si j'avais un petit frère. ''
Elle a continué.
''-Lorsque j'avais douze ans, j'ai eu un accident de voiture. Pendant que j'allais à l'école, un camion dont le chauffeur somnolait, m'a foncé dessus dans un tournant. Mais je ne me souviens de rien. J'ai entendu plus tard cette histoire de mes parents. Lorsque je me suis réveillé, j'étais sur un lit d'hôpital. Au fur et à mesure que mes yeux s'habituaient aux lampes fluorescentes, j'ai d'abord aperçu que j'étais reliée à de nombreux tubes. J'ai ensuite ressenti une étrange sensation, une sensation d'un creux total. De toutes mes forces, j'ai levé mon bras et j'ai découvert que mon sixième doigt avait disparu.
La perte du sixième doigt a été le commencement de la malédiction. Mon père qui gérait une petite imprimerie, s'est pendu un jour dans l'usine. Le premier employé qui est arrivé a trouvé son corps refroidi. Mon père n'était ni endetté ni malade. Il n'avait aucune raison de se suicider. Depuis sa mort, ma mère s'est mise à changer petit à petit. Alors qu'avant elle tenait proprement la maison, elle a arrêté de faire le ménage.  La poussière s'accumulait dans tous les coins, l'odeur de poubelles montait, les assiettes étaient laissées dans l'évier et la nourriture pourrissait dans le réfrigérateur.  Un jour, elle a disparu sans laisser aucune note. L'épargne était intacte. Je ne sais même pas si elle est vivante ou pas aujourd'hui.
Tous ces malheurs ont commencé depuis la disparition de mon sixième doigt. Tu comprends ?
Maintenant sa voix tremblait. Les larmes devaient s'accumuler au revers de ses globes oculaires.
-Je pense que oui. En quelque sorte, ce sixième doigt réglait ta vie et par le rite de le reprendre, tu pourras tout recommencer, au moins c'est ce que tu crois.''
La fille a hoché la tête. Un instant, nous nous sommes tus.
''Mais ce n'est pas le tien.'' ai-je dit et j'ai repris la fiole.
En m'éloignant, j'entendais les sanglots de la fille.

Un mois plus tard, un gardien de nuit a trouvé le corps d'une fille pendue à un arbre dans le bois. De l'intérieur de sa chemise blanche montait une odeur abominable. Chaque fois qu'un vent soufflait, ses membres s'agitaient. Selon la police, au moins trois semaines s'étaient passées depuis sa mort. Cet événement a été relaté dans un article du journal universitaire. Comme lorsqu'elle était vivante, personne n'y a fait attention.
J'ai écrit dans mon cahier, ''14 Novembre, fille pendue dans le bois''.


                                                                
C'était un dimanche paisible quand j'ai reçu le deuxième appel. J'ai décroché mais personne n'a répondu. Après un silence, une voix masculine m'a brièvement dit qu'il avait vu l'affiche. Ce n'était pas la voix d'un jeune homme mais je n'arrivais pas à deviner son âge. Nous avons pris rendez-vous dans un café une heure plus tard.
J'ai attendu cet homme inconnu en lisant la suite de mon roman. Le temps était agréable. Au dehors, des pigeons roucoulaient et des cris d'enfants retentissaient. La lumière douce de l'après-midi du début de l'hiver réchauffait mon corps, créait sur la page une ombre orange en biais. Lorsque je suis arrivé à la moitié de l'histoire, un homme en manteau noir et au chapeau de la même couleur est apparu. J'ai tout de suite compris que cet homme était le propriétaire de la voix. Après avoir promené son regard, il m'a semblé qu'il m'ait aussi reconnu. Il a marché vers moi sans hésitation. L'ombre que créait son chapeau cachait son visage. Il s'est assis en face de moi et il a commandé un café à la serveuse. Il a enlevé son chapeau et son visage est apparu. C'était un homme d'environ quarante ans, sa moustache faisait l'objet d'un grand soin tel le gazon d'une famille aisée, ses cheveux avaient déjà commencé à blanchir. Il m'a regardé à travers ses lunettes rondes comme si j'étais un réfrigérateur et m'a dit,
''-Excusez-moi de vous avoir fait venir si soudainement. C'est moi qui vous ai téléphoné tout à l'heure. Vous êtes donc le garçon qui a fait cette affiche ?
J'ai fait oui de la tête,
-Alors ce doigt vous dit quelque chose ?, ai-je dit.
-La réponse est oui et non. L'histoire est plus compliquée.
La serveuse a apporté son café et elle a disparu.
Pourriez-vous me montrer le doigt ?’’
J'ai tiré la fiole de mon sac et je la lui ai passée. Il a observé Mitsuko à contre-jour en marmonnant quelque chose, en ajustant de temps en temps le positionnement de ses lunettes.
-C'est étrange. Vous ne trouvez pas ?, m'a-t-il dit, quand avez-vous trouvé ce doigt ?
-Il y a trois semaines, lui ai-je dit.
-Si c'est le doigt d'un être humain, il doit pourrir ! Toutefois il reste inchangé. Jadis en Europe, il y avait une époque où les maquettes minutieuses des parties du corps humain étaient à la mode parmi les nobles.  Les gens de la haute société prenaient du plaisir à admirer les copies du corps humain, ce qui était depuis longtemps interdit et secret. Ce doigt me rappelle une telle création mais je n'en suis pas sûr....
Je l'écoutais sans intervenir, puis il a dit,
-Je suis collectionneur de doigts. Aimeriez-vous regarder ma collection ?''



                                                                  
Sa maison se situait dans la forêt. La voiture a monté une longue pente étroite, elle a tracé la route sinueuse tel un serpent déroulé, elle s’est enfoncée encore dans la hauteur. Des maisons semblables les unes des autres duraient infiniment. Ces maisons n’avaient pas l’air particulièrement vieilles, mais je n’ai aperçu aucun habitant. Comme s’il avait deviné, le collectionneur de doigts m’a raconté l’histoire de cette montagne déserte ;
‘’Ce terrain a été exploité dans les années quatre-vingt pour les jeunes mariés. Ce n’est pas un endroit inconvénient. C’est vrai que c’est un peu éloigné de la centre ville mais une telle nature est plutôt rare dans une grande ville. Un jour, un séisme a eu lieu. Ce séisme n’a engendré aucune victime mais il a révélé que le sol de ces terrains était relativement vulnérable. Par la suite, un grand incendie s’est produit dans cette forêt. Par conséquent, ce projet a échoué, il n’y avait que très peu de monde qui ont acheté des maisons ici. C’est pour ça qu’il n’y a que très peu d’habitants. La plupart des maisons ont été abandonnées. Les habitants au bas évitent d’appeler le nom de cette montagne, ils l’appellent juste ‘’Là’’ car ils croient que c’est un endroit maudit. Autrefois il y avait une villa au sommet. Une dame qui avait perdu son mari à la gare y vivait seule avec ses trois servantes. Dans la vie isolée dans cette forêt, par le chagrin d’avoir perdu son bien-aimé, elle atteignait peu à peu la folie. Un jour, elle a demandé à une servante de brûler une grande quantité de lettres. Cette masse de papier comprenait même des lettres que son mari défunt lui avait envoyé depuis le champ de bataille. La servante lui a demandé si elle voulait vraiment brûler ces lettres. La dame lui a répondu que oui, que parce qu’elle voulait oublier son passé et commencer une vie nouvelle. La dame l’a gentiment aidée à apporter toutes les lettres, puis tout à coup elle a brutalement poussé la servante et l’a enfermée avec ces papiers dans l’incinérateur. Pendant que cette servante frappait de toutes ses forces à la porte en criant, l’autre servante qui regardait la scène à la dérobée s’est enfuie, elle a demandé au secours aux habitants du bas de la montagne. En même temps que la dame a mis le feu à l’incinérateur, la troisième servante a incendié la villa. La dame a choisi de mourir avec cette maison pleine de souvenirs. Maintenant au sommet de la montagne, il ne reste qu’une colonne qui est le vestige de cette histoire.’’
La voiture s’est arrêtée devant une maison blanche. Les hauts arbres noirs esquissaient un arc au-dessus de nous.
‘’La vie dans la forêt, ce n’est pas aussi triste que vous l’imaginez. Personne ne se plaint même si j’écoute les symphonies de Beethoven à grand volume.’’

Contrairement à la noirceur de la forêt, l’intérieur de la maison était lumineuse. Il a avancé dans le long couloir et je l’ai suivi. Au fond se trouvait une porte et derrière il y avait un escalier étroit. Nous sommes descendus en bas. Il a allumé la lampe et dans cette cave, un milliers de fioles, de flacons, de bouteilles étaient rangés dans les étagères qui couvraient les murs entiers. ‘’Voici, ma collection…’’, a-t-il murmuré. Tous les récipients étaient libellés.  Il a choisi un flacon dans lequel se flottait un doigt et il me l’a passé. Ce doigt était petit et potelé. Le flacon était rempli d’un liquide jaunâtre. Sur l’étiquette, il était écrit simplement ‘’1972’’.
‘’ C’est le doigt de ma fille, m’a dit le collectionneur. Elle n’avait que dix ans. Elle a été impliquée dans l’incendie dont je vous ai parlé. Il ne restait que ce petit doigt.’’
Son visage était flou dans la pénombre. Le doigt se flottait agréablement dans le flacon, comme une feuille sur la piscine.
‘’ Depuis lors, j’ai commencé à collectionner n’importes quels doigts pour ma fille. Elle n’a laissé que ce petit doigt misérable. Elle doit chercher encore ses neufs doigts perdus quelque part, n’est-ce pas ?’’
Je n’ai pas répondu à cette question.
‘’ J’ai créé cet appareil moi-même, a-t-il continué en tirant un appareil semblable à des ciseaux d’un tiroir. C’est une coupe-doigt.  J’ai transformé des cisailles pour qu’elles soient plus convenables à couper un doigt. Cette coupe-doigt permet à réaliser une coupe parfaite comme si on coupait un fromage.’’
Sans lever les yeux, il regardait les lames de cet outil grotesque. Une sueur a coulé sur mon front.
‘’Croyez-vous que ce doigt faisait partie de votre collection ?’’, lui ai-je demandé en efforçant de dissimuler mon émotion.
Il s’est tourné vers moi, c’était la première fois qu’il me regardait. Mais son visage restait toujours quelque peu brumeux. Après avoir respiré, il m’a dit,
‘’- Non, mais…
-Mais ?
- Ce doigt est magnifique. Soit artificiel ou soit naturel, sa touche, cet enchevêtrement de la chair et de nerfs vaudrait même un excellent tableau d’un artiste connu. Tous les paysages et tous les souvenirs du propriétaire s’emmêlent dans les tissus de ce doigt. Regardez le bout de ce doigt fluet. Aucun doigt de ma collection ne possède une beauté pareille. S’il fait partie de ma collection, ma fille sera aussi contente. Ne pourriez-vous pas vendre ce doigt ?
Pendant un moment, nous nous sommes tus, puis il m’a dit,
-N’avez-vous pas faim ?’’
C’était un peu tôt pour le dîner mais il a préparé repas simples pour moi.
‘’-J’aime la cuisine. Bien sûr, je ne peux pas faire une cuisine raffinée mais quand on vit dans la forêt, il n’y a pas beaucoup de divertissements.’’

Face à face nous dînions ensemble. Le plat principal était une sole sautée à la sauce crème avec des asperges, accompagné d’une soupe de maïs. À part le bruissement des feuilles, le tintement d’assiettes et de fourchettes retentissaient discrètement.
‘’-Excusez-moi, tout à l’heure, m’a-t-il dit en enlevant adroitement l’arrête de la sole. J’étais un peu excité lorsque je parlais du doigt de ma fille. J’espère que mon comportement ne vous a pas choqué.
-Non, ce n’est rien’’, ai-je menti.

Un tas de questions affluait dans ma tête, où était sa femme, quel métier exerçait-il. Mais j’ai choisi de me taire. Un silence a duré pendant un moment. Je regardais vaguement la gravure qui était accrochée au mur. C’était une gravure étrange, un homme en manteau donnait un coup de poignard dans la poitrine d’une femme. Les yeux de la femme étaient écarquillés, plein d’étonnement. Mais ce qui était particulièrement étrange était ce couteau. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un poignard mais c’était en fait des ciseaux dont les lames étaient voûtées. De telles ciseaux ne seraient pas capable de couper quoi que ce soit. Au bout de ces ciseaux se prenait le cœur de la femme.

‘’-Aimez-vous cette gravure ? Elle est étrange, n’est-ce pas ? Je l’ai achetée lorsque j’ai voyagé à Strasbourg, son titre est « L’arrache-cœur », Cette gravure date de 1867. Elle est basée sur une affaire qui a réellement eu lieu. Des corps de jeunes femmes ont été trouvé aux alentours d’un lac. Leurs cœurs avaient été tous arrachés d’une manière artificielle’’, m’a-t-il dit. J’ai détaché les yeux de la gravure. Il me fixait toujours son regard sur moi.
‘’-Excusez-moi, ce n’est pas un sujet pertinent au dîner, a-t-il dit en toussotant. J’espère que la cuisine vous plaît. J’ai un ami qui aime pêcher, il m’apporte régulièrement des poissons frais. À part, il n’y a personne qui me rend visite…’’
Tandis que je cherchais des mots, il a continué.
‘’Au sujet de votre doigt…ne pourriez-vous pas me le vendre ? Dites-moi une somme qui vous semble correcte. Sinon on pourrait échanger la gravure et le doigt si vous l'aimez. À vrai dire, elle vaut une certaine somme.'' et il a ris en articulant chaque syllabe ha/ha/ha. Cette proposition soudaine m’a déconcerté. Je n’avais jamais pensé à vendre ma Mitsouko.
‘’Je souhaiterais réfléchir’’, ai-je répondu au final. Je me souvenais d’une phrase que j’avais lue quelque part, « Déclinez la première offre, c’est une règle inflexible et de base dans le business. » Toutefois je savais que je n’avais pas l’intention de le vendre à qui que ce soit.
‘’Ça c’est normal. Ce n’est pas un doigt ordinaire. Il vaut mieux mettre du temps. Réfléchissez-bien, pour que vous ne perdiez pas dans la forêt.’’
Son ton ne changeait pas. Le visage était toujours brumeux.
Il m’a proposé de m’accompagner jusqu’à la gare mais j’ai décliné cette proposition. Il m’a conduit jusqu’au bas de la montagne. Je l’ai remercié pour le dîner, j’ai ajouté que je réfléchirais à propos du doigt.
‘’-Au revoir, m’a-t-il dit.
 -Au revoir’’, lui ai-je dit.
Et la voiture a disparu dans les ténèbres de la nuit.


                        
Le dîner chez le collectionneur de doigts me semblait irréel. Sa maison dans la montagne, la gravure de ‘’L’arrache-cœur’’ et sa collection de doigts, tout me semblait une sorte de rêverie. Mais le doigt que j’avais trouvé dans la cour prouvait que c’était réel. J’ai passé des journées en vain en observant le doigt dans la fiole. Je pensais à ce que l’homme m’avait dit. En Europe, les maquettes minutieuses de parties du corps de l’être humain étaient à la mode. Maintenant cet avis me paraissait plausible. Pourquoi avais-je pensé que ce doigt avait appartenu à une femme ? Celui-ci était en effet artificiellement minutieux et lisse. Il pouvait être l’œuvre d’un artisanat.

J’ai décidé de faire des recherches sur ce type d’œuvre d’art. Je me suis rendu à la bibliothèque municipale de la ville. Elle se situait non loin de ma maison. J’ai traversé un bois, j’ai longé un ruisseau et le bâtiment en brique rouge au fin fond d’un quartier résidentiel était la bibliothéque Motomachi.

Lorsque je suis entré, un vieil homme qui était à l’accueil m’a jeté un coup d’œil avec indifférence. Il portait des lunettes rondes épaisses qui rapetissait encore ses yeux. Sa tête était presque chauve. Quelques masses de cheveux étaient collés à son crâne telles des algues. Il n’y avait que très peu de visiteurs dans la bibliothèque. Quelques femmes au foyer choisissaient un roman policier, ou elles lisaient des magazines pour femmes. Des vieillards fixaient leur regard sur le journal. Ils ont toussoté de temps en temps.

Dans l’étagère d’art, j’ai trouvé un livre intéressant sur les maquettes d’organes humaines. Comme le collectionneur l’avait dit, il était écrit que les maquettes médicales se développaient avec l’évolution de la médecine et que le plaisir intime de découvrir le secret du corps humain attirait secrètement les gens de haute société. Ce livre était illustré de multiples photos. Il y avait les photos d’une poupée en céramique dont le tronc creux montrait ses organes. Cependant la connaissance sur le corps humain était encore inexacte à l’époque. Cette poupée comprenait des organes imaginaires qui n’existaient pas en réalité. Par exemple, à cette époque-là, les gens croyaient qu’il y avait un organe qui était la cause du cauchemar. Sur la photo, il ressemblait à une tumeur verdâtre et du liquide noir en coulait, ils croyaient que ce liquide pénétrait dans les cellules et qu’il provoquait la névrose. Il y avait également la photo d’une maquette d’utérus. Le couvercle était détachable, un fœtus blotti dormait à l’intérieur. J’étais plongé dans la lecture et je ne m’étais pas aperçu qu’une femme se tenait juste à côté de moi. J’ai vu sa main atteindre un livre. Elle manquait d’auriculaire. Pour voir son visage, j’ai levé les yeux. Mais son profil était dissimulé par les cheveux longs noirs. Quelques instants plus tard, elle m’a tourné le dos e elle s’est mise à marcher. Je suis resté pétrifié pendant un moment. Au final, j’ai décidé de la suivre.
Elle s’est faufilée entre les étagères sans faire la moindre attention aux autres visiteurs, puis elle est sortie de la bibliothèque. Ses pas semblaient pleins de confidence, sans aucune hésitation. J’ai suivi sa silhouette en étouffant les pas. Je voulais regarder à quoi elle ressemblait, au moins son profil, mais elle me tournait toujours le dos comme si elle savait que je la suivais. Le soleil couchant colorait le ciel en rouge. Les ombres s’allongeaient au maximum comme un tableau de Giorgio de Chirico. La ville était calme. Quelque part dans une maison, une fille pratiquait une étude de Debussy. Cette interprétation maladroite et le bruit des pas de la femme sans auriculaire formaient une harmonie étrange. Elle n’a jamais regardé en arrière. Peut-être qu’elle ne se rendait pas compte de ma présence ou elle en était déjà consciente mais l’ignorait intentionnellement. Je contemplais ses longs cheveux s’agiter à chaque pas. Nous nous approchions petit à petit du centre de la ville. Il y avait de plus en plus de gens. Des étudiants rentraient à la maison, des femmes faisaient des courses, des hommes qui avaient fini le travail attendaient le bus. La femme sans auriculaire est entrée dans une rue marchande. J’ai essayé de me frayer un passage mais la foule stagnait. Je voyais la tête de la femme sans auriculaire s’éloigner de plus en plus de moi et au final, je l’ai perdue.


              
Quelques jours plus tard, j’ai reçu un coup de fil de la part du collectionneur de doigt.
‘’-Allô, c’est moi, Miyauchi, m’a dit le collectionneur de doigts.
-Merci pour le dîner. La cuisine était très bonne, l’ai-je remercié.
-Non, ce n’est rien. Je n’ai pas pu vous faire grand-chose alors que vous étiez venu jusqu’au fin fond de la montagne pour me voir.
-J’imagine que vous m’avez appelé au sujet du doigt ?
-Hum, oui et non. Je sais bien que c’est une question délicate qui ne peut pas avoir une réponse immédiate. Au fait, aimez-vous Beethoven ? Ma nièce est corniste et elle m’a invité de venir à son concert. J’ai deux tickets. Si vous voulez, on pourrait se revoir juste pour se discuter un peu. Ce n’est qu’une proposition, bien sûr’’, m’a-t-il dit.

J’ai réfléchi un instant. À vrai dire, Beethoven était mon compositeur préféré. J’apprécie surtout la septième symphonie et la huitième sonate pour piano. La gravure de ‘’L’arrache-cœur’’ restait encore gravée dans ma tête. Je me suis rappelé aussi de la sole sautée. Son œil gauche ressemblait à celui de Jean-Saul Partre. Après un silence, je lui ai dit que j’y irais avec plaisir. Il m’a dit, ‘’C’est parfait.’’ d’un air satisfait et on a fixé la date.
‘’-Bonne soirée, m’a-t-il dit.
-Bonne soirée’’, lui ai-je dit.
Et j’ai raccroché.





Le lendemain lorsque j’attendais le train, j’ai aperçu la même femme sans auriculaire sur le quai à l’opposé. Elle était mélangée à la foule qui attendait le train, cette fois elle portait un chapeau à bord large qui m’empêchait de regarder son visage. J’ai monté l’escalier pour aller au quai opposé. Lorsque je descendais l’escalier, le train venait de sortir du tunnel. À ce moment-là, j’ai entendu une femme crier. C’était un cri si strident comme si on frottait deux couteaux. Ensuite la foule s’est mise à murmurer. J’ai fendu la foule mais je n’ai pas compris ce qui s’était passé. J’ai demandé à un homme qui était à côté de moi ce qui avait lieu. Il m’a chuchoté qu’il semblait que quelqu’un s’est jeté dans le quai et il a poussé un profond soupir. J’ai regardé le train mais je n’ai aperçu aucune trace de sang. Je le lui ai dit, alors cet homme m’a brièvement dit ‘’Je n’en sais rien.’’ en haussant les épaules. Je suis resté debout un instant mais je me suis souvenu de la femme sans auriculaire. J’ai recherché sa silhouette dans la foule mais elle avait disparu. Étant donné que le trafic était interrompu, elle serait partie quelque part. J’ai jeté encore un coup d’œil sur le quai, il n’y avait aucun corps ni trace de sang comme tout à l’heure. Seule la foule murmurait quelque chose entre eux.




J’attendais le collectionneur de doigts devant la gare. Il faisait déjà noir. La lumière des réverbères me rendait quelque peu triste. Je regardais vaguement le va-et-vient des gens. Mais il n’était toujours pas apparu alors que l’heure du rendez-vous était déjà dépassée. J’ai regardé mon portable mais je n’avais aucun message. J’ai pensé à rentrer chez moi mais j’ai décidé d’attendre encore un peu. J’ai sorti ‘’Le cœur est un chasseur solitaire’’ de ma poche et je me suis mis à le lire pour tuer le temps. Dans le livre, le Grec obèse Antonapoulos et des patients d’hôpital regardent un film noir ensemble. Quelques minutes plus tard, quelqu’un a frappé sur mon épaule. J’ai regardé en arrière. Une fille d’à peu près même âge que moi était debout et elle m’a souri. Elle avait les cheveux bruns qui atteignaient ses clavicules, son nez était petit et droit, ses cils étaient longs et noirs comme la fougère.
‘’-Par là.’’, m’a-t-elle dit et elle a tiré la manche de mon manteau. Nous nous sommes faufilé à travers la foule et sommes arrivés à la sortie opposée de la gare. Parmi les taxis qui attendaient leurs passagers, j’ai reconnu une voiture blanche que j’avais déjà vue. Le collectionneur de doigt était au volant et il agitait la main.
‘’C’est mon oncle’’, m’a dit la fille.
‘’-Bonsoir. Je suis désolé d’être en retard. J’ai eu une affaire urgente, m’a dit le collectionneur d’un air vraisemblablement désolé.
-Non, ce n’est rien…’’, lui ai-je dit.
Il a démarré la voiture. Je lui ai demandé comment elle m’a trouvé alors qu’elle ne m’avait jamais vu avant. Elle m’a regardé d’un air sérieux puis elle a pouffé,
‘’-C’est facile de te reconnaître.
-Pourquoi ?’’ ai-je dit. Mon apparence était plutôt banale, sans aucune particularité. Je n’étais ni beau ni laid. Elle a approché sa tête de moi, en regardant mes yeux comme si elle regardait dans une longue-vue et m’a dit,
‘’Parce que tu es bizarre.’’
‘’C’est ma nièce. Elle est étudiante au conservatoire. C’est elle qui nous a invité au concert’’, m’a expliqué le collectionneur de doigts. Je l’ai brièvement remerciée. La fille n’a pas répondu, elle a fait juste un petit ‘’hum’’ et a dit :
‘’Ce soir, en vrai, c’était moi qui devrais jouer du cor mais il y a quelques semaines, je suis tombée dans l’escalier et je me suis tordue un doigt. Alors j’ai dû céder ma place à une camarade. C’est ridicule, n’est-ce pas ? Je travaillais depuis plusieurs mois cette interprétation mais à cause d’une seule chute dans l’escalier, tous mes efforts sont foutus. Je n’ai plus envie de voir le cor pour le moment.’’
Une fois cessé de parler, le menton dans la main, elle a regardé le paysage nocturne par la fenêtre.
 ‘’-Au fait, comment tu t’appelles ? , m’a-t-elle demandé.
-Yuki, lui ai-je dit.
-Ah bon, m’a-t-elle dit avec indifférence comme si elle avait appris une information complètement inutile. Je m’appelle Kumi, enchantée.’’

Trente minutes plus tard, nous sommes arrivés à la salle de concert. Elle était plutôt déserte. Une dame avec un manteau en fourrure a fait tomber une photo. Je l’ai prise et je l’ai insérée dans le livre 
sans la regarder.

L’orchestre a interprété la septième symphonie de Beethoven. Les membres de l’orchestres, qui étaient sans doute les camarades de la nièce de Miyauchi, ont bien joué. Le chef de l’orchestre était un homme mince au grand front. Pendant le concert, je suivais le mouvement de sa tête. C’était tout à fait comme un métronome. J’ai regardé à côté de moi. La fille contemplait la scène en fronçant ses sourcils. Je ne comprenais pas pourquoi elle s’efforçait de créer une telle ride charmante entre ses sourcils. Y avait-il quelque chose qui lui déplaisait ? Miyauchi restait calme comme d’habitude. Son visage n’avait aucune expression particulière. Il ne bougeait pas, comme un rocher opiniâtre. Son regard était le même que lorsqu’on contemple un poisson pélagique à l’aquarium.

Après que le concert a terminé, j’ai demandé à la fille pourquoi elle fronçait le sourcil pendant qu’on jouait.
‘’- Faisais-je la grimace ? m’a-t-elle demandé.
-Tu fronçais le sourcil comme si tu maudissais quelque chose.
-Menteur, je ne faisais pas la grimace. J’étais jolie comme d’ordinaire. Je pensais seulement que j’aurais mieux joué que la corniste qui m’a remplacée, si je ne m’étais pas tordu le doigt.’’
Mais je n'avais rien trouvé à dire à cette interprétation.
Je le lui ai dit.
‘’- Es-tu sourd ? m’a-t-elle dit. C’est vrai qu’elle n’a pas fait de bêtises mais elle n’a pas bien joué non plus. C’est en fait comme une bière plate. Quatre-vingt pour-cent d’eau et seul le reste est de la bière. Mais moi, j’aurais pu servir cent pour-cent de bière. Une bière étendue et cent pour-cent de bière, que préfères-tu ?
-Cent pour-cent de bière.
-C’est ce que je veux dire.’’

Dans la voiture, Miyauchi m’a demandé si je ne voulais pas passer la nuit chez lui car il était déjà tard. Il m’a dit qu’il n’y avait aucun problème, qu'il pouvait m’héberger, qu’il y avait trois chambres d’ami (Ça ne m’étonne pas vu la grandeur de sa maison) et de plus, que sa nièce y passerait la nuit. Il m’a également dit qu’il s’était procuré un gros saumon. Le saumon m’a intéressé toutefois j’ai refusé son offre que j’avais cours le lendemain matin. ‘’Ah, t’es nul, m’a dit la fille. T’es même un gros nul, presque l’escargot. Alors que j’ai le DVD d’un film d’horreur vraiment flippant.’’
Au moment de nous quitter, elle a chuchoté à mon oreille,
‘’Hé, pourquoi tu as mis la photo de la dame dans ta poche ?’’
Jusqu’à ce moment, j’avais complètement oublié que je l’avais mise dans ma poche.
‘’-Je ne sais pas. Je n’ai pas fait attention, lui ai-je dit.
-Es-tu voleur ?
-Je suis un citoyen exemplaire. Je ne sais pas moi-même pourquoi j’ai fait ça.
-Ah bon. Tant pis. Tu es un peu bizarre, toi. Tu sais ? , m’a-t-elle dit.
-Toi aussi’’, lui ai-je dit.

Ainsi, nous nous sommes dit au revoir. Dans mon appartement, j’ai regardé attentivement la photo que j’avais. C’était une photo en noir et blanc d’une fille d’environ quatorze ans. Elle était coiffée et elle était en kimono. Je n’avais aucune idée des circonstances dans lesquelles cette photo avait été prise. Peut-être que cette fille souriait, « peut-être » parce que quelqu’un avait gommé obstinément la partie de son visage, si bien qu’au-dessus du nez était quasi effacé. J’ai écrit dans mon cahier, ‘’ 6 Janvier. Une fille étrange, une photo étrange.’’



              
Un dimanche après-midi, tandis que je lisais ‘’Pour que tu ne te perdes pas dans le Simply’’ de Modiack Patrino, quelqu’un a frappé à la porte. Je ne recevais que rarement des visites, à part les livreurs, et je me suis demandé qui c’était. J’ai entrouvert la porte et Kumiko était là, debout devant la porte.
‘’-Qu’est-ce que tu fais là ? lui ai-je demandé.
-Rien.’’, m’a-t-elle dit.
J’ai fermé la porte. J’ai essayé de me concentrer sur ma lecture, mais elle s’est mise à frapper violemment. Elle criait. Comme je ne voulais pas que mes voisins l’entendent, finalement je ouvert la porte.
‘’-Pourquoi tu ne me laisses pas entrer ? C’est pas gentil d’agir comme ça avec une fille. J’imagine que tu n’es pas très populaire à l’école. As-tu des amis? m’a-t-elle dit.
-Comment tu as eu mon adresse ? lui ai-je demandé.
-Ben c’était facile. J’ai demandé à mon oncle et il m’a donné le nom de ta fac. Alors j’y suis allée et j’ai demandé des renseignements au secrétariat.
- Normalement donner des informations à un tiers est interdit.
-Beaucoup de choses sont faciles quand on est une jeune et jolie fille. Laisse-moi entrer, s’il te plaît. Sinon je pleurerai devant la porte jusqu’à ce que tu me laisses entrer.’’, m’a-t-elle dit en faisant semblant d’éclater en sanglots.

Je n’avais pas le choix. Elle avait raison. Il semblait que beaucoup de choses soient faciles quand on est une jolie et jeune fille. Je l’ai laissée entrer mais je ne savais pas pourquoi elle était venue. De plus, c’était la première fois qu’une fille venait chez moi. J’étais tendu. Elle a enlevé ses chaussures et posé son sac. Elle a poussé un soupir et elle s’est mise à regarder mon étagère remplie de livres en français. Elle m’a demandé si je pouvais les lire et si c’était intéressant. Je lui ai répondu que j’arrivais à les lire et que quelques-uns étaient particulièrement intéressants, ‘’Le vomi’’ de Jean-Saul Partre et ‘’L’insoumission’’ de Houelle Michelbecq étaient mes préférés. Elle a pris ‘’Le Vomi’’ de Partre, en regardant la photo de l’auteur, elle m’a dit d’un ton joyeux que son œil gauche était chouette. Ensuite, elle a pris ‘’L’insoumission’’ de Houelle Michelbecq, en regardant encore la photo de l’auteur (on aurait dit que seul le visage de l’auteur l’intéressait.) cette fois elle était très étonnée de la laideur de l’écrivain. Elle m’a demandé pourquoi je lisais tant. Je lui ai répondu que c'était parce que je n’avais pas d’ami, et que je n’avais pas autre chose à faire.
‘’-Je peux être amie avec toi si tu veux, m’a-t-elle dit.
-Non merci. Je suis déjà bien comme ça.’’, lui ai-je dit.

Nous nous sommes assis autour de la table qui était posée au centre de ma petite chambre. Je lui ai servi un café. Elle y a mis dix sucres. En tripotant le bout de ses cheveux un peu abîmés, elle s’est mise à énumérer chaque amie qu’elle n’aimait pas.
‘’-Il y a une fille qui prétend être de la bourgeoise mais tout le monde sait qu’elle est en réalité pauvre. En plus, elle est très grosse et elle a une voix terriblement grave presque baryton. On dirait plutôt un homme d’un âge mûr qu’une fille de dix-neuf ans. Un jour, j’ai discuté un peu avec le garçon le plus beau de ma classe dont elle était secrètement amoureuse. Vers la fin de la pause de midi, elle m’a bousculée avec son corps lourd comme un bulldozer et elle m’a faite tomber de l’escalier. J’ai un peu pleuré sur le palier mais à ce moment-là, j’ai décidé de la suivre. Après les cours, elle a acheté une dizaine de viennoiseries au kiosque, et elle a pris le train. Je faisais attention pour qu’elle ne se rende pas compte de ma présence mais ce n’était pas la peine parce qu’elle était vraiment occupée à se lécher les doigts potelés au goût sucré. Lorsque cette grosse se léchait les doigts couverts de sucre, elle avait vraiment l’air heureuse comme si elle embrassait un beau garçon. Au fur et à mesure que le train s’approchait du terminus, il y avait de moins en moins de passagers. Je devenais de plus en plus inquiète. Mais j’avais la mission importante de vérifier si elle était vraiment riche. Elle est descendue au terminus, c’était la station la plus misérable de la ville. J’ai même vu une momie de grenouille asséchée à cause de la chaleur. Après être sortie de la station, elle a monté une longue pente en suant à grosses gouttes alors que c’était déjà en automne. Sa maison était située au milieu de ce chemin. C’était une maison triangulaire au toit en zinc bleu, elle était un peu penchée. Dans son petit jardin, des poupées cassées étaient entassées comme une petite colline. Il manquait une partie du corps à toutes ces poupées : un bras, une jambe, une tête.
- Et ensuite ? ai-je dit.
- J’ai fui, bien sûr. Tu veux que je frappe à la porte de sa maison et que je lui dise « Bonsoir ! Je pourrais dîner chez toi ? ».
- Au fait, tu sais ce que ton oncle fait dans la vie ? ai-je changé de sujet car j’en avais vraiment assez de cette histoire.
- Ah, il ne te l’a pas dit ?
- Non.
- Il est fabricant de poupées. Il a fait ses études en Italie quand il était jeune. Il m’a dit qu’il avait reçu de nombreux prix. Son talent a été largement reconnu même après qu’il est rentré au Japon. Il s’est marié à une violoniste mais elle est décédée des suites du cancer du sein. Je ne l’ai jamais vu, même pas en photo parce que je n’étais pas née à cette époque-là, en plus il a incinéré toutes les photos de son épouse. Après quoi, il est devenu un peu étrange. Il a acheté une grande maison dans la forêt où il vivait avec sa fille mais…
- Il l’a perdue dans l’incendie, ai-je dit.
- Tout à fait. Franchement, je ne sais pas trop ce qu’il fait maintenant. Il y a quelques années, il travaillait pour un film mais maintenant il mène une vie isolée. De temps en temps, je lui rends visite pour voir s’il va bien. ‘’

Après que notre conversation s’est éternisée, Kumiko s’est tout à coup levée et elle s’est mise à fermer les rideaux. Je la regardais sans rien dire. Elle avait de longues jambes élancées. Sa jupe noire s’est agitée comme les vagues de la mer. Après que la chambre s’est assombrie, elle a tiré d’un visage satisfait un DVD de son sac. Elle l’a mis dans le lecteur et elle s’est rassise à côté de moi. C’est ainsi que nous avons regardé ensemble ‘’Shining’’. Je l’avais déjà regardé pleins de fois. La photographie de ce film était toujours belle, j’aimais particulièrement la scène où un homme déguisé en un animal étrange paraît pendant une ou deux secondes. ‘’Ce film est vraiment flippant. Tu vas mouiller ton caleçon cette nuit.’’ m’a-t-elle avec malice. Je ne lui ai pas dit que je l’avais déjà vu. 

Pendant le film, j’ai jeté un coup d’œil sur le côté comme j’avais fait à la salle de concert. Son regard était hypnotisé par l’écran. Elle ravalait sa salive à chaque scène terrifiante. À la scène où la vieille dame pourrie sort de la salle de bain, elle a poussé de petits cris. À la scène où les jumelles apparaissent soudainement dans le corridor, elle a sursauté un peu et elle a bouché les oreilles.

Après le film, elle restait paralysée. Je lui ai adressé la parole mais le regard perdu dans le vide, elle ne m’a pas répondu. J’ai rouvert les rideaux et j’ai découvert qu’il faisait déjà nuit à l’extérieur. Je me souvenais que le soleil se couche tôt en hiver. La montre indiquait vingt et une heures. Elle semblait reprendre conscience car elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas rentrer chez elle et qu’elle ne savait même pas comment elle était arrivée ici.
‘’- Tu as peur de rentrer seule, lui ai-je dit.
- Juste que je ne ressens pas le besoin de rentrer, m’a-t-elle dit.
- Si je t’expulse de ma chambre, tu pleuras jusqu’à ce que je te laisse entrer ?
- Bien sûr.’’, a-t-elle dit en m’adressant un large sourire.

Je lui ai cédé mon lit. J’ai sorti un sac de couchage du placard. Je m’y suis enfoui. Elle m’a dit d’un ton amusé que mon lit sentait le pingouin. Je lui ai demandé si elle avait déjà senti le pingouin, elle m’a dit que non et elle s’est endormie en un clin d’œil.
Le lendemain matin, lorsque je me suis réveillé, elle était déjà partie. Elle avait laissé une note sur la table.

‘’Merci pour hier. Regardons ‘’Les Griffes de la nuit’’ la prochaine fois. P.S. J’ai jeté ton doigt dans les toilettes. Pardonne-moi.’’

J’ai regardé la fiole. Elle était vide. Mitsouko n’était plus là. J’ai imaginé le doigt en train de voyager dans les égouts nauséabonds avec des excréments, de la vomissure et des cadavres de souris.




Un soir de février, j’ai reçu un appel étrange de Miyauchi. J’ai décroché mais il se taisait. Je n’entendais que son souffle et des bruits parasites qui bourdonnaient sans cesse. La connexion était-elle perturbée ou était-il dans une situation qui l’empêchait de parler ?

J’ai décidé d’aller chez lui. J’ai mis mon manteau et des gants. Lorsque je suis sorti, l’air frais a chatouillé mes narines, il faisait de plus en plus noir. J’ai pris le bus pour me rendre au bas de la montagne. Un homme d’une trentaine d’année qui s’assoupissait et moi étions les seuls passagers. La ville était calme, les rues étaient plus désertes que d’habitude. Les flocons de neiges voltigeaient comme des écailles de papillons. Après être descendu du bus, il n’y avait d’autre moyen que de marcher à pieds pour monter la montagne. La forêt était encore plus calme et déserte comme si elle absorbait tous les sons. En me souvenant de la route, j’ai monté la pente. Mes oreilles sifflaient comme si des moustiques s’étaient introduits dans ma tête. Mes jambes s’élançaient petit à petit.
À côté du grand saule pleureur, le chemin bifurquait. Je n’arrivais pas à me souvenir lequel était correct. Par intuition, j’ai choisi la gauche. Le chemin était de plus en plus couvert de mauvaises herbes et de cailloux. J’avais mal à la gorge à cause de l’air sec. Les hauts arbres noirs murmuraient autour de moi. Le bruit du vent qui traversait de temps à autre dans le bois ressemblait au cris d’une femme. La pente durait à l’infini. Les maisons clairsemées que j'apercevais çà et là étaient calmes, comme mortes. Elles étaient réellement mortes. Elles étaient abandonnées, plus personne ne les occupait. J’ai tourné la tête pour voir la ville mais elle était dissimulée derrière les buissons et les arbres. L’étroit chemin que je suivais jusque-là s'élargissait soudain devant moi, comme s’il attendait avec impatience de m’avaler.

J’ai eu l’impression que j’avais du mal à respirer. Était-ce à cause de l'altitude ? Je me suis tout à coup senti seul. La gaieté de Kumiko me manquait. Au loin, j’ai aperçu une lumière rouge. Était-elle celle d’un réverbère ? J’ai décidé de marcher vers cette lumière. Au fur et à mesure que je m’en approchais, je sentais une odeur de la fumée. Tout à coup, le ciel noir a grondé, il a commencé à pleuvoir à verse. Je n’avais pas de parapluie. Je n’avais que mon manteau. Si je restais comme ça, j’attraperais froid. Mais j’étais venu jusque-là ; je ne n’avais pas le choix. Je ne pouvais pas/ plus reculer. Sentant la pluie me promener, j’ai continué mon chemin. Je n’avais plus la force de regarder en arrière. Je craignais que les ténèbres qui s’étendaient derrière moi ne m’engloutissent si je tournais la tête. Je pensais, lorsque j'aurais atteint sa maison, demander à Miyauchi de passer la nuit chez lui. Mais j’avais perdu le doigt. Sa nièce l’avait jeté dans les toilettes. Comment pourrais-je lui expliquer cela ?

Au final, je suis sorti sur une route plus large qui m’était familière. J’ai pressentais que la maison de Miyauchi était proche. On pouvait apercevoir une lumière rouge à travers les arbres et une odeur de fumée s'en échappait. Lorsque j’ai passé le tournant, j’ai vu la maison de Miyauchi en flammes. Le feu colorait les alentours et le ciel nocturne en rouge. La fumée noire à l'odeur désagréable se fondait dans l’obscurité de la nuit.

Je regardais la maison en flammes sans bouger. De la fumée sortait des fenêtres brisées. Le feu crépitait et j’ai entendu quelque chose de lourd s’effondrer dans la maison. C'était peut-être une colonne ou une commode. L'odeur de brulé m'a donné la nausée. En même temps, l’averse continuait de mouiller la maison. J’ai pris mon portable pour appeler Miyauchi mais l'écran m'indiquait que je n'avais pas de réseau. Je ne pouvais pas le joindre.
Les flammes baissaient sous la pluie. Au bout d’un moment, l’incendie était presque maîtrisé. Le feu brûlait encore dans deux ou trois pièces du premier étage. Maintenant la maison incendiée ressemblait à un gigantesque cadavre de mammouth. Elle était toute noire, immobile, comme si elle attendait un train de nuit. Le silence régnait aux alentours. Seul le bruit de la pluie faisait écho dans l’air.

J’ai marché vers la porte. La longue porte de bois était maintenant sur le point de s’effondrer. Aussitôt que j’y ai donné un coup de pied, elle est tombée en arrière. L’intérieur de la maison était désert. Il n’y avait aucune présence d’être vivant. Au fond du couloir se trouvait l’entrée du sous-sol où la collection de doigts était soigneusement rangée. À gauche, il y avait un salon, qui était plutôt indemne. Une statuette de nain couverte de suie, était tombée par terre. J’ai dépassé le salon et dans le coin, j’ai trouvé une porte trop petite pour qu’un adulte y passe. Dans cette maison, seule cette porte semblait étrangement vieille comme si elle existait déjà avant sa construction. Elle était munie d’un cadenas qui était détruit. Derrière la porte, il y avait un escalier. J’ai courbé le dos et j’y suis passé. Les marches grinçaient sous mes pas. L’escalier débouchait sur un corridor. J’ai passé devant quelques pièces qui étaient toutes fermées à clef. Le premier étage était noirci comme s’il avait absorbé les ténèbres. Le feu avait dû prendre à cet étage.

J’ai continué à avancer en étouffant les pas. Je me suis rendu compte d’une seule pièce dont la porte était laissée entrouverte. Je l’ai poussée, et je suis entré en faisant attention à ne pas faire le moindre bruit. Un calendrier était brûlé. J’ai pu à peine en distinguer l’année,1976’. Une armoire était couverte de suie, Une étagère était tombée par terre. Des documents et des lettres étaient éparpillés sur le sol. Une odeur écœurante qui ressemblait à celle des cheveux brûlés me suffoquait et bientôt j’ai été pris d’une nausée. Cette pièce était calme, comme si elle était oubliée dans le temps.

Au fond de la pièce, dans l'obscurité, j’ai aperçu une forme assise. La lumière de la Lune ne pénétrait pas jusque-là. Dans cette pénombre il était impossible de discerner de quoi il s’agissait. Je me suis lentement approché en retenant mon souffle.

Cette silhouette ne bougeait pas. Il semblait que c’était une fille en robe blanche assise sur une chaise. Son corps était entièrement couvert de suie, tandis que sa robe crème reflétait brillamment la lumière de la Lune comme si elle était toute neuve. Je me souvenais de ce que Kumiko m’avait dit, « Il est fabricant de poupées ». S’agissait-il aussi d’une poupée ? Je me suis agenouillé devant elle et j’ai pris sa main entre les miennes. Mais Il semblait que la sienne était déjà incinérée il y a longtemps. Elle s’est cassée en mille morceaux dans mes paumes. Ses cendres se sont dispercés comme des écailles du papillon.