vendredi 31 août 2018

Histoire d'amour en trois secondes


« Je veux manger du negitoro », me suis-je dit il y a quelques semaines. Depuis ce jour-là, mon esprit a été envahi par cette idée et je suis devenu esclave du negitoro. Je voulais goûter du negitoro. Je rêvais de negitoro. Pendant que je lisais un roman ou que je regardais un film, le negitoro apparaissait soudainement dans mon esprit et disparaissait en riant, l’air narquois. Qu’est-ce que le negitoro ? En bref, il s’agit de thon rouge haché. On en mange souvent avec du riz blanc. Il y a aussi des makis de negitoro. Si vous entrez dans un restaurant de sushis au Japon, vous en verrez très probablement. J’ai cherché la recette sur Internet, et j’ai découvert que c’était très simple.
 Je suis allé à Simply et j’ai fait des courses. Évidemment, j’ai acheté une longe de thon. Ça a coûté sept euros. Je trouve ça un peu cher, mais tant pis. Sinon, en peu de temps, partout, j’aurais eu des hallucinations dans lesquelles j’aurais vu des thons et parlé avec eux.
 Si vous lisez régulièrement mes articles, vous savez sans doute déjà que je suis un lecteur passionné des avis de clients de ce supermarché. Chaque fois que je fais des courses là-bas, je lis les derniers commentaires. Quand le cahier des avis de clients a disparu pendant quelques semaines, j’étais très triste. D’habitude, les commentaires sur Simply Esplanade sont critiques. « Le prix d’un article quelconque était faux », « Les caissières sont méchantes », « Les toilettes sont sales », ce genre de choses. De temps en temps, il y a des commentaires marrants, comme « Pourquoi vous vendez de la viande alors que je suis vegan ? ». Ça me semble logique que les commentaires sont le plus souvent critiques, puisque si on est satisfait, on n’a pas besoin de l’écrire. Mais aujourd’hui, c’était différent. Pour la première fois, les dernières pages des avis de clients étaient remplies de commentaires positifs. Je vous les présente.
« Je suis satisfaite. Vos employées sont charmantes et très aimables. Cliente du magasin depuis 22 ans. »
« Je trouve que votre magasin et le personnel est très souriant et poli »
 Pour le deuxième commentaire grammaticalement hideux, quelqu’un, sans doute une employée, avait écrit « Merci ».
 Et le dernier était le suivant : « Je suis amoureux d’une employée. Je viens juste pour elle ». Et on avait écrit à côté : « C’est qui, l’employée ? AHHH ».
 Je me suis demandé aussi de qui il est amoureux. Je connais bien les caissières du supermarché car j’y vais toujours. La plupart des employées sont des femmes d’un certain âge, mais rien n’empêche de tomber amoureux d’une vieille dame. Il y en a aussi quelques jeunes. Ce peut être aussi une vendeuse de la fromagerie. Quoi qu’il en soit, cet homme doit profiter chaque fois du court moment lorsqu’il passe à la caisse ou qu’il choisit un fromage pour causer avec une employée dont il est amoureux, en espérant prolonger le plus longtemps possible leur conversation éphémère.

''The Best Book of My Life'' Sachiko Kishimoto


 Ce jour-là aussi, avec Shôko, je suis allée dans un terrain vague.
 Comme nos appartements étaient voisins, nous rentrions toujours ensemble. Le terrain inoccupé se trouvait sur le chemin que nous empruntions pour rentrer de l’école. Il couvrait la surface d’une petite maison. La haie nous cachait depuis la rue et c’était comme si nous étions dans une pièce.
 Je ne sais pas de quel arbre il s’agissait. En arrachant de la haie des feuilles épaisses et luisantes d’un vert sombre, nous parlions de livres.
 Je pense qu’il y a encore dans le monde beaucoup de livres qui ne sont pas écrits, ai-je dit. Mais non, quels que soient les livres, il n’y en a pas un seul qui n’est pas écrit, m’a répliqué Shôko. Elle est venue d’Okayama quand j’étais en troisième année d’école primaire. Peu après, elle a reçu un certificat de mérite de son ancienne école. La préfecture lui a décerné un prix parce que son journal d’observation de volubilis était excellent, ou c’était peut-être le pays qui le lui a donné.
 Alors, ai-je dit d’un air un peu intimidé, et j’ai regardé autour de moi. À mes pieds, il y avait un bâton. Alors, un bâton ? Il y a des livres qui ont pour héros un bâton ? Sans me répondre tout de suite, Shôko a arraché une feuille. Son visage était bronzé. Sa peau d’une couleur dorée était l’image idéale des enfants de l’époque. Shôko était forte en sport et en musique.
- Oui, a-t-elle dit. J’en ai vu un il y a quelques jours. Dans la librairie près de la gare Keidô.
- Eh, vraiment ? Comment ça s’appelle ? C’est un livre pour enfants ?
- Non, pour adultes. Ça s’appelle « Les Bâtons jumeaux ».
- Eh ! Ça parle de quoi ? Tu l’as lu ?
- Oui, je l’ai lu jusqu’au bout. C’était un livre mince. Et ça commence comme ça : Autrefois, il y avait un bâton. Ce bâton était une fille et elle s’appelait Bôko. Bôko avait un frère jumeau qui s’appelait Bô-o. Ils étaient liés en forme de ‘’H’’. Ils s’entendaient très bien et quand ils allaient quelque part, ils étaient toujours ensemble.
Et Shôko s’est tue de nouveau. J’ai cru entendre son cerveau tourner de toutes ses forces. Une libellule s’est posée sur son cartable à bretelles jeté par terre.
- Mais un jour, Bô-o est mort.
- Eh, il est mort ?
- Oui, a dit Shôko. J’ai tourné la page. Un seul mot ‘’mort’’. J’ai de nouveau tourné la page. Cette fois, le mot ‘’mort’’ écrit en petit et en gros, remplissait la page entière. Mortmortmortmortmortmort.
 J’ai regardé Shôko. Elle portait le sarrau vert à carreaux rouges que je portais jusqu’à l’an dernier. Je ne dépassais Shôko que par la taille. Je lui avais donné mon ancien sarrau trop petit pour moi. Un instant, je ne savais plus avec qui je parlais et j’ai eu la tête qui tournait.  
- Et Bôko, devenue le ‘’I’’ de ‘’H’’ a commencé à voyager dans le monde entier pour se faire des amis. Fin. Ah, donc, en vrai, ça s’appelle « Bôko voyageuse ».
- Ce livre existe encore ? Ça te dit d’aller le voir ?
- Non, je suis retournée le voir, mais il n’était plus là.
 La musique annonçant le crépuscule se faisait entendre venant de l’école. Après avoir arraché de nombreuses feuilles, mes doigts étaient teintés de vert et avaient une odeur des mandarines pas mûres.
 Il y a presque quarante ans de cela. Chaque fois que j’y repense, je me dis que ce livre n'a jamais existé. En même temps, j’ai l’impression de l’avoir lu bien des fois. Le papier était crème et un peu épais. Les caractères étaient distincts et d’un bleu foncé. Le signet était d’un beau rouge.

jeudi 30 août 2018

Téléchargement interrompu


 Quelquefois, on m’a demandé si j’apprenais le français pour parler avec des Français. Ma réponse était toujours négative. Je mentirais si je disais que cela ne m’intéressait pas du tout, mais je n’accordais pas d’importance aux échanges avec les Français. Quelles que soient les nationalités, les gens me décevaient souvent et les êtres humains ne sont que des êtres humains. En un mot, j’étais et je suis misanthrope. Si je regardais un film, j'encourageais souvent les méchants qui voulaient anéantir l’humanité entière. Si je regardais « Blanche neige », je tombais amoureux de la sorcière et non pas de la jeune fille innocente.
 Cette question m’a rendu perplexe parce que je me suis rendu compte que je ne savais pas pourquoi j’apprenais le français. Avant tout, une langue est bel et bien un outil de communication. L’homo sapiens a survécu grâce à ses cordes vocales développées, et l’homme de Néandertal a disparu à cause de son incapacité à communiquer. Disparaîtrai-je aussi comme eux ?
 Lorsque j’y pense, la langue n’était pas forcément un outil de communication pour moi. J’aimais noter dans mon cahier de vocabulaire les mots qu’on n’utilisait guère dans la vie quotidienne, le nom des maladies, les mots obsolètes ou les noms scientifiques des animaux dans mon cahier de vocabulaire. C’était comme si je marchais sur la plage en ramassant des coquillages d’une forme étrange. J’aimais également jouer avec les mots. Si je changeais la place d’un adverbe ou d’un adjectif, une phrase prenait un autre sens, comme si une image cachée surgissait d’un tableau. Je découvrais qu’un texte avait une autre nuance si je supprimais ou changeais certains mots. Je jouais aux échecs. J’avançais le mot ‘’daguerréotype’’ à C4. Je reculais ‘’syphilis’’ à G3. Si je bougeais mes pièces, celles de mon adversaire absent à jamais remuaient toutes seules. Un ‘’aéroplane’’ a été déplacé à F7. ‘’ Une masse de ‘’ noctiluca scintillans’’ a fait chuter un ‘’dirigeable’’. J’aimais contempler le changement trépidant de ces images.

''Les objets qui parlent'' Sachiko Kishimoto


 Récemment, des toilettes ont parlé dans un grand magasin. « Ces toilettes tirent automatiquement la chasse ».
 J’ai été surprise. Je n’avais jamais pensé que des toilettes m’adressent la parole. Avaient-elles encore quelque chose à me dire ? Allaient-elles m’ordonner ou faire quelques commentaires sur moi ? J'ai eu peur en pensant à tout cela et je suis finalement sortie sans utiliser les toilettes.
 Quelques jours plus tard, pendant que je conduisais ma voiture, elle m’a parlé. «Il n’y aura bientôt plus d’essence ».
 De nouveau, j’ai été surprise. On se connaissait depuis plusieurs années, mais elle ne m’avait jamais parlé. Elle ne m’avait rien dit lorsque j’avais heurté contre un poteau électrique, que j’avais frotté le rétroviseur et que j’étais rentrée en train en la laissant chez une amie. S’était-elle toujours retenue de me dire ce qu’elle pensait ?  
 Ce qui m’a étonnée davantage, c’est que cette voiture était une femme. Vaguement, je croyais que c’était un homme, plus exactement un homme d’un certain âge fatigué. Au fait, les toilettes étaient aussi des femmes. Chez mes parents, le réfrigérateur parle. « La porte est ouverte. La porte est ouverte. La porte est ouverte ». Ce réfrigérateur est aussi une femme.
 Pourquoi ce sont toutes des femmes ? Je trouve étrange que ce soient toutes des femmes mûres qui ont l’air calmes. Selon les objets, ça pourrait être une voix de jeunes, de fillettes ou de femmes âgées. De plus, si elles parlaient d’un ton implorant ou sévère en fonction des situations, ça donnerait un air encore plus sérieux.
« Essence…, E, essence…… »
 Avant tout, est-ce nécessaire de dire tout cela ? J’avais déjà réalisé que le réservoir serait bientôt vide. Ça m’énervait un peu qu’on me le fasse remarquer. « Ces toilettes tirent automatiquement la chasse ». Et alors ? Ne voulaient-elles pas que je tire la chasse sans leur permission ou se vantaient-elles ?
 Il y a des objets plus importants qui doivent parler. Le réveil, par exemple. Sa pile est souvent épuisée quand j’en ai besoin. Elle est épuisée sans aucun préavis. Ou l’ordinateur. S’il se sent mal, je voudrais qu’il me prévienne qu’il rendra tout au néant si je ne fais rien. Je voudrais qu’il me dise également ce que je dois faire.
Je pense que les organes aussi doivent parler. Par exemple, le foie. On l’appelle « organe silencieux » et quand on découvre une maladie, souvent c’est déjà trop tard. Avant que cela se produise, je voudrais que le foie prévienne. Je pense que sa voix est celle d’un homme sur le retour, d’une mentalité artisanale.
« S’il vous plaît, je n’en peux plus ».
 Ainsi, divers organes exprimeront leurs états. Les gens les écouteront. Tout le monde arrêtera de les surmener. Il n’y aura moins de maladies.
 Mais les trains bondés seront insupportablement bruyants.
« Ulcère à l'estomac », « Les intestins ont un polype », « Les artères sont raides », « Il y a un calcul dans l’urètre », « Les poumons sont tout noirs », « La tête ne va pas », « il y a des caries », « La tête ne va pas ».

mercredi 29 août 2018

La rentrée


 Bientôt, c’est la rentrée. Je vais terminer mes études de lettres modernes. Pour ceux qui ne le savent pas, j’aimerais expliquer ce que je fais à l’université.
 Tout d’abord, la plupart des cours consistent à supporter de lire des livres ennuyeux. Je ne sais pas pourquoi mais la majorité des livres imposés en cours sont si inintéressants que j’ai l’impression que c’est une torture. De temps en temps, c’est une bonne occasion de découvrir de nouveaux auteurs qui me plaisent, mais une telle chance est plutôt rare. En fin de compte, j’ai compris qu’il s’agit en fait de l’exercice de supporter des livres ennuyeux. Lire un roman qu’on aime est facile, mais le contraire ne l’est pas. Pour les étudiantes en lettres censés être spécialistes de français, savoir résister à l’envie de jeter un livre poussiéreux et moisi contre le mur est important.
 On s’exerce également à paraître intelligent. Je suis de temps en temps obligé de remplier des feuilles de papier en dissertant sur une œuvre. Évidemment, mon esprit est complètement vide, et je n’ai aucune idée. Si j’essaie d’écrire quelque chose, apparaît dans mon esprit un nain qui se moque de moi et qui se met à danser. J’essaie quand même de couvrir du papier tout en sachant que c’est une vaine tentative, sinon j'aurai un zéro. En l’occurrence, j'allonge les phrases en ajoutant des subordonnées à d’autres subordonnées auxquelles j'ajoute encore d'autres subordonnées, et je puise des mots qui paraissent difficiles sur la liste de mon maigre vocabulaire français afin de paraître le plus intelligent possible. Parfois, je ne comprends pas moi-même ce que j’écris, mais les feuilles sont déjà remplies et il n'y a pas de chemin à rebrousser.
 La plupart des auteurs sont timides comme les garçons de quatorze ans en pleine puberté qui n’arrivent pas à déclarer leur amour aux filles dont ils sont amoureux, de sorte qu’on est souvent obligé de deviner leurs sentiments dissimulés dans le texte. Je me demande pourquoi les auteurs n’ont pas écrit directement leurs pensées s’ils avaient le temps de concevoir une énigme qui se prolonge sur plusieurs centaines de pages. C’est comme s’ils nous donnaient exprès une fausse carte.
 La plupart des auteurs qu’on traite en cours sont déjà morts. Nous apprenons aussi le latin et l’ancien français. Parfois, j’ai l’impression de me tenir au beau milieu d’un vaste cimetière et de m’arrêter devant chaque tombeau l’un après l’autre. À vrai dire, je n’aime pas mes études voire je les hais. Cependant, je ne regrette pas mon choix, car simplement, je n’arrive pas à m’imaginer faisant des études d’économie, de droit, de marketing, de médecine, de quelque chose d '‘’utile’’.

mardi 28 août 2018

"Anthéchrista''


 Enfermé dans ma chambre, j’ai lu « Cent ans de solitude » de Garcia Marquez, « Anthéchrista » d’Amélie Nothomb et « Le Plan déchiqueté » de Kôbô Abe. Comme « Cent ans de solitude » est long et que le style de l’auteur est alambiqué, il m’a fallu quelques semaines pour le terminer. La structure elle-même du récit n’est pas compliquée. Ce roman parle d’un village, Macondo fondé par José Arcadio Buendia et de ses descendants. Plusieurs personnages portent les mêmes prénoms. Par exemple, il y a plus de dix sept Aureliano, et deux ou trois José Arcadio. Il y a aussi plusieurs Remedios et je me suis perdu un peu en lisant le roman. Honnêtement, à cause de ma faible capacité de compréhension, je n’ai pas pu saisir tous les détails du livre. Pour le comprendre, il faudra lire encore une ou deux fois. Mais c’est une expérience de lecture très particulière. Aucun auteur n’est comparable à Garcia Marquez. C'est est une fontaine intarissable d’imagination. Il a une incroyable maîtrise de l’écriture. Mes personnages préférés sont José Arcadio Buendia, le colonel Aureliano Buendia et Remedios-la-belle. J’aimerais aussi citer l’incipit de ce roman pour lequel j’ai eu le coup de foudre. « Bien des années plus tard, face au peloton d’exécution, le colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l’emmena faire connaissance avec la glace. »



 Je ne suis pas un grand fan d’Amélie Nothomb, mais « Anthéchrista » m’a beaucoup plu. Il s’agit de l’histoire d’une fille qui s’appelle Blanche. Elle a seize ans et n’a pas d’amis à la fac. Un jour, une belle fille populaire, le genre de personne qui existe peut-être dans toutes les classes à l’école, Christa, lui adresse la parole. Comme elle habite loin de l’université, Blanche lui propose de dormir chez elle le lundi. Peu après, seule Blanche se rend compte que Christa est une grosse mythomane manipulatrice, et la pauvre fille tombe dans son piège dont elle n’arrive pas s’échapper. C’est un roman effrayant et il a aggravé ma défiance envers les autres. Ma théorie selon laquelle la relation humaine est la cause du mal a été renforcée. J'ai eu davantage peur d'aller à l'université. Heureusement il m'arrive rarement de parler avec des filles, sauf la psychiatre, les employées de la cantine qui sont sorties de l’adolescence il y a peut-être deux cent ans, et les caissières du supermarché dont la peau se décrépit à chaque seconde comme les murs couverts de cendres volcaniques.

lundi 27 août 2018

''Paprika''



 Avant-hier, j’ai regardé deux films d’animation « Paprika » et « Perfect Blue ». Il y a longtemps, on m’avait déjà recommandé de regarder des films de Satoshi Kon. Bien entendu, ça m’intéressait, mais je repoussais un peu cette idée sous prétexte que je n’aimais plus les animés. Maintenant je regrette de ne pas les avoir regardés plus tôt. « Paprika » sorti en 2006 est un film si extravagant que je me suis demandé si le réalisateur l’avait créé en prenant du LSD. Ce film m’a fait penser à « Inception » de Christopher Nolan. « Paprika » est sorti quatre ans avant « Inception » réalisé en 2010, l’année où Satoshi Kon est décédé d’un cancer à l’âge de quarante-six ans. Il est notoire que les Wachowski ont réalisé « Matrix », inspirés par « Ghost in the Shell » de Mamoru Oshii. J’ai personnellement l’impression que Nolan a été inspiré par « Paprika ».
 « Perfect Blue » a été réalisé en 1997, à l’époque où Internet est devenu accessible au grand public. L’héroïne, Mima est une chanteuse qui quitte son groupe pour devenir comédienne. Sans parvenir à décrocher des rôles importants, Mima est obligée de se faire prendre en photo nue ou de jouer le rôle d’une femme violée. Un jour, un inconnu ouvre un site Internet où il met son journal intime en ligne en faisant semblant d’être Mima. Le contenu de ses textes est si réaliste que c’est comme si l’auteur du site épiait la vie privée de Mima. Prise d'angoisse, notre héroïne commence à perdre la raison. Elle ne sait plus qui est la véritable Mima. Pour elle, la limite entre la réalité et le rêve devient de plus en plus floue.  
 Ce film permet de comprendre à quel point Satoshi Kon était talentueux en tant que cinéaste. Il aurait tourné d’excellents films aussi en prise de vues réelles.
 Aujourd’hui, j’ai appris que le 24 août, le jour où je les ai regardés, était en fait la huitième anniversaire de la mort du cinéaste. C’est une drôle de coïncidence.

C'est la liberté, une parodie de l'utopie


 Aujourd’hui, je poussais des cris bizarres parce que je ne voulais pas aller à la fac. De temps en temps, je pousse des cris stridents ressemblant à ceux d’un coq étranglé. Je crie aussi des insultes telles que ''Je te tue !'' ou ''Meurs !''. Si je criais en japonais, personne ne comprendrait. Mon voisin pense peut-être que j’ai divers animaux bizarres, comme des perroquets ou des mandrills, ou qu’il y a des fantômes dans cette résidence, ou que son voisin, c’est-à-dire, moi est mentalement dérangé, ce qui est tout à fait vrai.
 Quand je parle avec une personne ennuyeuse, j’ai une folle envie de me couper la langue ou la carotide juste pour voir sa réaction. Mon interlocuteur sera-t-il choqué ? Daignera-t-il appeler une ambulance pour moi ? Me regardera-t-il comme une ordure et s’en ira-t-il ? Toutefois, les critères de ce qu’on entend par « personne ennuyeuse » sont totalement subjectifs. Les personnes ennuyeuses et sans aucun intérêt peuvent évidemment être l’objet de la passion de certains, et celles que j’apprécie tellement que j’ai envie de les embrasser peuvent être ennuyeuses pour d’autres. Et objectivement, je dois admettre que je fais partie des gens ennuyeux. Je suis peu éloquent. Je ne peux souvent que répéter des poncifs comme un abruti. Mon visage est aussi expressif qu’une figurine qu’a créée un enfant à l’école maternelle, et je ne connais pratiquement pas de blague spirituelle. Il se peut donc qu’un jour, mon interlocuteur se coupe soudainement la langue devant moi pendant que je lui parlerai avec entrain.

dimanche 26 août 2018

Le bonhomme de Nikka Whisky


 Quand j’étais enfant, j’avais peur du bonhomme de Nikka Whisky. Il s’agit de l'une des mascottes les plus connues au Japon, mais personne ne connaît son nom. On l'appelle souvent simplement "bonhomme de Nikka" ou "bonhomme à la moustache". C’est un Occidental aux yeux bleus, habillé comme un roi. Il a une moustache et une barbe fournies : il tient un verre, sans doute de whisky à la main droite et une plume à la main gauche. La peur n’est pas rationnelle de sorte que je ne peux pas expliquer pourquoi ce bonhomme m’effrayait tant. Chez mes grands-parents paternels maintenant défunts, un vieil autocollant représentant cette mascotte était collé à une armoire et j’évitais de le regarder.
 Selon une information sur Internet, le modèle de cet homme est un aventurier britannique du dix-neuvième siècle connu pour son ‘’blended malt’’, Walter Raleigh. Cependant, le portrait de ce Britannique ne ressemble pas du tout au bonhomme en question. L’aventurier a un grand front, les cheveux et les barbes brun foncé. Ses yeux sont petits, sourcils sont fins et son menton est pointu. Son costume est noir et il ne porte pas de chapeau tandis que le bonhomme porte un vêtement et un béret rouges. On dit aussi que lorsqu’on a demandé qui était le modèle de la mascotte au maître-assembleur de Nikka, Takeshi Taketsuru, il a répondu qu’il n'en avait aucune idée.
 Le site officiel de Nikka dit que le modèle du bonhomme s’appelle « William Phaup Lowrie ». Cette information semble fiable, puisque c’est l’entreprise elle-même qui l’affirme. Toutefois, si on cherche ce nom sur Google, on se rend aussitôt compte qu’il n’y a que peu de renseignements sur lui, et on ne trouve ni son portrait ni sa page Wikipédia. Je me demande d’où vient « William Phaup Lowrie ». A-t-il vraiment existé ?
 À Sapporo, dans le quartier des bars et des bistrots, devant un grand carrefour, il y a un panneau électrique immense à l'effigie du bonhomme de Nikka. La nuit, les néons de son portrait éclairent les habitants éméchés qui déambulent dans la neige. Heureusement, je n’en ai plus peur.

samedi 25 août 2018

''Le ça de la chambre'' Sachiko Kishimoto


 Mon passe-temps secret, c’est d’admirer les pièces en désordre chez les autres. Si la télé diffusait une émission sur ce sujet, je la regarderais sans en perdre une minute.
 Une pièce en désordre, c’est la fantaisie. Les pièces élégantes garnies de beaux meubles se ressemblent, mais chaque pièce en désordre a sa façon d’être. Certaines débordent de mangas, de magazines, de jeux vidéo et de périphériques. Dans d’autres, des piles de sacs en plastique atteignent le plafond. Il arrive aussi que des sacs de marque soient posés sur une montagne de peluches, de boîtes-repas, de bouteilles plastiques et de sacs en papier. C’est une fourmilière construite par des humains. C’est un univers où le cerveau des hommes se cristallise.
 J’aime regarder ainsi les pièces en désordre, mais je n’ai eu qu’une seule fois l’occasion de mettre les pieds dans une pièce où régnait vraiment le chaos.
 C’était la chambre d’un camarade d’université, R. R était bizarre. On pouvait difficilement deviner son âge. Il avait l’air d’avoir à la fois dix-huit et quarante ans. Parfois il était habillé de manière élégante comme un gentleman anglais, mais il lui arrivait aussi de porter un manteau au-dessus de son pyjama. S’il était calme d’ordinaire, il devenait violent quand on enlevait la cellophane de son paquet de cigarettes. Il avait tendance à se faire frapper par les filles quand il était ivre. Il a perdu aux courses de cheval tout l’argent que ses parents lui ont envoyé. Il a survécu un mois en mangeant à la dérobée des échantillons dans la vitrine de la cantine.
« S’il vous plaîîît, ma chambre est en désordre, nous a dit un jour ce R d’un air implorant. Je vais devenir fouuu. Je vais vous offrir des sushiiis ».
 Un jour de printemps, quelques garçons et filles attirés par la perspective d’un repas de sushis sont allés chez R. À côté de l’entrée, il y avait une petite cuisine et pour une raison obscure, un futon y était étalé. On a immédiatement compris pourquoi. Dans la pièce à six tatamis de l’autre côté de la porte vitrée, divers objets étaient entassés et c’était même impossible de marcher.
 Sur les assiettes accumulées dans l’évier, flottait un cadavre de libellule à moitié décomposé. Dans un coin de la pièce, il y avait une balle de tennis. C’était en fait une tangerine couverte de moisi. Je me suis sentie mal et j’ai mis la main sur la télé à côté de moi. L’empreinte de ma main s’y est dessinée. La télé que je croyais blanche, était en fait noire. On a tous regretté d’être venus, mais c’était trop tard. À côté de nous, avait-il honte, R ne tenait pas en place.
 Les objets nécessaires à la vie d’un étudiant, vêtements, manuels, dictionnaires, stylos et petite monnaie constituaient la première couche de ce qui couvrait le sol. Dessus, des journaux de courses de chevaux et de catch, des mangas, des recueils de photos de stars, des bouteilles de saké et de la seiche séchée représentant ce qui passionnait R, constituaient la deuxième couche. Il nous a fallu quelques heures pour enlever cette deuxième couche. Finalement, un kotatsu (table couverte d’une couverture épaisse) est apparu pour la première fois depuis plusieurs mois.
 Nous avons manipulé le kotatsu avec prudence. Tout le monde s’en rendait compte. La structure de cette pièce représentait R lui-même. La première couche était son surmoi. Si la deuxième était son moi, la couche inférieure était son ça, le désir basé sur l’instinct.
 Nous avons soulevé le kotatsu et découvert quelques morceaux de papier. Dès que l’un d’entre nous en a pris un et s’est mis à le lire à haute voix, R a couru et s’en est emparé. Il l’a froissé et l’a mis dans sa bouche. Il est sorti de l’appartement et n’est jamais revenu.
 On ne sait pas exactement de quoi il s’agissait. Quelqu’un a dit que ça ressemblait à une lettre d’amour. Un autre a dit que c’était un roman érotique avec pour sujet la fille d'université dont il était amoureux. Mais personne ne savait la vérité. Depuis ce jour, R a arrêté de venir en cours et il a redoublé. J’ai entendu dire qu’il a obtenu son diplôme quelques années après nous, mais je ne sais pas ce qu’il fait aujourd’hui.
 Il ne nous a toujours pas offert de sushis.

Bouteille à la mer


 Pauline m’a dit que dans « La Ferme des animaux » qu’elle a acheté pour cinquante centimes dans une librairie d’occasion, était inséré un morceau de papier sur lequel on avait écrit quelque chose, sans doute en japonais. Elle m’en a envoyé une photo pour que je puisse déchiffrer. C’était effectivement du japonais et on pouvait lire, d’une écriture féminine fine et ronde : « Yumeka, sois libre mercredi ». Qui est Yumeka ? Est-elle l’ancienne propriétaire du livre ? Pourquoi la personne qui a écrit ce message voulait-elle que Yumeka soit libre le mercredi ? Qu’avaient-elles à faire ? Depuis combien de temps ce message se cachait-il dans « La Ferme des animaux » ? Si nous étions dans un livre de Patrick Modiano, on essaierait de chercher l'identité de Yumeka, mais dans la vraie vie, rien ne se passe. Je reste cloué au lit et espère simplement que les vacances d'été recommencent.
 J’aimerais aussi insérer un message dans un livre et le vendre. On dirait une bouteille à la mer en papier.

vendredi 24 août 2018

Mandrillus sphinx


 Je voulais faire des courses aujourd’hui, mais je n'ai pas pu sortir parce qu'il y avait quelqu'un dans le couloir. Lorsque je me suis habillé et approché de la porte, j’ai entendu deux voix de l’autre côté. Il me semblait que deux femmes bavardaient juste devant ma chambre. Si j’étais sorti à ce moment-là, je les aurais rencontrées. Les deux femmes auraient été étonnées, ou pas du tout. « Elles ne tarderont pas à s’en aller », me suis-je dit, et j’ai décidé d’attendre. J’ai tué le temps en lisant « National Story Project ». Quelques minutes plus tard, j’ai appuyé de nouveau mon oreille contre la porte. Elles étaient encore là. C’était impossible de comprendre leur conversation à travers la porte. Elles se plaignaient peut-être de leurs copains, ou discutaient de « La Critique de la raison pure » ou parlaient de l’invasion de la Pologne par l’Allemagne de 1939. Les femmes ont la drôle de capacité de parler inlassablement de choses frivoles. Elles adorent ça. Je me suis demandé ce que je devrais faire si je sortais de ma pièce. Je leur dirais « Bonjour » et elles me répondraient. Mais elles étaient si occupées à bavarder. Il se pouvait qu’elles m’ignorent. En l’occurrence, je ne voulais pas leur dire « Bonjour ». Pourquoi devrais-je saluer une personne qui m’ignore ? Ou il se pouvait aussi que les deux personnes qui discutaient devant ma chambre ne soient pas deux femmes, mais deux mandrills. Au moment où je sortirais de la chambre, les deux mandrills interrompraient leur conversation et me regarderaient. Ils ne me quitteraient pas des yeux jusqu’à ce que je disparaisse de leurs champs de vision. Au pire, ils seraient fâchés contre moi et pousseraient des cris stridents en montrant leurs gencives roses. Les voix me parvenaient toujours à travers la porte. J’ai finalement renoncé à faire des courses et j’ai regardé « Hellraiser ».

Bobby Fischer



« Mozart du monde d’échecs », Bobby Fischer est né à Chicago en 1943. Sa mère Regina Fischer était une Juive américaine qui travaillait comme secrétaire pour le généticien Hermann Muller. Son père, Hans Gerhardt Fischer était un biophysicien allemand d’origine juive qui a été invité avec Hermann Muller par une université de Moscou où il avait rencontré Regina. Les jeunes mariés ont eu une fille, Joan, toutefois les vagues d’antisémitisme atteignaient le Soviet et ils se sont expatriés à Paris. Quelques années plus tard, Regina a divorcé et a décidé de rentrer aux États-Unis avec sa fille. Vivre en tant que mère célibataire à cette époque était dure. Lorsqu’elle a donné naissance à Robert (le vrai nom de Bobby), au futur grand maître d’échecs dans un hôpital de Chicago, elle vivait presque comme une SDF. Sur le registre de naissance, le nom de Hans est écrit comme père, mais il n’est jamais entré aux États-Unis de sa vie.
 Bobby était un enfant terriblement difficile et capricieux. Si les choses n’allaient pas comme il voulait, il avait chaque fois un accès de colère. Lorsque Bobby avait six ans, sa sœur a acheté à un dollar un jeu d’échecs pour calmer son petit frère qui n’était jamais tranquille. Ce fut sa première rencontre avec les échecs.
 Depuis son enfance, Bobby a refusé tout ce qui ne convenait pas à son rythme. S’il y avait quelque chose qui lui déplaisait, il hurlait, et il n’a jamais fait ce qu’il ne voulait pas. Sa seule occupation, c’était de lire des livres sur les échecs. Bobby a finalement acquis un livre de records des parties d’échecs. Il a appris par cœur tous les mouvements des pièces avec sa mémoire d’éléphant.
 Un an plus tard, Bobby a été admis en tant que membre par un célèbre club d’échecs. Il n’avait encore que sept ans.
 Les rumeurs sur l’enfant prodige se sont très vite répandues. À l’âge de quatorze ans, Bobby est devenu un grand maître international. C’était déjà l’un des meilleurs joueurs du monde. Dès cet âge, il a remporté huit victoires au tournois national des échecs américain, sans jamais connaître de défaite.
 Son style aussi était unique. Lors du match contre Donald Byrne, Fischer a sacrifié exprès sa reine et a vaincu son adversaire. Lorsqu’il s’est battu contre Robert Byrne, Fischer a remporté la victoire aux dépens du chevalier. On a commencé à l’appeler « Génie ».
 En 1972, à Reykjavik, Fischer a affronté le champion international des échecs, Boris Spassky. Durant la période de la guerre froide, l’Union soviétique accaparait le titre de champion d’échecs depuis la seconde guerre mondiale. On a considéré ce match comme une guerre par procuration entre l’Union soviétique et les États-Unis, soit le « match du siècle ».
 C’est Fischer qui a remporté la victoire. Il est finalement devenu champion du monde. Ce fut une victoire historique pour l’Europe et les États-Unis. C’était non seulement un génie des échecs, mais aussi un héros national.
 Cependant, la gloire de Bobby Fischer n’a pas duré longtemps. Trois ans plus tard, Fischer s’est disputé avec la fédération internationale des échecs et il a refusé de jouer, de sorte qu’il a perdu son titre de champion. C’est alors qu’il a commencé à refuser toutes les parties. Évitant le public, il a vécu environ vingt ans en ermite, presque comme un SDF. Pendant ce temps, il est devenu de plus en plus religieux et antisémite bien qu’il était lui-même juif. Lors de ses rares apparitions en public, il tenait des propos contentieux.
 En 1992, Fischer a reçu une lettre d’une Hongroise de dix-sept ans, lui demandant pourquoi il ne jouait plus aux échecs, ce qui lui a fait briser vingt ans de silence. À l’âge de quarante-neuf ans, Fischer a de nouveau disputé une partie avec Spassky. Ce match qui a eu en Serbie était interdit par les États-Unis qui intervenaient à l’époque dans la guerre de Bosnie-Herzégovine. Le grand maître a ignoré l’avertissement ; il a gagné le match et le prix de plus de trois millions de dollars.
 Ce comportement a déplu au gouvernement américain. Fischer a été poursuivi par le grand jury, déclaré coupable et un mandat d’arrêt a été lancé contre lui. Le héros des Américains est alors devenu l’ennemi.
 Fischer n’avait plus da patrie. Il a passé dix ans à vagabonder dans divers pays tels que la Suisse, Hong-Kong et la Corée du Sud. Finalement, il s’est installé dans deux pays, les Philippines et le Japon où il semble qu’il a eu des maîtresses. À partir de 2000, il s’est installé à Tokyo avec la présidente de l’association des échecs japonaise, championne mondiale d’échecs, Miyoko Watai.
 En 2004, Bobby Ficher a été arrêté à l’aéroport de Narita, alors qu’il essayait de partir pour les Philippines. Son passeport était déjà expiré. Il était apatride. Le gouvernement américain a proposé de se porter garant de lui, mais Fischer qui haïssait les États-Unis a refusé. Dans le monde entier, les gens ont entrepris des mouvements pour protéger le génie des échecs. Au Japon, des gens comme le grand maître de shôgi (échecs japonais), Zenji Habu, l’ancien vice-président, parlementaire et amateur d’échecs, Ichiji Ishii se sont élevées contre sa détention.
 Huit mois plus tard, le 24 mars 2005, l’Islande a décidé de lui octroyer la citoyenneté. Le gouvernement japonais et les États-Unis ont autorisé son départ. Refusant toute relation humaine en dehors de quelques amis proches, Fischer était, dit-on, considéré par les habitants locaux comme « une personne malade et pitoyable qui a besoin d’aide ». L'un des joueurs d'échecs les plus prestigieux du monde est mort le 17 janvier 2008. Il avait soixante-quatre ans.
 « J’aime les génies ou les fous », avait dit la Hongroise de dix-sept ans, pour qui Fischer semble avoir éprouvé pour la première fois un sentiment proche de l’amour, à l’âge de quarante-sept ans. La raison pour laquelle l’enfant prodige s’est laissé emporter par la folie demeure obscure.

jeudi 23 août 2018

Combat de taureaux


 Aujourd’hui, j’ai regardé un combat de taureaux sur YouTube. Dans la vidéo, aux Etats-Unis, une grosse employée d’une chaîne de cafés se battait en hurlant avec une grosse cliente. Les deux femmes avaient l’air fortes comme deux bulldozers en colère, mais la grosse employée avait le dessus. Des hommes essayaient de séparer les taureaux fous de colère, mais ils étaient impuissants comme des bébés. À ce moment-là, j’ai entendu quelqu’un frapper à la porte des chambres voisines. J’ai enlevé mes écouteurs et appuyé mon oreille contre la porte. Cette personne semblait frapper à la porte de toutes les chambres l’une après l’autre. Dans un film à suspense, ç’aurait été un tueur masqué. Mais j’ai supposé que c’était la femme de ménage de mon étage. On a frappé à la porte de la chambre voisine. Ensuite, c’était mon tour. Toc, toc. On a frappé fort deux fois. J’ai entrouvert la porte pour que la visiteuse importune ne voie pas ma pièce. « Votre chambre est propre ? », m’a demandé la femme de ménage, les yeux écarquillés et pleins de curiosité en me tendant une lettre. « Oui », ai-je menti et j’ai fermé la porte. Des écouteurs coulaient encore les cris de la grosse employée d’une chaîne de cafés.

mercredi 22 août 2018

''Morceaux'' Sachiko Kishimoto


 Il m’arrive d’oublier une histoire que j’ai entendue la veille, mais de temps en temps, je me souviens d’une conversation que j'ai entendue il y a plus de dix ans dans le train.
 Par exemple, il y a environ vingt ans, quelques étudiants bavardaient dans le train de la ligne O. Ils disaient que T de leur club de sport était très doué pour ‘’imiter les ovaire et l’utérus’’.
« Ça m’a étonné ».
« Il imitait vraiment bien », disaient-ils.
 Je leur ai prêté attention parce que j’étais vraiment curieuse de savoir comment on pouvait imiter les ovaires et l’utérus. Il semblait que T avait utilisé deux oreillers pendant la fête de leur club, dans un hôtel.
 Chez moi, devant le miroir, j’ai essayé de faire la même chose. Étant donné que n’avais pas de petit oreiller comme on en voit dans les hôtels, j’ai pris deux coussins, et je les ai levé au niveau de mes épaules en allongeant mes bras horizontalement pour représenter les ovaires et la trompe utérine. En même temps, j’ai baissé un peu la tête et courbé le dos en pliant légèrement les genoux pour imiter l’utérus et le canal utérin. Dans cette position, je ne pouvais pas me regarder dans le miroir, de sorte que je ne sais pas si je ressemblais vraiment aux ovaires et à l’utérus.
 À la même époque, toujours dans le train de la ligne O, d’autres étudiants parlaient d’un ami bourré. Pendant qu’ils buvaient dans un pub, l’heure du dernier train approchait. Comme un ami a dit : « Je veux vomir ». On lui a passé un carton que le patron leur avait donné et ils ont sauté dans le dernier train. Sur les côtés de ce carton, on pouvait lire « Poussins ». De jeunes filles se sont approchées d’eux en disant : « Y a des poussins dedans ? Faites voir ! ». Elles ont regardé ce qu'il y avait à l’intérieur et se sont enfuies.
 Comme j’ai entendu ces deux histoires à la même époque, dans mon esprit, le garçon de « poussin » et « T » sont la même personne. Et même aujourd’hui, environ une fois tous les trois mois, je me demande si T va bien. J’imagine aussi son visage et son corps. Dans mon esprit, T a fini ses études à l’université (il a redoublé une fois), il a trouvé un emploi dans une entreprise moyenne et aujourd’hui, il mène une vie heureuse avec sa femme et ses deux enfants.
 Ou il y a cinq ou six ans, j’ai entendu trois lycéennes dire ceci.
« Quand j’étais petite, la porte de la voiture s’est ouverte soudain et je suis tombée sur l’autoroute.
- Sérieux ?
- Du coup, j’ai toujours un creux dans la tête. Tu vois ? Ici. 
- Oh, mon Dieu !
- Tu dois aller à l’hôpital.
- Eh, vraiment ? Tu trouves ça terrible ? »
 Elles parlaient comme si de rien n’était.
 Deux collégiennes en uniforme à col marin que j’ai rencontrées quand j’étais étudiante disaient : « Alors, cette fois, c’est mon tour. - Tu fais avec quoi ? – Hum, je prends le jaune ». Elles ont fermé les yeux. Après environ une minute, elles les ont ouverts en même temps et ont dit : « Moi, c’était 4. – Vraiment ? Moi, c’était 6 ». Elles ont répété cela à plusieurs reprises.
 Je me demande encore de quoi il s’agissait. Comme elles fermaient les yeux, ce ne pouvait pas être le nombre des objets jaunes qu’elles avaient vus. Je me demande si elles communiquaient par télépathie, mais elles n’en avaient pas l’air. Je voudrais redevenir collégienne et jouer à ce jeu. Je pense à ça une fois par semaine.
 Je me demande ce que font tous ces gens aujourd’hui. T et les garçons de ‘’poussin’’, la fille qui a un creux dans sa tête et ses amies, et les filles en uniforme à col marin qui jouaient à un jeu mystérieux, j’espère qu’ils vont tous bien. Je le pense alors que j’oublie une histoire entendue la veille. Je le pense parce que j’oublie une histoire entendue la veille.

Le prêtre


 Je suis allé à l’église près de chez moi. Il y a longtemps, je l’avais déjà visitée, mais à ce moment-là, elle était fermée. L’église a trois portes principales. Je les ai essayées l’une après l’autre. Pendant que je tentais d’ouvrir la troisième porte, un homme âgé bedonnant est venu et il a, à son tour, essayé d’ouvrir l’une des portes qui était bel et bien fermée. « Elle est fermée », m’a-t-il dit. Je le savais. J’ai acquiescé.
 Il y a quelques jours, lorsque je suis passé à côté de l’église, j’ai réalisé que toutes les portes étaient ouvertes. Je n’ai pas laissé échapper cette occasion. Il faisait frais à l’intérieur. Le plafond était haut. De nombreux bancs s’alignaient harmonieusement entre l’entée et l’autel. Sur les nefs latérales, il y avait des confessionnaux. On en voit parfois dans les vieux films européens. Un prêtre et un pénitent entrent dedans. Le prêtre dit : « Mon enfant, qu’avez-vous à confesser ? », ou quelque chose de ce genre. « J’ai tué un homme », lui répond le pénitent. J’aimerais aussi entrer dans un confessionnal et avouer quelque chose, mais je ne sais pas ce que je devrai lui dire. « Je t’aime ». Non, ça n’irait pas. « Quand j’étais enfant, j’ai volé une carte Yu-gi-oh à Takumi-kun…..J’ai trompé mon petit frère pour lui faire acheter un tome de ‘’Doraemon’’…… »
 Je me suis retourné. Sur une petite étagère en bois, il y avait plusieurs volumes qui avaient l’air vieux. La couverture était usée et le titre presque effacé. J’en ai pris un. C’était un recueil de cantiques. J’ai contemplé longuement les paroles de quelques-uns de ces chants. 
 Tandis que je m’approchais de l’autel, j’ai eu l’impression que quelque chose de noir avait bougé au loin. Je me suis arrêté. J’ai plissé les paupières pour voir mieux. C’est alors que cette ombre a bougé et m’a regardé. C’était un prêtre.
 Un article que j'ai lu il y a quelques jours m'est revenu à l'esprit. Il disait qu'aux États-Unis, des centaines de prêtres catholiques étaient soupçonnés d’avoir agressé sexuellement plus de mille enfants, des garçons pour la plupart, durant de nombreuses années. « Il se peut que des centaines de garçons soient séquestrés dans le sous-sol de cette église. Pendant que les fidèles prient, ces enfants pleurent et crient », ai-je pensé. Puis, j’ai secoué la tête. J’avais peut-être regardé trop de films d’horreur.
 Le prêtre et moi nous sommes regardés un long moment au bout duquel je lui ai tourné le dos, et je suis sorti de l’église.

mardi 21 août 2018

Les zombies


 Aujourd’hui, j’ai regardé « Bienvenue à Zombieland ». Dans les États-Unis envahis par les zombies, le héros, geek, sans ami et puceau, au cours de son voyage en quête d’un endroit sûr, rencontre un dandy costaud et friand de «Twinkies » . Avec deux autres filles qui les rejoignent plus tard, ils essaient d’atteindre un parc d’attraction où, selon les rumeurs, il n’y a pas de zombie. Ce film nous enseigne plusieurs règles pour survivre dans un monde envahi par les zombies. Par exemple, il faut donner deux fois un coup mortel aux zombies et attacher sa ceinture de sécurité dans la voiture. Comme je m’inquiétais beaucoup, après avoir regardé « Le Retour des morts-vivants » en me demandant si les zombies allaient envahir ma ville, ça m’a rassuré. C’est un film divertissant, pas vraiment grotesque et comique. Si vous regardiez par exemple « La Mouche » ou « L’Exorciste » avec votre copine dans la soirée, elle risquerait d'avoir un malaise et de cracher de la vomissure verdâtre sur votre visage. « Zombieland » ne présente pas ce risque.
 Je me suis tout de suite rendu compte que l’acteur qui jouait le héros était celui qui incarnait Mark Zuckerberg dans « Social Network ». Toutefois, je n’ai pas réalisé jusqu’au générique que l'actrice qui interprétait l’héroïne, Wichita était Emma Stone. Ma scène préférée est celle où l’ex-femme de Johnny Depp devient zombie tout au début du film. Et je confonds toujours Bill Murray et Robin Williams. Ils se ressemblent beaucoup.
 Le soir, j’ai regardé « Shaun of the Dead ». C’est un film de zombies anglais sorti en 2004. Les zombies apparaissent toujours aux États-Unis, mais cette fois, une étrange maladie qui réanime les morts se répand à Londres. L’acteur qui a joué le héros, Shaun, employé dans un magasin d’électroménager, est Simon Pegg, celui qui joue Benji dans « Mission Impossible ». Le personnage qu’il a incarné était presque le même que Benji. C’est-à-dire, il manque un peu de force de caractère, il est un peu étourdi mais gentil. Les zombies de « Shaun of the Dead » sont les plus faibles parmi les films de zombies que j’ai vus. Ils marchent très lentement. Ils sont facilement neutralisés, ils n’arrivent pas souvent à mordre les gens. Si je devais me battre contre un zombie, je préférerais de loin l’un de « Shaun of the Dead ». De plus, ils sont plutôt propres. Par exemple, ils ne crachent pas de bile noire dégoûtante. On dirait simplement des Anglais anémiques qui s’amusent à rouler les yeux. La différence avec les films de zombies américains est intéressante. Dans les films américains, même les gens ordinaires savent manier les fusils et les pistolets, mais dans les britanniques, du moins dans ce film, personne ne sait manier un fusil alors que des zombies s’approchent.
 Bientôt, à la rentrée, c’est moi qui serai un zombie.

lundi 20 août 2018

''Le Retour des morts-vivants''


 Aujourd’hui, j’ai regardé « Le Retour des morts-vivants » sous prétexte d’apprendre l’anglais. Évidemment, je l’ai regardé pendant la journée parce que ça fait trop peur la nuit.  
 L’intrigue est la suivante : deux employés d’une société de fourniture médicale, Freddy et Frank, tapent par curiosité un récipient dans lequel se trouve un zombie endormi, ce qui fait jaillir d’un gaz toxique qui réanime les morts. Un cadavre conservé dans cette entreprise se met à crier et à s’agiter violemment. « Détruis le cerveau ! C’était comme ça dans le film ! », dit Frank et ils réussissent à fendre le cerveau du cadavre avec une pioche, mais le zombie n’arrête pas de bouger ! Afin de cacher ce scandale, avec le PDG de la société, ils se rendent au crématorium pour incinérer le cadavre. Le zombie est finalement incinéré, mais c’est là que l’histoire commence. Une fumée contenant le gaz sort de la cheminée et la pluie la fait pénétrer dans la terre du cimetière. Des centaines de zombies commencent à ramper sur le sol. À ce moment-là, Freddy et Frank qui ont absorbé du gaz deviennent de plus en plus malades et bizarres……
 J’ai l’impression que beaucoup de films des années quatre-vingt sont traumatisants. « Suspiria » d’Argento (très beau film), « La Mouche » de Cronnenberg (je l’ai regardé à la télé la nuit quand j’allais au collège. J’ai regretté), « La Chose » de John Carpenter. Le premier « Jeu d’enfant » est sorti aussi dans les années quatre-vingt (le deuxième ou le troisième était si grotesque que j’ai failli vomir). « L’Exorciste »…c’est un peu plus vieux. « Le Retour des morts-vivants » n’est pas un film d’horreur si terrifiant. Il y a des scènes grotesques, mais il est comique et surtout très divertissant. Comme c’est un film qui fait perdre l’appétit, on pourra sans doute perdre du poids si on le regarde tous les jours.
 Le soir, j’ai regardé « Au loin s’en vont les nuages » de l’un de mes cinéastes préférés, Aki Kaurimaki pour effacer l’arrière-goût de ce film d’horreur. Les personnages des films de Kaurismaki se trouvent souvent dans une situation difficile. Dans cette œuvre, le marié, plus très jeune, Ilona (Kati Outinen) et Lauri (Kari Väänänen) perdent leur travail et deviennent chômeurs. Ils essaient de trouver un nouvel emploi, mais en vain. Ilona commence finalement à travailler dans un restaurant tenu par un homme suspect. Finalement, ils sont expulsés de leur appartement. Il y a toujours un peu de tristesse dans les œuvres de Kaurismaki, mais ses films ne semblent pas très sombres grâce à leur atmosphère mystérieusement chaleureuse. Dans ce film, le mari n’oublie pas d’apporter un bouquet de fleurs à sa femme, même s’ils sont pauvres.
 Je trouve toujours que la cuisine dans les films de Kaurismaki a l’air bonne. Ce ne sont pas des repas copieux, ils sont même frugaux. Dans un autre film, Matti Pellonpää fait cuire du saumon avec un œuf. Dans « L’Homme sans passé », le héros, un homme amnésique fait une sorte de soupe avec une boîte de lentilles et j'avais envie qu’il m’offre de la partager avec lui.


dimanche 19 août 2018

Spectre


 Je suis allé à la cuisine commune de ma résidence pour utiliser le micro-onde. Sur une chaise longue comme un banc était assis un homme. Dans le micro-onde émettant une lumière orange tournait une tasse. J’habite dans une résidence universitaire. La majorité des habitants sont jeunes, mais il avait l’air d’avoir entre trente et quarante ans. En marmonnant, il lisait à haute voix un livre anglais qu’il tenait à la main. Sur la couverture, on voyait le plan du métro d’une ville anonyme. Sans entrer dans la cuisine, j’attendais que sa tasse soit réchauffée. Pendant ce temps, je regardais la route par la fenêtre.  « Tu viens d’où ? », ai-je entendu dans mon dos. Je me suis retourné. L’homme qui lisait le livre s’était levé et se tenait à côté de moi sans que je l’aie entendu approcher. « Du Japon, ai-je dit. – C’est loin ! a-t-il dit. – Et vous ? - Je viens de l’Ukraine », m’a-t-il dit. L’Ukrainien avait les yeux bleus et une barbe de quelques jours. Son T-shirt avait des trous. « Pourquoi on dit ‘’au Japon’’ et pas ‘’en Japon’’ ? », m’a-t-il demandé tout à coup. « Parce que le Japon est masculin. Les pays qui se terminent par ‘’e’’ sont le plus souvent féminins, la France, l’Espagne, la Chine etc, ai-je expliqué.
- Mais le Canada ? Ça se termine par une voyelle, m’a-t-il dit.
- Ce n’est pas une question de voyelle, mais de la lettre ‘’e’’.
- Et le Mexique ?
- Le Mexique est une exception. Je ne sais pas pourquoi. Parce qu’on a l’impression que c’est un pays viril ? Avec les mafias tout ça ?
- Ah », fit-il. Il avait l’air convaincu, mais son histoire ne s’est pas arrêtée là. Il a continué :
« Je pense que ce n’est pas une question de terminologie. C’est parce que quand on regarde sur la carte, le Japon est loin de la France et on dirait un point, c’est pourquoi on utilise ‘’à’’. Sur la carte, la Russie est immense. C’est pour ça qu’on dit ‘’en Russie’’ »
 C’était un point de vue très original, mais je n’étais pas convaincu, puisque selon cette logique, on devrait dire « en États-Unis » et « en Canada », alors qu'en réalité, ce n’est pas le cas. C’est donc une question de morphologie. Comme j’allais le lui dire, le micro-onde a sonné. Il a repris la tasse et, je ne sais pas pourquoi, en la regardant, il a dit « Ah, merde ». Sans que j’aie le temps de lui demander le titre de son livre, on s’est séparés.

 Le soir, j’ai regardé « 007 : Spectre ». Les scenarii des films de « 007 » sont un peu tous les mêmes et c’est ce qui est bien. Il y a James Bond, M et Q. Ils se battent contre le méchant qui veut souvent détruire ou dominer le monde. Aucun méchant ne se contente de s’amuser à massacrer des fourmis, ou de rester toute la journée au lit à regarder la télé. Ils sont très motivés pour exécuter leur projet vicieux. Au cours de l’histoire apparaît une femme mystérieuse qui aide l’agent secret et le MI6 sont toujours victorieux.
 La Bond Girl de ce film était Léa Seydoux. Tantôt elle était belle, tantôt elle ressemblait à une Coréenne qui a subi de nombreuses opérations de chirurgie esthétique. On dirait un trompe-l’œil. Dans le film, Bond a fait sombrer son Aston DB10 dans la rivière, exploser plusieurs bâtiments et a s’écraser un hélicoptère.
 Quand je regarde « 007 », je me souviens de « Casino Royale » que j’ai vu avec des amis quand j’allais à l’école primaire. C’est le premier film dans lequel Daniel Craig incarnait James Bond. La grande scène est celle où Bond joue au poker avec le méchant Le Chiffre, incarné par Mads Mikkelsen et la séquence d'ouverture en noir et blanc était vraiment cool. Parmi les nombreux « 007 », ma Bond Girl préférée demeure Eva Green.
 À l’époque, aller au cinéma une fois par mois serrant mon argent de poche dans la main, était un grand plaisir pour moi. Lorsque j’y repense, j’ai l’impression que j’étais surtout attiré par l’ambiance du cinéma plutôt que par les films eux-mêmes. Du popcorn, des hotdogs et du coca vendus au comptoir multicolore. Des affiches d’acteurs et d’actrices collés partout et les brochures exposés dans les vitrines. Les fauteuils rouges de la salle de spectacle étaient confortables, et surtout, j’aimais l’instant où la lumière s’éteignait après les pubs. Avec un cliquètement, le projectionniste changeait la pellicule, et le film allait commencer.

samedi 18 août 2018

Another day of sun


 C’était vendredi. Je suis allé faire des courses parce que mon réfrigérateur était presque vide. Devant une boulangerie se tenait un homme maigre à la peau rouge brûlée par le soleil, habillé comme un randonneur ou un SDF. Je me suis rendu compte qu’il me disait quelque chose, mais je n’entendais pas car j’avais mis des écouteurs. Je savais que c’était un SDF et pas un randonneur. Les personnes qui m’adressent la parole dans la ville ne sont que des mendiants et des fous. D’habitude, quand on me demande de la monnaie, je leur dis « Je suis désolé » et je les quitte immédiatement, mais aujourd’hui, je me suis arrêté et j’ai enlevé mes écouteurs. Comme j’écoutais à ce moment-là la bande sonore de « La La Land », j’espérais secrètement qu’il allait se mettre à danser et à chanter, mais mon attente à été déçue. Le regard mélancolique, il m’a simplement demandé si je n’avais pas quatre-vingts centimes et m’a dit qu’il voulait acheter du pain en indiquant du doigt la boulangerie. Sa façon de parler était calme et polie, un peu comme un professeur d’université. La ville était déserte et silencieuse. Un tram est passé derrière nous en faisant retentir sa sonnerie. J’ai ouvert mon portefeuille. Pendant que je cherchais quatre-vingts centimes, il m’a demandé si j’étais chinois. « Je suis de nationalité japonaise, ai-je dit. – Ah ! Je connais un peu de mots japonais, ‘’Konnichiwa !’’, ‘’Arigatô’’ ! », m’a-t-il dit. J’ai mis une pièce de cinquante centimes, de vingt centimes et de dix centimes dans la paume de sa main. L’air hésitant, il m’a bredouillé : « Euh, vous n’avez pas de vingt centimes de plus ? Parce que pour acheter une baguette… ». Sans rien dire, j’ai repris la monnaie et l’ai remise dans mon portefeuille. Il a pensé que j’étais vexé, et m’a dit : « Ah non ! C’est bon ! C’est bon ! ». « Attendez », ai-je dit doucement. Cette fois, j’ai pris une pièce d’un euro et l’ai mise dans sa main. Les poissons ont besoin d’eau. La terre a besoin du soleil. Les créatures vivantes ont besoin d’oxygène et les Français ont besoin de baguettes. « Merci ! Bonne journée ! », m’a-t-il dit et il est entré dans la boulangerie.
 Au supermarché, j’ai acheté de la nourriture pour une semaine. Comme ça, même si les zombies envahissaient soudainement Strasbourg, je survivrais au moins sept jours.

vendredi 17 août 2018

''La princesse et le mensonge'' (extrait) Yoko Ogawa


 Lorsque j’allais à l’école, je feignais souvent d’être malade. Le plus souvent, c’était pour ne pas aller à l’école. Il m’arrivait aussi de faire semblant d’être malade après le déjeuner pour rentrer chez moi. J’éprouvais un sentiment spécial quand je traversais toute seule la cour, en entendant des élèves réciter la table de multiplication ou jouer de la flûte à bec. C’était comme si le bruit que faisait ma trousse dans mon sac à dos avait un sens important, ou comme si j’étais devenue un peu plus adulte.
 Parmi mes camarades, il y avait une fille qui disait des mensonges extravagants avec lesquels mes prétendues maladies ne supportaient pas la comparaison. L’un de ses mensonges les plus impressionnants, c’était :
« Mon cousin est ami des Beatles ».
 Ni de John ni de Paul mais ami des Beatles. C’est adorable. Elle disait qu’il les avait rencontrés lorsqu’il faisait ses études aux États-Unis.
« Mais les Beatles sont anglais », a dit une autre fille discrètement, sans avoir l’air de la critiquer.
« Euh, donc, il a rencontré les Beatles pendant leur tour aux États-Unis », nous a-t-elle expliqué tout de suite.
 Je pense que tout le monde se rendait compte qu’elle mentait. Mais personne ne l’accusait en public. Au contraire, on avait peur de faire remarquer les contradictions de ses histoires, et on prenait garde à ne pas chercher trop loin. Chacun gérait ses mensonges à sa façon. Et la fille elle-même, qu’elle le sache ou non, se comportait comme si de rien n’était.
 Je ne me rappelle plus à quelle occasion, mais un jour, elle m’a proposé d’aller voir sa véritable maison. Selon elle, le logement qu’elle habitait actuellement était provisoire, et la résidence occidentale de trois kilomètres carré qui se trouvait en banlieue était sa véritable maison.
 Nous avons marché longtemps et traversé une passerelle. Nous sommes passées à côté d’un sanctuaire. Bien qu'ayant quitté la circonscription scolaire, nous soyons arrivées à une ligne de chemin de fer, on ne voyait nulle part la maison qu’elle avait décrite. Elle gardait son sang-froid, mais je m’inquiétais de plus en plus en me demandant si elle serait obligée d’admettre son mensonge. Le crépuscule approchait. Faire semblant d’être dupée était beaucoup plus facile que d’avoir la cruauté de lui faire remarquer qu’elle mentait.  
 Pendant que nous longions les rails, un vacarme effrayant s’est fait entendre et nous nous sommes retournées. Écrasé par une voiture, un homme d’un certain âge était couché au milieu du chemin. En peu de temps, les badauds se sont rassemblés, mais nous avions trop peur pour nous approcher. J’ai vu, à travers la foule, une chaussure de cuir noir à moitié enlevée.
 Naturellement, nous avons rebroussé chemin.
« J’irai à ta vraie maison la prochaine fois », ai-je dit, et elle a hoché la tête.
 Je me demande comment elle aurait fait apparaître la maison occidentale de trois kilomètres carré si rien ne s’était produit. Ou l’accident de voiture faisait-il aussi partie de son scénario ?
 Je ne sais pas ce qu’elle est devenue plus tard. Si ce n’est pas pour tromper les gens, et c’est pour échapper à la réalité, j’espère que le mensonge lui sert à quelque chose.

Le téléphone


 Pendant que je lisais un article sur la greffe du visage d'une jeune Américaine qui avait tenté de se suicider avec un fusil de chasse parce qu’elle a appris que son copain allait la larguer, mon téléphone a sonné, bien que d’ordinaire, personne ne m’appelle. J’ai eu peur et j’ai pleuré. L’écran affichait un numéro inconnu. Pendant que j’hésitais à répondre, on a raccroché. On a laissé un court message. Je l’ai écouté. La voix rauque d’un homme que je ne connaissais pas bredouillait quelque chose. L’image d’un homme d'un certain âge au gros ventre m’est venue à l’esprit. Dans ma tête, il a deux filles plutôt belles, étudiantes à l’université. Il s’appelle Jean-Luc et boit un litre de vin tous les soirs. Quand sa femme le lui reproche, il la bat et elle s'enfuit dans la salle de bain en pleurant. Je n’ai pas compris tout son message. Il disait : « Salut ! Tu m’entends ? ??????????? nouvelle ». J’ai eu l’impression que la partie que je n’ai pas déchiffrée disait : « Jusqu’où avance ta nouvelle ? ». Je ne l’ai pas rappelé.
 Quelques instants plus tard, j’ai reçu le deuxième appel de la même personne. Je l’ai ignoré. J’ai mis mon portable sur le lit et j’ai fait semblant d’être mort. Au bout de quelques secondes, la sonnerie a cessé. J’ai ressuscité. Aujourd’hui, le pseudonyme Jean-Luc m’a appelé quatre ou cinq fois, pendant que je lisais « Cent ans de solitude », pendant que je dînais. Tout d'un coup, j’étais populaire. Chaque fois qu’il m’appelait, je me cachais sous la table ou je feignais d'être mort. Jean-Luc s’était-il trompé du numéro ? Qu’est-ce qu’il avait à me dire ?
 Il y a longtemps, j’ai reçu l’appel d’une femme inconnue pendant que j'attendais le bus. Elle m’a dit : « Vous avez acheté un film protecteur pour smartphone sur Amazon récemment ? ». « Non », ai-je dit, mais elle n’avait pas l’air convaincue. Elle m’a dit que j’en ai acheté un. Et je me suis souvenu que j’en avais acheté un il y avait plus d’un an sur Amazon. Comme le film protecteur était déjà brisé quand il m’a été livré, j’avais écrit une étoile avec un commentaire critique dans lequel j’avais mis toute ma capacité littéraire et linguistique. « Pouvez-supprimer ce commentaire si on vous rembourse ? m’a-t-elle dit. – Oui, ai-je dit. Savez-vous comment faire ? m’a-t-elle dit. – Oui », ai-je dit, et on a raccroché. Le bus est arrivé à ce moment-là.. Je pensais au film que j’allais regarder ce soir-là.

jeudi 16 août 2018

Les chats











 Devant l’accueil de la résidence, quelque chose de blanc et de duveteux était roulé. Cette boule de poils m’a vu avec ses yeux dorés et a miaulé à plusieurs reprises. C’était Mimi. Je suis allé à côté d’elle et aussitôt, elle s’est mise à se frotter contre moi. J’étais étonné qu’elle ne m’ait pas oublié alors qu’on ne s’était pas vus pendant plus d’un mois. Moi, je peux oublier facilement le visage et le nom d’une personne si je ne la vois pas pendant un mois. Tous les gens se ressemblent plus ou moins. J’avais entendu dire que les chats ont une meilleure mémoire que les chiens malgré leurs petites têtes adorables. Maintenant j'ai l'impression que c'est vrai.
 Mimi a appuyé sa tête contre mon bras et a commencé à ronronner. J’ai senti le froid de son petit nez contre ma peau. Elle sentait un peu le soleil et les eaux thermales. Je ne sais pas pourquoi, mais c’était férié aujourd’hui. Il n’y avait presque personne dans la cour de ma résidence. Un homme obèse portant un T-shirt et un pantalon court blancs et un garçon habillé presque de la même façon, peut-être le père et le fils, m’ont dit bonjour. Quelques instants plus tard, j’ai vu aussi une fille aux cheveux mouillés qui venait sans doute de se doucher, et se promenait tranquillement pour sentir le vent. Tout à coup, Mimi s’est pétrifiée. J’ai suivi son regard. Un animal grisâtre à quatre pattes marchait vers nous. C'était Patience. Il s’est mis à se frotter contre moi. J’ai eu l’impression qu’il avait un peu maigri. J’ai caressé son pelage, gras et poisseux par endroits. Avait-il l'habitude de se rouler sur un sol où on avait fait tomber du coca ? Si c’était un être humain, il ne plairait pas aux femmes, évidemment. Mimi voudrait souvent s’installer sur mes genoux, mais Patience se contente de se frotter contre moi. Heureusement, ce n’est pas l’inverse. C’est-à-dire que ce n’est pas Patience qui voudrait se mettre sur mes genoux et que Mimi se contente de se frotter contre moi.
 « Les souvenirs, c'est quelque chose qui vous réchauffe de l'intérieur. Et qui vous déchire violemment le cœur en même temps », avait écrit Haruki Murakami dans « Kafka sur le rivage ». En caressant les chats, je me suis demandé s’il leur arrive aussi de se souvenir d’un temps heureux et de se sentir déchirés en se rappelant un événement amer.