mardi 31 octobre 2017

Aki Kaurismaki



 Je n’ai rien fait aujourd’hui. Je suis allé à l’U-express de la rue Boecklin avant midi. J’ai acheté des snacks et une bouteille de deux litres d’Orangina. À la caisse automatique, la machine ne lisait pas le code-barre de mes produits. Je suis resté debout pendant un certain moment. Je l'ai transpercée du regard. Elle répétait à l’infini : « Passez vos articles devant le lecteur. »
J’ai regardé derrière moi.  Un homme chauve rangeait des articles sur l’étagère. J’ai fixé un regard intense, presque amoureux sur sa tête. Au bout de quelques minutes, il s’est aperçu de ma présence. J'ai hoché la tête dans sa direction et il est venu tout de suite vers moi. De près, il était très grand. J’ai dû lever la tête pour le regarder. Si j'avais vécu au Moyen Age, je l’aurais pris pour un extraterrestre. Après avoir comparé ma tête et la machine, il m’a dit que c’était parce que je mettais les articles à un mauvais endroit. Je l’ai brièvement remercié. Il m’a dit « De rien. » et il est retourné ranger des produits.

 Chez moi, j’ai vu ‘’The Godfather’’. Je l’avais déjà vu il y a longtemps, mais sans doute je suis maudit. Je n’arrive pas à retenir l’histoire des films de Francis Coppola. J’ai entendu dire qu’un fantôme apparaissait dans la scène du mariage, au début. Je l’ai cherché, mais je ne l'ai trouvé nulle part. Le film était excellent. Le changement subtil de Michael, interprété par Al Pachino est impressionnant. Comme la gradation d’une ombre qui s’assombrit, on comprend que Michael se transforme petit à petit en un véritable mafieux. Ma scène préférée est celle où explose la voiture dans laquelle se trouve Apollonia. 
 À vrai dire, les films de Coppola ne m’ont jamais fasciné malgré son grand talent et leur qualité. Un jour, mon père m’a dit la même chose. Alors, cette indifférence envers Coppola doit être héréditaire comme mes cheveux blancs. Les films de Coppola sont pour moi comme une belle femme irréprochable qui attire tous les hommes, sauf moi. Je suis toujours attiré par les filles singulières mais il n'y en a pas beaucoup.

 J’ai donc vu un film bizarre ce soir, ‘’La vie de bohème’’ d’Aki Kaurismaki. Dans ce film, il y a trois protagonistes. Marcel, un écrivain raté, pauvre et expulsé de son appartement. Il écrit une pièce en vingt actes mais son éditeur refuse de la publier parce qu’elle est trop longue. Une œuvre très longue et le prénom Marcel rappellent évidemment Proust. Le deuxième, Schaunard est un soi-disant compositeur, et il remplace Marcel dans son appartement. On ne sait pas vraiment ce qu’il fait dans la vie, mais il n’a pas l’air de se soucier de l’argent. Il plaît aux femmes. Se peut-il que ce soit un maquereau ? Le dernier est un peintre albanais, Rodolfo. C’est un personnage typique d’Aki Kaurismaki : taciturne, mystérieux, mais chaleureux.

 Dans les films de Kaurismaki, il y a toujours une scène d’interprétation musicale. Dans ‘’L’homme sans passé’’, le protagoniste va au concert privé d’un groupe local. Dans ‘’Le Havre’’ Little Bob chante à pleine voix et dans ‘’La vie d’un bohème’’, il y a une courte scène du concert d’un groupe de rock inconnu.

 Ce film semble avoir un lien avec ‘’Le Havre’’ parce que l’acteur qui joue le rôle de Marcel est le même que le gentil Monsieur qui aide un garçon africain, et il s’appelle aussi Marcel. (Cet acteur, André Wilms est originaire de Strasbourg !) Là, aussi, le thème de l’étranger est aussi présent. ‘’Le Havre’’ est l’histoire d’un garçon africain qui voudrait traverser la Manche pour émigrer en Angleterre. La police le poursuit, mais un Français âgé le cache. Il y aussi un Vietnamien, Chang qui explique qu’il a tout fait pour obtenir un visa pour la France. Dans ‘’La vie de bohème’’, il y a déjà deux étrangers, l’Albanais Rodolfo et l’Irlandais Schaunard. Rodolfo parle le français avec fort accent. Un jour, il se retrouve sans papiers, sommé de quitter le territoire français. Dans ‘’Le Havre’’, Jean-Pierre Léaud joue le rôle d’un homme qui dénonce le garçon africain à l’inspecteur. Il ne paraît que pendant quelques secondes. Dans ‘’La vie de bohème’’, il joue le rôle d’un collectionneur qui achète les tableaux de Rodolfo. Et dans ces deux films, l’histoire se passe en France à Paris, dans l'un, au Havre dans l'autre.

 À la fin du film, une chanson mélancolique s'élève, accompagnée à la guitare. Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’une chanson finlandaise. Au bout de quelques secondes, je me suis rendu compte que je comprenais les paroles alors que je n'avais jamais appris le finlandais. Cette chanson était en fait japonaise. Je savais que Kaurismaki est un grand admirateur d’Ozu, mais comme je ne m'attendais pas à entendre une chanson en japonais dans son film, j’ai été très étonné.

Seul un souvenir traverse un pays enneigé…
Ce souvenir vient d’un pays lointain…


lundi 30 octobre 2017

Le souvenir d'une chaise électrique

 Quand j’étais au lycée, dans le cours d’art, nous devions construire une maquette de la chaise idéale. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai fait une chaise électrique avec du papier mâché. Toutefois, au début, elle ne ressemblait pas à une chaise électrique. Ce n’était qu’une chaise blanche ordinaire. Je me suis demandé ce qui lui manquait. D’ailleurs, je n’avais même pas vu de véritable chaise électrique. J’avais juste vu la scène épouvantable où un condamné à mort brûle lors de son exécution dans ‘’La ligne verte’’. (Pourquoi les gens considèrent-ils que ce film est humain ? C’est un film d’horreur pour moi à cause de cette scène.) Plus tard, j’ai conclu que ma chaise manquait de fils électriques pour électrocuter un prisonnier. Je me suis souvenu qu’il y avait un vieil ordinateur cassé dans le débarras. Je l’ai démonté et j’ai collé quelques composants à ma chaise. Le résultat était satisfaisant. Cela ressemblait à une chaise électrique de science-fiction. Mais la texture du papier mâché ne me plaisait pas. Pour l'améliorer, j'ai rajouté au dessus de la cire de bougies. La suie l’a rendue plus réelle. C’était comme les traces du cadavre d’un condamné à mort qui vient d’être exécuté.

 Le dernier jour de ce programme, j’ai apporté ma chaise au lycée. Quand j’ai vu les œuvres des autres, je me suis rendu compte de mon erreur. Ils avaient apporté des chaises modernes ou de style classique sur lesquelles on pouvait se détendre. J’étais la seule personne à avoir construit une chaise électrique. Cependant, on m'a complimenté pour mon œuvre, même la professeure grosse et robuste qu’on avait envie d’appeler Monsieur. J’ai dû expliquer la raison pour laquelle j’avais construit une chaise électrique. Je ne me souviens plus ce que j’ai dit à ce moment-là mais je crois avoir dit à peu près : « la mort dans la société est souvent invisible et ignorée. Lorsqu’une personne décède, quelles traces laisse-t-elle ? J’imagine qu’un condamné à mort électrocuté laisse au moins son ombre en forme de brûlure etc. » Pourtant je ne savais plus ce que je disais.

 Je n'ai pas fini mes études au lycée parce que je me sentais de plus en plus mal dans cette société fermée, et au final, je l’ai quittée. Dans les toilettes d’une station de métro, j’ai avalé deux ou trois cents somnifères. Je n'ai aucun souvenir de ce qui a suivi. Quand j'ai repris conscience, j’étais dans un hôpital. Je n’étais pas dans un lit. J’étais couché sur un matelas sur le sol et il y avait une perfusion dans mon bras. La sensation de l'aiguille dans ma chair m’a donné le haut-le-cœur. Les lampes fluorescentes du plafond m'ont ébloui.

''Arrows'' BUMP OF CHICKEN



Une grande aventure s’étend sur une carte dessinée.
Une personne perdue en a rencontré une autre devant le dépôt des ordures incombustibles.
Avec un bagage plein de mauvais souvenirs,
J’ai dit en riant : « Enterre-moi ici, je ne peux plus bouger. »

C’est normal que tu me ressembles. C’est comme ça, ici.

Nous nous sommes demandé d’où nous venions et sitôt nous nous sommes sentis ridicules.
Ça sert à quoi de dire nos itinéraires ?
Je me suis déjà rendu dans tous les endroits que je voulais visiter sous le ciel nuageux.
Je me suis senti vide alors que je n’avais rien perdu, mais…

Je dois lui dire que tout ira bien.
Même si je ne vais pas bien. De toute façon, je ne peux plus bouger.

Tout ce que tu as vu est vrai. Le fait que nous nous sommes rencontrés est vrai.
Si tu le jettes, je vais le porter. Donne-le-moi.
Je vois. Avec une telle quantité, je n'aurai pas faim pour un bon moment.
Partons d’ici ensemble.

Une aventure avec un nouvel ami. Sous la pluie, les deux personnes perdues ont échangé leurs sacs à dos.
Après être allés partout où nous voulions et que nous serons épuisés,
Montons dans ce nuage qui nous semble si proche et si lointain.

Il y a une chose que nous feignons d’ignorer.
Quel que soit le sac qu’on porte, si ce n’est pas le sien,
Même s’il est précieux, il est forcément faux. Mais le fait qu’il est précieux ne change pas.
Je n’ai plus besoin de ce sac à dos que je t’ai confié.
Je suis perdu mais…
Si je suis avec toi, je pourrai rester moi-même.
Partons d’ici ensemble.

Une grande aventure, le ciel après la pluie.
Bien que nous soyons partis, nous nous retrouvions devant le dépôt des ordures inflammables.
Nous avons échangé à nouveau nos sacs à dos et nous avons été étonnés.
Ils étaient pleins de beaux souvenirs.

Maintenant je dois persuader une partie de mon être,
Qu'il est temps de te dire au revoir

Ne t’inquiète pas. Tout ce que tu as trouvé est vrai. Nous nous sommes réellement rencontrés.
Je vais porter le mien, je ne peux pas le jeter.
Les gens que j’ai rencontrés pendant que j’étais perdu sont réels et vivants. Toi qui riais, tu es aussi vivant.
Tu as marché avec moi qui étais aussi perdu. Ton bagage n’est plus faux.
Cette quantité est suffisante pour rester moi-même.
Partons d’ici ensemble.

La chanson de l’arc naît au moment de la rencontre de deux larmes.
Après nous être rendu à tous les endroits qu’on a envie et si nous pouvions nous revoir, traversons cet arc sans bagage.
Montons dans ce nuage qui nous semble si proche et si lointain.

dimanche 29 octobre 2017

Nowhere Man



 Connaissez-vous la chanson des Beatles intitulée ‘’Nowhere man’’ ? Parmi leurs nombreuses chansons, celle-ci est particulièrement ma préférée. C’est le quatrième morceau de ‘’Rubber Soul’’.
 Avant de faire leur apparition sur le public, dans une petite ville sombre où le vent apporte le parfum de la mer, John et Paul se sont fait une promesse ; tous leurs morceaux seront signés « Lennon/McCartney » y compris ceux qui auront été composés par l'un d'entre eux. On devine facilement que ‘’Nowhere man’’ est un morceau de Lennon. La mélodie est quelque peu mélancolique, le non-sens des paroles rappelle le monde de Lewis Carroll. J’écoute régulièrement cette chanson mes 14 ans, je ne m’en fatigue jamais.

He's a real nowhere man

Sitting in his nowhere land

Making all his nowhere plans for nobody

 Quoi que je fasse, où que j’aille, je me sens vide. Ce sentiment de vide ne disparaîtra jamais de ma vie. Il y a un néant dans mon cœur. De temps à autre, je rêve que je suis englouti dans ce trou sans fond. Depuis longtemps, je vis dans un monde irréel. Mon corps est couvert de rideaux translucides. La voix des gens a des échos étranges, comme si elle me parvenait de la surface d’une piscine.

Je suis un homme de nulle part.

Assis dans mon pays de nulle part.

Je fais tous mes projets de nulle part pour personne.

samedi 28 octobre 2017

Nevermind

 Aujourd’hui beaucoup de monde a séché le cours de littérature générale et comparée ou simplement ils l’avaient oublié puisque celui-ci avait été annulé pendant deux semaines. Nous avons étudié l’histoire de cette discipline. La professeur, jeune et enjouée, nous a montré un diaporama très soigné avec des photos de chercheurs importants. À la fin du cours, elle nous a demandé d’écrire ce que nous avons particulièrement remarqué. J’avais peur qu’elle dise d’échanger son avis avec un voisin et j’allais me préparer à discuter avec mon amie imaginaire, une fille de 9 ans morte il y a deux cents ans dans un quartier pauvre de l’Angleterre. Du moins, c’est ce qu’elle dit. Au final, la professeure a juste choisi des étudiants au hasard et elle leur a demandé d’exprimer leur avis. Je regardais ailleurs pour qu’elle ne me voie pas. Quant à moi, j’avais écrit dans mon cahier :
« Ce que j’ai remarqué : 

1. Le chapeau de Madame De Staël. Je le trouve très bizarre lol.
2. Je traduis des livres japonais en français. Ne serais-je pas dispensé du partiel ?
3. J’ai vu Goethe ce matin à la République. Il était mouillé. »
 Il y a un vieux conte japonais intitulé ‘’Kasa-Jizô’’. Dans cette histoire, un jour un vieillard rencontre des statues en pierre (Jizô) mouillées par la pluie. Ce vieillard qui les prend en pitié leur donne ses parapluies qu’il allait vendre. Quelques jours plus tard, ces statues en pierre lui rendent visite pour le remercier. Donc, si j’offre un parapluie à cette statue de Goethe, viendra-t-il chez moi plus tard pour me remercier ? Pourra-t-il m’aider à faire mon devoir de littérature et celui d’allemand ?

 Sorti de l’amphithéâtre, je suis allé au kébab. Au moment où j’ai essayé d’y entrer, un homme bronzé m’a demandé d’attendre dix minutes. Je me suis donc assis à la terrasse. J’ai observé la ville de Strasbourg entièrement mouillée. Je trouve que Strasbourg est encore plus jolie sous la pluie. On dirait une belle femme en deuil. Quelques minutes plus tard, un autre homme corpulent à grosse moustache (pourquoi les patrons des restaurants turcs sont-ils souvent comme cela ?) m’a appelé d’un geste de la main. C’est quelqu’un de bien, parce qu’il a mis beaucoup de viandes dans mon kébab.

 C’était un peu trop tôt pour le déjeuner, mais je l’ai mangé à l’Atrium. En mangeant, je me suis demandé pourquoi il n’y a pratiquement pas de kébab au Japon alors qu’il est très bon.


« Dieu a d’abord mangé du Kebab, puis il a créé ce monde (de merde) en sept jours. »
« Au début, la terre est informe, vide et plongée dans les ténèbres. Dieu sépara les kebabs d'avec les tortillas et les nomma "Donner". »
 Il écrit ainsi dans la Bible. Par ce passage, on comprend l’importance de kébab.

 À un moment donné, mon portable a émis un bruit sinistre. Un SMS était arrivé. Le numéro affiché m'était inconnu. Je me suis rendu compte tout de suite que c’était l’idiote que j’avais bloquée quelques jours auparavant. Effectivement, j’avais bloqué tous ses réseaux sociaux, mais j’avais oublié de bloquer son numéro de portable car nous communiquions rarement par SMS. Aussitôt, j’ai déprimé. J’étais troublé. Je me suis demandé un instant si j’allais l’ignorer. Finalement, je lui ai envoyé un extrait de mon journal à son sujet : 
« Je veux qu’elle meure de manière terrible. J’aimerais qu’elle se ballade la nuit et qu’un homme handicapé mental de deux mètres la viole. Elle criera mais dans la rue solitaire de Paris, il n’y aura qu’un SDF endormi et presque dément. Elle tombera ensuite enceinte et elle accouchera d’une fille difforme.» 
 Ensuite, elle a écrit de longs messages. J’y ai jeté un coup d’œil. Je ne savais pas qu’elle était devenue schizophrène. Je les ai supprimés.

 À ce moment-là, ma journée a été complètement gâchée. Le désir de suicide que je réprimais jusque-là a resurgi. Si j’avais un death note, j’y écrirai son nom au moins cinq millions de fois. Pour la cause de la mort, je choisirai : « Morte asphyxiée la bouche pleine d’excréments » Alors que je faisais toujours attention à ne pas être blessé et que c’est la raison pour laquelle j’évite les gens, j’ai complètement été détruit. J’ai éprouvé le besoin de me mutiler le bras pour m’apaiser, toutefois je n’avais pas de cutter. De plus, j’avais un cours d’anglais l’après-midi. C’était impossible d’y aller le bras sanglanté. Le moyen que j’ai choisi était de fermer les yeux et d’écouter ‘’Masterplan’’ à l’infini. Sans m’en rendre compte, je répétais ‘’Nevermind’’.

 Il y a des gens qui pensent que l'automutilation est pour se suicider. Mais c'est le contraire. Pour moi, c'est pour vivre. Je ne me mutile donc pas le poignet. Je me mutile juste la surface de la peau mais uniquement quand je me sens horriblement mal. Le signal électrique qu'envoient les nerfs domine mon esprit. À proportion de la douleur physique, le mal moral s'adoucit pendant que l'hémorragie continue. Honnêtement, je le trouve moche. Je ne suis pas une fille de 14 ans. Mais avoir mal est beaucoup mieux que de ne rien sentir.

vendredi 27 octobre 2017

Endless Nameless

 Je luttais contre le sommeil pendant le cours du matin. (J’ai l’impression que j’écris toujours que j’ai sommeil.) J’ai trouvé un dessin inconnu dans mon cahier. Un homme portant un costume et une vieille dame avec un manteau de fourrure s’embrassaient en se frottant le nez, sans joindre leurs lèvres. Je ne me souviens pas d’avoir dessiné une scène aussi grotesque. Endormi, j’ai dû faire un drôle de rêve et dessiner cela. En écoutant l’exposé de deux filles, j’ai dessiné le portrait de Takeshi Kitano. Le résultat était satisfaisant et j'étais content. Puis, la tête dans les bras, je me suis endormi. Après les deux charmantes demoiselles, une fille de haute taille aux traits méditerranéens, et un garçon potelé comme le bonhomme Michelin, ont présenté leur exposé. Le professeur, qui ressemble au prince Williams de Grande-Bretagne leur a fait des compliments sur leur travail. Après les vacances, ce sera mon tour de faire un exposé. Étant donné que la fille qui était ma partenaire a quitté ce cours (Je jure que je ne lui ai rien fait ), je devrai le faire tout seul, mais honnêtement, je n’ai aucune idée de ce que je dois écrire. Alors que je n'ai aucun problème à écrire un journal insignifiant comme celui-ci, écrire une petite dissertation m’angoisse.

 Si on me permet d’exprimer mon avis, je ne comprends pas à quoi sert l’exposé parce que la plupart des gens préparent leur manuscrit à l’avance, et le lisent à haute voix. Moi aussi. Il vaut mieux donner le manuscrit sans le lire, n’est-ce pas ? Mais on dit : « À Rome, fais comme les Romains », alors je ne me plains pas, mais peut-être vaudrait-il mieux que je grogne puisque l’on dit aussi « Les Français sont des gens qui se plaignent tout le temps.

 Cela fait longtemps que je n’étais pas allé à la bibliothèque U2-U3. Je la préférais à celle du Portique, mais je l’évitais sans doute inconsciemment car l'escalier en colimaçon m'effraie un peu. Aujourd’hui, j’ai découvert qu’ils avaient remis un gros coussin rouge au fond du deuxième étage, à l’endroit désert derrière l’étagère du cinéma, près de celui de littérature japonaise. C’est mon endroit préféré, car il est toujours désert et tranquille. Et le plus important : je peux dormir sur le gros coussin. Quand j’y suis arrivé, une fille noire travaillait toute seule à la table avec son ordinateur. Je me suis évidemment installé sur le gros coussin rouge. Au début, j’ai essayé de lire ‘’New York’’ de Morand pour le cours, toutefois ce livre ne m'a pas trop fasciné. Observer des fourmis serait plus intéressante. Quelques moments plus tard, j’ai fermé le livre. J’ai enlevé mes lunettes et j’ai étendu mon manteau sur moi. En un clin d’œil, j’étais dans le royaume du sommeil.
J'entendais la voix de garçons qui me parvenait de loin. Quand je me suis réveillé et que j’ai regardé mon portable, il était déjà 11h45. Le cours de littérature française du XVIII siècle allait commencer à midi. Je me suis levé. Deux garçons qui avaient l'air idiot et une fille qui semblait encore plus idiote, me regardaient, le visage sans expression. J’ai pensé les tuer, mais je n’avais pas le temps. Je me suis dépêché de me préparer et je suis parti. En sortant, j’ai vu sur l’étagère de magazines que le cahier du cinéma de ce mois est consacré à ‘’Twin Peaks’’. La couverture était Diane. J’aurais préféré Dale Cooper ou le nain dansant. J’ai décidé de le lire plus tard et j’ai descendu l’escalier.

 Maintenant j’attends que la bibliothèque U2-U3 installe une couette un oreiller spécialement pour moi. La prochaine fois, je vais amener mon ourson, Talleyrand.


 Pendant le cours de littérature du XVIII siècle, une vieille dame aux cheveux entièrement blancs assise à côté de moi m’a demandé si ce que je buvais était du café. Comme je parle rarement avec les gens, j’ai paniqué. Je ne comprenais plus si ce que je buvais était du café ou du vomi ou du liquide organique d’une grenouille. Il m'a fallu du temps pour lui répondre que c’était du café au lait. À un moment donné, le professeur, aussi âgé que ma voisine a dit pour donner un exemple de roman à la première personne : « Dans ma jeunesse, j’ai été violée par mon grand-père ou par mon oncle». J’ai adoré cet exemple.

 Dans ma résidence, j'ai joué avec le petit chat, Dès qu'il m'a aperçu, il s'est installé sur mes genoux comme d'habitude. Je caressais sa petite tête en lisant ''L'histoire perdue'' d'Otsuichi. À un moment donné, le gros chat est apparu soudain, comme un brouillard néfaste. De mauvaise humeur, il s'est avancé vers nous, en agitant brutalement sa queue. J'ai essayé de caresser sa tête ; il ne voulait pas. Malgré cela, il est resté à côté de nous. Quelques minutes plus tard, il est parti. J'ai regardé derrière moi ; il aiguisait ses griffes contre un arbre. Ce type est bizarre. Je ne le comprends plus.

jeudi 26 octobre 2017

La prise d'Orange Beyond

 Ce matin, j’étais vraiment déprimé. Des idées noires tourbillonnaient dans ma tête comme un essaim de sauterelles. Je me sentais triste comme si j’étais abandonné tout seul au plus profond de la mer. Personne ne m’adressait la parole ; même si quelqu’un me disait quelque chose, sa voix ne me parvenait pas. Je me suis assis par terre, la tête baissée, j’ai écouté ‘’Champaign Supernova’’. À ce moment-là, je me suis senti un peu mieux.
 En lisant ‘’La prise d’Orange’’ pendant le cours d’ancien français, j’ai eu une sensation de déjà-vu. ‘’La prise d’Orange’’ est une chanson de gestes écrite au Moyen Âge. Elle raconte la conquête d’Orange, comme son titre l’indique. Nous ne lisons que des extraits, mais j’ai remarqué qu’il y a beaucoup de scènes violentes. Par exemple, dans le passage suivant :

« il lui a enfoncé son bâton dans le ventre de sorte qu’il l’a transpercé sur une grande longueur : il le renverse, mort à ses pieds »

Le pire, c’est :

« Il lui donne sur la tête un si violent coup de bûche qu’il lui fait voler la cervelle de la tête. »

La cervelle de ce pauvre homme vole donc en l’air.
Mais cette cervelle volante n’est pas la seule. Il y a une autre cervelle qui sort dans un autre passage :

« il lui donna sur la tête d’un si violent coup de bâton que la cervelle en jaillit en l’air ».

De plus, les personnages crient souvent :

« Montjoie ! s’écrie-t-il, en avant, vaillants chevaliers ! »

Ils sont aussi furieux.

« ils ont abattu morts quatorze Turcs et ont tellement effrayé tous les autres »

« Les Sarrasins sont orgueilleux et farouches : ils les attaquent violemment par centaines et par milliers, ils leur jettent des lances et des traits d’acier tranchants. »

 Ils sont tous enragés. Enragés… Oui, en fait, ‘’La prise d’Orange’’ me fait penser à mon film préféré de Yakuza, « Outrage ». Dans ce film de Takeshi Kitano, les personnages sont tous furieux, ils crient et insultent. Il y a beaucoup de scènes où des yakuzas se battent entre eux. Une multitude de douilles tombent par terre et du sang jaillit comme une fontaine. Dans ‘’Outrage Beyond’’, un yakuza s’est coupé l’auriculaire en le mordant, le héros Ohtomo a appuyé une perceuse contre le bras d’un ennemi. Ils font tomber à l’eau une voiture, assomment des hommes, jettent une grenade. Mais il n’y a pas de cervelle qui vole.
 Je trouvais honnêtement ‘’La prise d’Orange’’ ennuyeuse et difficile quand on doit la lire en ancien français. Cependant, quand j’ai découvert que ce récit fait penser à ‘’Outrage’’, ce livre est devenu plus intéressant.
Maintenant je peux mieux imaginer les personnages.

Guillaume : Je vais te buter, connard !

Aragon : À qui tu parles, espèce de crétin ! Coupe ton doigt, froussard !

Guillaume : Occupe-toi de ton gros cul, enfoiré !

Aragon : Te fous pas de nous !

 Je crois même entendre la bande annonce :« ’’La prise d’Orange Beyond’’ : ce sont tous des voyous. »

Darth Vader

 Je pense qu'au cours de l’un des professeurs, il y a eu au moins cinq cents morts jusqu’ici : ce sont de pauvres étudiants qui se sont ennuyés à mort et qui se sont suicidés en se mordant la langue. Je me suis demandé au moins cinquante fois si j’allais me mordre la langue pendant son cours.
Ce matin, un autre professeur grand et robuste s’est tout à coup excité. Alors qu’il parlait tranquillement jusque-là, il s’est mis à parler moulinets avec son bras. Il criait comme Hitler s’adressant au peuple devant le Reichstag. Finalement, il a tapé le tableau avec un livre. Apparemment, il fait plus d’un mètre quatre-vingts centimètres et il semble peser plus de cent kilos. S’il s'allonge sur moi pendant mon sommeil, je suis certain de mourir asphyxié.
 Après ce cours, j’ai passé le partiel de latin. Il y avait beaucoup plus de questions grammaticales que je n’avais prévu, et j’ai paniqué, mais je ne pense pas avoir fait de grosses bêtises comme dans le partiel de linguistique diachronique. Je pense que j’aurais au moins la moyenne. L’année dernière, les études étaient déjà difficiles. Cette année, j’ai l’impression qu’elles sont encore plus dures. En anglais, j’ai passé de B2 à C1, en allemand, de A0 à A2. Prendre des notes de cours de lexicologie est aussi laborieux car la professeur ne met pas de cours sur Moodle. De plus, je n’arrive pas souvent à distinguer à l’oreille, ‘’R’’ et ‘’L’’. J’ai écrit ‘’rênes’’ sans comprendre vraiment ce qu’elle a dit. À ce moment-là, une fille assise derrière moi que je ne connais pas m’a appelé par mon nom et m’a chuchoté que ce mot s’écrit ‘’laine’’. Je me suis demandé pourquoi elle connaissait mon nom. La semaine dernière aussi, une autre fille m’avait appelé par mon nom alors que je ne la connais pas. Dans ma tête, je les ai nommées arbitrairement ‘’Camille’’. Toutes les Françaises s’appellent Camille.
 Le cours d’allemand est l’un des rares qui apaisent mon esprit. Un garçon assis à côté de moi tripotait une petite figurine de Darth Vader. J’étais jaloux. Sur la table, j’ai trouvé un trombone. J’ai joué à le tordre, mais il était moins charmant que Darth Vader. J’aurais voulu échanger son Darth Vader contre mon trombone, mais je n'ai rien dit. Il a ensuite fait son exposé sur la mode dans le cinéma avec des photos de quelques acteurs et actrices. Je connaissais évidemment Indiana Jones et Kill Bill, mais je n’avais jamais vu les autres. À la fin, il a demandé à tout le monde quel costume on préférait. Je préférais le costume de Chewbacca à celui de James Bond mais je me suis tu.

 Au fait, saviez-vous que l'acteur qui a joué Darth Vader dans le premier Star Wars est le géant de ''L'orange mécanique'' ?

mercredi 25 octobre 2017

Don't look back in anger



 When I was fourteen or fifteen years old, I only listened to the Beatles. At that time, I was using a walkman of Sony. One day, a female classmate came up to me. Passing me a CD, she said that I would like also Oasis if I liked the Beatles, I got home and played the CD. When "Live Forever" started, my world was completely changed.


 Some months later, I heard that Oasis would be coming to my town. I was living in Sapporo, which is a rather big city, but a lot smaller than Tokyo or Osaka.
 Foreigners are not rare now. One sees mostly Chinese and Korean tourists, and also Americans or Australians, but at that time foreigners were quite rare. And foreign artists hardly ever came to my city.

 Finally I got a ticket and went walked to the concert hall. It took only 15 minutes from my home. It was strange to think that an international superstar was near my home.
 It was the first time that I went to a concert. The sound was so loud that I was surprised. Liam and Noel were far away, but I could see them.
Fortunately, Liam didn't sulk. He stayed on the stage until the end. Noel said something in English, but it was too difficult to understand for a 15 year old Japanese boy. Furthermore, they speak with strong Manchester accent. I heard just the word "snow,” so probably he said something about snow. Surely it snows a lot in the north of Japan, and It was winter.

 I still can remember that Noel sang "whatever" with a guitar. The trembling of the chords has been imprinted on my mind.


 Some years later, Liam broke his brother’s guitar. The title of the album that I borrowed from the girl was ''Stop the clocks.’’ It was their greatest hits album. The truth is, nobody can stop the clocks. Oasis has broken up with my youth.

mardi 24 octobre 2017

''After Dark'' Asian Kung-fu Generation



Je m'enfuis pendant que l'ombre de mon dos se répand 
Je m'envole au dessus de la ville enivré par un parfum doux
Sans m'apercevoir que mes ailes ont disparus
Au loin, j’entends des pleurs qui me sont familiers

Le vent nocturne emportant cet éphémère espoir
Jusqu’où pourrai-je aller ?

Le monde tremble comme s’il voulait s'emparer de tout
Je suis déjà éveillé
Mais je n’ai encore rien fait
Je dois faire un pas

Je flotte interrompant ma journée paresseuse
Je vole en regardant de haut le ballet des nuages naissants

Une odeur de sang se répand dans un coin de la ville 
Au loin, j’entends des pleurs qui me sont familiers 

Une lune rouge écarlate finit de s'étendre 
Je veux en finir avec mes journées sans but 
Pour leur donner un sens 

Le monde tremble comme s’il voulait s’emparer de tout 
Je suis déjà éveillé 
Mais je n’ai encore rien fait
Je dois faire un pas

lundi 23 octobre 2017

La dépression

 J’ai échoué de nouveau sur le maintien d'une relation humaine. J’ai perdu une correspondante. Cette fois, la relation a duré pendant quatre mois. D’habitude,  je n’arrive pas à garder une relation plus d’une semaine, que ce soit sur Internet ou dans la vraie vie. C’était une fille idiote et moche, mais si gentille qu’elle m’a envoyé un ours en peluche. Je ne voulais pas donner mon adresse à une inconnue, mais le désir de recevoir une mignonne peluche d'ourson avait pris le dessus.
 Je lui ai dit : « Je te bloque ». Elle m’a répondu : « Tu ne pourras pas » avec une faute d’orthographe. Alors, je l’ai bloquée sur tous les réseaux sociaux (Facebook, Line, Hellotalk etc.). Il ne faut pas oublier que je n’ai pas d’ami depuis le lycée et que je me suis habitué à être abandonné. Certains m’ont critiqué en disant que j’étais un psychopathe, au sang-froid et que j’avais un trouble de la personnalité borderline. Je suis désolé pour eux, mais toutes ces allégations ont été réfutées par mon psychiatre de l’époque. Au contraire, je suis hypersensible, et je crois être capable de lire la pensée des gens. Toutes les injures que j’ai encaissées jusqu’ici sont gravées sur la peau de mon bras gauche comme autant de cicatrices. Quand il y a du soleil, cette sculpture se dessine plus clairement sur ma peau. Ce n’est pas grand-chose, mais je peux vous montrer ce chef d’œuvre de scarification, si vous voulez.
 Elle m’a dit qu’elle reviendrait sur Strasbourg mais j’ai refusé de la revoir. Elle m’a répondu qu’elle savait où j’habite.
 Maintenant je regrette d’avoir refusé cette proposition. J’aurais dû l’accepter puis la bloquer sur tous ses réseaux sociaux le jour où elle viendra. Une fille qui attend quelqu’un en vain au pied de la Cathédrale de Notre-Dame, c’est poétique.
 Contrairement à Pauline, elle ne servait pas à grand-chose. Elle ne savait pas écrire correctement en français. Je lui ai demandé plusieurs fois de corriger mes textes. Elle les a corrigés avec plein de fautes. J’ai dû les revoir moi-même plus tard. Elle m’avait dit qu’elle m’aiderait à apprendre le français, mais en réalité, elle a dû l’apprendre avec moi.
 Je veux qu’elle meure de manière terrible. J’aimerais qu’elle se ballade la nuit et qu’un homme handicapé mental de deux mètres la viole. Elle criera mais dans la rue solitaire de Paris, il n’y aura qu’un SDF endormi et presque dément. Elle tombera ensuite enceinte et elle accouchera d’une fille difforme, sosie de Joseph Merryck alias Elephant Man mais très douce et gentille. Et un jour pluvieux de l’hiver, elle se jettera du pont neuf dans la Seine.

Les gens disent que c’est fatigant d’être avec moi. J’aimerais insister sur le fait que je suis aussi fatigué d’être moi. 

 Je ne peux plus me battre tout seul contre cette dépression qui perdure. Donc, avant d’aller à l’examen d’allemand, j’ai pris rendez-vous pour une consultation au Centre d'accueil médico-psychologique universitaire de Strasbourg.  Le bâtiment se trouve à l’opposé du Patio, dans la direction de la médiathèque André Malraux.  À la réception se trouvait une vieille dame aux cheveux grisonnants. Elle portait des lunettes ressemblant à celles de Jean-Luc Mélenchon.
 Je lui ai dit que je souhaitais prendre rendez-vous avec un psychiatre et elle m’a répondu que le secrétariat était au fond, à gauche.  À côté d’un escalier, il y avait une affiche avec une flèche sur laquelle était écrit « Camus ». J’ai suivi la direction de cette flèche : elle indiquait une pièce dont la porte était ouverte. J’y suis entré d’un pas hésitant. Une vieille dame aux cheveux blancs siégeait là, telle une reine.  Je lui ai dit que je voulais prendre rendez-vous. Elle m’a demandé mon nom alors je lui ai montré ma carte d’étudiant. Finalement, j’ai  rendez-vous avec une psychiatre le 20 Novembre. J’essaye d’imaginer à quoi elle ressemble… Ressemble-t-elle à l'incarnation féminine d’Hannibal Lector ? Ou est-ce une jeune femme blonde et souriante comme on en voit dans les films hollywoodiens les plus ridicules ? La dernière fois que je suis allé chez le psychiatre, j’avais dix-huit ans. Mon médecin était un homme d’âge mûr, solide comme un athlète. Qu’est-ce que je pourrais lui dire ? Lui dirais-je en imitant Ivan dans ‘’Les frères Karamazov’’, « Madame, j’ai des visions. Je vois des gens morts dans les rues. » ? Lui dirais-je qu'un diable qui adore les pommes m'a donné un cahier qui permet de tuer les gens en y notant leurs  noms ? Plus simplement, je lui dirais sans doute que tout ce que je vois me blesse, que je ne veux plus vivre dans ce monde.
 En bref, je ne suis pas quelqu’un d’exigeant.  Je ne demande pas grand-chose.  Je ne demande pas de ressembler à la plupart des gens. Je ne demande qu’on me comprenne. Je ne demande pas qu’on m’encourage. Je me dis juste que, si cette douleur s’atténuait un peu, ce serait chouette. Ou est-ce déjà trop en demander?


J’avais ma propre théorie selon laquelle tous les professeurs d’allemand ont les cheveux blancs. L’année dernière, l’homme de nationalité suisse qui était mon professeur d’allemand avait déjà les cheveux blancs alors qu’il n’était même pas si vieux que ça. Ma professeure actuelle est une femme allemande et ses cheveux sont tout blancs. Les cheveux d’une autre professeure que j’ai vue étaient blancs aussi. Mais aujourd’hui, cette théorie a été infirmée. Dans l’amphithéâtre six, qui était la salle d’examen, parmi les professeurs, il y avait un homme que je n’ai jamais vu. L’une des professeures aux cheveux blancs nous a dit que c’était son collègue. Et hélas ! Ses cheveux étaient gris. Je voulais lui demander pourquoi ses cheveux n’étaient pas blancs, mais au final, sans rien dire, je me suis mis à écrire mon brouillon.

Kelly

 Le premier jour 

 Kelly m'a dit qu'elle m'attendait à côté de l'église. Toutefois lorsque j'y suis arrivé, je ne l'ai vue nulle part. Un vieil homme avec un chien est passé nonchalamment. Ensuite un autre vieil homme aux cheveux tout blancs et avec des lunettes de soleil est venu. Il a essayé d'ouvrir une porte de l'église. Mais la porte ne s'est pas ouverte. Tandis qu'il lisait longuement des affiches, je me suis approché d'une autre porte et j'ai essayé de l'ouvrir. Mais elle était évidemment fermée. Le vieil homme m'a regardé et m'a dit, « Elle est fermée.» et il est parti. 
 Je me suis assis sur un banc. Je me suis mis à lire Mademoiselle Nanakamado et sept adultes pitoyables. C'est un livre idéal quand on doit attendre une personne. 
 Après avoir lu quelques pages, j'ai levé la tête. Au loin, j'ai vu la silhouette d'une fille marcher vers moi en agitant ses cheveux blonds. Elle portait un léger vêtement noir sans manches (je dirais que c'est assez difficile de décrire un habit féminin). Elle m'a dit qu'elle était à l'autre église. Je me suis souvenu qu'il y avait deux églises mais celle devant laquelle je l'attendais était plus proche de son appartement d'Air bnb où elle passait la nuit. Elle m'a demandé si je connaissais ce système d'hébergement. Je n'en avais jamais profité moi-même mais je lui ai dit que c'était une application qui permettait à un individu de louer sa propre maison à un tiers comme un hôtel. Elle a acquiescé, Je lui ai demandé combien elle avait payé. Elle m'a répondu brièvement que c'était cinquante euros par nuit. Je trouvais cela cher. En parlant de ce genre de choses, nous sommes arrivés à cet appartement qui n'était qu’à cinq minutes de l'église. C'était un bâtiment bleu clair à trois étages. Elle a ouvert la porte d'entrée, nous sommes montés au troisième étage. Elle a eu du mal à ouvrir la porte de son studio, elle m'a expliqué qu'il y avait une astuce pour l'ouvrir. Contrairement à la porte qui fermait mal, l'intérieur était propre comme les exemplaires dans les catalogues d'Ikea. Je lui ai demandé si elle avait vu la propriétaire. Elle m'a dit qu'elle avait juste 
parlé avec elle en ligne, et qu'elle la trouvait sympathique. Elle m'a guidé dans l'appartement. Il y avait d'abord un salon avec une table de cuisine, une télé, deux petits sofas et un divin. Au mur étaient accrochés des dessins à motifs discrets comme la mer ou une prairie. Ces dessins qui avaient des traits abstraits m'ont rappelé le test de Rorschach. Dans l'étagère, j'ai reconnu quelques noms d'écrivains qui m'étaient familiers, John Irving, Suskind, Dumas, Kundera, mais les autres, je ne les connaissais pas. À côté du salon se trouvait une jolie cuisine qui n'avait même pas une tache sur le sol. Au fond se trouvaient deux chambres dont une était pour un invité. Apparemment la propriétaire dormait dans l'autre chambre. Juste avant cette chambre, il y avait des toilettes, un lavabo et une salle de bain. 
Dans la chambre de la propriétaire, sur une planche accrochée au mur, juste au-dessus du lit, étaient juxtaposés beaucoup de livres d'Amélie Nothomb. Sur le lit étaient pliées des robes d'été. Un ordinateur portable était aussi laissé là. Je lui ai demandé si ce ne serait pas un problème si un hôte le volait. Elle m'a dit que la propriétaire connait ceux qu'elle héberge. Elle avait raison. Mais je me suis demandé quand même si ce ne serait pas ennuyeux si des objets disparaissaient par hasard. Ou peut-être que je m’inquiète trop. 
Elle m’a servi des bouteilles de deux liqueurs différentes dont je ne me rappelle plus les noms. L’une était rose-jaune, l’autre était un cocktail de framboise. Nous avons longuement bavardé en buvant. J’étais éméché. Je ne me souviens plus de ce dont nous avons parlé. En tout cas, nous avons parlé de beaucoup de choses, de ses amies, de son impression sur Strasbourg. Je n’avais pas jeté un seul coup d’œil à ma montre, mais je savais qu’il était déjà assez tard. Au bout d’un moment, j’ai entendu un bruit étrange. Et une femme d’âge mûr et de grande taille est entrée. La propriétaire était de retour. 
 Kelly lui a dit que j’étais son ami. Je me suis demandé un instant si je n'allais pas être mis dehors, mais la propriétaire était quelqu’un de sympathique et d'accueillant. Elle a causé avec nous pendant un moment et elle est repartie en nous disant qu’elle allait à une soirée.  
 J’avais parlé d’un chat qui vivait dans ma résidence universitaire. Elle m’a dit qu’elle avait envie de le voir. Nous avons marché ensemble jusqu’à ma résidence qui n’était pas loin de l’appartement. La cour était déserte et nous étions seuls. J’ai immédiatement reconnu le chat dans le jardin. Je m’en suis approché et j’ai caressé sa tête mais il craignait visiblement la présence d’une étrangère. En me regardant le caresser, Kelly m’a dit que le chat boîtait, qu’il avait apparemment un problème respiratoire. De plus, l’une de ses oreilles était difforme. Je lui ai demandé s’il allait mourir jeune. Elle m’a répondu qu’elle n’en avait aucune idée. 
 Je ne voulais pas lui montrer ma chambre parce qu’elle est étroite et désordonnée comme une cage à lapins. Mais comme elle a insisté, je l’ai laissée entrer. Ma chambre me semblait encore plus minable après avoir passé un moment dans un joli appartement propre. Lorsque nous sommes sortis du bâtiment, elle a chuchoté à mon oreille que le chat était là. Je ne m’en étais pas rendu compte. Ce chat, qui ne bouge d’habitude pas du jardin s’était en effet déplacé à côté de l’escalier. En cachette, il nous avait suivis. Aussitôt que je m’en suis approché, il a roulé sur lui-même et m’a montré son ventre. Il m’a laissé caresser sa tête un moment, mais quand Kelly a essayé de le toucher, il a écarquillé les yeux et l’a dévisagée. Puis il s’est levé et il est parti. Kelly a renoncé à devenir son amie et nous avons quitté la résidence. Nous avons réalisé que le chat nous suivait des yeux. Kelly m’a dit que son regard avait l’air triste. Toutefois j’étais incapable de lire les sentiments du chat. Son regard ne nous a pas quittés comme nous nous éloignions. Elle a murmuré tristement, « Alors que tous les chats doivent aimer Kelly. ». Alors, il était l’exception.  
 Avant de rentrer à l’appartement, Kelly m’a demandé ce qu’il y avait au bout de la rue. Je lui ai dit qu’il n’y avait rien, qu’il y avait juste un restaurant et des coiffeurs, et qu’au-delà il y avait une station de tram. Comme elle m’a dit qu’elle voulait voir, je l’ai accompagnée. Au fur et à mesure que nous avancions, nous sentions de plus en plus un parfum apetissant qui venait du restaurant. La porte était ouverte. Une lumière orangée et chaleureuse coulait de là. Le brouhaha des clients s’élevait. Elle m’a proposé de déjeuner ici le lendemain et nous sommes repartis. En chemin, nous sommes allés à un restaurant de sushi, qui était ouvert jusqu’à vingt-trois heures. Kelly a choisi un bol de riz avec du saumon, j’ai pris du thon. Pendant que nous attendions, j’ai lu les avis des clients. Elle m’a demandé d’écrire quelque chose en japonais. Je lui ai dit que je n’avais rien à écrire. Elle m’a demandé d’écrire ce qu’elle allait me dire. Et elle a dit, « Oishi desu. Arigatô gozaimasu. (C’est bon. Merci beaucoup) ». Je lui ai répliqué que c’était bizarre d’écrire ‘’C’est bon’’ parce qu’on n’avait encore rien goûté mais en me regardant droit dans les yeux, elle a insisté pour que je l'écrive, comme un secrétaire. J’ai donc écrit en japonais. Elle a regardé ce que j’ai écrit et enfin, elle avait l’air contente. 
  Lorsque nous sommes rentrés à l’appartement, la propriétaire n’était pas là. À la table de cuisine, nous avons dîné ensemble. Par erreur, elle a mangé un petit peu de wasabi et a poussé un cri étrange comme quelqu’un qui s'est empoisonné. Comme nous avions laissé les fenêtres ouvertes, attirés par la lumière, quelques insectes s’étaient introduits dans la pièce. Ils bourdonnaient autour de la plus grande lampe. D’un air suppliant, Kelly m’a dit qu’elle ne supportait pas les insectes. Je lui ai dit que ces insectes ramperaient sur son visage pendant son sommeil. Elle a crié et m’a poussé. 

Le deuxième jour  

Le lendemain, nous nous sommes revus vers onze heures devant la même église. Cette fois, elle portait une légère chemise blanche. 
Nous sommes allés au restaurant d’hier mais il était fermé. Elle a cherché les heures d’ouverture sur Google et elle m’a dit qu’il ouvrirait le midi. Assis sur un banc devant la station du tram, nous avons passé le temps à causer. Cependant, alors que dix minutes s’étaient écoulées depuis midi, le restaurant n'était toujours pas ouvert. Elle a vérifié encore l’horaire et on a su qu’il était ouvert uniquement les samedis soirs. Je lui ai proposé de déjeuner au centre-ville de Strasbourg. Elle a acheté un ticket aller-retour et nous avons pris le tram. Ensuite nous sommes descendus à la station République et nous avons marché jusqu’à la Cathédrale de NotreDame. Devant un magasin de souvenirs, Kelly a tout à coup crié, « Un petit bonhomme de pain d’épice ! Un petit bonhomme de pain d’épice ! Oh, il est trop mignoooon ! ». Je l’ai ignorée. Elle a finalement choisi un porte-clé en forme de petit bonhomme de pain d’épice et l’a acheté. Kelly m’a demandé si je le trouvais mignon. Mais comme j’étais indifférent, je lui ai répondu honnêtement que je ne le trouvais pas particulièrement mignon. Kelly a boudé.  
 Nous nous sommes promenés et avons découvert un restaurant alsacien qui avait l’air sympathique. Dans les rues emplies de soleil où résonnait un accordéon, les gens semblaient être heureux. J’ai préféré déjeuner à l’intérieur parce que c’était sans doute plus calme que dehors. Nous nous sommes installés à une table et j’ai commandé une bière blanche et des saucissons accompagnés de frites. Kelly a choisi une flammekueche traditionnelle et un Monaco. Quelques instants plus tard, il a commencé à pleuvoir à l’extérieur. C’était une averse. Ces jours-ci, le temps était instable en Alsace. Des clients installés sur la terrasse se sont réfugiés à l’intérieur. Je n’ai pas laissé échapper l’occasion de me vanter. Je lui ai dit fièrement que j’avais eu raison d’avoir choisi l’intérieur. Kelly ne m’a pas contredit.  
 Le Monaco est une boisson rouge. Je n’en avais jamais bu, Kelly m’en a fait goûter. C'était sucré. Elle n’a pas pu finir sa flammekueche, je lui ai pris les deux derniers morceaux. Pour le dessert, nous avons 
commandé ‘’Nos torches aux marrons’’ mais ni elle ni moi ne savions ce que c’était. Un instant plus tard, de petites montagnes de crème de marrons accompagnées de meringues dans deux grands verres sont arrivées. Le dessert était bon. Kelly l’a fini d’un air ravi. Je lui ai fait remarquer qu’elle m’avait dit qu’elle n’avait plus faim. Elle m’a dit qu’il y avait toujours une place pour le dessert. C’est sans doute un organe que seules les filles possèdent.  
 Après le déjeuner, nous avons marché jusqu’au musée zoologique. L’intérieur du musée avait une odeur spécifique qui ressemblait à celle de sciure mélangée à un produit chimique. Avant nous, un couple âgé canadien achetait des tickets. J’ai su qu’ils étaient canadiens car ils l'ont dit à la femme de la réception. Le musée avait trois étages. Mais l’accès au dernier étage était interdit par une barricade.  
 Le premier animal naturalisé que l’on rencontre en entrant est un cœlacanthe. Ce poisson antique était éternisé dans un bassin rempli d’un liquide bleu. Dans cette lumière bleu azur, le cœlacanthe ressemblait plus à une œuvre de bijoutier qu’à un animal qui a jadis été vivant. Kelly l’observait d’un regard curieux comme un chasseur qui a rencontré une baleine au fin fond d’une forêt. 
 Dans la première salle, il y avait notamment des animaux terrestres tels que des loups, des ours, des chauves-souris, des mulots etc. Une illustration d’un dodo était accrochée en bas. Le dodo avait une si drôle de tête que j’ai eu du mal à croire qu’un tel animal avait jadis existé. 
   Cette pièce était liée à un passage qui était séparé par deux vitrines. À gauche régnaient des animaux marins, à droite étaient enfermés des animaux tels qu’un tigre, une panthère etc. J’ai été effrayé de l’immensité de l’éléphant de mer. Il était noirâtre et énorme comme un cuirassé. J’ai demandé à Kelly ce qu’elle ferait si elle devait passer une nuit dans ce musée.  
« Imagine, par exemple, tu oublies quelque chose ici. Et vers le soir, tu reviens récupérer ton objet perdu. Une vieille dame allait fermer le musée, mais tu lui expliques et elle te laisse rechercher gentiment. Finalement, tu retrouves ton truc mais quand tu essayes de sortir, tu te rends compte que la grande porte de bois est fermée à clef. La dame n’est plus là. Les lampes s'éteignent une par une.  
 Et peut-être que dans ce musée, il y a de temps en temps des visiteurs qui disparaissent. En réalité, ils sont enfermés dans la peau d’animaux morts…, lui ai-je dit. 
- Écris une histoire sur ça. », m’a-t-elle dit sèchement.  
 Nous sommes montés au premier étage. Passé la pièce où il y avait une immense tortue empaillée et un crocodile, nous sommes entrés dans une vaste salle dans laquelle étaient juxtaposées beaucoup de vitrines. Toutes ces vitrines étaient remplies de petits oiseaux naturalisés. Derrière nous un gardien du musée, un jeune garçon, qui avait peut-être encore l’âge d’un lycéen nous surveillait en gardant une certaine distance. Nous pouvions voir une sortie obscure au fond de cette pièce. 
 Cette pièce sombre était consacrée au fondateur du musée, Jean Hermann. À l’intérieur, son bureau était reproduit. Dans la lueur faible, seul ce bureau était illuminé comme un élément de la journée qui apparaît dans la nuit. Monsieur Hermann examinait une éprouvette de bonne humeur. Nous nous sommes assis sur un canapé, nous avons bavardé tranquillement dans la pénombre. Kelly m’a dit qu’elle avait peur des poupées en regardant le mannequin de Hermann, qui était si réel qu’il me semblait même être vivant. J’ai espéré que ce mannequin n'était pas Monsieur Hermann empaillé. Lorsque nous sortions, derrière Kelly, j’ai dit, « Oh, putain ! Ses yeux bougent et il te regarde ! ». Elle a fait la grimace et m’a dit d’un air sérieux, « Arrête ! Ça me fait vraiment peur. » Nous avons également essayé de déchiffrer un manuscrit de Hermann datant de son 
époque. J’ai pu lire, ‘’Strasbourg’’. Le musée était un drôle d’endroit, j’ai senti que si j’y restais trop longtemps, je ferais même partie de cette collection. 
 Après être sortis du musée, je lui ai montré mon université qui était juste en face. Elle était étonnée de l’immensité du campus et elle a pris quelques photos. 
 Comme Kelly m’a dit qu’elle avait soif, on est ensuite allé à Simply d’Esplanade et on a acheté deux bouteilles d’eau pétillante. Nous avons lu ensemble les avis des clients. En les lisant, j’ai appris que le monde était bourré de cinglés. Kelly a sorti un stylo de son sac et elle a écrit dessus, « Bonjour, magasin très grand. Pourquoi vous vendez des poulpes ? C’est ma famille ♡ » Personnellement, je ne pense pas qu’ils arrêteront de vendre des poulpes mais comme elle avait l’air satisfaite, je me taisais. 
 Nous avons pris le tram à la station Esplanade. Peut-être qu’elle était fatiguée, maintenant Kelly regardait la fenêtre tranquillement.  
 Dans son appartement, nous avons passé le temps à regarder des vidéos sur Youtube. En fin de compte, la propriétaire est rentrée. Nous avons causé tous les trois. Je suis rentré chez moi vers vingt-etune heure et demie. Je me souviens que le ciel était étrange. Des nuages pourpres enflammaient le ciel bleu clair de la soirée. Kelly m’a accompagné à la porte et m’a dit, « Rentre bien. Envoie-moi un message dès que tu arrives chez toi. » 

Le dernier jour  

 Le dernier jour, vers dix heures et demi, j’ai reçu un message de Kelly qui me demandait de descendre. Je me suis brossé les dents, je me suis changé et je suis descendu. J’ai vu que le chat se frottait contre Kelly, maintenant ils s’entendaient bien. Elle portait des lunettes de soleil. Ce jour-là, nous avons décidé d’aller au parc de l’Orangerie que 
Kelly me disait toujours qu’elle avait envie de visiter. Mais avant, nous avons longé le Rhin et nous nous sommes promenés aux alentours.  
 Après avoir traversé un pont, nous avons rencontré des chèvres noires et des coqs qui étaient dans une petite ferme. Une chèvre s’est approchée de nous et elle a regardé attentivement nos visages. Elle était visiblement habituée aux gens. Peut-être qu’il y avait des gens qui leur donnaient à manger. Après lui avoir dit au revoir, nous avons marché jusqu’au parc de l’Orangerie. 
 Le parc était vaste et il y avait divers animaux. Contrairement aux animaux qu’on avait vus au musée zoologique, ils étaient tous vivants. Des cigognes claquaient leurs becs. Kelly a entendu pour la première fois leurs cris, elle était étonnée de son étrangeté. Nous avons vu des mulots, des lynx, de petits serpents et des perroquets. Devant la cage de tortues, Kelly a mis de la crème sur ses petites mains ridées et dure à cause de sa maladie. Pendant que je la regardais en mettre dessus, elle m’a demandé si je voulais en mettre aussi. Mes mains n’étaient pas séchées mais j’en ai étalé dessus. 
 Vers midi, nous avons cherché un restaurant mais comme c’était dimanche, la plupart des magasins étaient fermés. En flânant dans le parc, nous en avons trouvé un. Les tables étaient préparées mais le resto était désert. Kelly a demandé à un serveur s’il était ouvert. Il lui a dit que nous pouvions nous mettre à table. Elle a fait une expression sérieuse comme un philosophe et elle a beaucoup réfléchi sur le menu. Une serveuse brunâtre est venue prendre une commande mais Kelly n’avait pas encore décidé. Un moment plus tard, une autre serveuse est venue. J’ai commandé une bière blonde et une Fleichnaka (pourtant je ne savais pas ce que c’était.) Kelly a finalement choisi une salade de chèvre et une Monaco.  
 La Fleichnaka est un plat de viande dont le goût ressemble à celui de saucissons accompagnés de légumes. Kelly était contente de sa 
salade et du pain avec du fromage de chèvre. En effet, ce restaurant était meilleur que je ne l’espérais.  
 Après le déjeuner, nous avons quitté le parc et nous avons longé le Rhin. En chemin, j’ai pris un caillou et je l’ai jeté dans la rivière. Kelly en a aussi pris un et l’a jeté. Le mien a atterri plus loin. 
 Dans l’appartement, la propriétaire n’était pas là. Il semblait qu’elle sortait tous les jours. Si j’avais un appartement aussi chouette, je n’en sortirais pas. 

 L’heure de la séparation approchait. Kelly a fermé sa valise de force, elle a vérifié dans toutes les pièces si elle n’avait rien oublié. Nous nous sommes mis à la table de cuisine où nous avions dîné ensemble le premier soir, en attendant l’heure du départ. 
 Au bout d’un moment, nous sommes partis. Kelly a appelé un taxi d’Uber sur l’application. Nous avons marché jusqu’à la grande rue pour que le chauffeur puisse la trouver facilement. Au coin de la rue, nous avons bavardé un certain moment. Environ dix minutes plus tard, une Mercedes couleur argent est arrivée.  
« Au revoir, lui ai-je dit. 
- Toi, rentre bien. », m’a-t-elle dit avant de monter dans la voiture. 
  Je ne pouvais pas voir ses yeux parce qu’ils étaient cachés sous les lunettes de soleil. J’ai pensé que c’était injuste. Alors que je m’étais mis à marcher, la Mercedes m’a tout de suite dépassé et est partie au loin. 
  Chez moi, le parfum de sa crème hydratante m’a rappelé le moment où elle marchait vers moi en l’attendant devant l’église.  

Outrage

 J’apprécie le latin malgré sa difficulté. Je comprends que l’âme de cette langue est profondément ancrée dans l’esprit du français et de la France. Je pense aussi que l’Europe d’aujourd’hui n’aurait pas existé sans la grandeur de l’Empire romain. Toutefois, parmi les langues étrangères que j’apprends, le français, l’anglais, l’allemand, c’est certain que le latin est le plus difficile. Il y a trop de déclinaisons et il y a six cas tandis que l’allemand n’en a que quatre. J’ai lu autrefois que Ludwik Zamenhof pensait ressusciter le latin comme langue vivante et internationale, mais qu’il l’a trouvé trop compliqué, et que c’est la raison pour laquelle il a eu l’idée d’inventer l’espéranto.
 La parole est née avant l’écriture. Une langue est donc d’abord parlée, et quand ce n'est plus, comme le latin, la langue maternelle de personne, c’est encore plus difficile de trouver une motivation. Si j'apprends le latin, c'est parce qu'il se peut qu'un Romain se perde à cette époque comme dans la BD de ''Thermae Romae''.

 Le manuel de latin sur la table, j’ai regardé ‘’Outrage’’. Avant de voir ‘’Sonatine’’, pour moi, mon image de Takeshi Kitano était avant tout un humoriste. Quand j’étais petit, ce cinéaste qui a soixante-dix ans aujourd’hui, faisait des bêtises devant l’écran et faisait rire tout le monde. Quand j’ai vu ‘’Sonatine’’, j’ai été étonné que ce Takeshi Kitano, comique et humoriste, ait tourné un film si artistique, voire même choquant. La majorité de ses films ont pour thème les yakuza, mais il a tourné aussi un film historique comme ‘’Zatôichi’’ et une comédie ‘’L’été de Kikujirô’’. Mon film préféré de Takeshi Kitano, ‘’Kids Return’’ est l’histoire de deux lycéens dont l’un devient yakuza et l’auteur devient boxeur amateur. La fin de ce film est si raffinée qu’on ne saurait l’oublier après l’avoir vue.
Contrairement à Akira Kurosawa, qui tournait des films divertissants au début de sa carrière, et qui a développé ses talents artistiques au fil du temps, j’ai l’impression que Takeshi Kitano s’approche de plus en plus du divertissement. Par rapport à ses autres films ‘’Violent Cop’’, ‘’HANA-BI’’, ‘’Outrage’’ est plus violent, plus facile à comprendre et il y a plus d’action.

Dans ce film, il y a beaucoup de scènes sanglantes. C'est surtout la scène qui se passe chez le dentiste que je ne supporte pas. Après avoir regardé cette scène, personne ne pourrait y aller. Je me suis brossé les dents trente minutes aujourd'hui. On pourrait peut-être utiliser cette scène pour apprendre aux enfants que soigner les dents est important. Vers la fin du film, la manière de mourir d'un autre Yakuza m'a vraiment choqué. Je pense que la durée de ma vie vient d'être diminuée de trois minutes. Après avoir vu le film, j’ai remercié Dieu de faire que je vive dans un monde paisible, même si ma vie est vide.

Le café-débat

 Deux chats vivent dans ma résidence. L’un est gris et gros. Un jour, une fille que je ne connais pas m’a dit qu’il s’appelle ‘’Patience’’ et qu’il est vieux. On devine effectivement qu’il a longtemps vécu. Son regard est philosophique, il marche lentement d’un pas assuré. Il connait bien le monde où il vit. Plus rien ne l’étonne. En revanche, il est bien difficile de communiquer avec ce chat obèse que j’appelle secrètement Totoro. Il roule et entrouvre les yeux d’un air content lorsque je caresse son ventre flasque et sa gorge, toutefois il ne manifeste pas d’intérêt sur moi. L’autre est petit. Pendant l’été, comme je n’ai pas d’ami humain, j’ai joué avec lui tous les jours. Je ne connais pas son nom. Je l’appelle simplement ‘’neko’’, ce qui veut dire ‘’chat’’ en japonais. (À propos, l’auteur de ‘’Je suis un chat’’, Sôseki Natsume appelait aussi son chat ‘’neko’’. Son chat n’avait donc pas de nom. Est-ce pour cela que ce roman commence par l’introduction célèbre « Je suis un chat. Je n’ai pas de nom » ?) J’ai entendu dire que c’est une femelle, mais je ne sais pas. Son oreille gauche est difforme. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé. Il aura été maltraité par quelqu’un comme Johnny Walker dans ‘’Kafka sur le rivage’’, ou bien il aura été attaqué par d’autres animaux lorsqu’il était plus jeune. Il boîte également, de plus, il est très craintif. C’est certain que quelque chose de pas très agréable lui est arrivé. Contrairement au gros chat gris, qui est en quelque sorte indifférent, le petit chat est sensible et difficile. Mais une fois apprivoisé, c’est ce petit chat qui est le plus câlin et affectueux. Maintenant, lorsqu’il m’aperçoit, il se met sur mes genoux et lèche ma main, et frotte sa tête contre moi.
 Quand j’ai le temps, j’observe ces deux chats. Je sais que ces deux chats ne sont pas amis. Par exemple, avant-hier, le matin quand je me dirigeais vers l’arrêt de bus, j’ai vu le petit chat assis sur le chemin. Quelques instants, plus tard, le gros chat est venu vers lui et le petit s’est très vite enfui. Hier, tandis que je caressais le petit chat dormant sur mes genoux, le gros chat est apparu soudainement. Il s’est approché de nous et a miaulé. J’imagine qu’il a dit « Hé, qu’est-ce que vous faites là ? ». Et il s’est frotté contre moi puis s’est assis à côté de nous. Le petit chat regardait son occiput. J’ai aussi d’autres exemples mais en bref, j’ai conclu que ces deux chats ne sont pas ennemis mais qu’ils ne sont pas amis non plus. Leur relation est beaucoup plus subtile. On a l’impression que les chats sont nonchalants, qu’ils mangent quand ils veulent et qu’ils dorment quand ils veulent mais en réalité, la société des chats a aussi ses règles et elle est compliquée.
J’ai dit que l’oreille gauche du petit est difforme. Mais je suis sûr qu’elle fonctionne bien car elle réagit toujours à un bruit de pas, ou de voiture.

 Aujourd’hui, j’ai participé au café-débats de ma résidence. Parce qu’avant mon voisin m’avait dit que c’était bien. D’ailleurs, j’ai pensé que ce serait une bonne occasion de pratiquer le français. Cette fois le thème était ‘’la dépression’’. Et il se trouve que je suis l’incarnation même de la dépression. Si vous demandez à quelque passant dans la rue la définition de la dépression, il vous répondra forcément : « C’est Tatsuya. C’est clair. Il est la meilleure dépression au monde. Je le prends toujours quand je suis malade. » J’ai arrêté de réviser mon latin et j’y suis allé. Finalement, je regrette de devoir dire que j’ai perdu trois heures. Les participants étaient tous sympathiques mais j’ai appris que je ne suis vraiment pas fait pour le débat. Déjà, je n’arrive pas parler avec une seule personne, alors comment pourrais-je parler en public ? De plus, quelques cons qui ne comprenaient pas exactement le sujet divaguaient. Finalement, l’un des conseils pour surmonter la dépression était ‘’parler à des amis’’. Certains ne savent donc pas qu’il y a des gens qui n’ont aucun ami au monde. Mon existence était ignorée. D'ailleurs, même si je leur parle de ma dépression, c'est sûr qu'ils me diront tous la même chose : « Sors ! Sois actif ! Je suis là pour toi ! » Une fois j'ai parlé de ma dépression à une amie, elle m'a dit ''J'en ai marre de ta dépression. Ne m’en parle plus." Alors que je me sentais plutôt bien aujourd’hui, ce débat m’a déprimé. J’ai chuté aux enfers. Je ne pense pas que j’y vienne une deuxième fois. De toute façon, le sujet de la semaine prochaine ‘’La statue de la femme dans la société’’ ne m’intéresse pas du tout. J’imagine que des féministes y participeront tout sourire.

Cependant, j’ai remarqué que l’animateur qui n’animait pas vraiment venait sans doute de la même planète que moi. J’ai eu envie d’hocher la tête mille fois jusqu’à ce qu’elle tombe lorsqu’il a dit que la dépression n’était pas forcément un sentiment de tristesse, que c’était plutôt un sentiment de vide, qu’il n’avait pas d’ami et qu’il trouvait que ne parler à personne était quelque chose de normal pour lui. Son regard semblait quelque peu triste et son expression était un peu figée. Ai-je aussi ce regard ? Dites-moi, pourrais-je sourire comme tout le monde ?

dimanche 22 octobre 2017

''Re:Re:'' Asian Kung-fu Generation



Je t’attendais
J’attendais
Pendant que les journées s'écoulaient sans fin
Je me suis arrêté et j’ai regardé derrière moi
Nous avons déploré que cette journée soit sans fin

J'ai compris que mes souvenirs ne seraient pas éternels
J'étais tellement tourmenté que j'ai pleuré dans un coin de mon cœur

Je t'ai suppliée de ne pas oublier
Ce jour-là, sous l’autoroute, j'ai manqué l'occasion de te dire que je regrette, ces jours qui venaient de s'écouler

Par moment nous étions liés l'un à l'autre
Nous avons apporté nos sentiments qu'on ne peut dénouer, c’était tout ce que j’avais
Mais maintenant je l’ai perdu

J'ai finalement accepté que les choses changent de formes au fil du temps
Ce temps même qui m'a plongé en plein tourments me conduisant dans une impasse

Je t'ai suppliée de ne pas perdre
Ce jour-là, sous l’autoroute, j'ai manqué l'occasion de te dire que je regrette, ces jours qui venaient de s'écouler

Je t’attendais
J’attendais
Pendant que les journées s'écoulaient sans fin
Une nouvelle fois, j'étais dans la tourmente, me laissant des cicatrices que je ne pourrai oublier
Sans toi……

vendredi 20 octobre 2017

La constellation

 Je me suis souvenu que ma correspondante, Pauline, est une jeune professeure d’allemand. Je lui ai donc demandé si elle n’a jamais sommeil quand elle donne un cours le matin. Voici, sa réponse.

‘’Et pour répondre à ta question, pendant le cours je ne suis jamais fatiguée. En fait, quand tu es dans le rôle du prof tu es forcé de faire attention à tout, du coup tu en oublies ta fatigue. Par contre, avant de faire rentrer mes élèves j'ai bien bâillé :D ’’

 Je m’ennuyais pendant le cours du matin. Deux filles et un garçon faisaient ensemble un exposé. J’ai regardé par la fenêtre en espérant de trouver un OVNI ou un homme qui vole avec beaucoup de ballons mais il n’y avait rien d’intéressant. Il n’y avait même pas un avion. Juste une tour grise en béton aussi ennuyeuse que le cours (Ah ! Qu’est-ce que je dis !) s’élevait sans grâce. J’ai fixé un regard intense sur la fille qui était au centre pour lui faire la pression. Mais ça n’a servi à rien car elle n’a jamais levé les yeux de son manuscrit. J'espérais secrètement qu'elle paniquerait et divaguerait, les cheveux en désordre comme une folle, mais il ne s'est rien passé.

 J’ai finalement inventé une constellation originale qui s’appelle « Homme pervers qui enlève de jolis garçons et les conduit dans sa cabane au fin fond d’une forêt où ils mènent une vie communautaire dans un libertinage total ». Une belle nuit d’été sans aucun nuage. Je vous conseille de lever la tête. Voici, Andromède, ici Cassiopée. Et là où il y a des étoiles qui scintillent le plus fort, c’est l’Homme pervers qui enlève de jolis garçons et les entraîne dans sa cabane au fin fond d’une forêt où ils mènent une vie communautaire dans un libertinage total.