samedi 31 mars 2018

''Numéro zéro'' Umberto Eco



 C’était le dernier roman de l’écrivain et historien italien Umberto Eco et le premier que j’aie lu de lui.

 Le titre ‘’Numéro zéro’’ désigne la ‘’maquette’’ d’un journal avant sa parution officielle. À la demande d’un magnat mystérieux, plusieurs personnes, les ‘’perdants’’ selon le terme employé dans le livre, sont réunies pour créer un nouveau journal ‘’Domani’’(demain). Les principaux personnages sont les suivants : le rédacteur en chef, Simei. L’écrivain raté, ancien traducteur d’allemand, Colonna, qui est aussi le narrateur de ce livre. Maia, une jeune femme de 28 ans, ‘’presque licenciée en lettres’’ que l’on soupçonne d’être ‘’autiste’’. Braggadocio, un excentrique obsédé par la théorie du complot selon laquelle ce n'est pas Mussolini qui été fusillé en 1945, mais son sosie, et le Duce s’est enfui quelque part, peut-être en Argentine.

 Ce n’est pas un livre ennuyeux, il est plutôt intéressant. Déjà l’intrigue est palpitante avec des personnages excentriques comme Simei, Maia, Braggadocio. J’ai beaucoup aimé l’humour de l’auteur et plusieurs passages m’ont fait sourire. Cependant j’ai personnellement eu l’impression que l’histoire n’est pas assez exploitée. Beaucoup de parties sont consacrées aux théories du complot que raconte Braggadocio, de telle sorte que cela donne l’impression qu’il s’agit d'une encyclopédie des idées complotistes.

 Certes, j'ai bien aimé ce roman, mais c'était un peu comme un menu sans plat de résistance. L'apéritif était bon, l'entrée était excellente, et tandis que j'attendais le plat de résistance, le dîner a pris fin. Je ne peux m’empêcher de penser que j’aurais dû commencer par « Le Nom de la rose » ou « Le Cimetière de Prague ».

''Le Répondeur téléphonique'' Haruki Murakami


 Il n'y a rien que je déteste plus que les répondeurs téléphoniques. Quand j’ai appris que ma mère avait installé un répondeur téléphonique, je suis allée chez elle pour me plaindre. Ça m’a pris plus d’une heure en changeant plusieurs fois de train. Mais comme je n’en pouvais vraiment plus, j’ai pensé m’y rendre et lui en faire le reproche directement.

 Quand j’ai sonné à la porte de l’appartement de ma mère qui se trouve au deuxième étage de « Hana-koganai Blue Sky », elle n’était pas là. Ayant son apparence, un répondeur téléphonique a ouvert la porte.

 « Bonjour, vous êtes bien chez Toriyama, 66 94 79 84. Je suis absente pour l’instant. Laissez un message après la sonnerie, s’il vous plaît », a dit le répondeur téléphonique. Ensuite j’ai entendu une jolie sonnerie.
« C’est pas vrai, maman ! Je hais les répondeurs téléphoniques ! D’ailleurs, ils sont arrogants et ignorent ce qu’on leur dit, n’est-ce pas ? Je n’ai aucune envie de laisser un message sur une chose pareille ! », ai-je crié en colère.

 Cependant, plus je le regardais, plus je trouvais que ce répondeur téléphonique ressemblait à ma mère. De la manière de prendre de l’âge aux fines rides au coin des yeux, tout lui ressemblait. Et j’ai un peu regretté de lui avoir parlé sur ce ton.
« Hum, je n’ai personnellement pas l’intention de vous critiquer, ai-je dit en baissant le ton. Mais, je n’aime pas trop les répondeurs téléphoniques. Je ne voulais pas vous blesser. J’ai dit tout ça juste pour ma mère. »

 Le répondeur téléphonique en forme de mère a dit en secouant tranquillement la tête.
« Ne vous en faites pas, Kyôko. Vous n’avez pas besoin de vous inquiéter. Nous ne sommes que des répondeurs téléphoniques. Quoi qu’on pense de nous, quoi qu’on nous dise, nous n’y pouvons rien.
- Ça me gêne que vous me parliez comme ça », ai-je dit.
J’ai eu l’impression d'harceler une belle-mère qui s’est remariée.
« À propos, vous êtes venue jusqu’ici. Ça vous dit d'entrer et de prendre le thé ? J’ai aussi des yôkans* de Toraya que l’on m’a offerts. Mangeons-les ensemble, a dit le répondeur téléphonique.
- Bonne idée », ai-je dit. À vrai dire, j’ai un faible pour les yôkan de Toraya.

*Yôkan (une pâtisserie japonaise sucrée faite d'une pâte de haricot rouge)

Le préjugé


 Il y a quelques jours, ma correspondante Pauline m’a dit qu’une vieille dame inconnue lui a demandé si elle était étudiante en lettres. Cet incident a étonné cette jeune prof de français. Je lui ai dit qu’il était facile de deviner qu’elle est en lettres si elle portait des lunettes et avait des livres dans les bras. Elle m’a dit qu’effectivement elle porte des lunettes et qu’elle avait des livres à ce moment-là. Dans ce cas, il n’y a rien d’étonnant à ce que la vieille dame ait deviné sa faculté.

 En observant les gens à l’université, j’ai aussi constaté que les étudiants ont une aura assez différente selon leur faculté. Cette règle générale ne marche pas toujours, mais par exemple, les étudiants en lettres dont je fais moi-même partie sont comme suit :

 Les étudiants en lettres portent souvent des lunettes. Trop de livres dont la lecture leur est imposée les rend myopes. Beaucoup d’entre eux deviendront professeurs de collège ou de lycée plus tard. On ne peut vivre l'adolescence qu'une seule fois dans la vie, mais si on est prof, on est obligé d'affronter des enfants en pleine crise d'adolescence tous les jours, durant des années. Le collège surtout est un zoo d'êtres qui ne sont pas encore devenus des hommes. Cette pensée les déprime. S'occuper des pingouins du zoo semble plus amusant que de s'occuper des ados.

 La plupart des étudiants en LLCE ou LEA japonais sont fans des animé. Comme en lettres, il y a plus de filles que de garçons, et j’ai remarqué que les filles attachent souvent une sorte de petites peluches farfelues à leurs sacs. Peut-être est-ce une marque secrète qui montre qu'elles sont en japonais. Il se peut qu'un bon nombre d'entre elles se déguisent en personnages d'animés, ce que l'on appelle le "cosplay". Cette coutume importée d'une nation du bout du monde les rend heureuses mais fait pleurer leurs parents. Les étudiants en japonais sont aussi déprimés car aucun cours n'est consacré à Pokémon, et il y a trop de kanjis à apprendre par cœur.

 Les étudiants en chionis sont communistes. Ils ont tous un petit portrait de Mao dans leurs portefeuilles. Ils sont encore plus déprimés que les étudiants en japonais, car simplement ils ont beaucoup plus de kanji à apprendre par cœur.

 Les étudiants en histoire sont obligés de tourner la tête vers le passé. Ainsi, ils se rappellent fréquemment de mauvais souvenirs du passé qu'ils voudraient oublier. Certains commencent à montrer des signe de TSPT et ils sont déprimés.

 Une fois, j’ai visité la faculté de mathématique par curiosité. Contrairement aux lettres, il y avait beaucoup de garçons et très peu de filles. On dirait un peu des personnages sortis de Big Ban Theory. Par rapport aux étudiants des facultés que j'ai mentionnées ci-dessus, ils avaient l'air heureux.

 Mon esclave Ophélie que j’ai récemment affranchie, et qui est retournée dans sa patrie, était étudiante en marketing. Elle m’avait dit que la plupart de ses camarades étaient des Chinois et des Indiens et qu'elle n'avait aucun ami dans la classe (j'ai pensé ''mais tu n'as pas d'ami français non plus'', mais je ne lui ai rien dit). Ce sont donc des Chinois et des Indiens.

 Mais ce ne sont que des préjugés. Comme Pauline me l’a dit : « L’apparence peut être trompeuse ». Il se peut qu’une fille angélique et souriante qui s’approche d’une autre fille solitaire cherche à la manipuler et à détruire la vie de la victime. Il se peut que votre ami affable avec qui vous partagez de temps en temps le dîner soit un meurtrier cannibale. Il se peut aussi que beaucoup d’histoires d’aventures se déroulent dans la tête de votre voisin muet qui a l'air triste. .


jeudi 29 mars 2018

''Lune de miel avec la croquette'' Haruki Murakami



 J’avais un chat mâle couleur de croquette que j’avais donc nommé ‘’croquette’’. Évidemment, chaque que je le voyais, j’avais envie de manger des croquettes et c’était gênant. Mais les croquettes sont un plat que l’on ne peut pas détester. Moi, j’aime ça. Il n’y a pas de méchant parmi les amateurs de croquettes – je n’irai pas jusque-là, mais on ne peut pas battre une personne qui est en train de manger nonchalamment des croquettes à table. Mais cela ne veut pas dire que l’on peut l’attaquer si elle mange de la viande grillée. (C’est normal).

 Mon épouse n’aime pas faire de la friture. Je n’ai pas le souvenir qu’elle m’ait servi des croquettes ou des tempuras depuis notre mariage. Si je voulais manger des croquettes chez moi, je devrais donc en acheter quelque part ou sinon en faire moi-même. Comme je ne détestais pas cuisiner, de temps en temps, il m’arrivait de préparer des croquettes.

 J’achetais des pommes de terre, je les faisais bouillir et les écrasais. Ensuite, je les mélangeais avec de la viande et j’en faisais des pâtons. Après les avoir enrobés de chapelure, j’enveloppais chacun des pâtons dans un film-plastique et je les congelais. Et quand j’avais envie d’en manger, j’en sortais autant que je voulais; je les laissais dégeler, puis je les faisais frire. Comme je ne voulais pas préparer souvent des pâtons, une fois, j’en ai fait pour les six mois à venir et je les ai mis dans le congélateur. C’était possible car, pour une certaine raison, j’avais alors un énorme réfrigérateur à usage professionnel. Ainsi, les croquettes et moi avons entretenu une relation innocente et satisfaisante pendant longtemps.

 Mais le désastre vous guette comme une voiture-piège sur la route d’Odawara-Atsugi. Un jour, le réfrigérateur est tout à coup tombé en panne. Je pense que c’était quelque chose comme une fuite de gaz. Il y avait du courant, mais le frigo ne fonctionnait plus du tout. Par conséquent, les pâtons que j’avais fait congeler s’amollissaient de plus en plus et s'abîmaient à vue d'œil comme Ophélie mourante. De plus, c’était le weekend et personne ne pouvait venir le réparer. Comme je ne pouvais rien y faire, j’ai finalement décidé de faire frire des croquettes, et d'en manger autant que je pourrais. C’est donc ce que j’ai fait. J’ai mangé des croquettes pendant deux jours. C’était pénible. À cause de cet incident, je n’ai vraiment plus voulu voir une seule croquette pendant quelques années. J’ai même rêvé que j’étais entouré par une bande de croquettes méchantes et qu’elles m’attaquaient à coups de poing et de pied. Cependant, le temps a passé. Ce souvenir malheureux s’est effacé petit à petit. Enfin, j’ai pu me réconcilier avec les croquettes. Je n’ai plus la force de préparer des pâtons et de les congeler (la seule pensée de la panne du frigo me donne mal au cœur), mais j’achète parfois des croquettes à la boucherie d’une rue marchande. Ensuite, j’achète du pain en tranches à la boulangerie voisine, je vais au parc, et je mets une croquette entre deux tranches de pain que je mange sans arrière-pensée. Il y a de nombreux restaurants dans le monde, mais y a-t-il l’équivalent du plaisir de dévorer du "pain à croquette chaude", assis sur un banc dans un parc, un bel après-midi d’automne ? Non, il n’y en a pas (antiphase). Au fait, j’ai l’impression de parler très souvent de nourriture dans ce livre.

Tisser un livre


 Mes camarades et moi cherchions une salle vide pour interviewer une éditrice sur Skype. Au début, nous pensions utiliser une salle de cours vide, mais nous avons vite découvert que les salles qui n’étaient pas utilisées étaient toutes fermées à clé. « Peut-être qu’il y a une amphi vide », a dit un garçon. « On pourra faire l’interview ici, non ? », a dit une fille en indiquant du doigt le bas de l’escalier. En effet, à ce moment-là il n’y avait personne aux alentours, mais il se pouvait qu’une foule d’étudiants descendent l'escalier tout à l’heure, et ce n’était donc pas un endroit très adéquat pour l’interview. Au bout d’un instant, nous nous sommes remis à errer dans le long couloir de la fac. Puis je me suis arrêté. « Il y a la bibliothèque de japonais », ai-je murmuré. La bibliothèque de japonais ressemble plutôt à un bureau qu’à une vraie bibliothèque, et normalement, il n’y a personne le mercredi sauf la bibliothécaire, car cette salle est censée être fermée ce jour-là, sauf que je sais qu’elle ouvre en secret. Les autres ne connaissaient pas l’existence de cette bibliothèque. Moi non plus, je ne connaissais pas cet endroit secret auparavant. Nous avons pris l’escalier jusqu’au quatrième étage. Je suis entré le premier dans la bibliothèque. J’ai salué la bibliothécaire, une jeune fille que je connais un peu, et ma camarade lui a demandé si nous pouvions faire l’interview dans cette salle. La bibliothécaire a gentiment accepté, elle a débarrassé une petite table pour nous. Comme je l’avais prévu, il n’y avait personne à part elle, et il régnait un silence parfait.

 L’éditrice nous a dit beaucoup de choses intéressantes que je ne peux malheureusement pas écrire ici. Le métier de l’édition est vraiment attirant pour une personne comme moi qui veut mener une vie entourée de livres. De plus, j’ai appris qu’un livre n’est pas le fruit du travail de son seul auteur, mais de beaucoup de personnes qui participent à sa création (éditeur, traducteur, illustrateur, correcteurs, communicants etc.)

 Et pour la première fois, j'ai eu l'impression de contribuer à ce travail d’équipe, même si ce n’était pas grand-chose.

mercredi 28 mars 2018

L'achromatopsie


 Aujourd’hui, j’ai dû me rendre au SUMPS (service universitaire de médecine préventive et de promotion de la santé). J’ai dit à la réceptionniste que j’étais convoqué. Elle m’a demandé d’attendre dans la salle d’attente. Dans la salle d’attente, j’ai trouvé un panier rempli de sachets de thé instantané. J’en ai pris quelques-uns. J’ai vu de petits caractères imprimés dessus disant : « Ce préservatif est offert par…… ». Sans lire jusqu’au bout, j’ai remis les faux sachets de thé dans le panier.

 J’étais tout seul dans la salle d’attente et je n’avais rien à faire. J’ai contemplé l’anatomie de l’oreille en attendant qu’une infirmière m’appelle. La structure de l’oreille était compliquée ; elle ressemblait à un phonographe ou à une grotte à stalactites. Il y avait quelque chose qui était semblable à un escargot au fond. J’ai appris pour la première fois que chaque être humain avait un escargot dans la tête. À cette occasion, j’ai essayé de retenir les noms de chaque composant de l’oreille. ‘’Pavillon’’, ‘’Marteau’’, ‘’Fenêtre ovale’’, ‘’Trompe d’eustache’’ etc.

 L’infirmière ne m’appelait toujours pas. Je me suis assis sur un banc et j'ai commencé à lire une bande dessinée qui était posée sur la table. J’ai oublié le titre. C’était l’histoire d’un couple. La fille était humaine, mais l’homme était un crocodile vert qui marchait sur deux jambes. En se promenant dans la rue, une fille aux cheveux courts marchait devant le couple. L’homme-crocodile a dit à sa copine que les cheveux courts lui allaient sans doute bien. Ils sont ensuite entrés chez un coiffeur pour faire couper les cheveux longs de la fille. Après la coupe, cette fois une femme aux cheveux longs marchait devant le couple. L’homme-crocodile a dit à sa copine qu’elle était mieux avec les cheveux longs. Cette BD m’a amusé. C’était bien plus tard que je me suis rendu compte que c’était une BD féministe pour représenter le harcèlement sexuel que subissent les femmes dans la vie quotidienne.

 Au bout de plusieurs minutes, une femme souriante entre deux âges est venue vers moi. Elle n’était pas vêtue de blanc de telle sorte qu’elle n’avait pas l’air d’une infirmière, mais c'en était une. Dans son bureau, elle m’a demandé si je comprenais bien le français. « Je ne comprends pas un mot de français », ai-je dit. Elle a vu que je comprenais bien cette langue. Puis elle m’a posé beaucoup de questions sur ma santé et m’a demandé si je trouvais les prix des sushis en France corrects.
« Je suis en bonne santé ‘’physiquement’’ », ai-je dit. (Même si je déprime souvent moralement), n’ai-je pas dit.
« J’aime bien certains profs », ai-je dit. (Mais j’en déteste d’autres), n’ai-je pas dit.

 Ensuite, j’ai subi un examen de la vue et d’achromatopsie. Elle m’a dit que ce test de l’achromatopsie a été créé par un Japonais.  « Vous voyez, il n’y a pas que les mangas et les jouets pour adultes au pays du soleil levant », n’ai-je pas dit. En ce qui concerne la question sur le prix des sushis en France, j’ai exprimé mon avis personnel selon lequel il était déraisonnablement élevé, bien qu’il n’y ait souvent que du saumon et des crevettes. Mais heureusement, il y a d’autres choses en France. Mon poids qu’indiquait le pèse-personne prouve la richesse de la gastronomie française.

 Puis, je me suis fait mesurer. Ma taille était exactement comme avant, un mètre soixante-quatre. Mais quand on me demande ma taille, je dis toujours un mètre soixante-six.

 Elle m’a ensuite demandé si j’étais marié et si j’avais des enfants. « Bien sûr que non », ai-je dit. Cette question m’a déprimé. Je n’ai jamais eu de copine ; de plus, la plupart de mes amis sont des chats. Puis elle m’a demandé si j’avais eu des rapports sexuels. Cette question m’a encore déprimé. J’ai pensé à me suicider sur place en me coupant la langue. Finalement, elle m’a expliqué aussi ce que les services SUMPS offrent, et m'a dit que les étudiants de ma fac peuvent subir gratuitement un examen de dépistage des maladies sexuelles. J’ai acquiescé en pensant que je n’en aurais jamais besoin de ma vie.

 Après la visite médicale, je suis allé en cours. J’étais largement en retard et lorsque j’ai ouvert la porte, le professeur m’a dit : « Vous êtes arrivé presque à la fin ». Je me suis excusé pour mon retard, puis je me suis dit in petto en imitant ‘’La Prise d’Orange’’ : « Nos vaillants Français disent ‘’Mieux vaut tard que jamais’’ ». Je me suis assis sur la table. Notre preux professeur expliquait l’évolution graphique du mot ‘’peüst’’ qui est devenu ‘’pût’’ en français moderne. Le cours s’est terminé cinq minutes plus tard, et je n’ai pas pu prendre de notes.

Le commentaire composé de l’avis d’un client laissé au supermarché

 « Pendant combien de temps faudra-t-il s'échiner à ouvrir ses plastiques pour fruits ? Dur, dur ! » - un client anonyme

Contextualisation : il s’agit de l’avis d’un client laissé au supermarché Simply de l’Esplanade, si bien que l’on peut considérer que c'est une oeuvre de non-fiction basée sur une expérience vécue par l’auteur. Je lis régulièrement les avis des clients, peut-être plus fréquemment que les employés de ce supermarché. Cet avis n’était pas affiché la semaine dernière à moins que je ne me trompe, de telle sorte qu’on peut supposer qu’il a été écrit il y a moins d'une semaine.

Caractérisation : ce court texte est composé de deux phrases. La première est écrite à la forme interrogative, ce qui suscite la réflexion du lecteur. La dernière partie se compose de la répétition d’un même mot syntaxiquement isolé sans sujet ni verbe ni complément : « Dur, dur ! ».

Problématique : de quelle manière l’auteur de cette œuvre vise-t-il à émouvoir les employés de ce supermarché ?

Développement : la première phrase commence par « Pendant combien temps ». Avant cette phrase, aucune information n’est donnée au lecteur. Cet incipit permet d’attirer facilement l’attention du lecteur, puisque l’on ne sait pas de quoi il est question dans ce texte. À ce moment-là, le lecteur commence inconsciemment à imaginer à quoi sont associé les mots « Pendant combien de temps ». Quelle phrase suivra-t-elle ? « Pendant combien de temps dois-je attendre mon amant ? » « Pendant combien de temps dois-je attendre mon colis d'Amazon ? ». Curieux, le lecteur a immédiatement envie de lire la suite, et il découvre : « (…) faudra-t-il s’échiner à ouvrir ses plastiques pour fruits ? ». Ici apparaît le verbe que l’on peut considérer comme assez fort et vulgaire ‘’s’échiner’’. Verbe transitif, ‘’échiner’’ signifie « Casser l’échine, les reins de quelqu’un » ou « Meurtrir, tuer ». Pronominal, ce verbe signifie « Se donner beaucoup de peine, s’éreinter ». Dans le choix de mot, on peut déceler une certaine agressivité et indignation de l’auteur. En même temps, le lecteur doit éprouver de la compassion pour cette personne qui a été contrainte d’employer un terme si violent pour exprimer sa souffrance. Puis on découvre les mots ‘’à ouvrir ses plastiques pour fruits ? », c'est alors que se dévoile enfin le véritable sens d'une œuvre si brève.

 On comprend que l’auteur souffre de ne pas pouvoir ouvrir facilement les plastiques pour fruits. La brièveté de la phase permet d'imaginer la longue lutte d'une personne contre les plastiques pour fruits. On ne sait rien sur l'auteur de ce poème. On ne sait pas si c’est une femme ou un homme, on ignore son âge, s’il a des enfants, s’il est riche ou pauvre, ce qui permet au lecteur de s’identifier au protagoniste. Ce manque volontaire d’information conduit à nous demander : « Peut-être que la personne qui pleure de ne pas pouvoir ouvrir un plastique, alors que des fruits sont là, sous cette membrane si fine et si transparente, ce sera nous demain ».

 Ce poème sentimental s’achève par la répétition d’un même mot : « Dur, dur ! ». La répétition de ce mot renforce son sens, en y ajoutant un effet rythmique comme le refrain d’une chanson. Ce mot dénué de sujet et de verbe concentre toute l’émotion de l’auteur. Par exemple, dire « Dur, dur ! » donne une impression plus puissante que de dire « Ouvrir un plastique pour fruits est dur ». On voit également la stratégie et l’habileté de l’auteur qui joue sur la polysémie du mot ‘’dur’’. Ce mot ‘’dur’’ renvoie à la fois à la difficulté d’ouvrir un plastique et à la dureté de cette même matière.

Conclusion : ainsi, on voit que l'auteur de ce poème a intentionnellement choisi une forme courte afin de mettre en relief son effet émotionnel. En employant diverses rhétoriques, il tente d’émouvoir les employés du supermarché, en souhaitant que les plastiques pour fruits soient facilement ouvrables. Toutefois on ignore si quelqu'un à part moi a lu son SOS.

mardi 27 mars 2018

''Un mensonge rouge'' Haruki Murakami



 Je ne suis pas très fort pour mentir. Mais je ne déteste pas dire des mensonges. C’est une façon de dire étrange, mais ‘’je n’aime pas dire de graves mensonges, en revanche j’aime inventer des choses anodines’’.

 Il y a longtemps, un magazine mensuel m’a demandé d’écrire la revue d’un livre. Je suis écrivain mais pas critique, écrire une revue n’est donc pas trop mon genre d’ordinaire, mais à ce moment-là, j’ai accepté cette proposition pour des raisons particulières. Je me suis dit qu’écrire une revue ordinaire n’était pas intéressant ; j’ai donc décidé d’inventer un livre fictif et de rédiger avec détail sa revue. La biographie d’une personne qui n’existe pas, par exemple. C’était très amusant à écrire. Il fallait en effet faire travailler le cerveau pour en inventer, mais de cette façon on pouvait s'abstenir de lire un livre. En plus, comme ça, il n’arrivait jamais qu’un auteur qu’on aurait abordé ait de la rancune et pense : « Ce salaud, comment il a osé écrire une chose pareille ! »

 Lorsque j’ai écrit cette fausse revue, je croyais que quelqu’un m’enverrait plus tard une plainte disant : « Arrêtez avec ce mensonge ridicule », ou une demande telle que « Où pourrai-je me procurer ce livre ? », mais finalement j’étais un peu déçu de n’avoir rien reçu et en même temps j’étais quand même soulagé. Après tout, j’ai l’impression que personne ne lit sérieusement les revues d’un magazine mensuel. Qu’en pensez-vous ?

 D’ailleurs, quand j’étais jeune et effronté, je parlais de temps en temps en l’air durant les interviews. Quand on me demandait quel livre je lisais, je répondais par exemple : « Hum, récemment je lis des romans de l’ère Meiji. Les écrivains peu connus qui ont participé au premier mouvement de la modernisation de la langue sont mes préférés. Je trouve que les œuvres des écrivains tels que Shôgo Mutaguchi ou Gohei Osaka sont encore intéressantes à notre époque ».
 Évidemment, aucun de ces deux écrivains n’existe. C’est ma pure invention. Mais personne ne la devinait. Je suis plutôt fort pour dire ce genre de mensonge. Du moins, je n’y éprouve aucune difficulté.

 En japonais il y a l’expression ‘’mensonge rouge’’ qui veut dire ‘’gros mensonge’’. Savez-vous pourquoi un mensonge est rouge ? Au Japon, durant l’ère Nara, il existait le châtiment cruel d’asphyxier une personne qui a trompé le monde avec des mensonges malintentionnés en mettant dans sa bouche douze gâteaux de riz rouges – c’est un mensonge. Je me demandais toujours pourquoi un mensonge est rouge et je voulais chercher son étymon, mais j’étais toujours occupé cette décennie (c’est aussi un mensonge) et je n’ai finalement pas pu faire des recherches.

 En anglais on dit ‘’white lie’’. Ce mot désigne ‘’mensonge innocent, protocolaire’’ (c’est une vérité). Un mensonge blanc, littéralement. Les miens sont plus proches de cela. Je pense au moins qu’ils sont anodins. C’est horrible de forcer quelqu’un à manger à la fois douze gâteaux de riz rouges, quand même.

lundi 26 mars 2018

''Sunset Park'' Paul Auster



 Je suis passé devant une librairie. Un livre épais comme un annuaire téléphonique était exposé dans la vitrine. La couverture était la photo d’une foule qui avait l’air ancienne, sur laquelle était imprimé le titre « 4321 ». C’était le dernier roman de Paul Auster. J’ai été étonné qu’il ait écrit un livre aussi épais, et j’ai admiré la couverture un certain moment. Que signifie « 4321 » ? Cela ne semble pas être une date. Le numéro d’un appartement ? Ou s’agit-il d’un code confidentiel ? On le saurait facilement si on cherchait sur Internet, mais pour le moment, je préfère faire durer le plaisir de connaître ce secret jusqu’au jour où je lirai ce livre.

 Puis je me suis souvenu que l’été dernier, une fille aux longues jambes m’avait donné un livre d’Auster. Je ne l’avais pas oublié, mais comme je connaissais déjà le style de cet écrivain, je préférais en découvrir d’autres. J’ai cherché ce livre ‘’Sunset Park’’ et je me suis mis à lire petit à petit.

 C’était il y a environ deux semaines. Hier, je l’ai lu jusqu’à quatre heures du matin et je l’ai enfin terminé. Après avoir lu ‘’Invisible’’, j’étais un peu déçu car cette œuvre ressemblait plus ou moins à ses autres livres. Mais en lisant ‘’Sunset Park’’, j’ai reconnu que l’auteur a réussi à exploiter son univers. À ma connaissance, celui-ci ne ressemble pas à aucune de ses œuvres antérieures.

 C’est l’histoire de plusieurs jeunes qui squattent un appartement abandonné à Sunset Park. Le personnage central est un homme de vingt-huit ans, Miles. Un jour il rencontre une lycéenne qui lit ‘’Great Gatsby’’ assise sur un banc, et ils tombent immédiatement amoureux. Cependant, les circonstances ne leur permettent pas de vivre ensemble, et Miles est obligé de déménager de Floride à New York en laissant sa petite amie. C’est ainsi qu’il se joint aux autres squatteurs de l’appartement. On pourrait dire que Miles est le héros de ce roman, mais en réalité les chapitres après son déménagement sont consacrés à des personnages différents (les autres squatteurs, le père et la mère adoptive de Miles et sa mère naturelle qui est une actrice célèbre).

 La chose qui m’a bien étonné, c’est qu’il s’agit d’un roman sur plusieurs types d'amours. Il fut un temps où j’étais addict de Paul Auster, et que je sache, ce n'est pas un thème que cet écrivain exploite d’ordinaire. De plus, les genres d'amour abordés dans ce roman sont atypiques. Déjà, Miles et sa petite amie lycéenne ont une différence d’âge considérable, ce qui pose certains problèmes dans le récit. Une de ses colocataires, Ellen, a entretenu une relation sexuelle avec un garçon de seize ans quand elle en avait vingt. Elle est finalement tombée enceinte mais sans pouvoir le lui dire, elle a été obligée de le quitter. Un autre colocataire Bing est amoureux de Miles depuis le lycée, mais il sait qu'il a une petite amie et évidemment, il n’arrive pas lui avouer son amour homosexuel.

 Ce n’est peut-être pas le meilleur roman d’Auster, mais je l’ai beaucoup aimé. J’avais l’impression que ce roman allait avoir une fin heureuse jusqu’à ce que je lise le dernier chapitre. Comment ce roman se termine-t-il ? Vous n’avez qu’à le lire.

dimanche 25 mars 2018

Le tracé d'un réfrigérateur


 J’ai dessiné aujourd’hui le tracé d’un réfrigérateur, c’est-à-dire, j’ai fait un commentaire composé d’un livre pour un cours.

 J’ai décomposé toutes les phrases du passage que je devais commenter ; je les ai juxtaposées, comparées, puis j’ai poussé un soupir.

 Ensuite, j’ai analysé le fonctionnement de leurs composants. En faisant attention à ne pas me tromper, j’ai essayé de décrire le résultat de mes analyses de la manière la plus précise possible. À un moment donné, je me suis rendu compte que j’avais perdu une certaine pièce. Je l’ai cherchée dans une pile de livres sur la table. J’ai aussi regardé dans mon sac. Cependant elle ne se trouvait nulle part. Tant pis.

 Quand j’ai eu fini de démonter complètement le frigo, c'était déjà le soir. Mon samedi s'est ainsi passé à examiner le fonctionnement de la machine.

 Honnêtement, je me sens un peu vide quand j’écris une dissertation ou un commentaire composé. Je ne vois personnellement aucun intérêt à décomposer un passage d’un livre et à l’analyser. C’est comme décortiquer un crabe et jeter sa chair à la poubelle après l’avoir longuement contemplée et discuté sur la forme de ses filaments. En revanche, je m’intéresse beaucoup aux avis individuels sur les romans. J’aimerais interroger quelqu’un sur ses impressions à la lecture d'un livre. J’aimerais savoir s’il l’a trouvé magnifique, bouleversant, médiocre ou répugnant, si ce livre avait un rapport avec sa vie intime. Mais insérer un avis personnel est considéré comme tabou dans le monde académique. La lecture me passionne depuis l’enfance, mais je sens que je ne suis pas fait pour être académicien ou critique.

samedi 24 mars 2018

Le nô et la lune


 J’ai assisté aujourd’hui à une pièce de nô à l’Atrium de mon université. Cette représentation de nô fait partie de la liste des conférences sur Yukio Mishima. Avant-hier, pendant le colloque j’avais eu l’occasion de discuter un peu avec ce célèbre acteur de nô, détenteur du titre du patrimoine culturel immatériel du Japon, Monsieur Reijirô Tsumura. C’était un homme âgé très sympathique et dynamique. Comme d’habitude, j’étais un peu tendu et je n’ai pas beaucoup parlé.

 J’avais regardé une pièce de nô au collège. Le nô était trop difficile à comprendre pour un garçon de quatorze ans qui aimait les Beatles et je me rappelle que je me suis vite endormi. Plusieurs années plus tard, je suis devenu adulte et je me retrouve en France par un curieux hasard. Honnêtement j’avais un peu peur de m’ennuyer, mais la représentation de nô était au contraire intéressante. La pièce était une création originale basée sur ‘’Hôjôki’’ de Kamo no Chômei qui a été écrit en 1212. En changeant plusieurs fois de costume et de masque, l’acteur a représenté cinq catastrophes (la tornade, la guerre, le tremblement de terre, la famine) qui avaient lieu à l’époque de Chômei, en faisant référence au tremblement de terre qui a dévasté Fukushima il y a sept ans.

 Comme dit l'expression, ‘’Le phare n’éclaire pas son pied’’, j’ignorais beaucoup de la culture japonaise traditionnelle. Curieusement, je n’aurais sans doute jamais eu l’occasion d’admirer une pièce de nô si je n’étais pas venu en France.

 Dans le tram désert, j’ai ouvert au hasard une page de ‘’1Q84’’ que j'ai finalement oublié de rendre à la bibliothèque de japonais. Dans le livre, Tengo lisait à haute voix un extrait de ‘’La ferme africaine’’ à une infirmière. Je ne connaissais ni ce livre ni l’auteur. Tengo explique ainsi dans le passage : « Karen Bilxen était danoise. Elle s’est mariée avec un noble suédois, et le couple est parti en Afrique pour exploiter une ferme, juste avant le début de la Première Guerre mondiale. Après son divorce, elle a repris seule le domaine agricole. C’est ce qu’elle raconte dans ce livre ».

 Avec l’infirmière, je me suis aussi plongé dans le paysage africain lu par Tengo. De temps en temps, l’annonce du tram (‘’Observatoire…’’, ‘’Parc du Contades…’’, ‘’Le droit de l’homme’’…) m’a ramené dans le monde réel.

 Sur le quai du tram, j’ai inconsciemment levé la tête. La lune était belle ce soir et il n’y en avait qu’une.

''Penny Lane'' The Beatles (和訳)



ペニー・レーンには
お客の頭の写真を飾っている床屋がある
ここを通る人はみんな立ち止まって
「ハロー」と言う

曲がり角には銀行家が住んでいて、車がとまっている
小さな子供たちが彼のことを笑っている
この人は土砂降りでも絶対にレインコートを着ない
変なの

ペニー・レーンは僕の耳と目の中
この街の青空の下
少し一休み

ペニー・レーンには砂時計を持った消防士もいる
ポケットにはいつも女王陛下の写真
この人は消防車の手入れを決して欠かさない
だからいつもピカピカだ

ぺ二・レーンは僕の目と耳の中
フィッシュタルトとフィンガーパイでいっぱいの夏
少し一休み

シェルターの後ろ、
ロータリーの真ん中で、
かわいい看護師がポピーの花をトレイにのせて売っている
看護師は自分が舞台の上にいるような気がしている
そんな感じに見える

その頃床屋は別の客の髭を剃っている
さっきの銀行員が自分の番を待っている
雨宿りしようと消防士がかけこんでくる
変なの

ペニー・レーンは僕の耳と目の中
この街の青空の下
少し一休み

ペニー・レーンは僕の耳と目の中
一面に広がる青い空、
それがペニー・レーン

Penny Lane there is a barber showing photographs
Of every head he's had the pleasure to know
And all the people that come and go
Stop and say "Hello"

On the corner is a banker with a motorcar,
And little children laugh at him behind his back
And the banker never wears a mac
In the pouring rain, very strange

Penny Lane is in my ears and in my eyes
There beneath the blue suburban skies
I sit, and meanwhile back

In Penny Lane there is a fireman with an hourglass,
And in his pocket is a portrait of the Queen
He likes to keep his fire engine clean,
It's a clean machine

Penny Lane is in my ears and in my eyes
A four of fish and finger pies
In summer. Meanwhile back

Behind the shelter in the middle of the roundabout
The pretty nurse is selling poppies from a tray
And though she feels as if she's in a play,
She is anyway

In Penny Lane the barber shaves another customer,
We see the banker sitting waiting for a trim,
And then the fireman rushes in
From the pouring rain - very strange

Penny Lane is in my ears and in my eyes
There beneath the blue suburban skies
I sit, and meanwhile back

Penny Lane is in my ears and in my eyes
There beneath the blue suburban skies
Penny Lane!

vendredi 23 mars 2018

Mishima et Dazai


 En ce moment, je suis éveillé. Depuis quelques jours, je suis sorti de ma torpeur dépressive et je suis exalté sans raison. J’ai envie de dire bonjour et d’embrasser toutes les personnes que je croise dans la rue comme on le chante dans « Aux Champs-Elysées ». Si vous voyiez un fou jaune qui disait bonjour à n'importe qui à ‘’la Petite France’’, ce serait sûrement moi.

 Comme un cycle de conférences sur Yukio Mishima est organisé à Strasbourg, aujourd’hui j’aimerais raconter quelques anecdotes sur cet écrivain.

 Quand Yukio Mishima était jeune, il a assisté à une réunion des amis d’Osamu Dazai. Dazai en personne était présent. Et le jeune Mishima lui a dit en face : « Moi, je n’aime pas du tout vos romans ». Dazai lui a répondu : « Mais tu es venu. Alors, tu aimes quand mêmes mes livres, n’est-ce pas ? ».

 Cet épisode est raconté dans un essai autobiographique de Mishima (« Watashi no henreki jidai »). Il semble qu’il ne soit pas traduit en français.

 Mishima semblait détester profondément Osamu Dazai. Dans une interview, il explique que cette répugnance vient du rapport entre l’écrivain et ses œuvres. En le comparant à Goethe, il dit que dans « Les souffrances du jeune Werther », Werther s’est suicidé, sauvant ainsi l’auteur, tandis que Dazai s’est suicidé sans que son âme soit sauvée. Selon lui, qu’une œuvre littéraire incite au suicide ne fait pas problème car ''la littérature n'est pas un remède'', mais si l’auteur n’est pas sauvé, écrire ne présente aucun intérêt.

 Osamu Dazai était un écrivain talentueux, mais comme le dit Mishima, il avait bon nombre de problèmes. Il a tenté de se suicider trois fois avec ses maîtresses, mais chaque fois il a survécu et seules ces femmes sont mortes. La quatrième fois, il a tenté de se noyer avec une autre femme dans une rivière, et il a enfin réussi. Il avait trente-huit ans. En ce qui concerne la raison de son suicide, il s’exprime ainsi dans son testament : « Je meurs car je suis las d’écrire des romans. Les êtres humains sont tous ignobles et rapaces. Monsieur Ibuse est une mauvaise personne ».

 Avant de devenir romancier, le héros littéraire d’Osamu Dazai était Ryûnosuke Akutagawa. Au Japon, il existe un prix littéraire prestigieux qui porte son nom, le prix Akutagawa. Dazai rêvait d’en être le lauréat. Toutefois, il a été rejeté par le président du jury, Yasunari Kawabata sous prétexte que sa personnalité avait quelque chose de maladif. L’un des romans les plus célèbres de Dazai, « Cours, Mélos ! » commence par la phrase suivante : « Mélos fut pris de rage. Il résolut d’éliminer le roi cruel et violent ». Exactement comme Mélos, Dazai fut pris de rage, il résolut d’éliminer le cruel et violent Yasunari Kawabata. Il écrit dans un texte intitulé « À Yasunari Kawabata » : « Je m’enflammai de colère. Je passai plusieurs nuits sans pouvoir dormir. S’occuper d’un oiseau et contempler une danseuse, est-ce une vie si noble ? Je dois le poignarder, me dis-je. C’est un scélérat incroyable, pensai-je. »
 Ironiquement, ce texte justifie la décision de Kawabata. Dazai était déséquilibré et ne méritait pas le prix Akutagawa.

 Mishima n’était pas un pleurnicheur comme Dazai. Au contraire, il se comportait de manière virile, macho et même sexiste. Cependant, en fait de ‘’personnalité maladive’’, je pense qu’il y a quelque chose de commun entre Mishima et Dazai. Mishima était, lui aussi, obsédé par la mort ; il l’associait même à la sexualité comme on le voit dans « La Confession d’un masque ». Il a aussi adapté sa nouvelle « Yūkoku ou Rites d'amour et de mort » au cinéma. Dans ce film, il y a une scène où Mishima en uniforme se suicide en s’ouvrant le ventre avec une épée, ce qui fait penser exactement à sa mort qui a eu lieu plus tard à la base militaire d’Ichigaya. Ce n’est qu’un avis personnel, mais certaines de ses œuvres donnent l’impression qu’elles ne sont qu’une préparation à une mort héroïque. À vrai dire, c’est l'une des raisons pour lesquelles ses œuvres m’intéressent moins que celles d’autres écrivains japonais tels que Haruki Murakami ou Sôseki Natsume, malgré leur valeur littéraire incontestable.

 Cependant, Mishima semblait sentir aussi qu’il avait quelque chose de commun avec Dazai. Dans la même interview, il continue ainsi : « Je pense quand même qu’il y a des points similaires entre nous. Par exemple, il arrive entre amis que celui qui nous ressemble nous irrite sans raison, et que celui avec qui on s’entend bien a souvent un tempérament très différent. Peut-être est-ce la raison pour laquelle je le déteste. Si j’admirais ses œuvres, il se pourrait que je devienne comme lui. Cette idée m’effraie et j’ai ressenti le besoin de mettre de la distance entre nous ».

 En janvier 2018, on a découvert la cassette d’une interview de Yukio Mishima inédite à la chaîne de télévision TBS. Personne ne connaissait l’existence de cette cassette. Cette interview a été enregistrée neuf mois avant le suicide de Mishima, en février 1970, pendant qu’il travaillait à la création de « La Mer de la fertilité ». À son traducteur anglais John Bester, il avoue avec volubilité et aisance les défauts de ses œuvres et ses vues sur la vie et la mort.


jeudi 22 mars 2018

Le colloque de Yukio Mishima


 Aujourd’hui je suis allé au colloque de Yukio Mishima qui a eu lieu au palais universitaire. C’était l’ouverture du colloque, et de plus, l’auteur de la thèse que j’ai traduite avec un ami allait y faire une communication. Quand le tour de cette conférencière est venu, je l'ai écoutée en lisant notre traduction qui était distribuée dans la salle. Elle avait déjà dû être vérifiée par des professeurs du département de japonais, mais j’étais inquiet car je craignais d'avoir fait des erreurs.

 Pendant la pause, nous avons parlé avec cette professeure de la littérature japonaise classique. C’était quelqu’un de très courtois et gentil. Elle nous a offert deux boîtes de chocolat. Elle m’a dit que ce colloque serait publié comme un livre. Puisque je ne suis qu’un traducteur, mon nom ne paraîtra peut-être nulle part. Toutefois, c’est la première fois qu’une traduction que j’ai effectuée est adaptée en livre. Je m’étais demandé si une personne comme moi sans expérience était vraiment apte à traduire une thèse d’une professeure de l’université, mais en tous cas c’était une expérience enrichissante.

 Le problème, c’est que je n'ai pas trouvé le temps de lui demander mon salaire. Comment m’en sortirai-je ? La main sur le ventre, lui dirai-je : « Ah, j’ai faim. Je n’ai rien mangé depuis trois jours » ?


mercredi 21 mars 2018

Le français : la concrétisation de la pensée


 J’aime écrire en français. J’aime également traduire, mais toujours du japonais en français. J’admets que je fais toujours beaucoup d’erreurs en français, car j’ai commencé à l’apprendre assez tardivement, et de plus, la différence du système linguistique de ces deux langues ne m’a jamais été facile à surmonter.

 Quand j’essaie de m’exprimer en japonais, j’ai l’impression que ma pensée fuit, puis disparaît, tandis qu’en français, je sens que j’arrive à concrétiser des idées abstraites. On n’en finirait jamais si on énumérait les différences entre le japonais et le français, mais ce qui me vient d’abord à l’esprit, c’est que le français est plus logique et analytique que ma langue maternelle dont l’esthétique repose sur l’ambiguïté. Cela va peut-être de soi pour les natifs, mais je suis sensible à l’espace entre les mots en français. En japonais, tous les caractères sont attachés les uns aux autres, si bien que lorsque je m’exprime dans cette langue, je sens que j’allonge un seul son en le transformant de diverses manières. Toutefois, quand j’écris en français, j’ai l’impression de composer une symphonie. Mon image de la langue française est une tour construite de multiples éléments, et le japonais est le courant d’un fleuve.

 De ce point de vue, le fait que la France a engendré de nombreux philosophes me semble logique, car au moins pour moi c’est une langue qui peut donner corps aux concepts métaphysiques. Parfois je suis étonné qu’un ouvrage philosophique qui est difficilement compréhensible en japonais soit si clair en français.

 En même temps, je dois avouer que je suis complexé de ne pas maîtriser suffisamment le français. Si je le disais, mes connaissances françaises qui apprennent le japonais me diraient ce dont je suis fatigué d’entendre : « Oh, il ne faut pas dire ça. Tu parles super bien français ». Je ne suis pas perfectionniste, mais simplement la note de certaines des dissertations que j’ai faites à l’université prouve que je ne maîtrise pas encore parfaitement cette langue. Je suis personnellement conscient qu’il y a des limites à ce que je peux maîtriser en ce qui concerne la syntaxe. Un jour Pauline m’a fait un compliment en disant : « Tu as un style ». Peut-être, ou pas. Mais ce qui est clair, c’est que je cherche une harmonie en jouant sur un clavier au nombre de touches limité.

 Comme ma langue maternelle n’est pas le français, mais que j’ai envie d’écrire en français, je me rends compte que mon regard est inconsciemment attiré par des écrivains qui se trouvent dans la même situation, c’est-à-dire, dont la langue maternelle n’est pas le français, mais qui écrivent dans cette langue.

 Le plus célèbre est sans doute Samuel Beckett. Il est d’origine irlandaise, mais après la deuxième guerre mondiale, il s’est mis à écrire en français. Il est donc passé de l’anglais au français.

 Aki Shimazaki est une écrivaine d’origine japonaise qui vit à Montréal. Elle a émigré au Canada à l’âge adulte, puis elle a commencé à écrire des histoires en français.

 Ensuite, l’une de mes romancières préférées et qui m’a beaucoup intéressé, l’écrivaine d’origine hongroise qui a vécu en Suisse, Agota Kristof. Elle a quitté sa patrie à l’époque de l’insurrection de Budapest. Il semble qu’elle avait toujours le mal du pays même après avoir vécu longtemps en Suisse. Elle a également dit qu’elle avait toujours besoin d'un dictionnaire pour vérifier la conjugaison des verbes. Cette sorte de ‘’maladresse’’ donne un effet particulier à l’univers de ses romans. Toutefois, son manque d'aisance en français n’a pas amoindri la valeur littéraire de son œuvre la plus connue, la trilogie des jumeaux, « Le Grand Cahier ».

 Milan Kundera est un écrivain d’origine tchèque qui s’est réfugié en France, et qui s’est mis à écrire en français.

 Le philosophe Emil Cioran est d’origine roumaine. Il qualifie le français de langue « d’une clarté inhumaine ».

 Le lauréat du prix Nobel littérature 2008, Le Clézio est un cas différent, car il est bilingue anglais et français. Mais lui aussi, il a choisi le français comme sa langue.

 Ce sont des auteurs qui écrivent en français, mais il y a évidemment d’autres écrivains qui ont écrit dans une langue étrangère tels que Kafka, Nabokov, Conrad etc.

 Quand j’étais en première année, il y avait un cours consacré à la francophonie. J’aurais peut-être dû l’écouter plus attentivement. Si je poursuivais mes études jusqu’au master, j’aimerais bien écrire une thèse sur ce sujet.

mardi 20 mars 2018

''Le suicide du chat'' Haruki Murakami



 « Suicides : histoire, techniques et bizarreries de la mort volontaire » du journaliste français, Martin Monestier est un livre très intéressant. Dans cet ouvrage, énormément de faits sur le suicide en tout temps et en tout lieu sont réunis. En le lisant, on admire, on soupire et on réfléchit profondément, et un chapitre est consacré au suicide des animaux. Oui, à l’instar de l’être humain, il semble que certains animaux se suicident.

 Le chat du directeur d’une école française de Rome a complètement été rejeté par la chatte d’un ambassadeur français et il a sauté du balcon du palais Farnese. On ne sait pas s’il était désespéré, mais les assistants témoignent : « Cette façon de mourir n’était rien d’autre qu’un suicide ». C’est juste mon imagination, mais la chatte de l’ambassadeur français, Catherine (pseudonyme) était peut-être très belle et orgueilleuse. Il se pouvait qu’elle ne portait qu’un collier Prada. Et le mâle, Tama (pseudonyme) lui a avoué son amour avec courage, mais elle lui a dit froidement : « Eh ? Es-tu amoureux de moi ? Tu es idiot ou quoi ? Pense un peu à ta condition, hein? Je ne serai jamais avec toi même des millions d’années plus tard. Hum », puis le mâle a été désespéré. En tous cas, c’est une histoire courante dans le monde des êtres humains.

 Par ailleurs, il y a un chat qui s’est suicidé en se noyant dans la mer. Une chatte qu’avait un pêcheur était vieille et s’était blessé sa patte. Son caractère devenait de plus en plus opiniâtre. Un jour, la chatte a donné ses chatons qu’elle venait de mettre au monde au pêcheur comme si elle lui disait : « Occupez-vous-en, s’il vous plaît », et elle a couru vers la mer sans aucune hésitation, puis elle a été emportée par les vagues. Le pêcheur qui aimait profondément cette chatte – selon le livre : « C’était une chatte avec un caractère plus ou moins étrange » – a été très étonné. Il a couru après l’animal et lui aussi, il a sauté dans l'eau et a secouru la chatte qui se noyait. Ensuite, il a essuyé son corps et l’a couchée sur un endroit ensoleillé. Mais au moment où le pêcheur est parti, la chatte a tenté de se suicider de la même façon, et cette  fois elle y a réussi. On voit qu’elle s’était vraiment résolue.

 Il est tout de même difficile de juger par ces courts textes du livre, si ces chats s’étaient vraiment décidés à se suicider et avaient volontairement choisi la mort. Mais il me semble presque évident que ces chats avaient en quelque sorte ‘’perdu l’espoir de vivre’’ à un moment donné. J’imagine qu’il y a des difficultés dans la vie des chats aussi, qu’il leur arrive de penser vaguement : « Ah, que la vie est dure. J’en ai marre de travailler tout le temps comme ça ». Par conséquent, il se peut qu’ils s’abandonnent au désespoir et qu’ils perdent la raison (comme on dit ‘’craquer’’) et que certains sautent du balcon sans réfléchir. Et donc, n'oubliez pas de surveiller votre chat !


La décomposition d'un réfrigérateur


 Comme je suis en lettres, je suis souvent obligé de disserter sur des œuvres littéraires. Quand j'écris une dissertation, j’ai l’impression de décomposer un réfrigérateur. Je dois démonter le frigo pour montrer le fonctionnement de chaque composant. Celui-ci est le moteur. Celui-ci est le condenseur, ceci est l’évaporateur. Mais comme je ne suis pas très intelligent, de temps en temps, il y a des composants dont je n’arrive pas à comprendre l'utilité. Dans ce cas, j’essaie de ne pas regarder ces composants bizarres et incompréhensibles et d’expliquer comment cette machine entretient la fraîcheur de la nourriture en gardant la température basse.
 Mais ce qui me passionne vraiment, ce n'est pas la décomposition d’un réfrigérateur. Je préfère plutôt goûter ce qu’il y a dedans. Parfois on peut découvrir de la nourriture délicieuse, parfois insipide ou mauvaise, et dans le pire des cas, pourrie, car la lecture, c'est une aventure. Toutefois, le problème, c'est que je ne sais pas remonter un frigo une fois démonté, malheureusement.

lundi 19 mars 2018

''S'il y avait une voiture-restaurant'' Haruki Murakami


 On en voit rarement ces derniers temps, mais j’aime bien les voitures-restaurants. Lorsque je partais en voyage, j’aimais aller à la voiture-restaurant et prendre le temps de savourer un repas. Même quand j’étais jeune et pauvre, si je prenais le train lors d’un voyage, j’allais toujours à la voiture-restaurant.
Il n’y aurait rien à dire si la table était couverte d’une nappe blanche (même si elle avait quelques vieilles taches de sauce), si la vaisselle était classique et lourde, et s’il y avait un œillet dans un vase. Je commanderais d’abord une bière. Quelques minutes plus tard, on me servirait une petite bouteille fraîche et un verre droit d’un style ancien. Par les rayons du soleil qui s’infiltreraient à travers la fenêtre, l’ombre ambrée de la bière serait projetée sur la nappe.

 Lorsque l’Allemagne était encore divisée en Est et Ouest, j’ai pris un train qui traversait l’Allemagne de l’Est. Je pense que c’était le train qui allait de Berlin en Autriche. Il était équipé d’une voiture-restaurant classique qui était exactement mon idéal. Un serveur âgé avec une veste blanche est venu vers moi ; il a sorti un crayon court de sa poche et, en hochant la tête d’un air comme s’il me demandait les symptômes des complications d’une maladie, il a tranquillement pris ma commande. Ce que j’ai choisi sur le menu du jour, c’était une bière, une soupe, une salade et un steak au poivre.

 Jusqu’à ce que le repas arrive, je regardais le paysage par la fenêtre. Des villes de l’Allemagne de l’Est qui avaient l’air anciennes défilaient les unes après les autres. La lumière du soleil de l’automne était douce et les toits des bâtiments brillaient. Il y avait un fleuve, une forêt, une plaine paisible, au-dessus desquels couraient des nuages. Je n'avais à me plaindre que d'une chose : la cuisine qu’on m’avait servie était mauvaise. À quel point ? Hum, elle était si mauvaise que je m’en souviens encore dix ans plus tard.

 À ce moment-là, j’ai sérieusement pensé que l’Allemagne de l'Est ne durerait pas longtemps, si on y servait une cuisine de si mauvaise qualité, et en réalité, cet état a disparu. Pourtant, cela ne veut pas dire que tous les pays qui servent de la mauvaise cuisine dans les voitures-restaurants disparaissent, bien évidemment.

 Il y a longtemps j’ai pensé écrire une nouvelle dont l’histoire se déroulerait dans une voiture-restaurant. Un homme voyage seul et il se met à table avec une jeune femme dans le wagon. L’homme commande un sandwich au steak et une bière. La femme ne prend qu’un potage et de l’eau. En buvant de l’eau, elle se met à raconter une histoire étrange. Elle voyage avec un doigt épais trempé dans l’alcool. Elle sort le flacon de son sac et le met sur la table. Ça a l’air intéressant, n’est-ce pas ? Mais je n’ai finalement pas écrit cette nouvelle, car on ne voit presque plus de voitures-restaurants aujourd’hui.