jeudi 30 novembre 2017

''La carte du monde que l'on regarde depuis le kotatsu'' Shinsei-Kamattechan



Le nombre de ces astres tournoyants.
Les étoiles filantes scintillent
Ne me réveille pas maintenant.
J’aimerais dormir là-bas.
Tout seul dans la pièce obscure,
Je contemple la lune de mon kotatsu
Ne me réveille pas maintenant.
Je vais quitter ta ville.
Je me lève à neuf heures,
Puis je me couche à sept heures.
Dans la chaleur de la couette,
Je suis dans mon rêve.
Les journées où je m’enfuis sous le kotatsu
Sont des abris antiaériens dans le monde.
Ne me réveille pas maintenant.
Je vais quitter ta ville.
Le paysage est si beau aujourd’hui.
Je flemmarde pieds nus.
J’aimerais dormir encore,
Car je suis encore en pyjama.
Dans cette chaleur confortable,
Je mange une pizza.
Je contemple le Grand Chariot de mon kotasu.
Le nombre de ces astres tournoyants. 
Les étoiles filantes scintillent
Ne me réveille pas maintenant.
J’aimerais dormir là-bas.

Dostoïevski

 Le premier cours du jeudi commence à dix heures, mais aujourd’hui je me suis réveillé tôt. En fait, je n’ai pas pu dormir, car je voulais vraiment lire la suite de « L’éternel mari » de Dostoïevski. Dès que je me suis levé, j’ai pris le livre et je l’ai dévoré.

 Aucun écrivain ne ressemble à Dostoïevski. Je pense qu’il est capable de faire coexister des valeurs opposées. À quelqu'un qui voudrait lire Dostoïevski pour la première fois, j'aimerais recommander « L’éternel mari ». Le plus intéressant est « Les frères Karamazov », mais c’est aussi le plus long, environ 1500 pages, et le plus difficile. Le récit que fait Ivan à Aliocha, « Le grand inquisiteur » pose une question éternelle à l’humanité. Une anecdote célèbre veut que, durant la Première Guerre mondiale, le jeune Ludwig Wittgenstein ait apporté ce livre sur le champ de bataille, et il prétend l’avoir lu au moins cinquante fois dans sa vie. Parfois, il y a des gens qui se demandent quel livre ils emporteraient sur une île déserte. La question du meilleur livre à lire sur le champ de bataille serait aussi intéressante. À cet égard, « Les frères Karamazov » me semble un bon choix, puisque c'est un livre sur lequel on peut réfléchir longtemps et que, de plus, il a une dimension encourageante. Le seul inconvénient est sans doute qu'il est trop épais et trop lourd pour qu'on le porte sur soi.

 « L’éternel mari » est court, et il contient des éléments typiquement dostoïevskiens. Le héros a de terribles cauchemars, son ami pratiquement alcoolique ne cesse de délirer. Les filles sont espiègles et certaines femmes sont hystériques.

 Au fait, suis-je la seule personne qui trouve que la manière de parler de ces personnages est contagieuse ? Chaque fois que je lis Dostoïevski, j’ai envie de parler comme ses personnages, hé, hé, hé !

mercredi 29 novembre 2017

Le pacte des Yokai

 Avant le cours de lexicologie, j’ai vu un garçon entrer dans l’amphi six du Patio. Alors, je l’ai suivi, et j’ai découvert qu’il n’y avait personne à part lui. Avant, il y avait un autre cours, mais il s’était sans doute terminé. L’amphi vide était tranquille et plus confortable que le couloir. J’ai décidé d’attendre à l’intérieur. Le garçon qui est entré le premier se concentrait sur son jeu vidéo en mettant un casque, quant à moi je n’avais rien à faire. J’ai voulu crier et chanter à tue-tête. Ma voix aurait fait des échos et le garçon ne pourrait sans doute pas m’entendre car il portait un casque. Mais je n’ai finalement pas osé crier ni chanter, car je ne savais simplement pas quoi crier et je chante mal. En revanche, j’ai sifflé. J’ai choisi comme morceau le thème de Star Wars de John Williams. Il m'a fallu du temps pour me souvenir de la manière de siffler. Personne ne m’écoutait dans cet amphithéâtre. Alors, j’ai sifflé librement la mélodie de Star Wars. Dans ma tête, les X-Wing s’envolaient, Obi-Wan et Darth Vader se battaient avec des sabres lasers, le Faucon Millenium a atteint la vitesse de la lumière. À un moment donné, j’ai entendu quelqu’un pouffer de rire derrière moi. Les X-Wing se sont écrasés contre l’étoile de la mort, Obi-Wan s’est évaporé, le Faucon Millenium a été capturé par l’armée impériale. J’ai arrêté de siffler et j’ai regardé derrière moi. Un autre garçon beau et mince qui n’était pas là tout à l’heure riait. Je l’ai vu rire pour la première fois. À ce moment-là, les autres se sont mis à arriver dans l’amphithéâtre.

 Après les cours, je me suis assis sur un banc, et j’ai bu mon café au lait. J’ai beaucoup de choses à faire en ce moment. La semaine prochaine, je dois faire un autre exposé pour le cours d’allemand. La professeure nous a dit de le préparer à deux, cependant je n’ai pas de partenaire. De plus, j’ai également une production écrite et orale en allemand. 

 Pendant que je pensais à ça, je regardais le plafond. Quelques instants plus tard, quelqu’un a déposé son sac à dos à côté de moi. J’ai baissé la tête et je l’ai regardé. Les motifs d’un gros chat qu’on hésiterait à qualifier de mignon étaient imprimés dessus. Puis, je me suis rendu compte que c’était Nyanko-Sensei de « Natsume Yûjinchô ». Je regardais cet animé lorsque j’étais au lycée. J’avais aussi quelques tomes de manga. Je pense que c’est le seul shôjyo que j’ai acheté dans ma vie. Ce manga est-il traduit en français ? Étant donné que je ne pensais pas du tout à voir Nyanko-Sensei en France, j’ai été étonné.

 « Natsume Yujincho » est l’histoire d’un garçon orphelin et solitaire. Il vit avec ses parents qui l’ont adopté. Normalement les beaux-parents sont méchants dans les contes de fée, mais ils sont gentils dans cette histoire. Natsume a le pouvoir de voir une sorte de monstres japonais appelés yôkai. Nyanko-Sensei, qui a la forme d’un gros chat est aussi un yôkai, et sa véritable apparence est une créature immense ressemblant à la fois au chat et au renard. « Yûjincho » est un cahier hérité de sa grand-mère décédée. Les yôkais dont les noms sont écrits dans ce cahier sont obligés d’obéir au propriétaire, donc à Natsume. Mais heureusement, il n’est pas comme Light Yagami. Il préfère leur rendre leurs noms et les libérer. « Yûjinchô » veut dire littéralement « le cahier des amis ». Mon épisode préféré est celui de ''l'hirondelle''.

 J'ai eu envie de savoir à quoi ressemblait la propriétaire de ce sac à dos. C'était une fille aux longs cheveux châtains. Elle me tournait le dos et parlait avec son amie. Sans jamais regarder son visage, je me suis levé et je suis parti.

mardi 28 novembre 2017

''Le matin frais'' Shinsei-Kamattechan



Ça m’énerve vraiment.
Ce soleil du matin.
Le matin frais s’introduit depuis la véranda tel un sarcasme
Ça me perturbe vraiment.
Je ne veux pas de petit déjeuner.
L’oracle du journal du matin me maudit.
Maman me dit « Finis vite ton plat »
L’air pressée, elle est en mode matinal
Si papa se met à faire ses tractions,
C'est qu'une journée comme toutes les autres commence.
Qu’est-ce que j’apprends ?
Peut-être que le monde va exploser.
Mais non, ça n’arrivera pas.
Ça m’énerve vraiment.
Ça m’énerve vraiment.
Le matin est trop frais, merde.
Arrête de marmonner
Sur le chemin où sentent les fleurs de colza
Ça m’énerve vraiment.
Ça me fait chier, vraiment.
Même si je sais que quelque chose ne va pas,
J’essaie de sourire le matin.
Maman me dit « Va-t’en vite !».
L’air préssée, elle est en mode matinal
Si papa se met à agiter un bâton bizarre,
La journée recommence.
C’est comme ça.
Aujourd’hui, je suis éclairé par la lumière du matin.
Je suis dupé et je vis.
Le matin frais m’est très agréable.
Le matin frais m’est très agréable.
Le matin frais arrive.
Le matin frais arrive. 

La bétonnière bleue

 Il y avait un bébé devant moi dans le bus. Il riait tout seul dans la poussette que tenait sa maman. Le bébé a de la chance parce qu’il n’a pas besoin de passer l’examen de lexicologie. La lexicologie et la linguistique diachronique me rendent fou bien que je le sois déjà. D’ailleurs, ces deux matières ne me serviront à rien dans le futur. Je suis donc obligé de travailler pour quelque chose qui ne sert à rien d’autre que de me torturer. C’est comme si je construisais une machine de torture pour me faire souffrir moi-même !
 À un moment donné, je me suis rendu compte que le bébé qui était de bonne humeur avait quelque chose à la main. C’était la maquette d’une bétonnière bleue. Cette petite créature chauve m’a ensuite regardé, puis il l’a soulevée. Il me montrait sa voiture d’un air ostensible et fier. J’ai fourré ma main dans la poche de mon manteau pour lui prouver que j’avais aussi quelque chose. Mais je n’avais que des tickets de reçu de Simply. Je les ai sortis et montrés au bébé. Il avait une expression triomphante. Il avait raison, une bétonnière bleue est en effet plus belle que des tickets de reçu de Simply froissés.
 J’essaie d’écrire quelque chose tous les jours en français, mais j’écrirai peut-être moins jusqu’à ce que les partiels semblables à l’ouragan néfaste soient passés.

lundi 27 novembre 2017

''La fausse copine'' Otsuichi

 Tandis que je bavardais avec mes camarades après les cours comme d’habitude, j’ai jeté un coup d’œil à l’horloge murale, et je me suis levé.
« C’est l’heure. Je vais rentrer. »
J’ai expliqué à mes amis qui me demandaient pourquoi.
« Ma copine m’attend. »
Ha, tu as une copine ?
« Oui, elle est dans un autre lycée. Nous nous voyons tous les jours en chemin du retour. »
Elle s’appelle Natsu Andô. Je l’ai rencontrée un matin, dans le train.
Au moment où elle montait ans le train, les portes se sont fermées en coinçant la jupe de son uniforme. Elle ne pouvait plus bouger et baissait la tête d’un air gêné. Le hasard a fait que je me trouvais juste à côté et, en donnant des coups de pied aux portes, j'ai réussi à les ouvrir. Le train était en train de rouler. Sa jupe s’était libérée, mais le système d’alarme s’est déclenché. Le train s’est arrêté et j’ai été réprimandé plus tard. Natsu Andô n’a pas été grondée parce que, dès qu’elle a vu arriver un employé, elle avait fui. Elle m’attendait à la sortie de la gare.
« Je suis désolée.....
- Tu as fui toute seul !
- Ne sois pas en colère. Je vais te payer quelque chose. »
 C’est ainsi que j’ai expliqué à mes camarades les circonstances de notre rencontre et comment nous étions sortis ensemble. Je leur ai également parlé de ses passions et ses plats préférés. Elle aimait jouer de la guitare. Je l’écoutais parfois jouer. Quand elle avait trouvé un enfant perdu qui pleurait dans la rue, elle avait cherché sa mère avec lui. Ses gâteaux préférés étaient le ‘’home cut’’ de Mr.Donut, et l’anpan.
Bonne soirée ! À demain ! m’ont dit mes camarades tandis que je sortais de la salle de cours.
 Sorti de l’école, je suis rentré directement chez moi et j’ai regardé un animé. C’était une nouvelle émission qui commençait ce jour-là. Après l’avoir regardée, j’ai joué au jeu vidéo et j’ai lu un manga. Puis, comme il était tard, je me suis couché. Évidemment, je n’ai pas vu Natsu Andô. Je n’ai pas de petite amie. C’est une histoire inventée.

 Ah, qu’est-ce que je vais faire maintenant ? J’ai menti sur le fait que j’ai une copine. C’était impossible de leur dire que je voulais rentrer chez moi pour regarder le nouvel animé qui venait de commencer. Tant pis, je ne peux plus reculer. Je n’aurais jamais imaginé qu’ils me croiraient. Depuis ce jour, j’ai été obligé de mentir à tout le monde sur le fait que j’ai une petite amie. Quand on me demandait « Elle va bien, ta copine ? », je leur répondais : « Elle est occupée à cause de son club. Elle pratique la natation. » Quand on me disait : « Dis donc, tu pourrais présenter ta petite amie, hein ? », je refusais en disant : « Ce jour-là, elle a un cours particulier d’anglais ». J’ai aussi feint de lui parler en ligne et de lui envoyer des mails. J’ai inventé des moments drôles et j’en ai parlé à tout le monde. De jour en jour, le profil de Natsu Andô s’enrichissait. Je devais noter tous les détails pour ne pas oublier. Sa vie, son anniversaire, le métier de ses parents, le traumatisme de son enfance, le nom de son animal domestique. J’ai construit la vie d’une fille inexistante. Pour inventer son adresse, j’ai visité plusieurs villes. J’ai cherché une ville et un quartier qui lui conviendrait le mieux possible. Mes camarades me faisaient entièrement confiance. Si ils se rendent compte que l’existence de Natsu Andô était une pure invention, ma vie sera foutue. Il se peut que je fasse l’objet de harcèlement. Pendant que je vivais dans une telle inquiétude, un jour, un de mes camarades, Ikeda-kun s’est rendu compte de mon mensonge.

 Ikeda-kun est un garçon surnommé à son insu ‘’limace’’. Il est toujours en sueur et les filles le détestent, mais il a une petite amie qui est étudiante à l'université, et c’est pour cela que tout le monde le respecte. Les garçons le regardent d’un air admirateur.
« J’ai tout de suite compris. Tu mens. Dis donc, Natsu Andô n’existe pas, a-t-il dit en me montrant du doigt sur le palier.
- Tu as deviné mon secret ! Meurs ! »
J’ai essayé de le faire tomber dans l’escalier pour le tuer. Mais il a résisté.
« A, attends ! Je ne le dirai à personne. Moi aussi, c’est pour ça que j’ai pu le deviner. Ma petite amie, Mai-chan est aussi une fausse copine. »
‘’Une fausse copine’’, il semble que cela signifie ‘’une petite amie inventée’’. La copine d’Ikeda-kun, une étudiante de l’université s’appelait Mai Shiu. Ikeda-kun l’appelait toujours Mai-chan. Le weekend, il disait qu’il allait à la plage avec la voiture que conduisait sa copine. Selon lui, Mai Shiu est quelqu’un de remarquable et de chic, elle lui apprenait les manières à table dans les restaurants luxueux.
« Je n’aurais jamais cru que ta copine était aussi un mensonge….
- Mouais. Nous, on a dupé tout le monde. Au début, c’était juste un petit mensonge. On a dû mentir à nouveau pour cacher ce mensonge. Notre mensonge a fait boule de neige, et nous avons laisser s'échapper l’occasion de dire la vérité. Imagine qu’ils sachent que nos copines n’existent pas. Nous devrons nous suicider à ce moment-là. »

« J’ai créé un nouveau morceau. Viens chez moi l’écouter », a dit Natsu Andô, ou non. C’est une personne qui n’existe pas.
« Tu n’es pas en forme récemment. Qu’est-ce qu’il y a ? Donne-moi ce donut si tu ne le manges pas », a dit Natsu Andô, ou non. Je suis au magasin de donut tout seul. Sur la chaise devant moi, personne n’est assis.

 Ikeda-kun et moi, nous nous sommes entraidés pour améliorer nos mensonges. Nous avons dit aux gens que nous avons rencontré nos copines dans la rue. « Bientôt, Mai-chan va m’appeler », a dit Ikeda-kun devant tout le monde et j’ai fait sonner son portable en cachette.
« Mais les détails sur ta fausse copine sont incomplets. Dis donc, tu n’as jamais joué de la guitare, n’est-ce pas ? L’épisode de la guitare est flou.
- Toi aussi. Tu n’as jamais joué au tennis, hein ? Ta description de tennis n’est pas très vraisemblable. »
 Nous avons critiqué nos fausses copines, et nous avons essayé de compléter leurs profils. J’ai acheté une guitare et j’en ai pratiqué. Tout ça, c'est pour Natsu Andô. Je voulais savoir ce qu’elle pensait lorsqu’elle jouait de la guitare. Je n’ai pas de copine. Elle n’existe pas. Mais, je voulais connaître cette sensation quand elle met ses doigts sur les cordes. Je voulais savoir ce qu’elle ressentait lorsqu’elle y donnait une chiquenaude.
« Tu sais, il y a des gens qui jouent et chantent devant la gare. Je voudrais faire la même chose, qu’en penses-tu ? »
Pendant que je choisissais un DVD chez TSUTAYA, elle me l’a murmuré.
« Tu chantes devant le public ? Tu n’as pas honte ?
- Si, mais je veux chanter. »
 Natsu Andô avait un rêve. C’est le genre de rêve qu’on hésite à dire aux gens. Elle n’en a jamais parlé à quelqu’un. Elle ne me l’a même pas dit. Mais je connais son rêve. Parce que c’est moi qui l’ai inventée.

 Une fois, je me suis rendu compte qu’Ikeda-kun avait des ampoules aux mains. Sa petite amie, Mai Shiu s'entraînait au tennis depuis son enfance, elle était un membre du club de tennis au collège et au lycée et elle était réputée une as du tennis à l’école. Il faisait donc des efforts pour comprendre ses sentiments en restituant l’histoire de sa vie.
 Un jour, Ikeda-kun et moi sommes allés au barrage de la ville voisine. C’était un endroit où lui et Mai Shiu allaient souvent en voiture.
« Elle respire toujours profondément, comme ça. »
Lui qu'on appelait secrètement ‘’limace’’ et repoussé par les filles de la classe, se tenait à l’endroit depuis lequel on pouvait dominer le vaste barrage, et il a respiré profondément à plusieurs reprises. Au début, les yeux brillants, il bavardait beaucoup. Au bout d’un moment, il est devenu silencieux et nous nous sommes assis sur une marche en bêton. L’eau dans le barrage coulait calmement. Ikeda-kun a murmuré :
« Elle n’existe pas, Mai-chan.
- Je sais. C’est ton mensonge. »
Nous avons décidé de prendre le bus pour rentrer.
 Le lendemain, à l’école, le mensonge d’Ikeda-kun a été dévoilé.

 Ikeda-kun a rencontré Mai Shiu à l’occasion d’une réunion qu’a organisée son cousin, qui est un étudiant à l’université. Il a été obligé d’y participer pour compléter le nombre de personnes. Il cachait qu’il était encore au lycée et ne buvait que du jus de fruit. Mai Shiu l’a remarqué, elle l’a pris par le cou et l’a forcé à boire de la bière. Puis il l’a plu, ils ont échangé leurs numéros et leur situation est ainsi maintenant. Toutes ces choses étaient marquées dans « le cahier des détails sur Mai Shiu » d'Ikeda-kun. Il l'avait toujours sur lui, mais à la pause de midi, un des garçons qui faisait la fête dans la classe l'a fait tomber de sa table, il a trouvé ce cahier tombé du tiroir. En ignorant Ikeda-kun qui ne cessait de lui dire « Arrête, rends-le-moi ! », il l’a lu.
 Mai Shiu n’existe pas. Cette nouvelle s’est immédiatement répandue dans toute la classe. Son cahier a été lu à haute voix devant tout le monde, il a été copié et distribué aux autres classes. Les gens ont ajouté n'importe quoi, des détails vulgaires dans son cahier qui est devenu un objet de moquerie et de ricanement. La copine d’Ikeda-kun, Mai Shiu a été souillée par les garçons et les filles de la classe. Les camarades qui le respectaient parce qu’il avait une petite amie qui est à l'université se sont mis à l’ignorer d’un seul coup, pendant le cours, ils lui jetaient des morceaux de gommes à l’insu des professeurs, il a fait l’objet de leur regard ricaneur et de rumeur. J’évitais de plus en plus de parler avec lui dans la classe. J’ai essayé le plus possible de ne pas le regarder. Je sentais qu’il me regardait d’un air affaibli, mais je ne voulais pas être impliqué.
« En fait, il m’a demandé de dire que j’ai vu sa copine dans la rue. Sinon, il ne me montrerait pas les examens de l’an dernier qu’il avait. Et voilà…… »
 J’ai excusé auprès de mes camarades pour mon mensonge selon lequel j’avais vu Mai Shiu dans la rue. J’étais inquiet. Il se pouvait que Ikeda-kun dévoile mon mensonge à tout le monde. Cela pouvait arriver à tout moment. Mais la bouche fermée, il n’a jamais parlé de Natsu Andô à quelqu’un.

« Ça fait six mois que je t’ai rencontré, c’est ça ? »
Pendant que je me tenais debout à côté d’une porte dans le train, Natsu Andô me l’a dit.
« Ta jupe s’est coincée.
- J’ai vraiment paniqué à ce moment-là. »
Elle a souri humblement et a regardé par la fenêtre. Le train est passé sur le pont en faisant du bruit. Le ciel crépusculaire était d’un rose pâle et doux. On voyait son reflet sur le verre de la porte.
« Je pense que j’ai fait des progrès à la guitare. Ne penses-tu pas ?
- Tu as aussi amélioré la composition.
- Je me demande pourquoi. Peut-être, je suis sur le point de comprendre quelque chose. Au fait, le garçon qu’on avait rencontré dans la rue avant, il va bien ? Il s’appelle Ikeda-kun, n’est-ce pas ? Lui et sa petite amie.
- Mai Shiu ?
- On a parlé ensemble. C’était quelqu’un d’élégant. »
Elle est morte. Mais je ne pouvais pas le lui dire. Finalement, « Le cahier des détails sur Mai Shiu » a été déchiré, jeté dans la poubelle et brûlé à l’incinérateur.
« Tu devras parler avec Ikeda-kun, m’a-t-elle dit. Tu ne vas pas bien avec lui, n’est-ce pas ? Je le comprends si je regarde ton visage. Mais tu devras te réconcilier avec lui. Parce que c’est ton meilleur ami, non ? »
Natsu Andô a pris ma main. La chaleur de sa main a recouvert la mienne. C'était incroyable. C’était vraiment comme un véritable humain. Soudainement, j’ai failli pleurer.
« …….Tout est un mensonge. »
Je me suis incliné devant elle.
« Je suis désolé. Pardonne-moi. Tu n’existes pas. Nous voulions avoir une petite amie comme tout le monde. Mais c’était impossible. Regarde mon visage, je n’aurai pas de copine durant toute ma vie. Quand je parle avec une vraie fille, je n’arrive pas à regarder son visage. Mon cœur bat la chamade et j’ai l’impression qu’il va exploser. Je n’arrive pas à trouver les mots, j’ai honte et je crois même mourir. C’est impossible de me faire une petite amie dans cet état. Je t’ai donc inventée. »
Au début, Natsu Andô me regardait l’air sidéré. Au bout d’un moment, elle a entrouvert les yeux et m’a dit tout gentiment :
« Je suis là pour toi. »
 Tout étonné, je l’ai regardée. Elle semblait qu’elle comprenait tout. Elle n’a pas disparu pour le moment. Mais nous savions tous les deux, que nous devrions nous dire au revoir un jour.

 Après les cours, tout le monde se préparait à rentrer dans le brouhaha. Lorsqu’Ikeda-kun est sorti de la salle de classe, il a basculé la fille la plus jolie et la plus populaire. À ce moment-là, elle a fait tomber son sac. De plus, lorsqu’ils se sont bousculés, il semble que leurs peaux nues se sont touchées. La fille ne cachait pas sa répugnance. Elle et ses amies ont regardé Ikeda-kun d’un regard haineux, et l’ont insulté : Tu es dégueulasse. Ne viens plus à l’école. T’as des illusions, hein ? Espèce d’hikikomori. Ikeda-kun avait l’air dépité, mais il a essayé de partir sans rien dire.
« Ferme-là. »
Dès que je le leur ai dit, tout le monde a cessé de bavarder et s’est tourné vers moi. Ikeda-kun s’est arrêté et il me regardait d’un air abasourdi.
« Allons-y, Ikeda-kun. »
Subissant le regard de mes camarades, je suis sorti de l’école avec lui. En marchant dans la rue marchande, nous avons parlé.
« Tu es sûr ? Il se peut que tu sois dans la même situation que moi à partir de demain.
- Ça va être un enfer. Mais bon.
- Je n’ai pas l’intention de parler de toi et d’Andô-san à quelqu’un. Si tu t’inquiètes pour ça……
- Andô m’a dit de me réconcilier avec toi. Désolé. Je suis désolé pour elle…… »
L’air triste, il a regardé le ciel.
« Elle est nulle part. Elle a disparu. Écoute, j’ai ramassé ses cendres dans l’incinérateur et les ai dispersées en mer. C’est ridicule, hein ? »
 Ikeda-kun s’est mis à sangloter. Le ciel qu’on a vu de la rue marchande était de la même couleur qu’hier, d’un rose pâle.

 Ikeda-kun et moi sommes toujours restés amis. Nous avons gardé le contact même après le lycée. Nous sommes tous les deux devenus adultes et nous nous sommes dit que nous étions des idiots et insupportables à cette époque-là.
 Lorsqu'Ikeda-kun a eu une vraie petite amie pour la première fois, l'année ne s'était pas encore écoulée depuis le jour où il s'est mis à pleurer. Un jour, tandis qu’il marchait à côté du court de tennis de l’école, un de ses camarades lui a adressé la parole. Il faisait partie du club de tennis, c’était un type qui s’amusait toujours à se moquer d’Ikeda-kun. Il était doué en sport et il était toujours dans les premiers au tournoi, il avait également eu des résultats merveilleux au concours de la préfecture. Ce jour-là, il lui a dit de prendre une raquette contre son gré, il l’a obligé à s’entraîner avec lui. Son partenaire n’était pas là. Il a sans doute voulu s’amuser à le vaincre. Cependant, Ikeda-kun a renvoyé la balle.
 Les gens ont commencé à se réunir autour du court de tennis. Les autres membres du club, et ceux qui sont passé par hasard ont été fascinés par leur match. Qui est-ce ? Il s’appelle Ikeda, je crois. Je suis dans la même classe que lui et on l’appelle limace. C’est génial, il arrive à renvoyer sa balle.
 Ce camarade qui avait cru pourvoir vaincre Ikeda-kun jouait maintenant de toutes ses forces. Finalement, un smash a atteint l’extérieur de la ligne, et Ikeda-kun a perdu. Mais il n’y avait plus personne qui se moquait de lui. Lorsque le match s’est terminé, tout le monde a applaudi. L’air sidéré, Ikeda-kun a regardé les alentours avec son uniforme trempé de sueur. Une fille qui regardait le match ce jour-là, est devenue proche de lui quelques jours plus tard.

« Il m’a dit qu’il a dispersé ses cendres dans la mer….. », ai-je dit en ajustant ma guitare dans ma chambre. Assise sur la chaise, Natsu Andô souriait toute seule.
« On dirait qu’il est romantique.
- Il exagère. »
J’ai donné une chiquenaude aux cordes. Un bruit a retenti puis a disparu. Après avoir fermé les yeux comme si elle goûtait aux résonances, elle m’a dit quelques instants plus tard :
« Ne t’inquiète pas. Il y aura forcément quelqu’un qui vous aimera un jour. »
Et elle a eu une expression de tristesse.
Ce soir, j’ai pris la guitare sur mon dos et je suis sorti. Les épaules tremblant de froid, Natsu Andô m’a suivi.
La foule de salariés et d’étudiants qui rentraient chez eux marchaient devant la gare. L’enseigne au néon tapageur d’un salon de pachinko éclairait ceux qui cherchaient des taxis de diverses couleurs.
« Tu as appris par cœur mes paroles ?
- Bien sûr.
- ……Bon courage. Je reste à tes côtés. »

 J’ai pincé les cordes de la guitare. Les cordes ont tremblé et émis du bruit. Je me suis mis à chanter en jouant une mélodie. Les paroles n’avaient rien de spécial, mais elles étaient sincères. Elles représentaient un sentiment douloureux que tout le monde éprouve au moins une fois. Au début, Natsu Andô me regardait d’un air inquiet, mais au fur et à mesure que les gens se réunissaient autour de moi, elle avait l’air soulagé. Le sentiment de honte a disparu. J’ai chanté. Je n’avais jamais pensé à chanter en jouant de la guitare. Mais le chant et la guitare, les deux me plaisaient. Lorsque j’ai fini de chanter et que l’on m’a applaudi, l’air satisfaite, elle a hoché la tête. Je me suis mis à chanter le deuxième morceau, et j’ai réalisé qu’elle avait disparu dans la cohue. J’ai interrompu l’interprétation, en fendant la foule, je l’ai cherchée. J’ai flâné devant la gare en criant son nom. Elle n’était nulle part. Je me suis juré de ne jamais l’oublier. J’ai aussi connu des moments misérables où je voulais disparaître. Je sentais qu’ils dureraient toute ma vie. Je me suis promis de ne pas oublier, elle qui avait pris ma main dans la sienne à ce moment-là.

dimanche 26 novembre 2017

''Bangkok surprise'' Haruki Murakami

« Allô. Est-ce bien le 57 21 12 51 ? a dit une voix de femme.
- Oui. C’est le 57 21 12 51.
- Je suis désolée de vous appeler soudainement. En fait, j’appelais le 57 21 12 52.
- Ah bon, ai-je dit.
- Je l’ai appelé une trentaine de fois depuis ce matin. Mais il ne décrochait pas. Euh, peut-être qu’il est parti en voyage.
- Et alors ? ai-je demandé.
- Eh, et ensuite, j’ai pensé à appeler le 57 21 12 51, parce que c’est le numéro du voisin.
- Ah bon. »
La femme a toussoté un peu.
« En fait, je suis rentrée de Bangkok hier soir. Une chose extraoooorrrdinaire m’est arrivé là-bas. C’est vraiment quelque chose d’incroyable. Quelque chose d’extraordinaire. J’avais prévu d’y rester une semaine, mais je suis rentrée au bout de trois jours. Je voulais parler de cette histoire à quelqu’un et c’est pour cela que j’ai appelé le 12 52. Parce que je ne pouvais pas dormir sans en parler à quelqu’un, mais ce n’est pas le genre d’histoire qu’on peut raconter à n’importe qui. Et je me disais que la personne du 12 51 m’écouterait peut-être.
- Je vois.
- Mais en vrai, je pensais qu’une femme décrocherait. On partage plus facilement ce genre d'histoire entre femmes plutôt qu'entre hommes, je pense.
- Tant mieux, ai-je dit.
- Quel âge avez-vous ?
- J’ai eu 37 ans ce mois-ci.
- Euh, 37 ans. J’ai l’impression que ce serait mieux avec quelqu’un d’un peu plus jeune. Je suis désolée de vous dire ça.
- Non, ce n’est rien.
- Je suis désolée, a-t-elle dit. Je vais essayer le 57 21 12 53. Ciao. »

Ainsi, je n’ai finalement pas pu savoir ce qui s’était passé à Bangkok.

samedi 25 novembre 2017

Auprès de moi toujours





Avant le cours d’anglais, je suis allé à la BNU pour rendre « Setting Free the Bears ». Dans le hall du premier étage, à côté des portiques, il y avait une petite exposition de journaux alsaciens. D’anciens numéros de ‘’Dernières Nouvelles d’Alsace’’ étaient affichés par ordre chronologique. Des titres comme « La France pleure le général De Gaule » « Ce matin, Armstrong a marché sur la lune » « Strasbourg accueille le nouveau parlement européen » ont attiré mon attention. Malheureusement, seule la copie des couvertures était affichée, si bien que l’on ne pouvait pas lire le contenu des articles. Toutefois, ces images et ces titres suffisaient à évoquer pour moi les époques qu’a connues cette ville. Il y avait certainement un moment où les Strasbourgeois ont déploré la mort du général De Gaulle, où ils se sont enthousiasmés pour la réussite de la mission Apollo 11, où le parlement européen qui me semble lourd aujourd’hui a été jeune et moderne. Ces papiers jaunis me disaient que l’époque que je vis maintenant sera aussi une partie de l’histoire, voire même qu’elle est en train d’en faire partie à cet instant même. J’ai essayé d’imaginer le monde de trente ans plus tard. Les gens n’utiliseront peut-être plus de smartphone. Lira-t-on encore ‘’Les frères Karamazov’’ ? Y aura-t-il quelqu’un pour se souvenir de moi ?

 J’ai passé le portique et j’ai rendu mon livre à une bibliothécaire. Elle a passé le code du livre au lecteur, puis m’a dit « C’est bon ». La parfaite bibliothécaire. S’il y avait un concours des meilleurs bibliothécaires au monde, elle en serait sans doute la championne. Le concours des meilleures bibliothécaires est organisé par un millionnaire amoureux inconditionnel des bibliothécaires. Et la gagnante doit être une femme typiquement bibliothécaire. C’est-à-dire, elle doit porter des lunettes à montures noires, avoir des nattes. Elle ne doit être ni trop belle ni trop moche. Elle doit être un peu maussade et taciturne. L’organisateur examine rigoureusement la manière de parler et de lever les yeux des candidates. Et finalement, la gagnante recevra tous les livres qu’elle voudra, même ceux qui sont épuisés depuis cinq cents ans.

 En pensant cela, j’ai monté l’escalier en colimaçon. Je sais parfaitement quel genre de livres se trouvent sur quelle étagère. À gauche, il y a le coin de littérature asiatique (chinoise, japonaise, coréenne…) et un peu au fond, on peut découvrir la littérature russe. À l’opposée, se trouve la littérature française. Devant, il y a la littérature américaine où je vais toujours.

 Après quelques instants de tâtonnement, j’ai enfin trouvé les livres de John Irving. J’ai finalement choisi « Le monde selon Garp ». J’ai aussi emprunté « Dans l’abîme du temps » de Lovecraft et la version originelle de « The Cat’s Cradle » pour améliorer mon anglais.

 J’ai déjà vu le film de « Le monde selon Garp » il y a longtemps. (Le metteur en scène de ce film a aussi réalisé « Slaugterhouse 5 » de Vonneghut, que je trouve toutefois un peu ennuyeux.) Tout ce que je peux me rappeler, c’est que le thème était ‘’When I was sixty four’’ des Beatles et que Robin Williams qui s’est suicidé il y a quelques années avait joué le rôle de Garp.


 Pendant le cours d’anglais, une fille a fait un exposé sur l’intelligence artificielle. Ma voisine écrivait follement des hiragana sur son cahier comme d’habitude. J’ai pensé lui dire que c’était un cours d’anglais, mais je ne lui ai finalement rien dit. Lorsqu’un exposé m’ennuie, si la fille est mignonne, je contemple son visage. Si elle ne l’est pas, je regarde des arbres. Aujourd’hui, j’ai regardé des arbres.

 Ensuite, une autre fille grande et potelée a présenté son exposé. Nous nous disons toujours bonjour, mais rien de plus. Elle parle un joli anglais, d'ailleurs, étonnement, elle n’a pas beaucoup d’accent. Aurait-elle vécu dans un pays anglophone ? Elle nous a fait écouter « Heal The World » de Michael Jackson, sauf que je n’aime pas du tout Michael Jackson.

 Et finalement, mon tour est venu. J’ai présenté mon exposé sur l’écrivain britannique Kazuo Ishiguro en commençant par parler de Patrick Modiano et Haruki Murakami. J’ai exprimé mon avis personnel en anglais « Il semble que l’académie de Stockholm soit perverse. Plus les gens souhaitent que Haruki Murakami soit choisi, plus l’académie le lui refuse. Si donc, si ses fans cessent de penser qu’il sera le lauréat, le prix Nobel de littérature lui sera sans doute décerné ». Je trouvais cela plutôt drôle, mais personne n’a ri. Toutefois quand j’ai dit « Oui, je sais que le nom Kazuo Ishiguro ne sonne pas anglais. Les noms anglais sont comme ‘’John Lennon’’, ‘’James Bond’’, ‘’Charles Dickens’’. ‘’Kazuo Ishiguro’’ sonne plutôt comme ‘’Haruki Murakami’’ ou mon nom… », le public a ri alors que je n’avais aucune intention de le faire rire.

« A-t-il publié son premier ouvrage en 1982 ? m’a demandé notre professeur en fronçant les sourcils.
- Oui ? ai-je répondu.
- Mais il était où ?
- Quand il l’a écrit ? Il vit toujours au Royaume-Uni, à Londres, si c'est que vous voulez dire...
- À quelle université ?
- D’après ce que j’ai trouvé sur Internet, il était en master de l’atelier de création à l’Université d’East-Anglia. »

 Je ne comprenais pas l’intention de ses questions. Et alors, à ce moment-là, il m’a dit : « J’y étais aussi, à cette époque-là…»

 Cet homme âgé aux cheveux blancs assis devant moi, était à l'université avec Kazuo Ishiguro ! Parfois, la vie nous offre de curieuses coïncidences, comme un cadeau tombé du ciel.

''La fête des jumeaux de la ville des jumeaux'' Haruki Murakami

 Depuis longtemps, je m'intéresse aux jumeaux. Mon rêve de longue date, c'est de sortir avec des jumelles. J'ai l'impression que s'il y avait deux filles avec le même visage à mes côtés, beaucoup de choses seraient plus simples, pourtant je n'en suis pas sûr.

 Dans une banlieue de Cleveland des États-Unis, il y a une ville qui s'appelle "Twinsville''(La ville des jumeaux). Cette ville a été fondée par les frères jumeaux Moses et Arlon Wilcocks. Selon l’histoire de la ville, c’étaient des jumeaux incroyablement semblables, ils ont eu des enfants, ils ont toujours vécu au même endroit, de plus, ils sont morts de la même maladie à seulement quelques heures de décalage. La ville a été nommée ainsi pour commémorer ces jumeaux.

 Or, dans cette ville des jumeaux, chaque année, on organise la fête des jumeaux. Cette année aussi, quelques centaines de jumeaux sont venus de vingt-huit états. L'objectif officiel de la fête est d"Approfondir la connaissance sur les sentiments et les problèmes spécifiques des jumeaux par la rencontre", mais en réalité c'est une réunion pour s'amuser ensemble. Il y a aussi un concourt de stars, mais j’imagine que je n’ai pas besoin de préciser que la plupart des participants chantent en duo.

 Beaucoup de ‘’doubles’’ participent aussi à cette fête. Les doubles signifient le couple d’un jumeau et d’une jumelle. Autrement, les jumeaux qui souhaitent être doubles viennent aussi. Il y a donc des jumeaux qui draguent des jumelles, personnellement ça me paraît vraiment intéressant. J’imagine qu’ils discutent entre eux : « Toi, tu prends celle-là. Moi, je prends celle-ci. » avant d’adresser la parole à des jumelles en disant « Hey, girls ! », mais comment choisissent-ils les filles ? Je n’en ai aucune idée. De toute manière, c’est ce qu’on appelle le rendez-vous à doubles traditionnel.

 Pendant les deux jours que dure la fête, cette petite ville se remplit littéralement de jumeaux. J’ai entendu dire que les ‘’non-jumeaux’’ qui s'égarent dans cette ville à ce moment-là sont souvent confus. « C’est comme si la moitié de moi avait disparu quelque part. », dit un non-jumeau. 


 Il y a quelques jours, j’ai lu un article sur des yakuzas jumeaux qui ont volé de l’argent à un jeune homme. Des yakuzas jumeaux, ça a l’air impressionnant aussi.

vendredi 24 novembre 2017

Charles Dun

 Dans un coin d’une petite ville du nord du Japon, il y a un beau parc. C’est le type de parc que seuls les habitants de la ville fréquentent. Il n’est pas petit, il est plutôt grand, mais pas aussi immense que le parc de l’Orangerie de Strasbourg. Dans l’étang nagent des canards sauvages. Le dimanche, on peut voir des mères et leurs enfants leur donner des miettes de pain. Je ne sais pas s’il y a des poissons dans ce lac, parce qu’une multitude de plantes aquatiques y poussent et il est difficile de voir ce qu’il y a dessous. Pour la même raison, je ne connais pas sa profondeur. En hiver, lorsque la température descend au-dessous du zéro, cet étang gèle. Les canards qui y nageaient tranquillement pendant l'été sont partis. La glace est assez épaisse pour qu'on puisse marcher à la surface. Au loin, à droite, on aperçoit une statue. Un occidental est debout à côté d'un cheval, sa main est posée sur son dos. Ils ressemblent à un vieux couple qui vit ensemble depuis longtemps. Sur le socle, quelque chose est écrit, peut-être son nom, la date de sa naissance et de sa mort. Au cours des années, la pluie et le vent les ont presque effacés. Derrière l’étang, il y a un escalier. On l'atteint par le petit pont de bois qui l’enjambe. De là, on découvre une maison occidentale blanche au toit vert. Elle est isolée dans ce parc. Elle a l’air vieille, et il n’y a aucun bâtiment du même style aux alentours. C’est une maison en bois peint en blanc ; elle a une jolie véranda et devant le seuil, il y a un ancien réverbère, comme celui qu'on voit dans le tableau de Caillebotte.

 Entrons à l’intérieur. La vieille porte de bois qui sent un peu le moisi s’ouvre en grinçant. À côté de l’entrée, il y a un petit bureau. Il n'y a personne à l'intérieur. Une chaise noire, solitaire, attend son maître. N’oubliez pas d’enlever vos chaussures avant de marcher dans le couloir. À droite, il y a une pièce. Aux murs sont accrochés des tableaux. Ils ne sont pas vraiment de bonne qualité. On dirait les œuvres d’un peintre du dimanche. Les couleurs sont mates, la représentation de l’ombre n’est pas naturelle. On est loin des grands maîtres de l’art européen. Cependant, ces tableaux dépeignent une certaine intimité qui permet de comprendre l’atmosphère de l’époque. La plupart de ces tableaux représentent des hommes labourant la terre, soignant des chevaux et gardant des moutons. Dans la pièce voisine, il y a le portrait d’un occidental. Il est vêtu d’un costume noir. Il a une tête ronde, le regard serein et une moustache blanche.

 Charles Dun est son nom. Il était américain. Le gouvernement japonais lui a confié la mission de faire une nouvelle race de cheval, il est arrivé dans ce pays en 1875. Il a contribué au progrès de l'agriculture de cette région. L'un de ses mérites est d'avoir fait connaître la castration pour rendre les chevaux violents dociles.

 Revenons dans le couloir. Dans la pièce où nous entrons maintenant, une vitrine est posée contre un mur. À l'intérieur sont mis divers objets en rapport avec le défunt. On peut d'abord voir une photo de lui lorsqu'il était bébé. Il est vêtu d'une blouse ornée de volants. Cherchant sa mère, son regard a l'air inquiet. Ce bébé devient un adolescent plein de boutons aux yeux endoloris, et finalement il se transforme en un jeune marin gai qui sourit en montrant ses dents impeccablement blanches comme une pub pour dentifrice. À côté de ces photos, il y a des cahiers qu’il utilisait pour calculer la quantité de pâtures pour nourrir ses chevaux. On aperçoit également les traces de ses recherches passionnées. Il avait même dessiné à la main la planche anatomique du cheval. Puis, on découvre une petite bouteille de verre remplie de morceaux jaunis de quelque chose. Sur l'étiquette, il est écrit "Les rognures d'ongles de Charles Dun". Il semble qu'il avait l'habitude de collectionner ses rognures d'ongles. La masse de ces innombrables croissants me rappelle les cadavres de poux. Ensuite, il y a une lettre d'amour qu'il a écrite lorsqu'il était étudiant à l'université aux États-Unis. Il était amoureux d'une fille rousse qui s'appelait Johanna. Selon l'explication, il lui avait offert un poème d'amour. Je le cite :
« Ô, mon amour. J’ai même compté le nombre de toutes tes taches de rousseur. Il y avait en total 18,756. Ce nombre est supérieur à celui de toutes les étoiles que nous pouvons voir à l’œil nu. J’ai nommé chacune de ses étoiles, ‘’Orion’’, ‘’Andromède’’, ‘’Cassiopée’’. La galaxie que toutes ces étoiles composent, c’est toi. »
 Au bout de la vitre, une étoffe usée et trouée de partout est accrochée au mur comme une peinture. Elle est encadrée et protégée des rayons du soleil. Il semble que c'était son pantalon favori. Couvert de taches et de suie, j'ai même l'impression que l'odeur traverse la vitre.

 Maintenant tous ces objets appartiennent à un passé lointain. Depuis lors, On a construit un métro. Une tour de l’horloge a été fondée devant la gare. Seuls cette maison et ces anciens près sont inchangés.

 Les jours d’hiver extrêmement froids, quand la tempête de neige fait rage en ville, je pense de temps en temps à Charles Dun. Je me demande s’il a aussi attendu qu’un blizzard se calme en lisant ''Anna Karénine'' devant la cheminée. Le ciel nocturne devait être beaucoup plus sombre qu’aujourd’hui. Sous la neige, la terre devait s’étendre à l’infini jusqu’à la chaîne de montagnes au loin.

jeudi 23 novembre 2017

Wittgenstein

 Lorsque notre professeur nous parlait de l’esthétique de Thomas Bernard, je pensais à ce que j’allais manger au midi. Ces derniers jours, sans doute à cause du stress, j’avais toujours mal au ventre et je ne prenais que le dîner, mais aujourd’hui j’avais faim. Les nuages qui stagnaient dans le ciel de l’Alsace-Lorraine s’étaient complètement dissipés, grâce aux rayons éblouissants du soleil ; mon corps pouvait donc recommencer à produire de la vitamine D. Maintenant le professeur, Monsieur W disaient que Thomas Bernard avait subi l’influence de Ludwig Wittgenstein, et il a cité la célèbre phrase de ‘’Tractatus logico-philosophicus’’ : « sur ce dont on ne peut parler, il faut se taire. » Mon regard était toujours fixé sur les yeux de cet homme d’un âge mûr, apetissés à cause de l’effet des lentilles, tandis que j’énumérais tous les types de pains que je connaissais dans ma tête : La baguette, le croissant, le bretzel, le sandwich au jambon, le pain au chocolat, la tarte flambée… J’ai également pensé à la possibilité de prendre des desserts : un éclair, une tarte aux fraises, des macarons alsaciens... La France est coupable. Pourquoi y a-t-il de si nombreux types de pains que l’on ne peut même pas les compter tous ? Toutefois, je devais me contenter d’en choisir un ou deux. Devant cette problématique insoluble, mon visage devenait peut-être de plus en plus sévère. Alors que j’étais tout à fait silencieux, et ne bougeais point, Monsieur W. s'est tout à coup tourné vers moi et m’a dit : « Peut-être vous voudrez dire quelque chose ? » Tous les pains que j’imaginais dans ma tête sont tombés dans un gouffre. J’ai failli lui dire : « Oui, qu’est-ce que je vais prendre pour le déjeuner ? », mais comme je suis quelqu’un qui a besoin de temps pour répondre, je ne me taisais écarquillant les yeux comme Wittgenstein. Après un instant de silence, il a repris son cours et nous a dit que selon Thomas Bernard, aucun langage n’est capable de représenter la réalité telle qu’elle est. Je me suis demandé si, lorsque je dis par exemple « Monsieur W porte des lunettes » ou « Wittgenstein a un nez, une bouche, deux yeux et deux oreilles », ce n'est pas la réalité, mais je me suis tu pour ne pas déranger les autres. Ce que Monsieur W portait, c’étaient deux rondelles d’oignon et Wittgenstein était sans doute un monstre qui avait trois nez, cinq yeux, dix oreilles et mille bouches.
 J’ai entendu dire que ce philosophe autrichien s'est rétracté et, vers la fin de sa vie, a renié sa célèbre phrase : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut se taire. ( ‘’Tractatus Logico-philosophicus’’ a été publié quand il avait trente-et-un ans et il n’a poursuivi quasiment pas d’activité philosophique pendant longtemps.) Quoi qu’il en soit, cette phrase me semble pratique. En décembre, j'aurai beaucoup de partiels. S’il y des questions auxquelles je ne sais pas répondre, j’écrirai avec conviction: « Sur ce dont on ne peut parler, il faut se taire. »

mercredi 22 novembre 2017

Dans les combles



 J’étais soulagé d’avoir lu ‘’Le monde d’hier’’ que j’avais choisi pour le cours de littérature générale et comparée. Je me disais que je pouvais passer le partiel la tête haute. Cependant, j’ai entendu dire que je devais trouver un livre, un film ou une musique à comparer avec le livre que j’avais choisi. J’ai donc cherché dans ma mémoire s’il y avait quelque chose de comparable avec ce livre, mais en vain. Bien que j’aie quand même lu de nombreux livres, vu de nombreux films dans ma vie, quand j’en avais besoin, aucun ne me venait à l’esprit.

 En bref, ‘’Le monde d’hier’’ est le dernier livre de Stefan Zweig et il s’agit de son autobiographie. Le récit commence par sa jeunesse et se termine à l’invasion des nazis. Il n’en est évidemment pas question dans le livre, mais après l’avoir achevé, au Brésil où il s’était réfugié de sa patrie tombée entre les mains d’Hitler, il s’est administré une dose mortelle de somnifères et s’est suicidé avec sa femme.

 Le seul livre qui me vient à l’esprit est ‘’Sous les combles’’ d’une écrivaine hongroise, Hanna Zoltan. Ce livre n’est pas très connu par rapport au chef-d’œuvre, « Le journal d’Anne Frank », mais il a été écrit dans des circonstances similaires.
 Le père de l’auteur était un commerçant en insecticides. Ses insecticides étaient très réputés. ‘’Fourmilion’’ était son surnom et la famille menait une vie aisée. Au début de la deuxième guerre mondiale, leur style de vie n’a pas changé. Ils ont juste vendu leur maison et déménagé dans leur villa à la campagne. Toutefois, cela n’a pas duré longtemps. Un jour, le père d'Hanna a entendu dire qu’un de ses amis, un boulanger anti-nazi avait été arrêté et brûlé vif dans son fourneau (Après la guerre, les habitants de cette ville ont élevé une statue à cet homme obèse et souriant, afin de ne pas oublier cette Jeanne d’Arc masculine courageuse. Son énorme ventre en or est considéré comme le symbole du bonheur par les habitants de la ville.) Diverses rumeurs circulaient dans la ville. Finalement, la famille en a été réduite à se cacher dans les combles de la maison d’un des amis du père.
 Au début, ils se disaient qu’une telle situation ne durerait pas longtemps. Ils ont démonté une chaise et en ont fait une croix de bois. Chaque matin et chaque nuit, juste avant de dormir, ils priaient ensemble Jésus pour que Hitler se rase la moustache par erreur. Malgré leurs prières quotidiennes, obtenir de la nourriture devenait de jour en jour plus difficile. Le petit frère de Hanna, naturellement chétif est tombé malade et ne pouvait plus se lever. À l’extérieur, au loin, on entendait le terrible bruit des bombardements.


« L’église où j’allais pour la messe chaque dimanche avec ma famille a été détruite. Je n’en ai pas été témoin, mais j’ai deviné ce qui se passait au bruit des bombes et de l’explosion tout proches. Mon école, mon maître, mes camarades, où sont-ils ? Même le garçon le plus méchant dont le visage était plein de boutons, et qui me tirait toujours les cheveux me manque. », écrit l’auteur.
 Afin d’encourager le petit frère d'Hanna, tous les membres de la famille, l’auteur qui n’avait que treize ans à l’époque, sa sœur Agota, seize ans, son père et sa mère ont décidé d’inventer une petite histoire chaque nuit.

 La lecture de ces histoires a duré pendant cent vingt jours jusqu’à ce qu’à la libération de la Hongrie. Les membres de cette famille n’étaient évidemment pas des écrivains professionnels, loin de là. Ce n’étaient que des citoyens ordinaires qui vivaient paisiblement en tuant des fourmis, jusqu’à ce que l’horreur éclate. Si bien que la qualité de leur récit ne peut pas être garantie. C’est aussi sans doute la raison pour laquelle ce livre est beaucoup moins connu que ‘’Le journal d’Anna Frank’’. Mais ces cent vingt récits courts ont été racontés dans un but concret : donner de l’espoir au garçon agonisant et survivre à cette guerre.

 Au dehors, les chars écrasaient le peuple, les bombardiers détruisaient la ville, les mines explosaient sur les jambes et les bras des soldats. Ils ne savaient pas s’ils allaient être arrêtés le lendemain, ou une semaine plus tard ou un mois plus tard.

 Leurs récits n'avaient qu'une seule règle : toutes les histoires doivent avoir une fin heureuse.

mardi 21 novembre 2017

Camus

  Aujourd’hui, je suis allé chez le psychiatre. Après le cours de littérature romaine, j’avais un peu de temps. Au premier étage du Patio, j’ai tué le temps en regardant les gens qui montaient et descendaient l’escalier. C’était amusant d'observer les couleurs des manteaux et des cheveux. En augmentant et diminuant, le courant des gens ne cessait de d’écouler.  

 Je me souvenais que la semaine dernière, en cours d’anglais une fille avait fait son exposé sur l’hospitalisation sous contrainte en psychiatrie. Elle avait les cheveux bruns, longs et ondulés. Elle a toujours l’air malheureux. Lorsque je l’ai vue pour la première fois, ses yeux étaient rouges et que ses lèvres étaient si serrées que j’ai cru qu’elles saigneraient. Elle semblait être sur le point d’éclater en sanglots. La semaine suivante, elle avait la même tête. Et une semaine plus tard, elle avait toujours la même tête. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris que c’était sa tête habituelle.
 C'est donc l'air chagrin qu'elle nous a demandé notre avis sur l’hospitalisation sous contrainte des handicapés mentaux. Tout le monde se taisait. À ce moment-là, Willy a parlé de « Vol au-dessus d'un nid de coucou », comme pour briser ce silence lourd. Je connaissais ce film, mais que je ne le verrai sans doute plus jamais. Et j’ai revu le sourire grimaçant de Jack Nicholson.

 En marchant vers le Camus, je me suis demandé si je n’allais pas être lobotomisé. Je suis juste un peu dépressif et asocial et c’est la raison pour laquelle j’ai pris rendez-vous chez le psychiatre. Je ne suis pas si fou que je doive être lobotomisé, me suis-je dit. Mais il est vrai que les fous croient souvent qu’ils ne sont pas fous comme Leonard Dicaprio dans ‘’Shutter Island’’. En me disant de ne pas boire de thé même si on me servait, j’ai ouvert la porte.

 Une réceptionniste m’a dit d’attendre devant le secrétariat. Je me suis donc assis sur une chaise. Dans la salle, une femme travaillait à une table et elle chuchotait avec une autre jeune femme debout devant elle. À l’entrée du secrétariat, une femme d’âge mûr était debout. Elle aussi disait quelque chose à quelqu’un qui était à l’intérieur. Au bout de quelques minutes, cette femme est partie. Je n’étais pas appelé, mais je me suis levé et j’ai regardé à l’intérieur pour leur faire mettre la pression. Du fond de la salle, une femme qui avait l’air gentille m’a dit que je pouvais entrer.
 D'abord, je me suis demandé si c’était le psychiatre, mais c’était une secrétaire. Elle souriait toujours. Je lui ai donné la copie de mon attestation de santé, (c'était la première fois que la MGEL servait à quelque chose !) et je lui ai montré ma carte d’étudiant. Quand j’ai eu rempli le formulaire qu’elle m’avait donné, elle m’a demandé de la suivre.
Nous avons monté l’escalier en colimaçon. Elle a frappé à la porte de l’une des salles. Quelques instants plus tard, elle est revenue, puis m’a dit d’attendre là que l’on m’appelle.
 Assis sur une chaise bleue en plastique, j’ai attendu en lisant ‘’La ritournelle de la faim’’, cependant, je ne me suis pas arrivé à me concentrer sur ce que je lisais. J’ai abandonné la lecture, et j’ai arrêté de penser.
Quelques minutes plus tard, un jeune homme grand et imberbe, qui avait l’air inquiet est sorti de la salle que la secrétaire était entrée. Ensuite, une femme aux cheveux blancs tombant sur les épaules, est apparue et appelé mon nom.
Dans un coin de la salle, une jeune fille était assise. Le psychiatre, une femme, m’a demandé si cette jeune fille pouvait assister à ma consultation. C’était sans doute une étudiante en psychologie. Sa présence ne me dérangeait pas. J’ai répondu par l’affirmative.
 Elle m’a demandé quels étaient les problèmes qui m’avaient incité à venir ici.
« Je suis parfois dépressif et asocial. J’ai d’autres problèmes, hm… comme l’hyperacousie. Je n’arrive pas à me concentrer quand il y a du bruit autour de moi. Il m’est même impossible de lire un livre à la bibliothèque. Les phrases m’échappent et… Et donc, je ne vais à la bibliothèque pour que dormir, ai-je dit en faisant attention à ne pas faire de faute de grammaire.
- Qu’est-ce que vous faites quand vous devez vous concentrer ? m’a-t-elle dit.
- J’écoute ‘’Les variations Goldberg’’ de Bach. Un jour, j’ai découvert que je me concentre mieux quand j’écoute ‘’Les variations Goldberg’’ de Bach. Je pense que c’est parce que sa musique est plus….
- Structuré ?
- Oui, structuré J’aime également Beethoven, Bartok et Schoenberg. En revanche, Chopin et Wagner ne m’intéressent pas.
- Vous êtes musicien ? m’a-t-elle demandé.
- Loin de là », ai-je dit.
 Elle a soulilgné que ce sont tous des compositeurs dont la musique est structurée.
 « Bartok aussi ? ai-je demandé.
- Bartok aussi. », m’a-t-elle dit.

 Je n’ai aucune culture musicale. Je ne sais jouer d’aucun instrument. Lorsque j’ai dû jouer de la flûte à l’école primaire, c’était déjà catastrophique. Dans le chœur au collège, je feignais de chanter en ouvrant régulièrement la bouche. Mais ceux qui n’ont aucun talent de jouer ne sont pas forcément de mauvais auditeurs. J’ai deux oreilles qui fonctionnent bien, et je suis attiré par Bartok parce que ses morceaux évoquent pour moi beaucoup d’images comme celles qu'un rêve aurait laissées dans mon cœur.
 Elle m’a ensuite demandé si je me sentais bien à Strasbourg. Je suis en effet solitaire et je n’ai que peu de connaissances, mais il était évident que je me sens attaché à cette ville. (De toute façon, je pense que je serai solitaire où que j’aille) J’ai essayé d’éclaircir l’origine de ce sentiment, mais je bégayais. Alors le psychiatre m’a aidé en disant : « Parce que la ville de Strasbourg est aussi structurée ? ». C'est alors que les mots sont sortis tout seuls. Je lui ai dit que je suis originaire du nord du Japon, et j’ai suggéré qu’il y a peut-être une atmosphère commune entre les pays du nord, en dehors de la culture : la tranquillité, l’émotion que fait naître un paysage enneigé, le caractère des habitants etc.
 Je ne sais pas si cette consultation était fructueuse ou pas. Lorsque j’étais au lycée, je consultais également un psychiatre. Je prenais des anti-dépresseurs et des somnifères, mais j’avais l’impression que cela ne servait à rien. D’ailleurs, je savais moi-même que j’étais juste plus sensible que les autres, et que je n’étais pas malade. Je n’attendais donc pas grand-chose de cette consultation, mais je pense qu'elle m'a fait découvrir quelque chose.

 En chemin du retour, en longeant l’Ill, la tête baissée, je me suis demandé de nouveau pourquoi je suis attiré par l’Alsace-Lorraine, une région qui n’avait aucun lien avec moi. Et je me suis rappelé que j’avais également dit au psychiatre que je ne parle et n’écris qu’en français. Lorsque j’essaie d’écrire quelque chose en japonais, les mots disparaissent. En même temps, lorsque j’écris en français, je sens la présence de cette deuxième langue qui existe comme le lit d’une rivière. La langue officielle de l’Alsace-Lorraine est évidemment le français, mais c’est une région qui a aussi une autre langue et une autre histoire derrière elle. C’est du moins ce que que je pense avoir en commun avec cette région.