samedi 23 février 2019

La porte condamnée


 Aujourd’hui, j’ai travaillé toute la journée ma dissertation sur Simone de Beauvoir. Au début, j’étais plutôt démotivé, mais en écrivant, je voyais des choses dont je ne m’étais pas aperçu dans le texte et finalement je trouvais ça assez amusant, ce qui fait que j’ai travaillé sans cesse jusqu’à six heures du soir. J’ai même largement dépassé la limite du nombre de caractères qui est de 15 000. Je devrai donc supprimer bon nombre d’éléments, et modifier pas mal de choses. Mais je ne peux pas garantir la qualité de ma dissertation parce que je n’aime ni les dissertations ni les analyses. La dissertation me rappelle toujours une autopsie. Un cadavre est posé devant moi et je le découpe en plusieurs morceaux. Comme je suis maladroit, je coupe par inadvertance une veine ; je découvre un organe étrange que je n’identifie pas. Je jette à la poubelle cet organe incongru dont je ne sais pas quoi faire. Et quand je présente le résultat de mon travail devant tout le monde, c’est justement sur l’organe que j’ai jeté que le professeur m’interroge. C’est alors que j’apprends qu’il était important. Voilà, c’est l’image qui me hante quand je disserte quel qu’en soit le sujet.
 On avait le choix entre Simone et Annie. Je n’avais lu ni l’une ni l’autre quand j’ai choisi la première. Comme l’autobiographie de la seconde m’a un peu ennuyé, je me suis dit que c’était bien de choisir Simone.
 Au fait, chaque fois que je vois les mots « porte condamnée », je me demande à quoi la porte est condamnée. Est-elle condamnée à deux ans de prison avec sursis ? Qu’est-ce qu’elle a fait pour mériter ce châtiment ? A-t-elle violé une femme ? A-t-elle escroqué une grand-mère de quatre-vingt dix ans ? A-t-elle cassé la vitrine d’une boutique ? « Je n’avais pas l’intention de coincer les doigts de la victime….. je n’avais pas assez dormi, j’avais un peu bu et…..Non, je n’ai pas d’enfant…oui, j’ai divorcé il y a dix ans….» : est-ce là ce qu’elle a dit dans la salle d’interrogatoire ?

mardi 19 février 2019

Thispersondoesntexist


 Je regardais sur Internet des images crées par l’intelligence artificielle. Ces images représentaient des hommes et des femmes de tous âges et de toutes origines. J’étais à la fois stupéfait et impressionné par ces images. Elles étaient si réalistes que personne n'aurait pu les différencier de personnes réelles. Si on agrandissait les images, on pouvait apercevoir les moindres pores et rides. Chaque personne semblait avoir son passé et sa vie. C’était difficile de croire que toutes ces personnes n’existaient pas en réalité, et que ce n’étaient que des données produites à partir d’innombrables un et zéro. Il y a quelques années, la peinture créée par l’intelligence artificielle était assez maladroite. En peu de temps, elle a fait une évolution si étonnante qu’elle semble comprendre l’homme plus que l’homme.
 J’ai fais défilé le site vers le bas. À ce moment-là, j’ai découvert une image, une image représentant un homme souriant devant une gare. Cette personne était mon sosie. La même coiffure, la même épaisseur des lunettes, la même forme des lèvres. C’était moi. « Je » souriais, un parapluie noir à la main, devant une gare que je n’avais jamais connue. « Mon » sourire était un peu saccadé, comme le mien. Je me suis demandé pourquoi il y avait mon visage sur ce site de personnes qui n’existent pas. J’ai eu peur et j'ai pleuré. 

dimanche 17 février 2019

''Une affaire de famille''



 Comme plusieurs personnes m'en ont parlé, j’ai aussi regardé « Une affaire de famille » de Hirokazu Koré-eda. Je préviens mes lecteurs (s'il y en a) que je gâche la fin de ce film dans cet article pour écrire mon avis. 
 « Une affaire de famille » parle d’une famille pauvre qui vit dans un quartier populaire de Tokyo. Le père, Osamu, est un ouvrier journalier. La mère, Nobuyo travaille dans une usine de pressing. La fille, Aki, travaille dans une maison de « peep-show ». Le fils, Shôta, aide Osamu à voler à l’étalage. La grand-mère, Hatsué vit de ses pensions. Elle rend régulièrement visite chez la famille du fils de son ex-mari défunt pour leur demander des « dommages-intérêts ». La famille vit du salaire d’Osamu et de Nobuyo, des pensions de la grand-mère, et de vols à l’étalage. (Aki garde son salaire à elle).
 Un soir d’hiver glacial, pendant qu'Osamu et Shôta rentrent ensemble chez eux, ils trouvent une petite fille qui tremble de froid dans le balcon extérieur d’un HLM. Osamu ne peut pas la laisser dehors, et l'amène chez lui. Après avoir partagé le dîner, Nobuyo et Osamu vont ramener la fillette au HLM, jusqu’à devant le balcon où elle tremblait de froid. À ce moment-là, ils entendent la dispute d’un couple, et le cri de la femme disant : « Je ne voulais pas de cette enfant non plus ! ». Abasourdis, Osamu et Nobuyo sont incapables de rendre la fillette, et ainsi un nouveau membre rejoint la famille qui vit de vol à l’étalage. 
 Ce qui est interrogé est le lien de la famille. En fait, dans la dernière partie du film, il s’avère que cette famille qui vit de vols à l’étalage n’a aucun lien de sang l’un et l’autre, et les (faux) parents, Osamu et Nobuyo, sont arrêtés par la police si bien que tous les autres membres se retrouvent séparés bien qu’ils vivaient comme une véritable famille. Aki retourne chez ses véritables parents qui la négligeaient. Shôta entre dans une institution qui accueille les orphelins, et la fillette est renvoyée à ses vrais parents qui la maltraitent. Le film se termine par la scène où elle joue toute seule dans le balcon de son HLM et qu’elle regarde l’extérieur comme lorsqu’Osamu l’avait trouvée, ce qui montre que la fillette est de nouveau maltraitée auprès de ses « vrais parents ». Cette scène de la fin m’a rappelé une véritable affaire de la mort d’une fillette agressée quotidiennement par ses parents, qui avait eu lieu il y a quelques semaines au Japon. Ainsi, une certaine critique envers la société japonaise de la part du cinéaste se transparaît dans ce film. 
 Par ailleurs, il est intéressant que l’idée d’une fausse famille qui vit de vols a une dimension très invraisemblable. Ce noyau imaginaire est entouré d’une dimension crue et si réaliste que le film fait penser de temps en temps à un reportage sur les gens d’en bas de la société. 
 J’avoue de ne pas connaître suffisamment de films japonais, mais j’ai l’impression que les cinéastes japonais ont traditionnellement tendance à construire un univers à partir de l’infime de la vie quotidienne. C’est aussi le cas d’« une affaire de famille ». Dans ce sens, je pense que Koré-eda s’inscrit dans la lignée du cinéaste Yasujirô Ozu, sur lequel Aki Kaurisumaki dit les propos intéressants : « Il n’a pas utilisé ni violence ni meurtre ni pistolet pour dire tout ce qui est essentiel de la vie humaine ». Cette esthétique ne correspond-t-il pas aussi à Koré-eda ?

jeudi 14 février 2019

Le vacarme


 Pendant les dernières quinze minutes du cours de pragmatique, tandis que Madame T. parlait, tout à coup, un grand bruit s’est fait entendre. Il semblait qu’on faisait des travaux dans la salle voisine. C’était le bruit d’une perceuse si bruyant qu’on n’entendait rien d’autre. Évidemment, Madame T. a arrêté de parler jusqu’à ce que ce bruit s’arrête. Quelques instants plus tard, le vacarme a cessé. Elle a recommencé à parler. « Maxime de qualité…théorie de Grice… », quelque chose de ce genre. Aussitôt l’énorme bruit est revenu ; elle a de nouveau dû arrêter son discours. Puis, le vacarme a cessé. La professeur a repris la suite de son explication, mais en vain, puisque la perceuse revenait chaque fois qu’elle essayait de parler. Je trouvais ce spectacle beau. Je regarde souvent des contes humoristiques sur Youtube. Ce qui se passait ce matin dans cette salle de l’Atrium était si parfait que ça me semblait sorti droit d’un sketch. En bref, j’ai éclaté de rire en étouffant ma voix. Mais les autres ne riaient pas. Il n'y avait que moi qui riais. Mais c'était drôle.

L'éléphant en argile


 Chaque nuit, je dors en écoutant la vidéo dans laquelle un homme crée un petit éléphant en argile. La vidéo commence par la scène où il ouvre un plastique d’argile, toutefois je ne connais pas la suite puisqu'à ce moment-là mes paupières sont closes, et je n’entends que le son. Alors comment sais-je qu’il crée ensuite un petit éléphant ? Parce que c’est ce que montre l’aperçu de la vidéo. En me concentrant uniquement sur le son, j’imagine un petit éléphant se former de la masse d’argile rectangulaire, par les mains de l’homme dont on ne voit pas le visage. Dans mon esprit, il crée d’abord un corps, et par la suite de grosses oreilles auxquels rejoignent finalement une longue trompe. Lorsqu’il perce deux minuscules trous dans la tête de l’éléphant en guise d’yeux, je m’endors, si bien que je n’ai jamais réellement pu assister à la création de l’éléphant en argile. Le petit éléphant n’existera que dans mon esprit tant que j'utilise cette vidéo comme berceuse.

Ce soir, j'ai regardé "Le Locataire" de Roman Polanski


 Aujourd’hui, assis dans un coin de la bibliothèque, j’ai composé un poème pour tuer le temps. Je l’ai écrit sur une feuille de papier. Depuis longtemps je n’avais pas écrit un texte intime sur une feuille, je me suis souvenu qu’avant je n’arrivais pas à écrire à l’ordinateur. Sans la sensation contre ma main, je n’avais pas l’impression d’écrire. Cependant, quand on écrit sur l’ordinateur, on n’écrit pas, mais on tape. Mon poème débutait ainsi :
 Lorsque je suis rentré du travail (je travaille dans un laboratoire. Mon travail est d’examiner le vomi de vaches au microscope), j’ai réalisé qu’un bras était poussé sur l’un des murs de mon appartement. « C’est un bras », me suis-je dit. Après m’être gargarisé et lavé les mains (il y a une épidémie de grippe en ce moment), j’ai mangé une pizza (marguerita) que j’avais achetée à la pizzeria du coin. Le bras était blanc. Ses doigts étaient fins comme ceux d’un pianiste, et ses ongles vermis en écarlate. C'était donc le bras d'une femme. Ça m'a réjoui parce que j'étais célibataire. Le bras était immobile pendant que je mangeais ma pizza. J’ai examiné sa naissance ; il semblait poussé directement du mur comme une plante. « Est-ce le harcèlement de ma voisine ? », me suis-je demandé. Ma voisine était une femme d’environ soixante-dix ans qui vivait toute seule depuis qu’elle avait perdu son mari. Son fils était aussi mort d’un accident de voiture. Selon le gardien de l’appartement, ma voisine, toujours en pyjama (elle sort en cette tenue) et avec des bigoudis (elle sort avec), avant la mort de son mari, était une dame souriante qui aimait le jardinage, mais elle était déjà folle quand je me suis installé dans cet appartement. J'ai paniqué. Mon propriétaire se mettrait en colère si elle voyait qu’un bras était poussé dans mon studio. J’ai pris une fourchette, pour donner quelques stimulations au bras.
 Je n’ai pas achevé mon poème parce que j’avais faim, j’ai donc quitté la bibliothèque pour déjeuner. Le burger et les frites que j'ai mangés aux dépens de la culpabilité ― parce que je suis au régime en ce moment ― était délicieux.

mercredi 13 février 2019

Piles

 Ma montre s’est arrêtée. C’est une montre de pacotille, en plastique que j’avais un jour achetée au centre commercial. L’aiguille qui marque le tic-tac était maintenant tout à fait silencieuse comme si on assistait à la fin du monde. Je ne sais ni quand ni comment elle s’est arrêtée. J’ignore si elle a souffert lorsqu’elle a épuisé ses dernières forces. Ce qui est évident, c’est que pendant que je ne la regardais pas, sans que personne ne s’en rende compte, elle a arrêté de marquer le temps, dans un recoin de ce vaste monde, rythmé par d’innombrables tic-tacs incessants.
 Je suis donc allé chercher des piles au supermarché. D’habitude, je choisis la pile la moins chère qui coûte environ 4 euros. Tandis que je tendais mon bras vers un paquet des piles les plus bon marché, un autre paquet a attiré mon attention. Dessus il était imprimé en gros caractères : « Energizer Max + Powerseal », et en bas : « HOLDS POWER FOR UP TO 10 YEARS ». Ces piles coûtaient plus de deux fois plus que les moins chères. Mais le paquet disait que ces piles tenaient plus de dix ans. Dans ce cas, ça me semblait normal qu’elles coûtent cher, et qu’elles semblent même peu chères si elles tiennent aussi longtemps.
 J’ai ainsi acheté un paquet de piles chères. A l’université, je l’ai montré à plusieurs personnes et leur ai demandé si ce qui était écrit était vrai. « C’est faux », a dit une fille. « Tu t’es fait avoir », a dit un garçon. Personne n’a cru que ces piles tiennent pendant dix ans. Était-ce un mensonge ?
 Je ne les ai pas encore mises dans ma montre parce qu’enfin, j’ai découvert qu’un monde sans tic-tac n’est pas si mal. J’attends que mon dictionnaire électronique de Casio (EX-word XD-N7200 comprenant cinq dictionnaires français-japonais, quatre dictionnaires anglais-japonais, une encyclopédie des animaux, une des oiseaux et des animaux aquatiques) épuise ses piles. Ensuite, je devrai attendre dix ans pour voir si les piles tiennent aussi longtemps.

dimanche 10 février 2019

Les Trois brigands


 La France n'était encore pour moi qu'un pays lointain dont je connaissais uniquement le nom comme un royaume dans un conte de fée, que déjà je lisais encore et encore des albums de Tomi Ungerer. Dans la bibliothèque de mon école primaire qui a été fermée il y a plusieurs années à cause du manque d’enfants, il y avait les « Trois brigands », et je contemplais ces dessins sans me lasser. Dans ma famille, on avait l’habitude d’aller à la bibliothèque au lieu d'acheter des livres. Les « Trois Brigands » a été l’un des rares livres que j’ai demandé à mes parents d’acheter pour que je puisse le lire quand je le voulais. Ce livre à dessin qu’ils m’ont ainsi offert il y a plus de quinze ans maintenant, lorsque j’étais en primaire, demeure toujours sur l’étagère de ma chambre chez mes parents, avec la date de l’achat : « le XX YY, la quinzième année de l’ère Heisei ».
 Cependant, j'ai toujours cru que l’artiste était américain, parce que sur le dos de la couverture du livre, accompagnant une photo avec un enfant, peut-être son fils, il était écrit qu’il vivait aux États-Unis. C’est beaucoup plus tard que j’ai appris qu’il était originaire de Strasbourg, et qu’il s’était expatrié aux États-Unis dans sa jeunesse pour tenter sa chance en tant que dessinateur. 
 Pendant ma première année à Strasbourg, j’empruntais souvent des albums de reproduction de Tomi Ungerer à la BNU. Admirer ses dessins caricaturaux, humoristiques, et un peu effrayants était mon divertissement du dimanche après-midi. J’ai évidemment visité le musée Tomi Ungerer qui expose des œuvres d’enfance de l’artiste que sa mère avait conservées avec soin. Les œuvres créées par Tomi Ungerer dans son enfance permettent déjà de comprendre que c’était un enfant doté d’un talent incomparable et unique. Son style n’est pas encore complètement abouti, mais les visiteurs s’étonneront que ces dessins, prophétisant ce que ce prodige deviendra dans l’avenir, manifestent déjà une grande originalité et un côté obscur.
 Je passe tous les jours devant le musée Tomi Ungerer pour aller à l’université. Dans le jardin, les trois brigands, aux chapeaux et manteaux de la couleur de la nuit, tournent leur regard vers la Place de la République. Ce n'est pas une rencontre mais des retrouvailles. Lorsque je leur jette un coup d’œil, ils me regardent.

vendredi 8 février 2019

Youtubeur


 Assis dans un coin désert de la bibliothèque, lorsqu’une fille grande et mince, aux cheveux longs et lisse s’est assise à côté de moi, je composais un poème pour tuer le temps. Sans y prêter attention, j’ai continué à écrire mon poème. Mon poème débutait ainsi :
« Dans ma pièce,
Je parle tout seul
D’une voix forte,
Parce que je suis youtubeur.
Dans la rue déserte,
Je parle tout seul,
Parce que je suis youtubeur »
 La fille qui s’est assise à côté de moi était enrhumée. Elle toussait de temps en temps. Cette fille est un nid à bactéries, ai-je pensé. Les virus y faisaient la fête. Chaque fois qu’elle dispersait ses microbes dans un rayon de 5 kilomètres autour d’elle, je retenais ma respiration. J’avais l’impression d’étouffer. Mon cerveau manquait d’oxygène et je devais m’efforcer de me concentrer sur mon poème. J’ai écrit la suite :
« Mon voisin tape contre le mur.
‘’Tu n’es pas youtubeur !
Tu n’as aucune audience !
Personne ne t’écoute !
Tu n’as même pas de micro !
Ton ordi est éteint !’’
Je suis youtubeur.
Je découpe des poissons.
L’orange que j’ai achetée au supermarché
Était moisie ».

jeudi 7 février 2019

Pierre


 Pendant le cours d’anglais, j’ai un peu discuté avec un autre étudiant. Il s’appelle Pierre et étudie le théâtre. Avec ses yeux clairs, il ressemble un peu à David Hemmings dans « Blowup » d’Antonioni. La semaine dernière, Pierre m’avait demandé de lui prêter un stylo. « Prends-tu cours avec l’ordinateur ? », lui ai-je dit. « Je ne prends pas de cours », m’a-t-il répondu. En effet, ce jour, il n’avait rien sur lui. Il n’avait même pas de sac, et j'ai cru ce qu’il m’a raconté. Aujourd’hui, Pierre avait un sac noir. « Tu as commencé à prendre des cours », lui ai-je dit. « J’ai commencé à faire semblant de prendre des cours », m’a-t-il dit. Nous avons discuté un peu sur les livres que nous avions choisis pour le cours. Il avait choisi une pièce de théâtre. J’avais choisi « Animal Farm » de George Orwell. J’avais choisi ce livre pour deux raisons. 1 : il est court. 2 : J’aime George Orwell. Mais Pierre n’aimait pas George Orwell. Il avait lu « 1984 ». Ce récit lui a paru trop pessimiste, et déprimant. « C’est à peu près la même chose, non ? », m’a-t-il dit en indiquant du doigt « Animal Farm ». « En effet », ai-je dit. « 1984 » parle d’un futur proche, d’une nation qui est régné par une partie politique totalitaire qui impose leur idéologie à son peuple, en déformant l’histoire et la vérité. « Animal Farm » parle d’une ferme d’animaux, comme l’indique le titre. Dans une ferme, des animaux sont maltraités par un être humain, Monsieur Jones. Un jour, un vieux cochon, appelé Major, avant de mourir, fait un discours devant tous les animaux et les convainc qu’ils ne doivent pas se laisser assujettir par l’homme. Major meurt quelques jours plus tard, et un jour, guidés par les deux cochons les plus intelligents, Snowball et Napoleon, tous les animaux se révoltent contre Monsieur Jones, et parviennent à chasser leur maître. Par la suite, ils décident de créer une « Ferme d’animaux » où tous les animaux peuvent mener une vie heureuse. Au début, ce projet marche bien, mais petit à petit, le cochon Napoleon commence à se comporter comme un dictateur, et les autres animaux sont de nouveau maltraités. C’est un « heart warming story ».
 Pendant que nous parlions de George Orwell, notre professeure est entrée dans la salle, et elle nous a distribué les photocopies d’une critique littéraire, rédigée par une certaine Michiko Kakutani, parue sur New Yorker. Pierre et moi avons tout de suite réalisé qu’il s’agissait d’une critique sur « 1984 » de George Orwell.

mardi 5 février 2019

J'ai peur du déjeuner


 Aujourd’hui, pendant que je marchais, quelqu’un m’a dit : « Anyo-hase-yo ». Franchement on me prend plus souvent pour un Coréen que pour un Chinois. Je ne sais pas à quoi je ressemble. Pour l’instant, personne ne m’a pris pour un Africain, ni un Allemand, ni un Indien, ni un chat. 
 Tous les jours, je ne pense qu’au déjeuner. Le matin, quand je bois du café, je pense déjà à ce que je vais manger à midi. Dans la matinée, pendant le cours, en écoutant distraitement ce que le professeur raconte, ma tête est remplie de l’image d'un pain au chocolat ou d'un bon café chaud. L’heure du déjeuner arrive après un long moment d’attente qui semble éternel. Tantôt le déjeuner est satisfaisant, tantôt il est insatisfaisant, mais peu importe. Ce qui m’importe n’est pas la qualité du déjeuner, mais sa conception. C’est un repas entre le matin et le soir. Le matin, je ne mange pas. Je ne prends qu’un café noir parce que je n’ai pas d’appétit et que je veux prolonger mon sommeil autant que possible. Par conséquent, j'ai faim dans la matinée. Je veux consacrer ma soirée à d’autres activités, comme lire, écouter de la musique ou écrire. Après avoir déjeuné, je me rends compte que je commence déjà à penser au déjeuner du lendemain. Le menu du resto U me préoccupe beaucoup. Serait-ce de la viande ? Si c’était encore un cordon bleu ? S’il y avait des cornichons dedans ? De retour chez moi, quand je me couche et éteins la lumière de ma chambre, je pense au déjeuner d’aujourd’hui et à celui du lendemain.

dimanche 3 février 2019

La chair de poule



 Aujourd’hui, j’ai terminé les « Mémoires d’une jeune fille rangée » de Simone de Beauvoir, l’un des livres que je dois étudier durant ce semestre. Les professeurs ont tendance à m’imposer des livres ennuyeux, poussiéreux et moisis, mais ce livre m’a beaucoup plu. C’était un type d’écriture extrêmement raffinée qui m’était jusqu’alors totalement inconnue.
 Il y a longtemps, j’avais lu un article intitulé « Si vous avez la chair de poule en écoutant de la musique, vous avez un cerveau spécial ». Cet article disait en gros qu’une petite partie de la population ait la chair de poule en écoutant de la musique, et ces gens possèdent des fibres plus développées qui sont reliés à leur cortex auditif et aux zones qui traitent les émotions. J’ai quelques compositeurs préférés, mais je suis loin d’être mélomane. Mes connaissances en musique sont pauvres et je ne peux jouer aucun instrument. Il n’est donc pas surprenant que ce genre d’expérience ne me soit jamais arrivé. Cependant, j’ai la chair de poule lorsque je suis ému en lisant un livre. Il n’y a pas beaucoup de livres qui m’ont touché à ce point. Je me rappelle pendant que je lisais « Dora Bruder » de Modiano et « L’Amour aux temps du choléra » de Marquez, ma peau avait entièrement frissonné et la chair de poule avait traversé tout mon corps comme un blizzard. « Les Mémoires d’une jeune fille rangée » fait partie de ces rares livres qui m’ont fait avoir la chair de poule pendant plusieurs secondes, jusqu’à ce que je tourne la dernière page.
 La lecture, c’est donc quelque chose de physique. L’article que j’ai cité précédemment ne parlait que de musique. Je me demande s’il y a d’autres personnes qui ont la chair de poule quand ils sont émus en lisant des livres. Pour une raison obscure, j'ai la chair de poule quand je mange du fromage aussi, bien que je ne sois pas allergique. 
 …Mais je ne suis quand même pas content que Madame Grenouillet ait gâché la fin du livre pendant le cours vendredi dernier, en révélant que Zaza succombera à une forte fièvre sans pouvoir épouser Pradelle.

samedi 2 février 2019

Mes muscles faciaux


 Comme la semaine dernière, j’ai vu ma partenaire Tandem en sous-sol du Portique. Nous avons échangé des propos en japonais et en français. Il s’est avéré aujourd’hui que nous avions des goûts quasiment opposés. Je lui a dit que j’avais beaucoup aimé « Les Confessions » de Jean-Jacques Rousseau que j’avais étudié au premier semestre.
« Ah, j’aime pas ça. J’aime pas du tout la littérature du XVIIème, XVIIIème siècle, m’a-t-elle dit.
– Moi non plus, mais Rousseau est une exception, ai-je dit.
– Mais j’aime Balzac.
– Je déteste Balzac.
– J’aime Racine !
– Je le déteste ! Trop ennuyeux. Et Céline ? lui ai-je demandé.
– J’ai jamais lu, mais il est écrit d’un ton familier, c’est ça ?
– En effet.
- Je pense pas que je vais l’apprécier. J’aime les livres de jeunesse, les histoires fantastiques.
- Pas moi !
- Tu aimes Camus ? m’a-t-elle demandé.
- Oui, ai-je dit. Tu aimes Garcia Marquez ?
- Oui », m’a-t-elle dit.
 Ainsi, après de nombreux efforts, nous avons enfin trouvé notre point commun de réconciliation que sont Albert Camus et Garcia Marquez. Je la trouve un peu ennuyeuse bien qu’elle soit intelligente et sympathique. Mais à vrai dire, je m’ennuie souvent avec les gens. Pour une raison obscure, je suis souvent plus attiré par les gens qui ont des « défauts » que ceux qui sont sains. Les gens fragiles, étranges ou qui sont en souffrances m’intéressent, sans avoir affaire à leur apparence ou à leur intelligence. La fille a peut-être lu dans mes pensées. Alors que je dissimulais mes sentiments, au moment de dire au revoir, elle m’a dit d’un air humble : « J’espère que ce n’était pas trop ennuyeux ». « Bien sûr que non », ai-je dit, tout en essayant de sourire, mais en vain. En fait, mes muscles faciaux ne sont pas assez développés.
 Après que nous nous sommes séparés (il s’est avéré aussi qu’elle est allergique aux chats), j’ai fait mes courses au supermarché. Pendant que je lisais le cahier des avis des clients comme d’habitude, ma main a touché, dans une poche de mon manteau, quelque chose de solide. C’était un stylo. Pour la première fois, j’ai décidé d’écrire quelque chose dessus, mais je n’avais rien à dire aux employés du supermarché. Finalement j’ai écrit que j’aime les poissons. Comme c’était un peu triste, j’ai orné mon humble prose d’un petit dessin représentant une sole. Peut-être aurais-je dû écrire plus de chose, que j’étais étudiant en lettres mais que la plupart des cours m’ennuyaient fort, que j’aimais bien en ce moment Simone de Beauvoir, ou j’aurais peut-être dû demander si les poissons ferment les paupières quand ils dorment.