mardi 31 juillet 2018

''La collection de Matthieu'' Yoko Ogawa


 Une amie m’a fait monter dans sa voiture à Arles. Sur les sièges, des noix, des pierres et des coquilles d’escargots étaient éparpillés. « Je suis désolée. Tout ça, c’est la collection de mon fils », a-t-elle dit. En faisant attention à ne rien abîmer, elle a rangé d’un air habitué pour me faire de la place.
 Je me suis rendu compte que divers objets tels que des branches de lavande, des morceaux de carrelage et une chaîne rouillée se trouvaient à mes pieds.
Le propriétaire de la collection, Matthieu, trois ans, ne peut s’empêcher de ramasser tout ce qu’il trouve intéressant sur son chemin. Sans se lasser, il contemple sa collection en la touchant ou en mettant sous le soleil.
 Ayant écouté cette histoire, j’ai constaté qu’il y avait là en effet, une saveur particulière et que cette collection ne pouvait être simplement qualifiée de bric-à-brac. Les pierres étaient si lisses que j’avais envie d’y frotter ma joue. Sur les coquilles d’escargots se dessinaient des spirales mystérieuses.
 Dès que je suis entrée chez mon amie, Matthieu a couru vers moi. J’ai caressé sa petite tête, en lui murmurant « Combien d’histoires caches-tu ici ? ».
 Son cadeau était une libellule empaillée, morte sur une branche d’olivier. J’imagine que c’était un objet particulièrement précieux dans sa collection. Je l’ai mise dans la petite boîte où se trouvait la sucette de Matthieu et je l’ai apportée au Japon.
 Maintenant la libellule demeure sur mon bureau.

lundi 30 juillet 2018

Le cerveau d'Einstein


 Aujourd’hui, j’ai regardé une émission intéressante sur NHK. Dans cette émission, une équipe japonaise faisait des recherches sur le destin singulier du cerveau d’Einstein.
 En 1955, lorsqu’Einstein est mort, l’anatomiste Thomas Harvey a extrait le cerveau de sa boîte crânienne et l’a pesé. Il était un peu plus léger que la moyenne. Étant dubitatif de ce résultat inattendu, l’anatomiste l’a volé sans le remettre dans le crâne.
 L’hôpital a appris ce vol et Harvey a été licencié. Il a obtenu, non sans difficulté, la permission de la famille du défunt, et il a conservé ce cerveau chez lui. Toutefois, il ne savait pas comment l’examiner. C’est alors qu’il a pris une décision extravagante. Il l’a sectionné en environ 240 morceaux et en a envoyé une grande partie aux savants du monde entier. Harvey est mort en 2007. Ce qui restait de sa « collection » est conservé aujourd’hui à l’Université de Princeton aux États-Unis, mais la majorité des morceaux dispersés aux quatre coins du globe sont toujours introuvables.
 Un médecin anonyme, que nous appellerons X qui conserve aujourd’hui le plus grand nombre des morceaux du cerveau d’Einstein, voudrait avoir le reste afin de faire des recherches sur le secret de l’intelligence du génie. « Avec le développement de la technologie, le mécanisme du cerveau sera complètement dévoilé d’ici cinq à dix ans », dit-il.
 Dans l’émission, on est arrivé à identifier quelques scientifiques qui possèdent aujourd’hui des morceaux du cerveau. L’équipe de l’émission est allée les interviewer et tenter de les convaincre de les confier au docteur X. L’un des scientifiques a avoué qu’il avait, par erreur, écrasé les morceaux en sa possession, pendant qu’il essayait de les analyser. Un professeur retraité a d’abord refusé l’interview, mais finalement il a laissé entrer l'équipe dans sa maison grande comme un palais. D’une vieille armoire en bois, il a sorti de petits objets rectangulaires, orangés et diaphane comme des ambres, dans lesquels étaient conservés quelques particules du cerveau d’Einstein pour l’éternité. « J’ai aussi un côté humain. J’avoue que j’avais le désir de posséder une partie du cerveau de ce génie. J'aurais voulu le faire mien, mais j’ai écouté votre plaidoyer et décidé de vous donner ce que j'en possédais pour l’avenir de la science », dit-il. Et on a appris qu’un autre possesseur du cerveau, une neurologue était déjà morte et personne ne savait où se trouvait sa part.
 Le cerveau d’Einstein est encore loin d’être reconstitué. Comme je relate ce documentaire de mémoire, les chiffres ne sont peut-être pas exacts, mais l’émission a conclu qu’environ 110 particules de ce cerveau ont été préservées. Les possesseurs de 40 morceaux ont été identifiés. 90 morceaux demeurent introuvables.

Michel


 J’ai repris la lecture de « La Possibilité d’une île » de Michel Houellebecq que j’avais abandonnée. Pourquoi ai-je recommencé à lire ce roman ? Parce qu’un livre en français que je lisais m’a ennuyé à mort et je me suis dit que le livre de Michel était beaucoup mieux. Au moins, il n’est pas inintéressant. Je l’avais abandonné car quelques scènes me dégoûtaient et que c’était quand même un peu déprimant.
 Celui qui m’a fait découvrir cet auteur était un professeur de français. « Je ne suis pas grand fan de cet auteur… », a-t-il dit, puis il a continué « Mais j’ai beaucoup ri en lisant ce roman », et m’a donné « La Carte et le territoire ». À ce moment-là, je ne comprenais pas pourquoi il avait dit : « Je ne suis pas grand fan de cet auteur… ». Maintenant je le comprends, car ce n'est pas J.K.Rowling mais Michel Houellebecq. Si on dit « Je suis un grand fan de Michel Houellebecq ! », on sera tout de suite pris pour un raciste, un homophobe, un islamophobe et un gros pervers mégalomane. Est-ce que j’aime Michel Houellebecq ? C’est une question difficile. Je trouve ses romans intéressants, même si parfois ils me dégoûtent (et j’imagine que c’est peut-être l’intention de l’auteur).

 Dans une interview, Yukio Mishima disait qu’il détestait Osamu Dazaï car ils avaient des traits communs et qu’il avait peur de devenir comme lui. Je ne ressemble pas à Michel. Il est blanc, je suis asiatique. Il est vieux, je suis encore dans und jeunesse qui va bientôt se terminer sans que rien ne se produise. Michel est célèbre, c’est l’un des écrivains français les plus vendus au monde, et je suis totalement inconnu et je le resterai à jamais. Mais on est plutôt déprimé et misanthrope. J’ai aussi un peu peur de devenir comme lui en lisant ses romans. Quand je regarde sa photo sur le revers de la couverture de ses romans, je me demande si je lui ressemblerai physiquement dans l’avenir. Mon nez, qui est déjà grand pour un jaune, s’allongera-t-il ? Mes cheveux qui se sont déjà mis à blanchir à cause de l’hérédité, seront-ils châtain-gris comme les siens ? Aurai-je aussi ce regard pervers et alcoolique un jour ?
 Je chasse cette idée de ma tête. Pour l'instant, je vais finir ce long roman, même si le visage de l'auteur ne cesse de traverser mon esprit, tel le clignotement d'un phare, quand le héros Daniel 1 fait l'amour avec Esther. Michel, tu écris vachement bien.

dimanche 29 juillet 2018

L'hirondelle


 Le typhon numéro douze, nommé « Jongdari » arrive dans la région du Kantô. Selon les actualités, « Jongdari » est un mot coréen qui signifie « hirondelle », mais sa puissance est plutôt celle du vautour. À la télé, un reporteur avec un imperméable qui tenait son casque sur sa tête, essayait d'expliquer la véhémence de l’hirondelle. Toutefois, son corps trempé de la pointe des pieds jusqu’à la tête l'exprimait mieux que ses mots.
 Le typhon Jongdari a dérivé vers l’ouest. Selon la météo, il arrivera dans la région du Tôkai de la nuit à l’aube, sans que sa zone de tempête ne s’affaiblisse.
 Chaque année, un, ou parfois plusieurs typhons arrivent au Japon en cette saison, sauf à Hokkaidô. Pourquoi Hokkaidô est-elle une exception ? En fait, les typhons, nés souvent dans les mers du sud, s’affaiblissent et disparaissent avant d’arriver au nord de l’archipel. Dans le reste du Japon, les maisons ont des portes coulissantes qui peuvent couvrir les fenêtres pour les protéger de la tempête, ce qui n’est pas le cas à Hokkaidô. Je n’ai donc presque jamais fait l’expérience d’un typhon. Ce que diffuse la télé lors du passage d'un typhon semble être un événement d’un pays étranger.
 Mais dans mon enfance, une fois seulement, un typhon a débarqué sur Hokkaidô en gardant sa puissance. J’étais écolier, mais comme je ne me rappelle ce jour que partiellement, j’étais peut-être encore petit. Je ne sais pas si l’école a été annulée ce jour-là. Ma mère était au travail et mon père vivait dans une ville lointaine. Tandis que je restais à la maison avec mon petit frère, tout à coup, le ciel s’est assombri, et un vent violent a commencé à souffler en apportant une pluie diluvienne. Les arbres devant chez moi ployaient comme un arc et ils avaient l’air souples. Quelques heures plus tard, ma mère est rentrée du travail. Elle s’est mise à remplir un seau d'eau pour se préparer à une éventuelle coupure d’eau. Il n’y a pas de portes coulissantes contre la tempête à Hokkaidô. La vitre était la seule chose qui nous protégeait du vent violent. Dès que l’on a fermé les rideaux, j’ai eu l’impression que la maison était projetée dans l’espace. Pendant que nous regardions la télé, la lumière s’est éteinte. C’était une panne d’électricité. Un cable électrique a été coupé non loin d’ici. Ma mère a cherché une lanterne dans le débarras et l'a mise sur la table de la salle à manger. Nous avons dîné tranquillement en entendant le bruit du vent qui soufflait.
 Le lendemain, lorsque je me suis réveillé, le typhon était passé comme si de rien n'était. L’électricité était rétablie et toutes les chaînes parlaient des dégâts qu'il a laissés. Je me suis promené dans la ville. Quelques arbres déracinés. La rivière qui coulait d'habitude doucement, était boueuse et ondulait. Pour l’instant, c’est le seul souvenir de typhon que je garde.

samedi 28 juillet 2018

''La maison d'édition d'Arles'' Yoko Ogawa


 Le premier pays qui a traduit et a publié un de mes romans, c’est la France. Il y a presque dix ans de cela.
 Même si j’écris des romans en japonais, il est peu probable qu’ils seront lus à l’étranger. La littérature japonaise ne peut pas aller à l’étranger aussi facilement que la littérature étrangère vient dans mon pays. En littérature, cette importation excessive dure depuis longtemps.
 C’est pourquoi je ne peux que me réjouir de ce que mes œuvres sont publiées en France depuis dix ans, bien que je n’écrive pas de best-sellers. Je le dois à la rencontre avec ma traductrice et une merveilleuse maison d’édition.  
 Ma maison d’édition s’appelle ACTES SUD. Le siège se trouve à Arles en France. Comme le montre le fait qu’il n’est pas à Paris, c’est une petite maison d’édition. Mais je pense qu’elle était capable de découvrir les romans d’un pays de l’Extrême-Orient et de les traiter avec égards parce qu’elle n’est pas très grande.
 En septembre 2003, j’ai eu l’occasion de visiter Arles. La maison d’édition se trouve dans le centre-ville qui était tout à fait tranquille contrairement à ce que j’imaginais. Devant elle coule lentement le Rhône.
 Elle se trouve dans un bâtiment du Moyen-âge (comme la plupart des maisons d’Arles), le rez-de-chaussée est occupé par un restaurant, un cinéma et une galerie. Le bureau se trouve au-dessus. Non seulement la publication des livres, mais aussi les éléments culturels d’Arles semblaient concentrés dans ce bâtiment.
 Ce qui est unique, c’est qu’il y avait un sauna arabe au fond du restaurant. Je buvais un thé, et quand j’ai levé la tête, j’ai aperçu un homme en peignoir derrière les rideaux. Il avait mis une serviette de bain autour de sa tête comme un turban et lisait tranquillement un livre.
 Un homme qui lit en prenant le frais dans un sauna à côté d’une librairie au rez-de-chaussée d’une maison d’édition. Ce paysage m’a plu. Je ne sais évidemment pas ce qu’il lisait. Toutefois, où que ce soit, une personne qui lit un livre est toujours belle.
 Lors de mon séjour à Arles, le PDG et son épouse m’ont invitée à déjeuner. Leur maison se trouvait à quinze minutes du centre-ville en voiture, au beau milieu des champs de tournesols. C’était une maison magnifique qui, selon eux, est une ancienne ferme construite à l’époque de la Révolution française. Un grand jardin l’entourait ; il y avait un bois d’oliviers. Du lierre couvrait entièrement la maison entière en pierre dans laquelle avait pénétré le temps. Le vent soufflant de la Méditerranée agitait doucement leurs feuilles des arbres.
 Le PDG est Monsieur Hubert Nyssen. Il a monté son entreprise avec seulement cinq personnes. Ainsi, il a créé ACTES SUD et l’a développé. Ses cheveux sont tout blancs, mais il a l’air jeune avec sa chemise bleue et une écharpe de la même couleur autour du cou. Son épouse, Christine, est la traductrice de Paul Auster.
 Ce qu’elle a préparé pour moi, c’était une cuisine chaude faite à la maison. Comme dessert, elle a servi des framboises de son jardin. De la porte de la salle à manger laissée ouverte soufflait le parfum des plantes. De temps en temps, le carillon d’une église sonnait au loin. J’ai beaucoup parlé des romans japonais et de ma langue maternelle. Pendant que je mangeais avec un tel entrain qu’on m’a proposé de reprendre des plats, un vieux labrador dormait à nos pieds.
 Après le déjeuner, Monsieur Nyssen m’a fait visiter son bureau au premier étage. C’était peut-être une pièce d’environ vingt tatamis. Trois murs étaient entièrement couverts de livres jusqu’au plafond. De la fenêtre en arche face au sud, on pouvait voir le bois d’olivier. Dans un coin de la table était abandonné un jeu et Le Monde qui avait l’air récent comme s’il venait de découper la rubrique de littérature. C’était une pièce qui permettait de comprendre la personnalité de son propriétaire.
« On a commencé par là », a dit Monsieur Nyssen en indiquant du doigt l’autre côté de la fenêtre. Selon lui, c’était une ancienne étable.
« Je veux publier de bons livres. Nanti de cette seule passion, j’ai commencé dans cette étable ».
 Sans orgueil, le timbre de sa voix disait sa fierté.
« J’ai tous tes livres ici, a-t-il dit en indiquant les étagères de la pièce. Il y a dix ans, tu étais totalement inconnue en France. Mais aujourd’hui, beaucoup de Français lisent tes romans. Même si tu n’écris plus jamais de livre, tes œuvres demeureront pour toujours. C’est cela mon travail ».
 Le cœur remplie d’émotion, je ne pouvais que répéter « Merci… ». J’ai pensé au long trajet que mes romans, écrits dans ma petite pièce, ont suivi jusqu’à ce qu’ils arrivent dans le bureau de Monsieur Nyssen à Arles. J’ai eu envie de remercier tous les amateurs de littérature qui ont contribué à la création de mes romans.

Le stylo de verre


 Je suis allé à Otaru, une ville maritime au nord de Sapporo. La verrerie est la spécialité de cette ville. Je suis entré dans une boutique où divers articles de verre étincelaient. De petits verres pour boire du saké. Des verres de vin, des chopes et aussi de petits objets en cristal. C’était comme si j’étais entré dans un kaléidoscope. Tandis que je me promenais dans la boutique, j’ai trouvé des stylos de verre. Des stylos complètement transparents comme la glace étaient dans des boîtes. Des motifs complexes étaient enfermés dans les corps en verre. J’avais envie de les toucher, mais ils se trouvaient sous une fine membrane de cellophane. Certains étaient vendus avec de l’encre. Les cartouches si petites que des papillons de nuit pourraient y vivre étaient remplies d’un liquide bleu foncé. C’est incroyable que l’on puisse réellement écrire avec des stylos si fragiles qu'ils semblaient devoir s'écraser sitôt posés sur ma paume. La plume était fine et dessinait une courbe évoquant les reins d’une femme. À ce moment-là, la folle envie d’en acheter un, un désir si violent que j'avais même envie de pleurer, m’a pris. J'ai regardé le prix. Ce n’était pas bon marché, mais ce n’était pas exorbitant non plus. Je pouvais acheter si je sacrifiais mes quatre milles yens. Un long moment s'est écoulé ainsi dans la boutique silencieuse, et tout à coup, la raison m’a ramené à la réalité. Je me suis demandé à quoi me servirait un stylo de verre puisque j’écris toujours sur l’ordinateur. Je n’utilise presque jamais de stylo de bille, sauf lorsque je prends des notes à l’université. Mais pourrais-je apporter un stylo de verre en cours ? Je regretterais à jamais si je cassais un objet aussi précieux. J’avais l’impression que je pourrais écrire une jolie lettre avec cette encre bleue, en imaginant la sensation de froid que me donnerait le corps en verre, mais je n’avais personne à qui envoyer une lettre. Si j’utilisais ce stylo de verre, pourrais-je écrire une belle histoire qui toucherait tout le monde ? Ce n’était qu’une illusion. Je ne pourrais rien écrire et quelques gouttes tomberaient de la plume sur le papier, en laissant de minuscules taches insignifiantes.
 Finalement, je suis sorti sans rien acheter. Une paire de clochette en verre, attachée à un poteau électrique tintait de temps en temps dans le vent. Quelques jours se sont déjà écoulés depuis ce voyage. Je songe encore au stylo de verre que j’ai vu dans une boutique de verrerie à Otaru, par un jour particulièrement ensoleilé de l’été.



































 





mardi 24 juillet 2018

Présentation de Sapporo


 Je ne sais pas si ça intéresse quelqu’un mais je vais parler d’Hokkaidô. C’est une île située au nord du Japon, au-dessous de la Russie. Parmi les quatre îles qui constituent l’archipel nippon, Hokkaidô est la plus grande. La capitale régionale est Sapporo, qui compte environ deux millions d’habitants. C’est la cinquième plus grande ville du Japon.

 Hokkaidô est une île un peu particulière dans l’histoire japonaise, puisqu’elle a été exploitée beaucoup plus récemment par rapport au reste du Japon. Avant que les Japonais s’y installent, y vivaient des autochtones appelés ‘’Aïnous’’. Ils vivaient dans la forêt, se nourrissant de la pêche et de la chasse. Ils parlaient leur propre langue, l’aïnou. En revanche, ils n’avaient pas d’écriture et leurs légendes étaient transmises oralement d’une génération à une autre. Comme il n’y a plus de véritables aïnous, aujourd’hui, c’est une langue en voie de disparition. Curieusement, malgré la distance approximative avec le Japon, selon les linguistes, la grammaire de l’aïnou ne ressemble pas à celle du japonais.

 En 1807, l’ensemble d’Hokkaidô a été placé sous le contrôle du gouvernement japonais. Mais à ce moment-là, l’île ne s’appelait pas Hokkaidô, mais « Ezo ». Cette année, 2018 est le 150ème anniversaire depuis que le nom a été changé en « Hokkaidô », et c’est la raison pour laquelle l’empereur Akihito viendra à Sapporo le 4 août (le jour où je rentrerai en France) pour assister à la cérémonie de commémoration.
 Depuis lors, les Japonais se sont petit à petit installés à Hokkaîdo. Ils ont exploité la forêt et la terre pour y fonder des villes. Quand ils ont fait le plan de Sapporo, ils ont décidé d’en faire une ville aménagée comme Kyôto. C’est pourquoi le centre-ville de Sapporo est séparé selon les quartiers en forme de carré.

 Pour cultiver la terre et ériger de nouvelles villes, le gouvernement japonais a employé plusieurs savants occidentaux. Le plus connu au Japon est William Smith Clark, appelé « Docteur Clark » par les Japonais. C’est le premier directeur du Collège d'agriculture de Sapporo qui deviendra plus tard l’Université d’Hokkaidô. Le docteur Clark y donnait des cours de botanique et d’agriculture en anglais. Il est connu pour ses mots « Boys, be ambitious (Garçons, soyez ambitieux) ». Il semble qu’il ait été un professeur très populaire. Sa statue, qui s’élève sur le belvédère de Hitsujigaoka, est l’un des endroits les plus touristiques de Sapporo. Le docteur lève haut son bras droit et regarde au loin. Selon le sculpteur, il indique la ‘’vérité éternelle qui se trouve au-delà de l’horizon’’. Sur le socle, il est évidemment gravé : « Boys, be ambitious ». Toutefois, ce n’est pas la seule statue du docteur Clark. Selon ce que j’ai pu lire sur Internet, y compris les bustes, il y en a plus de dix à Hokkaidô. On l'aime trop.
 L’étranger qui a développé mon quartier est l’Américain, Edwin Dun. Il était vétérinaire et il a croisé plusieurs espèces de chevaux afin de les améliorer. Dans le parc central de ma ville, il y a une statue d’Edwin Dun. Je suis allé la voir il y a quelques jours. Tel que dans mon enfance, portant un chiot et une bêche sur ses épaules, Edwin Dun regarde fièrement sa ville dont il a autrefois exploité la terre.
 En tous cas, c’est la raison pour laquelle on voit souvent des bâtiments d’architecture occidentale à Sapporo (Hôheikan, l’ancien maire, la tour de l’horloge etc). D’ailleurs, une maison japonaise traditionnelle est rare ici, parce qu’il neige énormément en hiver. Les maisons japonaises en bois ne peuvent pas supporter le poids de la neige. Ainsi, le climat est-il aussi particulier à Hokkaidô. Depuis quelques semaines, le reste du Japon souffre d’une canicule infernale, tandis qu’il fait même moins de vingt degrés le soir.

 La situation alimentaire est aussi unique. Le Japon importe de l’étranger environ 70 % de la nourriture consommée dans le pays. Mais le taux d’auto-suffisance alimentaire d’Hokkaidô est de 200 %. Les spécialités de Sapporo sont le ramen au miso, les sushis et la cuisine appelée « Genghis Khan ». En gros, le « Genghis Khan » est un plat à base d’agneau grillé, accompagné de légumes, mais je ne sais pas pourquoi il s’appelle comme ça. Vient-il peut-être de Mongolie ?
 En hiver, il y a la fête de la neige qui a lieu dans le parc tout en longueur du centre-ville. Des militaires japonais construisent des statues, des châteaux et des palais en glace pour les citoyens. Quand j’étais enfant, il y avait en fait deux fêtes de la neige en même temps, et l’autre avait lieu dans la base militaire de Sapporo.

 C’est un bel endroit pour échapper à la chaleur en été. Mais personnellement, je pense qu'on ne peut découvrir le véritable charme de Sapporo que dans le paysage enneigé, même si la température atteint parfois moins dix.

lundi 23 juillet 2018

Lecture


 Avant de venir au Japon, j’ai emprunté à la BNU « La Possibilité d’une île » de Michel Houellebecq. J’ai lu les premiers chapitres avec plaisir. Le héros est un peu déprimé comme d’habitude, mais il y a des éléments humoristiques qui me font sourire. La plupart du temps, ce long roman de 485 pages parle de la société humaine et de sexe. Mais au fur et à mesure que je lisais, je m’en suis lassé, et finalement, j’ai abandonné la lecture. Je ne peux pas suivre cette observation sombre de la société humaine et la réflexion sur la vie sexuelle des hommes pendant plus de 400 pages. De plus, comme le héros a des traits communs avec l’auteur, en lisant, le visage de Michel Houellebecq traverse plusieurs fois mon esprit. Quand le héros couche avec une rédactrice, son visage est remplacé par celui de l’auteur à mon insu. D’ailleurs, ce livre est parsemé de soulignage. Un idiot qui l’a emprunté avant moi a souligné ses passages  préférés tels que « ‘’Tu pourrais faire un peu de tourisme sexuel…proposai-je. À Cuba, il y en a qui sont très gentils.’’ Elle sourit, hocha la tête. ‘’On préfère les pédés soviétiques…’’dit-elle d’un ton léger (…) » ou bien « Mais celui qui aime quelqu’un pour sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus ».
 Ce qui est bizarre, c’est que parfois il y a aussi des croix et des points d’exclamation sur certaines pages. Je ne comprends pas trop, mais j’imagine que l’adepte de ce livre avait son propre critère qui le faisait distinguer entre le soulignage, la croix et le point d’exclamation.

 En revanche, j’ai déjà terminé « Chronique d’une mort annoncée » de Garcia Marquez et « Le vicomte pourfendu » d’Italo Calvino que Pauline m’a offert. Les deux livres qu’elle m’a donnés, celui-ci et « Locus Solus » sont très bizarres et surréaliste. Dans le premier, un vicomte est pourfendu par un canon. Une moitié est très méchante et l’autre moitié est très gentille. Je n’ai pas encore avancé dans le dernier, mais selon le synopsis : « Martial Canterel, scientifique et inventeur, invite ses collègues à visiter son domaine – une villa et un grand parc – appelé ‘’Locus Solus’’. Ils y découvrent des créations complexes et étranges, dont un énorme diamant de verre rempli d'eau et contenant une danseuse, un chat sans poil, et la tête encore vivante de Danton ». J’ai un peu commencé à m’inquiéter. Quelle image Pauline a-t-elle de moi ?

''Okunai-sama'' Yoko Ogawa


 Récemment je sens souvent que je ne suis plus jeune.
 Je monte au premier étage pour chercher un livre ; je me rends compte qu’il fait nuit ; je ferme les rideaux et je descends. Environ quinze minutes plus tard, je me souviens du livre. Si je me frotte le visage, une étrange poudre blanche tombe. Je relis « La Ballade de l’impossible » et je découvre que je m’identifie non à Midori ni à Naoko mais à la femme d’un certain âge qui beaucoup de rides, Madame Reiko. Les ongles de mes petits orteils se rapetisse de plus en plus. Je dis chaque fois au jeune livreur de la coopérative de consommation : « Sois prudent ».
 Mais ce qui me gêne le plus, c’est la baisse de ma capacité de concentration. Plus j’écris de romans, plus je suis censée maîtriser ce métier, mais en réalité, c’est tout le contraire. Chaque année, j’ai du mal à rester assise devant mon manuscrit. J’écris quelques lignes, puis je me lève. Je tourne dans la pièce ; j’écris de nouveau quelques lignes, puis je reprends ma promenade. Je flâne inutilement comme si je luttais contre mon métabolisme qui ne cesse de baisser.  
 Évidemment, mon travail devient de moins en moins efficace. Je mets trois ou quatre jours pour un manuscrit que j’aurais pu achever en une journée si j’avais été plus jeune. Je ne peux même pas imaginer quand je pourrai terminer mon long roman.
 À ce rythme, je ne pourrai pas finir dans les délais. Je ne pourrai plus jamais écrire de roman, me dis-je encore et encore en travaillant.
 Toutefois, curieusement, je finis toujours par achever mon travail dans les délais. C’est toujours tout juste, mais je peux quand même terminer sans causer de souci à quiconque.
 Lorsque je réalise que j’en suis au dernier chapitre que je croyais ne jamais voir venir, ma réaction est étrange. Je n’arrive pas à croire que je l’ai écrit et je regarde autour de moi. Je ne sais plus comment j’ai achevé ce roman. Seule demeure la sensation de m’être promené dans mon bureau.
« Quelqu’un m’a-t-il aidée ? », me dis-je à voix basse. Si cette personne entendait ma voix, elle ne reviendrait plus jamais. Cette idée me fait chuchoter.

 Dans un épisode de « Tôno monogatari », un dieu qui s’appelle Okunai-sama aide à la plantation du riz. Lorsqu’il n’y a pas assez de monde pour planter le riz, un petit garçon apparaît soudain, travaille toute la journée sans manger, et part à la tombée de la nuit. On rentre chez soi et on découvre de petites traces de pas sur la véranda et on voit que la partie inférieure de la statue d’Okuna-sama, dans la pièce à tatami, est couverte de boue.
 Il doit y avoir un Okunai-sama près de moi. Pendant que je tourne dans la pièce, Okunai-sama s’assied devant l’ordinateur à ma place et tape sur le clavier. Toc, toc, toc……
 Si je pouvais rencontrer Okunai-sama, ne plus être jeune ne serait pas mal. Prendre de l’âge n’est pas un malheur.
 Mon père était atteint de démence à la fin de sa vie. Il ne me reconnaissait pas, moi, sa fille. Une infirmière lui a demandé : « Savez-vous qui c’est ? », et mon père a timidement répondu : « C’est ma petite sœur ».
 Moi qui oublie pourquoi je suis montée au premier étage, qui constate que les ongles de mes orteils sont déformés et que de la poudre blanche tombe de mon visage, je ne saurais me plaindre que mon père souffre de démence. Tout est dans l’ordre. Mon père, qui était toujours inquiet pour ses enfants et son petit-fils, est enfin libéré de ses soucis. C’est une bonne chose. Il a beaucoup de frères, mais pas de sœur. Peut-être aurait-il voulu en avoir une. Alors, je deviendrai sa petite sœur. C’est facile, me suis-je dit.
 À ce moment-là, mon livre venait d’être publié.
« …….o…….ite……to……..gu »
 Mon père l’a pris et a lu seulement les hiragana du titre, puis a tourné les pages.
« C’est moi qui l’ai écrit », ai-je dit.
 L’air étonné, mon père a levé les yeux.
« Ce livre, en entier ?
- Oui.
- Eh……. »
 Après un long silence, en tenant le livre, il a murmuré :
« Si on écrit autant, on meurt ».
 Bien qu’il ait oublié sa fille, il n’a pas oublié de s’inquiéter pour elle. Tant qu’on est vivant, il est difficile d’éviter les soucis.
« Je vais bien, ai-je dit en caressant son dos. Okunai-sama m’a aidée. »
 Mais mon père regardait toujours la couverture du livre qu’avait écrit sa fille.

dimanche 22 juillet 2018

Le village hanté d'Angleterre


 Aujourd’hui, j’ai regardé à la télé une émission d’horreur. Dans cette émission, un jeune homme et une jeune femme, assistants du directeur visitaient ensemble un village hanté au Royaume-Uni. Il y a partout des endroits hantés dans ce lieu maudit : un château en ruine, une église et un hôtel où un homme s’est suicidé il y a longtemps. Le jeune homme a passé cinq nuits dans la chambre particulièrement ‘’peuplée’’ du château. Un villageois disait : « Il y a les fantômes d’une femme avec un costume blanc et d’une autre avec un costume rouge. Faites attention à la femme en rouge. On ne peut jamais oublier si on voit une fois son apparence laide et effrayante ». Et il a ajouté : « Par contre, la femme en blanc, elle, est très belle. Hahahaha ».

 La chambre dans laquelle le jeune assistant du directeur a été obligé de dormir était délabrée. Il y avait quelques chaises en bois. Les planches avaient l’air moisies et pourries. Le carillon du château sonnait régulièrement, même pendant la nuit et des oiseaux nocturnes poussaient de temps en temps des cris stridents.

 On a mis une caméra de surveillance et a laissé le jeune homme tout seul. Il s’est glissé dans son sac de couchage et s’est mis à jouer sur son smartphone. À ce moment-là, il a poussé un cri. La lampe a commencé à clignoter de façon étrange !

 Le lendemain, deux Britanniques, soi-disant chasseurs de fantôme sont venus au château. L’un était un chauve et petit. L’autre était grand et mince. Ils étaient tous les deux pâles avec de grands yeux saillants, comme des fantômes. Ils ont montré une photo sur laquelle ils avaient réussi à prendre un fantôme. Mais ça ressemblait juste à la photo ratée d’une femme de mauvaise humeur. « On va voir s’il y a des fantômes ici », a dit le mince. Tous les trois ont posé leurs mains sur une petite table. Le chasseur de fantôme a répété : « Si tu es là, fais trembler cette table ». Quelques instants plus tard, la table s’est réellement mise à trembler ! « Plus fort, plus fort », a-t-il dit. La table a tremblé encore plus fort et finalement elle est tombée. Mais les doigts de l’homme étaient un peu courbés. Je me suis demandé si c’était lui qui avait fait trembler la table. De plus, si le fantôme est capable de la faire bouger, pourquoi a-t-on besoin de mettre la main dessus ? « C’est le fantôme d’une fillette. Si j’étais à ta place, je ne dormirais pas ici », a dit l’Anglais mince. « Ce n’est pas un fantôme méchant, mais ce n’est pas un bon fantôme non plus », a dit le petit.

 Cette nuit-là encore, la lampe n’a cessé de clignoter. Mais le jeune homme était habitué à ce phénomène étrange et il a continué à jouer sur son smartphone.

 En même temps, la jeune femme passait son temps dans la chambre de l’hôtel hanté. À un moment donné, elle a poussé un petit cri car elle a vu une silhouette dans le miroir. Et elle a soupiré. « Ah, c’était moi », a-t-elle dit. Finalement, rien ne s’est passé dans cette chambre hantée.

 L’équipe chargée de l’émission a demandé à des villageois s’ils n’avaient pas peur des fantômes. « Fantômes ? Ils ne font rien. Parfois ils font bouger des objets, mais c’est tout. Par contre, je veux chasser ces putains d’oiseaux ! Les sales bêtes volent la nourriture de mon moineau de Java ! », a dit un homme. « Avez-vous pu rencontrer un fantôme ? Hahaha », a dit un jeune homme dans un pub. Devant l’église hantée, des gens assistaient à un mariage. La nouvelle mariée était obèse et elle souriait, l’air très heureuse. Il semblait que les villageois ne se préoccupaient pas des fantômes.

 La cinquième nuit s’est passée sans que rien ne se passe, sauf le clignotement inquiétant de la lampe. Ils ont quitté le village sans pouvoir filmer de fantôme.

 J’aime beaucoup les histoires de fantômes, d' OVNI et de cryptides. Cependant, je n’ai jamais, de mes yeux, vu ni fantôme, ni OVNI, ni homme des neiges. Avez-vous fait des expériences mystérieuses ?

samedi 21 juillet 2018

Le jour du buffle


 Aujourd’hui, c’était « le jour du buffle du milieu de l’été » selon le calendrier japonais. C’est le jour où les Japonais mangent de l’anguille. Il y a plus de deux cents ans, un savant qui s’appelle Gennai Hiraga a commencé à dire aux gens : « Mangeons de l’anguille au beau milieu de l’été pour supporter la chaleur. Mangeons de l'anguille. Hé, la belle ! Ça te dit de manger de bonnes anguilles avec moi ?», et cette coutume, qui dure jusqu’à aujourd’hui, s’est répandue dans tout le Japon, un véritable cauchemar pour les anguilles.

 Depuis quelques années, le prix des anguilles ne cesse d’augmenter au Japon. Aujourd’hui, un bol d’anguille coûte au moins trois mille yens car cette créature est en voie de disparition. En gros, il y a deux raisons à cela : les Japonais en consomment trop et l’élevage des anguilles est très difficile. Le jour du buffle, les patrons de restaurants d’anguille se frottent les mains. Les anguilles sont terrifiées.

 Je n’avais pas particulièrement envie de manger de l’anguille car je pense qu’il faut se retenir d’en consommer pour la protéger. Mais ma mère a acheté des bols d’anguille pour le dîner. C’était bon. Mon père qui était couché toute la journée à cause d’une gastro-entérite en a mangé aussi.

 L’anguille est la nourriture préférée de Monsieur Nakata dans « Kafka sur le rivage » de Haruki Murakami. « Nakata aime beaucoup l’anguille, mais ce n’est pas quelque chose qu’on mange tous les jours », dit-il (*Monsieur Nakata parle toujours à la troisième personne). Si cet animal disparaît un jour, y aura-t-il une note dans le roman ? « *Anguille : poisson de forme très allongée, à peau visqueuse et glissante, qui vivait autrefois en eau douce et se reproduisait en mer… »

vendredi 20 juillet 2018

Chez le dentiste


 Aujourd’hui, je suis allé chez le dentiste pour enlever le tartre de mes dents inférieures. C’était la fin du traitement. J’ai donné ma carte de consultation et ma carte vitale à la secrétaire. Tandis que j’attendais qu’on m’appelle , je me suis aperçu qu’une gravure qui était accrochée en haut, au-dessus de la télé. Elle semblait être la copie d’une gravure datant d'entre le quinzième et le dix-huitième siècle. Les personnages présents étaient tous vêtus un peu comme dans les tableaux de Vélasquez. Il semblait que la gravure représentait une cure de dents de l’époque. Au centre de l’image était assise une femme. À ses côtés, il y avait une petite table sur laquelle quelques instruments en forme de pincettes, rappelant les outils de torture étaient disposés. L’air effrayé, ses yeux écarquillés étaient rivés sur l’homme habillé comme un clown qui mettait un appareil dans sa bouche. Quelques spectateurs regardaient la scène en entourant ce présumé dentiste et sa patiente. Certains se penchaient vers la femme pour mieux observer ce qui se passait dans sa cavité buccale. Les autres se renversaient en arrière, l’air terrifié. Le regard dans le vide, le dentiste souriait en montrant ses dents blanches et impeccables. « Mesdames, Messieurs, regardez bien ! La quatrième dent de la mâchoire inférieure est trouée et pourrie ! Afin d’empêcher l’infection de la plaie, je vais maintenant l’arracher avec cet instrument ! », disait-il peut-être aux spectateurs. La cure des carries devait être pénible à l’époque, car il n’y avait sans doute pas d’anesthésie. Mais pourquoi une telle gravure est exposée chez le dentiste ? Pour effrayer les patients ? Dans la salle d’attente moderne du dentiste, cette gravure était étrangement anachronique et même un peu effrayante.
 Tandis que j’y réfléchissais, on m’a appelé. Cette fois, une autre dentiste s’est occupé de mes dents. C’était une femme qui était peut-être dans la cinquantaine. À première vue, elle ne ressemblait pas à une dentiste, mais à une femme au foyer ou à une bibliothécaire. Elle parlait d’une voix si basse que j’avais du mal à distinguer ce qu’elle me disait.

 Comme la dernière fois, je me suis allongé sur le fauteuil dentaire. Dès que j’ai ouvert la bouche, elle a mis une serviette sur mes yeux et un appareil qui absorbe la salive dans ma bouche. J’ai senti la sensation d’un instrument pointu et elle s’est mise à décaper la surface de mes dents. « Ça va ? Ça ne fait pas trop mal ? », m’a-t-elle demandé en maniant la machine. Mais je devais garder la bouche ouverte tant qu'elle agitait l'instrument à l'intérieur. « Ne vous en faites pas. Ça fait un peu mal, mais cela m’apporte un plaisir masochiste », ai-je répondu dans ma tête. Quelques minutes plus tard, lorsque mes mâchoires étaient fatiguées, comme avant, j’ai tout à coup eu envie de rire. J’ai essayé de me souvenir de la scène de torture chez le dentiste de « Outrage ». Dans ce film, des yakuzas s’introduisent dans un cabinet de dentiste et détruisent l’intérieur de la cavité buccale de leur ennemie avec une perceuse. J’avais eu si peur que j’avais un peu crié. Mais ça n’a pas marché. Même le visage effrayé de la victime semblait drôle et je devais retenir mon rire. À ce moment-là, l’appareil qui absorbait ma salive s’est collé à ma langue, puis à ma lèvre supérieure comme un aspirateur. J’ai tremblé de rire sans faire de bruit.

jeudi 19 juillet 2018

Savoia


 J’ai travaillé sur ma maquette de Zaku toute la journée. J’ai limé les pièces ; j’ai gravé des lignes dessus ; j’ai collé quelques morceaux de plastique etc. Demain, je la peindrai et finalement j’ajouterai des autocollants spécifiques avec des pincettes. Ceux qui ne connaissent pas le plaisir de monter une maquette se demanderont en quoi c’est intéressant. En vérité, je ne sais pas. J’ai l’impression que ce n'est pas intéressant et que c’est même douloureux. Limer chaque pièce est fatigant. Il faut rectifier si les lignes qu’on a gravées ne sont pas droites ; Les couleurs coûtent cher si on en utilise beaucoup. Le diluant qui émet une odeur désagréable rappelant celle de l’essence, est toxique, de sorte qu’il faut mettre un masque. L’aérographe et le compresseur coûtent cher (les miens ont coûté environ cinq cents euros). Malgré cela, je monte des maquettes, car d’abord, je suis un grand fan de la série Gundam. J’aime la sensation de limer la surface de plastique. Quand je réussis à peindre une pièce sans aucune égratignure, j’ai l’impression que c’est un bijou. Le moment le plus exaltant, c’est lorsqu’on monte une maquette après avoir suivi toutes les étapes. À ce moment-là, tous mes efforts se cristallisent en une seule forme. Je ne peux pas toucher ma maquette une fois achevée. J'ai peur de l'abîmer. 

 La première maquette que j’ai peinte n’était pas celle de Gundam. C’était l’avion rouge, « Savoia » de Porco Rosso. Je n’avais pas d’aérographe à ce moment-là. Je l’ai soigneusement peinte avec un pinceau. J’ai mis du rouge à plusieurs reprises pour que mon Savoia n’ait aucune tache. Le fond était beige. Sur les ailes, j’ai peint le tricolore italien avec un ruban de masquage. Le kit comprenait aussi une petite figurine de Porco. J’ai coloré le pilote transformé en cochon avec un pinceau fin pour lui insuffler la vie. Mon travail terminé, il se tenait fièrement à côté de son avion.
 Toutefois, je ne retrouve plus mon Savoia. Ma mère l’a peut-être jeté, mais j’aimerais croire qu’il s’est envolé quelque part.

mercredi 18 juillet 2018

L'aventurier


 J’ai entendu une histoire intéressante à la radio. J’écoutais distraitement en travaillant sur ma maquette, donc les détails ne sont peut-être pas exacts, mais en gros, c’était comme suit : il était une fois un jeune millionnaire, un noble ou un prince, quelque chose de ce genre, qui rêvait de fonder une utopie pour les Juifs. Il est parti en quête d’un endroit où les Juifs pourraient vivre en paix. Finalement, il est arrivé sur une île déserte ou peu peuplée. Toutefois, il s’est perdu dans une montagne de cette île. Pendant plusieurs jours, le froid approchait de plus en plus l'aventurier vers sa fin. Agonisant, il a écrit dans son carnet une longue histoire sur l’utopie des Juifs. Quelques mois plus tard, une mission d’enquête a trouvé son cadavre en décomposition accompagné de son carnet.
 Ce récit ressemble à un conte de fée étrange, mais l’animateur a dit que c’était une histoire authentique. Après avoir éteint la radio, j’ai essayé de retrouver le nom de ce rêveur, mais en vain. Curieusement, son nom que l’animateur avait mentionné à plusieurs reprises n’évoquait rien pour moi, comme si l’aventurier n’avait jamais existé ; comme s’il n’y avait jamais eu cette émission.

Dead Heat at a Carousel






 Aujourd’hui, c’était férié. On dit que c’est ‘’le jour de la mer’’. Mais je ne sais pas ce qu’on doit faire le jour de la mer. Faut-il aller à la plage et admirer la mer ? Au centre-ville, il y avait plus de monde que d’habitude. Cette fois, il y avait beaucoup de jeunes. Les Japonaises sont toutes petites et elles ont des proportions semblables les unes aux autres. On dirait des poupées fabriquées en série. J’ai vu aussi des touristes chinois. Devant une pharmacie, une jeune femme demandait aux passants d’y entrer en mandarin. Il y a deux ans, lorsque des touristes chinois venaient à Hokkaidô en masse, l’un des endroits où ils achetaient énormément de produits, c’était la pharmacie. Je voyais très souvent des touristes chinois qui sortaient de la pharmacie avec de gros sacs, l’air très contents. Mais qu’est-ce qui les attirent autant ? Il n’y a que des choses banales là-bas, comme de la pommade, des médicaments contre le rhume, des pilules et des capotes…

 Je suis allé dans une librairie d’occasion et j’ai acheté quatre livres pour lire dans l’avion du retour. Je peux quand même lire des livres en français même si de temps en temps je tombe sur des mots dont j’ignore le sens. Mais c'est plus facile et plus rapide de lire dans ma langue maternelle, et je n’ai pas très envie de lire un roman qui exige de moi une grande concentration quand je voyage en classe économique. Les livres que j’ai choisis sont les suivants : « Dead Heat at a Carousel (titre en anglais) » de Haruki Murakami, deux essais de Yoko Ogawa et « Femmes de sable » de Kôbô Abe.

 Au fait, au sujet des personnes bilingues, un jour, une Française dont la mère est japonaise m’a raconté une histoire intéressante. Elle parle couramment japonais aujourd'hui, mais elle a appris cette langue toute seule grâce à ses efforts. Je lui ai demandé pourquoi sa mère ne la lui a pas appris. 
« Elle a essayé de me l’apprendre quand j’étais petite. Mais si elle me parlait en japonais, j’avais l’esprit embrouillé et je ne disais plus rien. Alors, elle a arrêté.
- Tu te souviens de ces moments ? ai-je demandé.
- Pas du tout », m'a-t-elle dit.
 Il semble que c’est quelque chose qui arrive assez souvent. Il y a aussi des gens qui parlent ‘’plus ou moins’’ deux langues, mais qui ne maîtrisent réellement aucune des deux langues. Être bilingue naturellement, c’est comme si on mettait deux couleurs dans une assiette. Si elles se mélangent, il ne restera qu’une seule couleur troublée. Ce qui est nécessaire pour maîtriser deux langues différentes, c’est la capacité de tisser une toile sans mélanger les deux couleurs, mais en les composant de façon harmonieuse.

lundi 16 juillet 2018

L'ours insomniaque


 Je ne fais rien d’autre que de monter des maquettes de Gundam et je n’ai rien à écrire. Quand je ne monte pas de maquette, je lis « Chronique d’une mort annoncée » de Garcia Marquez.

 Avant-hier, il semble qu’un ourson est apparu non loin de chez moi, près d’un HLM. Ce n’est pas l’ours jaune avec une veste rouge qui a un faible pour le miel. C’est un vrai ours doté de crocs et de griffes. Selon l’actualité, vers minuits, un chauffeur de taxi a vu un animal ressemblant à un ours d’environ un mètre et l’a signalé à la police. Le témoin affirme que l’ours longeait la route 453. La police a mené une enquête, mais elle n’a trouvé ni poil ni piste. Il se peut qu’il était fatigué et qu’il ait halluciné. Mais ce n’est pas la première fois qu’un ours est apparu dans ma ville. Il y a quelques années, plusieurs personnes ont vu un ours devant la gare pendant la journée.

 Sapporo est entourée de montagnes, mais mon quartier se trouve quand même loin de là. J’imagine que l'ourson devait marcher jusque-là, à moins qu’il n’ait pris le bus ou le tram. Le lendemain, dans un endroit non loin de là où l’homme avait vu l’animal, la police a trouvé de la crotte d’ours brun. Le chauffeur de taxi qui a signalé la présence d’un ours à la police n’avait donc pas halluciné.

 J’imagine un ourson qui se promène, solitaire, dans la ville nocturne. Il n’y a peut-être que peu de voitures. La rue est déserte et la plupart des maisons sont dans l’obscurité. Son dos arrondi se dessine à la lumière de quelques lampadaires clignotants. L'ours insomniaque continue à longer la route 453.

vendredi 13 juillet 2018

Sapporo


 Aujourd’hui, j’ai pris le métro et je suis allé au centre-ville. Le métro de Sapporo a été construit pour les jeux olympiques d’hiver qui ont eu lieu dans cette ville en 1972. Une partie de la ligne Nanboku est aérienne bien qu’il s’agisse d’un métro, car simplement, on n’a pas eu le temps de creuser. Il reste encore dans la ville des traces des jeux olympiques d’il y a plus de quarante ans. Mon école primaire qui a été fermée il y a quelques années avait été utilisée en tant que quartier général des membres du comité des jeux olympiques. Il reste encore des appartements construits pour les participants du monde entier. Aujourd’hui, ils sont occupés par les habitants de la ville.

 Deux choses que j’ai remarquées. D’abord, c’est la tranquillité de la ville. Dans le métro et dans les rues, personne ne parle, ou les gens chuchotent. Dehors, le seul bruit que l’on entend, c’est celui des voitures et des signaux qui sonnent pour les non-voyants. La deuxième chose, c’est qu’il y a que peu de jeunes dans la ville. À Strasbourg, il y a des jeunes partout. À Sapporo, les vieillards qui traînent leurs sacs roulants remplacent les adolescents s’embrassant dans les rues. Toutefois, les vacances n’ont pas encore commencé au Japon. Les écoliers, les collégiens, les lycéens et les étudiants vont tous en cours. Les salariés travaillent pendant la journée. Cependant, on sent le vieillissement de la population du Japon. Quand j’étais écolier, il y avait beaucoup plus de magasins. Il y avait une épicerie, une boutique d’animaux domestiques où j’ai acheté ma tortue qui a seize ans cette année, une librairie et une papeterie gérée par une dame potelée d’un certain âge. Tous ces magasins ont fermé l’un après l’autre. L’épicerie où j’achetais de temps en temps des gâteaux a été remplacée par une entreprise louche qui donne des conférences pour les vieillards. Les bâtiments où se trouvaient la librairie et la papeterie restent vides depuis longtemps, avec l’affiche « À louer ».

 J’ai flâné dans la gare centrale et je suis allé dans un magasin de couleurs d’une chaîne, un peu comme ‘’Hema’’ en France. Rien ne m’intéressait, mais finalement j’ai acheté un petit porte-clef en forme de chat. À la caisse une jeune Occidentale à lunettes faisait la queue l’air inquiète. Je me suis demandé si elle était française. Je lui aurais adressé la parole si quelque chose avait indiqué sa nationalité, mais je n’ai rien dit pour éviter le risque de devoir parler anglais. En hiver, beaucoup d’Australiens viennent à Hokkaidô pour faire du ski, mais Sapporo n’est pas la première destination des touristes européens.

 Il y a deux ans, il y avait des touristes chinois et coréens partout, mais je n’en ai vu que très peu aujourd’hui. Ne viennent-ils plus à Hokkaidô ? Cependant, Sapporo semble s’internationaliser. Dans le métro du retour, j’ai vu deux femmes voilées, indonésiennes ou malaysiennes je ne sais, avec leurs poussettes.

jeudi 12 juillet 2018

La dentiste


 Aujourd’hui, je suis allé chez le dentiste. Mais ce n’est pas parce que j’avais mal aux dents. C’était juste un examen périodique. Une dentiste, peut-être dans la trentaine, m’a dit qu’elle avait envie de prendre une radiographie de ma dentition. J’ai été enfermé dans une pièce exiguë et sombre. Selon les instructions du radiologue, j’ai déposé ma mâchoire sur le support en mordant dans un petit objet en plastique. Depuis le judas, la dentiste et un dentiste obèse m'observaient être radiographié. Je leur ai souri. Mais ils ne m’ont pas souri. J’ai eu l’impression d’être un gorille au zoo.

 Après avoir fait une radio de ma dentition, d’une voix câline, la dentiste m’a demandé d’aller à son cabinet. Certaines Japonaises parlent d’une voix très aiguë et câline, un peu comme dans les animés. Dans son cabinet, elle m’a montré la photo de mes dents prise auparavant. J’ai contemplé ma dentition. J’ai toujours cru qu'elle était laide, mais quand je l’ai regardée sur la radio, elle semblait plutôt en ordre. L’ombre de chaque dent blanche était mise côte à côte comme sur un clavier. Au bout, on pouvait apercevoir quatre dents de sagesse dormantes dans mes gencives. J’espère qu’elles ne se réveilleront jamais.

 Je me suis allongé sur un fauteuil dentaire ressemblant à un lit. La dentiste l’a mis en position horizontale ; elle a posé une serviette sur mes yeux et m’a demandé d’ouvrir la bouche. Aussitôt, ses doigts et une sensation froide de métal sont entrés dedans. Ils ont longuement fouillé dans ma bouche, passant d’une dent à une autre. « Peut-être que ça pique un peu. Levez votre main si ça fait mal », m’a-t-elle dit. Il m’a semblé qu’elle s’était mise à gratter l’espace entre mes dents et mes gencives avec un instrument. Ma vue était dissimulée par la serviette, mais je pouvais imaginer la forme de l’outil. C’était quelque chose de pointu pour enlever la saleté accumulée comme un fossile. Effectivement, ça m’a fait un peu mal, mais je n’ai pas levé la main. Ce n’était rien par rapport aux autres douleurs que j’avais déjà subies dans ma vie. Le regard hostile et dédaigneux d’une fille, quand j'ai été obligé de chanter à l'école primaire, la mort accidentelle de ma tortue etc. « Rincez-vous la bouche, s’il vous plaît », m’a-t-elle dit, en relevant le fauteuil dentaire. Je me suis rincé la bouche avec un gobelet en papier. « Il n’y a pas de carie, mais du tartre qui n’était pas complètement enlevé sur certaines parties ». Elle a de nouveau mis le fauteuil dentaire en position horizontale et m’a caché les yeux.  Je vais enlever le tartre avec un appareil qui utilise des ultrasons ». À ce moment-là, j'ai entendu le bruit aigu d'une machine dans le noir. Encore la sensation froide de métal dans ma bouche. C’était un autre appareil que celui d’avant. Il a décapé la surface de mes dents avec un bruit strident. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai tout à coup eu envie de rire. Si j’avais ri à cet instant, la machine aurait glissé de la main de la dentiste en blessant mes gencives. J’avais peur. Mais j’avais envie de rire. J’ai essayé de penser à quelque chose de triste, aux treize garçons enfermés au fin fond de la grotte en Thaïlande, par exemple, mais ça n'a pas marché. Finalement, je me suis mis à conjuguer un verbe du troisième groupe. Je réponds, tu réponds, il répond, nous répondrons, vous répondrez, ils répondront. Je répondrai, tu répondras, il répondra, nous répondrons, vous répondrez, ils répondront. Je répondrais, tu répondrais, il répondrait, nous répondrions, vous répondriez, ils répondraient…Lorsque j’ai commencé à conjuguer le verbe au passé simple, la machine s’est arrêtée. « À la semaine prochaine », m’a dit la dentiste.