mardi 27 novembre 2018

Balaenoptera musculus


 Il ne s’est rien passé aujourd’hui non plus. Pendant le cours d’anglais qui traitait de l’abolition d’esclavage, la professeur nous a montré un extrait d’un film dans lequel des esclaves africains étaient battus et noyés dans la mer. Qu’est-ce qu’elle me fait regarder ce matin ! J’ai perdu l’appétit et je n’ai pas mangé à midi.
 Pendant le cours de dimensions énonciatives, la professeur m’a demandé si quelqu’un pouvait se mettre à côté de moi pour que je lui montre la feuille d’exercice. « Cela ne me dérange pas », ai-je dit. Un garçon s’est déplacé et s’est mis à côté de moi. J’ai attendu qu’il me dise merci. Il demeurait silencieux. La prof nous a dit de faire l’exercice deux. Je n’ai rien compris à l’exercice deux. Je suis resté un long moment à regarder le blanc du papier. J’ai demandé à mon voisin s’il comprenait ce que voulait dire « instance énonciative ». « Ah…euh… », m’a-t-il dit. « Instance énonciative », c’est donc « Ah…euh… ». La prof a commencé à faire un tour de la salle de cours. Lorsqu’elle est venue auprès de moi, elle m’a demandé si tout allait bien. « Non, je ne comprends pas ‘’instance énonciative’’ », ai-je dit.
« C’est qui c’est qui parle, m’a-t-elle dit.
– C’est tout ?
C’est tout ».
 Après ce cours, j’ai tué le temps à la bibliothèque U2-U3. Ma place était occupée par des garçons et des filles que je ne connaissais pas. Je me suis installé sur le canapé et j’ai fait semblant de lire « La Blanche neige qui sifflote bien », le passage où un garçon observe et décrit minutieusement le squelette de la balaenoptera musculus.

Cymothoidae


 Par exemple, en français, la prononciation qui correspond à « eu » de « heure » et « heureusement » est différente. Mais je n’arrive pas à distinguer cette différence. D’après les informations que j’ai trouvées sur Internet, le français est composé de 36 phonèmes, tandis que le japonais, seulement de 24. Aujourd’hui, j’ai demandé à plusieurs Français de prononcer ces mots. Contre toute attente, lorsque j’écoutais attentivement la prononciation des natifs, je pouvais distinguer ces sons. Cependant, je ne parviens pas toujours pas à les prononcer correctement moi-même alors que la structure de ma cavité buccale doit être à peu près la même que la leur. Après une petite réflexion, j’en suis finalement arrivé à la conclusion suivante : les Français ont secrètement une petite créature au fond de leur gorge, et c’est cette créature mystérieuse qui prononcent les sons correspondant à « eu », « ou » ou « u » à leur place. La prochaine fois, je vais leur demander d’ouvrir la bouche.

lundi 26 novembre 2018

L'art de ne rien faire


 J’ai passé ce week-end aussi sans sortir. Je n’ai rien fait. J’ai un peu lu un recueil de nouvelles de Steven Milhauser en anglais (c’est très bizarre). J’ai commandé une corde à sauter sur Amazon (pour maigrir). J’ai écouté la version théâtrale de « La Métamorphose » de Kafka sur BBC (c’était terrifiant et je ne l’ai pas écoutée jusqu’au bout).
 Chaque weekend, je pense à sortir et à avoir une vie. Si je sors, il y a peut-être des choses intéressantes à voir, un homme qui glisse et qui tombe, ou un chien qui promène une dame, par exemple. Tout d’abord, un conflit se crée dans mon esprit. Le sujet est si je dois sortir ou pas. Après une longue argumentation véhémente, l’idée de sortir est finalement approuvée (il faut souligner qu’une heure s’est écoulée jusqu’à ce moment). Ensuite, je dois me changer. Je dois mettre un pantalon, un pull et un manteau. Il fait très froid dehors. J’ai peut-être besoin de gants. Je cherche des gants dans le placard. Je n’en trouve qu’un. L’autre paire a disparu. Je fouille dans le placard, mais en vain. Je perds souvent une chaussette, une baguette aussi. Je suis complètement démotivé. J’abandonne l’idée de sortir. D’ailleurs, je n’ai pas grand-chose à faire dehors. Je peux restituer ce que je vais faire dans ma tête. Je m’habille ; j’ouvre la porte ; je prends le tram ; je vais à la gare ; j’incendie le sapin de Noël ; je fuis. Je décide de rester chez moi et de lire des livres ou de réviser un peu. Je regarde par la fenêtre. Il y a des gens qui se promènent. Ils sont dehors dans ce climat glacial. Pauvres gens. Je suis chez moi et je me tourne les pouces.

samedi 24 novembre 2018

''Mesdames et messieurs Cinglé" Sachiko Kishimoto


 Depuis que j’étais petite jusqu’à récemment, j’utilisais le chemin de fer privé, O. Cette ligne O était inhumainement bondée. Je me rappelle que lorsque j’étais au lycée, à une occasion, j’avais lu les conditions dans lesquelles les Juifs étaient transportés en train jusqu’à Auschwitz, et que j’avais pensé à ce moment-là que c’était pire que la ligne O. En bref, cette ligne était si bondée que cette comparaison se formait naturellement. Les lunettes se brisaient ; les vêtements se déchiraient ; les bretelles des sacs étaient arrachées ; les bols de riz étaient si comprimés qu'ils se transformaient en mochis. Ainsi, soit qu’on qualifie cette ligne de « Guernica » ou de l’enfer, la boîte blanche à jolies rayures bleues qui circulait comprenant ce paysage infernal, c’était la ligne O.
 D'ailleurs la ligne O était longue. Si on allait de la gare de départ au terminus, on mettait au moins trois heures. Si on subissait cette épreuve deux fois tous les jours, matin et soir, et si une telle vie se répétait plusieurs décennies, il était en fait normal qu’on se détraque. Ainsi, dans le train de la ligne O, il y avait des gens que j’avais secrètement nommés « mesdames et messieurs Cinglé ».
 Mon souvenir le plus ancien de « mesdames et messieurs Cinglé » remonte à l’époque où j’étais encore écolière. Cette personne qui est montée à Noto, avait des jambes et des bras entièrement bronzés rappelant un arbre mort. Avec sa casquette rose et son pantalon court, elle ressemblait à la fois à une dame de cinquante ans et à un garçon de dix ans. D’une voix forte et retentissante, elle disait : « Quand j’ai commencé à servir mon maître, j’avais seize ans ! » ou « Madame était une personne trèees trèees gentiiiille ! ». Lorsque de nombreux passagers sont descendus à un arrêt, il s’est avéré qu’elle n’avait pas de compagnon de route. La main sur sa poitrine, elle semblait parler à quelque chose qu’elle tenait sous sa paume. À un moment, j’ai vu ce qu’elle cachait dans sa main. C’était une grosse libellule agonisante.
 Mesdames et messieurs cinglés étaient aussi présents en dehors des trains. En été, un homme qui avait l’air d’un salarié, s’approchait des gens qui attendaient le bus devant la gare, en s’inclinant à 90 degrés à pile, au visage écarlate et une sueur sur le front, criait : « Je vous en prie ! Rangez-vous proprement en ligne ! Je vous en prie ! C’est une question de vie et de mort ! Voyez-vous ! Je vous prie pour l’amour de Dieu ! ». De temps en temps, il se prosternait devant eux. Je le regardais d’un endroit un peu lointain, depuis la station de taxis. Pendant les 20 minutes où j’y ai été, ses cris n’ont pas cessé une seule seconde. Je me demande toujours en quoi c’était une question de vie et de mort.
 Par ailleurs, il y avait aussi un homme qui avait l’air d’une élite et qui n’a cessé de chanter « Mon oiseau bleu » sans changer d’expression jusqu’au terminus, un homme invisible qui murmurait « À vos souhaits » à chaque fois que quelqu’un éternuait, et un « Homme des neiges » qui mettait un journal sur sa tête en l’attachant avec un trombone devant son visage. Ainsi, je pourrais en énumérer infiniment. Parmi eux, le champion était un homme d’environ 37 ou 38 ans que je voyais tous les jours, qui, un jour, soudain, est apparu les lèvres écarlates, aux yeux fardés d’un bleu, portant comme d’habitude un costume gris et une cravate.
 Mystérieusement, ces « mesdames et messieurs Cinglé » n’ont jamais paru une deuxième fois.
 Ils sont peut-être une sorte d’esprit et ne sont visibles qu’à une partie des gens......ou uniquement à moi.

jeudi 22 novembre 2018

''Le tout est la vanité'' (1) Sachiko Kishimoto


 Le moyen le plus simple de classer les gens en deux catégories, je pense que c’est « ceux qui ont le sens mathématique et ceux qui ne l’ont pas ». Évidemment, j’appartiens au second. Ceux qui n’ont pas le sens mathématique, ce sont les gens qui ne sont pas intimement persuadés que 1+1=2. Logiquement, 1+1=2 paraît correct. Mais j’ai l’impression que selon la nature de l’objet ajouté ou les sentiments de la personne qui l’ajoute, cela peut être 2,0013, ou 1,99875. En bref, c’est ce que j’entends par « ceux qui n’ont pas le sens mathématique ».
 Bien sûr, je comprends que l’addition énorme de 1+1=2 permet de construire un train à moteur linéaire ou une navette spatiale. Cependant, quelque part dans mon esprit, je pense qu’ils sont en réalité mus par la force de volonté ou par la persévérance. Je ne sais pas pour les autres. Moi, du moins, je suis ainsi.
 Toutefois, au début, je n’étais pas aussi nulle en mathématiques. Jusqu’à l’étape qu’on appelait « arithmétique », je parvenais à me maintenir au niveau. Aux examens, je trouvais même amusant de résoudre des questions de calcul simple. Mais si c’était une question un peu plus complexe, je n’en pouvais plus. Supposons qu’il y ait la question suivante : « Une personne a acheté 7 pommes de 20 yens dans un magasin de fruits, mais il lui manquait 10 yens pour les payer. Combien d’argent avait cette personne ? ». Je commence à m’inquiéter terriblement pour « cette personne ». Est-elle pauvre ? Est-ce tout l’argent qu’elle avait chez elle ? À quel point a-t-elle été chagrinée voire bouleversée au moment où elle a compris qu’elle ne pouvait pas acheter sept pommes ? Il arrivait que ce sentiment se transforme en léger amour. Pendant que je me disais : « ‘’Cette personne’’, je l’aime, ah… », la voix du professeur retentissait : « C’est fini. Posez vos stylos ».

Feuilles vierges


 Aujourd’hui, j’ai oublié de mettre dans mon sac les feuilles vierges que j’avais achetées hier. J’ai donc mendié des feuilles à plusieurs personnes qui avaient l'air particulièrement gentilles. Certains m’ont donné quelques feuilles de papier. D’autres n’en avaient pas. Je les ai tous remerciés.
 Il y a des gens qui peuvent aborder des inconnus ou des personnes qu’ils connaissent à peine sans se stresser. Ce n’est pas mon cas. Quelques fois, il m’est arrivé de voir des amis demander du papier à cigarette à des inconnus. J’admire leur courage. Je ne fume pas, mais pour demander des feuilles de cigarette à un inconnu, je devrais rassembler autant de courage que pour attaquer un terroriste muni d’un fusil.
 Je pensais écrire longuement, mais je suis trop fatigué pour me concentrer. Je vais me brosser les dents.

mercredi 21 novembre 2018

Le Père Noël


 Je suis allé au supermarché pour acheter du papier toilette. Aussitôt, je me suis rendu compte qu’il y avait une grande statue qui n’était pas là il y a une semaine. Cette statue soudainement apparue, dotée d’une longue et abondante barbe rousse, représentait un homme blanc de deux mètres portant un costume rouge et un énorme sac sur l’épaule. C’était ce qu’on appelle un Père Noël. Un bonhomme qui distribue des cadeaux aux enfants sages du monde entier la veille de Noël. Il m’avait offert des Lego et des maquettes de Gundam lorsque j’étais enfant. Mais cette statue me faisait peur. Je pense que les enfants japonais pleureraient et crieraient en le voyant. Les yeux clairs écarquillés et le sourire suspect, il me faisait plutôt penser à un ravisseur. Son sac blanc devait être rempli d’enfants pas sages, me suis-je dit. La semaine prochaine, je vais écrire sur le cahier des avis des clients : « La statue du Père Noël me fait très peur ».
 Dans la soirée, je suis allé à la poste pour récupérer le colis que ma mère m’avait envoyé. J’ai montré ma pièce d’identité et l’avis de passage à une employée. « Je vais le chercher », m’a-t-elle dit et elle a disparu dans la resserre. Quelques minutes plus tard, elle est revenue avec un carton qui avait l’air lourd. Miracle ! D’habitude, on ne trouve pas mon colis et me demande de revenir quelques jours plus tard. Pour la première fois, mon colis était là !
 Chez moi, j’ai ouvert le colis et j’ai fait infuser du thé vert. Je me suis délecté du goût de thé vert qui me manquait tant.

mardi 20 novembre 2018

Le centre commercial de Roppenheim


 Ce weekend, j’ai vu mon patron japonais pour qui je travaille chaque été en tant qu’interprète. Il est revenu en France parce qu’il reste encore des problèmes à régler. Cependant, cette fois, je ne peux pas travailler pour lui, parce que j’ai mes cours. Il travaille donc sans interprète dès cette semaine, mais il ne semble pas s’en soucier.
 On s’est retrouvés à la gare centrale de Strasbourg. Après une courte promenade en centre-ville, nous sommes entrés dans un restaurant et avons commandé le plat du jour. L’entrée était une soupe de pomme de terre. Le plat était un hachis parmentier, et on pouvait choisir un dessert dans la vitrine. Les mets étaient délicieux et à un prix raisonnable. Je lui ai demandé s’il avait le droit de prendre un dessert car il est diabétique. « Non », m’a-t-il dit en prenant une torche aux marrons.
 Ensuite, nous sommes entrés dans deux magasins de chocolat. Je n’ai rien acheté, mais mon patron a acheté plusieurs types de chocolat pour sa famille, ou pour lui-même. Il m’a dit en japonais : « cent grammes de ces deux types de chocolat, moitié moitié... ». Avant que je traduise pour la vendeuse, elle a répété en français ce qu’il venait de dire. Étonné, je lui ai demandé si elle comprenait le japonais. « Non, mais j’ai compris », m’a-t-elle dit en souriant.
 En après-midi, nous avons pris la navette gratuite pour aller au centre commercial de Roppenheim (mon patron adore le shopping et les grandes surfaces). Je n’y étais jamais allé. Le bus était une Mercedes Benz. C’était la première fois que j’ai vu un bus Mercedes. Les places étaient confortables, et la décoration était très soignée. Le chauffeur était une femme d’un certain âge affable. Avec plusieurs touristes chinois et européens, nous avons été dans la navette environ quarante minutes. Ce jour-là, il y avait une grande manifestation contre le prix des carburants, mais la route n’était heureusement pas bloquée.
 Le centre commercial de Roppenheim était comme une petite ville dans laquelle de nombreuses boutiques étaient juxtaposées. Mon patron et moi avions beaucoup de temps. Nous avons visité presque toutes les boutiques. C’est une ville juste à côté de l’Allemagne. Tout le monde parlait allemand, et la radio diffusée était aussi dans cette langue. Quelques vendeuses m’ont parlé en allemand, et j’ai dû confirmer qu’on était quand même encore dans le territoire français. Quand les gens parlaient en français, ils avait souvent une intonation étrange qui m'était inconnue. Nous avons ainsi tué le temps. Le bus du retour a démarré vers 18h30, mais le chauffeur, la même femme que tout à l’heure, a dit à tout le monde que le bus s’arrêterait à Hohenheim, afin d’éviter l’embouteillage dû à la manifestation. C’était une sage décision. Quelques trente minutes plus tard, la navette est arrivée à la gare de Hohenheim. Les passagers ont ensuite pris le tram pour aller à Strasbourg. Le chauffeur attendait que tout le monde achète son ticket.
 De retour au centre-ville, j’ai dîné dans un restaurant italien avec mon patron et un ami français qui parle un bon japonais. Nous avons commandé beaucoup de plats ; une pizza, des pâtes, un risotto, un cordon bleu et des desserts. La cuisine était très bonne. La cuisine française est toujours élaborée. Je regrette de ne pas avoir assez de culture pour représenter son délice. Un serveur nous a proposé de nous offrir du digestif. Mon ami français est musulman de ce fait il a refusé. Mon patron est allergique à l’alcool. J’étais la seule personne qui voulait en prendre, mais j’ai décliné en me mordant les lèvres.
Vers 22h, nous nous sommes promenés un peu vers la gare. J’ai souhaité une bonne chance à mon patron. Il me l’a aussi souhaitée pour mes études. Mon ami l’a remercié pour le dîner, et nous nous sommes séparés.

lundi 19 novembre 2018

"Mercure" d'Amélie Nothomb


 J’ai lu « Mercure » d’Amélie Nothomb, paru en 1998, un an avant le chef-d’œuvre de l’auteur « Stupeur et tremblement ». Ce court roman raconte l’histoire de l’amour d’un vieil homme millionnaire et pervers, Loncours et d’une jeune fille, Hazel. La jeune femme qui va avoir bientôt vingt-trois ans, a perdu ses parents par un bombardement lorsqu’elle était adolescente, et à ce moment-là, son joli visage a été affreusement mutilé. Ramassée par Loncours, elle vit avec lui sur une île isolée, dans une maison étrange de laquelle tous les objets réfléchissants sont exclus, pour que Hazel ne voie pas son visage difforme. Un jour, la fille tombe malade et une jeune infirmière, Françoise arrive à cette maison. Commence alors une étrange relation de ménage à trois.  
 Je n’ai pas lu beaucoup de livres de cette femme écrivain belge. J’ai lu « Ni d’Ève ni d’Adam » (qu’elle m’a dédicacé), « Stupeur et tremblement » et « Antéchrista ». Après avoir lu « Mercure », j’ai l’impression qu’il y a souvent une relation qui évoque le saphisme dans ses romans. « Ni d’Ève ni d’Adam » ne correspond pas à cette observation puisqu’il s’agit d’un roman autobiographie relatant son histoire d’amour avec son ancien amant japonais Rinri. Mais dans « Mercure », se dessine une relation sentimentale et délicate entre Hazel et Françoise. Hazel est une belle fille tandis que l’apparence de Françoise n’est pas particulièrement décrite. Dans « Antéchrista », Christa est une belle fille, mythomane et manipulatrice, tandis que la victime Blanche est décrite comme une fille ordinairement jolie. Dans « Stupeur et tremblement », c’est bien Amélie et la Japonaise glaciale et cruelle, comme son prénom qui signifie la tempête de neige, Fubuki.
 Vous me direz sans doute : « Et alors ? ». Rien. J’ai juste eu cette impression et c’est tout. Sinon, la lecture des romans d’Amélie Nothomb est un petit plaisir de la vie quotidienne, comme un verre de vin ou la grasse matinée.

samedi 17 novembre 2018

FLE (6)


 Ce matin, la voix de la femme de ménage de mon étage m’a arraché de mon sommeil paradisiaque. Sa voix est aiguë de sorte que je l’entendais nettement à travers la porte. Il semblait qu’elle discutait avec un autre résident. Il lui demandait qui occupait ma chambre. « C’est un petit garçon japonais habite ici ! », a-t-elle dit. Je me suis demandé de qui elle parlait. Un Japonais habite effectivement ici, mais il n’est pas petit. Étrange.
 Ce semestre approche bientôt de sa fin. Pendant le cours de FLE, notre enseignante nous a demandé de rédiger en quinze minutes un document sur le thème du « mal-logement en France ». Je me suis mis à écrire sur ce sujet, sur la feuille de papier qu’elle m’avait fournie. Je suis désolé, mais les sujets que les professeurs de français choisissent n’ont jamais été intéressants pour moi. Je n’ai pas beaucoup écrit. J’ai juste rempli une page. De toute façon, l’enseignante avait dit qu’elle ne voulait pas de texte trop long.
 Quelques minutes plus tard, elle a ramassé nos copies et nous a demandé de travailler individuellement. Comme d’habitude, j’ai passé le temps à bavarder avec le Coréen avec qui je m’entends bien. Comme nous discutons en français, ça peut être considéré comme exercice de français. Il m’a demandé si j’avais déjà lu « Les Misérables » de Victor Hugo. Je lui ai dit que oui.
« En français ?
– Non, en japonais. Quand j’étais au collège. Il y avait trois tomes, ai-je dit.
– En Corée, c’est cinq tomes !
– J’avoue que ça ne m’a pas vraiment impressionné.
– Il faut le lire en français ! ».
 J’essayais de me rappeler comment « Les Misérables » se termine, mais en vain. Je me souvenais seulement que l’inspecteur de police du nom de Javert se suicide en se jetant dans la Seine.  
 Le jeune garçon m’a dit que l'idée de rentrer en Corée du Sud lui faisait horreur, et que son rêve était d’obtenir la nationalité française. J’avais l’impression de comprendre ce sentiment, mais je ne savais pas comment lui répondre. Parfois, la société japonaise me paraît comme un immense système qui fonctionne tout seul en détruisant un grand nombre de ceux qui le gèrent. Il m’a dit qu’à l’âge de vingt-cinq ans, tous les Coréens sont obligés d’entrer dans l’armée.
« Même ceux qui habitent à l’étranger ? ai-je demandé.
– Oui, a-t-il dit.
– Et si tu ignorais la convocation ?
– Je serai arrêté à l’aéroport ».
 Je ne sais pas si c’est vrai. Je ne veux absolument pas entrer dans l’armée. J’ai du mal avec les systèmes étouffants. J’avais déjà beaucoup de mal avec le collège et le lycée.
À ce moment-là, notre enseignante est revenue. Elle s’est mise à corriger la rédaction du Coréen. Par la suite, elle est venue à côté de moi. On a corrigé ensemble ma dissertation bâclée, mais je n’avais fait qu’une seule erreur : j’avais oublié de mettre un s de pluriel à un mot. « Tu as un bon français. Mais tes phrases sont un peu trop simples, m’a-t-elle dit.
- C’est parce que je viens de finir ‘’L’Étranger’’ de Camus hier ».
 Mon propos l’a fait rire pour une raison obscure.
 Pour le cours de FLE, tous les étudiants sont obligés de présenter un dossier composé de productions écrites pour montrer qu’ils ont travaillé à améliorer leur français. Une Espagnole très joyeuse et bavarde comme une fillette qui viendrait d’apprendre sa langue, cherchait désespérément un moyen d’échapper à cette occasion, en discutant avec la prof. Elle ne semblait absolument pas vouloir accomplir ses devoirs. Elle lui demandait ce qui lui arriverait si elle ne faisait rien. Quand la prof lui a dit que cela dépendait du secrétariat de sa faculté, elle a gémi à plusieurs reprises.

jeudi 15 novembre 2018


 J’ai commencé à tenir mon journal intime dans le but d’enregistrer mes journées en France et d’améliorer mon français. Toutefois, je n’ai jamais eu de matière propre. Par conséquent, j’ai fini par accumuler des vides les uns après les autres. Ce qui m’effraie, c’est que cette accumulation de vides dure encore et que je ne sais pas comment y mettre fin.
 Quelques fois, j’ai essayé de combler ces lacunes. Quelques personnes m’ont conseillé de me faire une petite amie ou plus d’amis. Cependant, je m’étais déjà rendu compte qu’une telle tentative ferait me sentir encore plus vide. Même l’océan ne peut pas remplir un seau minuscule s’il est troué.
 Aujourd’hui, j’aimerais présenter un texte de Monsieur G. un fonctionnaire français que j’admire pour sa prose en japonais, et qui m’a plus ou moins influencé pour « mes exercices » en français. Il est en fait étrange que moi, japonais, je traduise en français un texte qu’un Français a écrit en japonais, mais j’aime traduire autant qu’écrire.

« Une fois mes courses terminées, tandis que je revenais à ma voiture, une vieille dame m’a abordé. « N’avez-vous pas honte ? », m’a-t-elle demandé d’un air irrité. Je ne savais pas ce que je pouvais lui répondre pour apaiser sa colère. Je ne pensais tout de même pas que la dame me posait cette question pour me demander combien j’avais honte de vivre. Finalement, j’ai décidé de l’ignorer. Cependant, la vieille dame s’est mise à frapper ma voiture avec un bâton. Je ne pouvais plus ignorer cette dame ennuyeuse.
 Je lui ai demandé pourquoi elle criait. Il m’a semblé que c’est parce que j’avais garé ma voiture dans une place pour personnes handicapées. Il n’y avait pas de panneau. De plus, la peinture bleue qui signifiait les places pour personnes handicapées était presque effacée si bien que je ne m’en étais pas aperçu. Je me suis excusé, mais cela n’a fait qu’exciter davantage la vieille dame.
 Cette personne âgée semblait se réjouir de me persécuter. Sinon, elle n’aurait pas attendu que je revienne à ma voiture. Il se peut qu’elle vagabonde toute la journée sur le parking en cherchant des gens qu’elle peut accuser.
 J’avais beau la prendre en pitié, j’ai eu envie de la poignarder.
 Si je pouvais battre mon ennemie rien qu’une fois, je pourrais être fier de vivre. Cela m’est égal que ce soit une vieille dame qui cache sa ruse derrière son âge et sa faiblesse ».

mercredi 14 novembre 2018


 Aujourd’hui, on m’a rendu ma copie d’examen de littérature latine chrétienne. Il y avait longtemps que je n’avais pas eu moins de dix. On devait faire deux commentaires de texte. Je m’étais demandé si je devais me référer à ce que le professeur avait dit pendant le cours, ou si je devais faire un commentaire littéraire ordinaire. On avait une heure pour composer. Il me semblait impossible de faire deux véritables commentaires de texte en une heure. J’ai donc commenté les textes en me basant sur le cours. Au moment où j’ai rendu ma copie, je me suis rendu compte que tout le monde avait beaucoup écrit. J’ai été dégoûté.
 Mais aujourd’hui, il s’est avéré que c’était un piège. Après avoir dit que la moitié des étudiants avaient moins de dix, le professeur nous a dit que nous devions faire deux véritables commentaires de texte. Pris au piège, j’ai eu moins de dix, puisque les deux commentaires comptaient dix points. Si l’examen était une guerre, j’aurais été amputé d’un bras et d’une jambe. On m’a dit que beaucoup de monde avait eu trois ou quatre. Ceux-là ont eu la colonne vertébrale cassée, ou les poumons percés de multiples flèches, et respiraient à peine.

lundi 12 novembre 2018

La Première Guerre mondiale


 J’essaie d’expliquer brièvement en français la Première Guerre mondiale qui est très complexe.
 Tout le monde connait l’origine de la Première Guerre mondiale. C’est l’assassinat du prince héritier de l’empire austro-hongrois, Franz Ferdinand et de son épouse. Mais pour comprendre l’essentiel des causes de cette guerre, il faut d’abord saisir le contexte historique de l’époque.
 Au beau milieu de l’impérialisme, les grandes puissants européennes colonisaient notamment l’Afrique et l’Asie de sud-est, en aggravant la tension politique entre elles. D’ailleurs, l’annexion de l’Alsace-Lorraine à l’empire allemand avait engendré de la rancune chez les Français. Afin de contrer l’Allemagne, la France s’est alliée au Royaume-Uni et à la Russie, tandis que l’Allemagne s’est alliée à l’Autriche et à l’Italie (mais l’Italie s’est par la suite secrètement alliée à la France). La première alliance est connue sous le nom de « Triple-Entente », elle est composée de ces trois pays, avec d’autres nations. Et la dernière alliance est appelée les « Alliés ».  Le 28 juin 1914, le prince héritier de l’empire austro-hongrois et son épouse ont été assassinés à Sarajevo en Serbie, par un nationaliste serbe. L’Autriche a envoyé un ultimatum à la Serbie, sans recevoir de réponse de sa part, et lui a finalement déclaré la guerre. La Russie, alliée à la Serbie, l’a rejointe et a proclamé la mobilisation de toute son armée. Dans cette situation, l’Allemagne risquait d’être attaquée de deux côtés, d'un côté par la France et de l'autre par la Russie. Elle a donc décidé d’exécuter le Plan Schlieffen. Qu’est-ce que le Plan Schlieffen ? En gros, cette opération visait à attaquer la France en passant par la Belgique, et ensuite assaillir la Russie. Sous prétexte que l’Allemagne avait envahi la Belgique, l’Angleterre aussi lui a déclaré la guerre.
 Les principaux champs de bataille de la Première Guerre mondiale sont donc en Europe, mais le Japon y a aussi participé en Asie. Pourquoi ? En fait, le Japon était allié à l’Angleterre à l’époque. Il s’est donc battu du côté de la Triple-Entente, afin de détruire les bases militaires allemandes en Chine. C’était évidemment un prétexte. Son véritable objectif était d’élargir son influence en Chine. Le Japon a gagné et imposé à la Chine les « Vingt et une demandes » dont seize ont été acceptées et a réussi à étendre ses contrôles politiques et économiques en Chine.
 Au même moment, en Europe, sur les champs de bataille de l’est, l’Allemagne prévalait la Russie. En 1917, la Révolution russe a eu lieu et l’empereur Nicolas II et sa famille ont été exécutés. Le nouveau gouvernement russe et l’Allemagne ont signé le traité de Brest-Litovsk qui a mis fin à la guerre à l’est.
 Cependant, le front de l’ouest stagnait malgré sa véhémence. Lorsque la Première Guerre mondiale a éclaté, personne n’avait imaginé qu’elle ne serait aussi grave et longue. Les soldats pensaient qu’ils pourraient rentrer chez eux avant Noël. Au début de la guerre, l’Allemagne était supérieure à la France. Une fois la Belgique traversée, l’armée allemande a avancé dans le nord de la France vers Paris. La capitale du monde était juste devant leurs yeux, au-delà de la Marne, de l’autre côté de laquelle, guettait l’alliance de l’armée française et anglaise. C’est ce qu’on appelle la « Bataille de la Marne ». Les deux armées ont subi de grandes pertes, et l'image symbolique de la Première Guerre mondiale, la guerre de tranchée a commencé. Le front de l’ouest a été séparé par une longue tranchée qui a prolongé la guerre, en entassant les cadavres de soldats.
 L’Allemagne était pressée. Alors que Paris était devant l’armée allemande, elle ne pouvait pas l’atteindre. En 1916, elle a décidé d’attaquer la base française importante, le saillant de Verdun. Cette bataille qui a duré pendant dix mois, appelée la bataille de Verdun a engendré plus de 700 000 morts dans les deux armées, sans changer la situation.
 Au fait, la Première Guerre mondiale est le premier conflit dans lequel a été employé des armes modernes courantes aujourd’hui comme par exemple, les gaz toxiques, les avions de chasse et les chars. Mais elles n’étaient pas encore très développées. Un soldat allemand d’origine autrichienne a inhalé du gaz toxique pendant cette guerre, mais il n’est pas mort. Ce soldat, qui a été décoré de la croix de fer de deuxième classe, fera connaître son nom plus tard, Adolf Hitler.
 L’Allemagne a pété les plombs. Elle a mené une opération de « guerre sous-marine à outrance », qui visait à attaquer les sous-marins et les navires à l’aveugle, y compris ceux des pays neutres. Cette opération téméraire a pourtant été très efficace. La victoire de l’Allemagne devenait de plus en plus probable. Face à cette situation, les États-Unis qui étaient neutres à l’époque ont armé leurs navires marchands. Mais cette mesure n'avait aucun sens devant la puissance des U-boots, la fierté de l’Allemagne. Un bon nombre de navires américains ont été coulés. Le 4 avril 1917, poussé par la colère du peuple, le Président Wilson a décidé d’entrer en guerre.
 L’intervention des États-Unis était une véritable menace pour l’Allemagne. Elle a essayé de battre la France avant leur arrivée, mais en vain. Les soldats étaient de plus en plus las de cette bataille dont la fin était imprévisible.
 Le printemps 1918, l’armée américaine a été engagée sur le front de l’ouest. À ce moment-là, l’armée allemande manquait déjà de nourriture et de balles. Ses voies de ravitaillement étaient aussi détruites. Elle était totalement épuisée. Sa défaite n’était qu’une question de temps.
 En novembre de la même année, une partie des soldats allemands a refusé de se battre. Ce mouvement s'est tout de suite répandu pour se transformer en une énorme émeute. C’est la Révolution allemande. Le 9 novembre, l’empereur Guillaume II a abdiqué et s’est réfugié aux Pays-bas. Le 11 novembre, les représentants du gouvernement allemand et les Alliés ont conclu un armistice. La Première Guerre mondiale qui a duré quatre ans, s’est finalement terminée, dans la forêt de Compiègne en France.
 La France a été dévastée par cette guerre et perdu plus d’un million d’hommes. Par le traité de Versailles, l’Allemagne a perdu une grande partie de ses territoires, elle a été obligée de payer une somme quasi astronomique, 132 milliards de marks-or, et son armée a été si réduite qu'il n’était plus question de maintenir le pays. Ces traitements d’après-guerre sont devenus l’une des causes principales de la Seconde Guerre mondiale qui a eu lieu seulement vingt ans plus tard.


 Il m’est arrivé une fois de montrer Talleyrand à une inconnue. C’était une après-midi ensoleille du début de l’été. J’étais dans le TER à destination de Strasbourg dans lequel j’étais monté à Mulhouse. J’étais assis tout seul. Il y avait beaucoup de places vides. Une dame assise avec son mari de l’autre côté du couloir se levait pour la cinq ou la sixième fois pour aller aux toilettes. Je lisais un roman. Au bout d’un moment, je m’en suis fatigué et je me suis mis à regarder le paysage par la fenêtre : les champs dorés et l’horizon qui s’étendaient à l’infini. À ce moment-là, sans aucune raison particulière, j’ai sorti Talleyrand de mon sac à dos et je l’ai mis sur la place voisine qui était inoccupée. Quelques minutes plus tard, le train s’est arrêté à Colmar, où beaucoup de passagers sont montés. Les places vides ont été occupées les unes après les autres, sauf la place à côté de moi, où était assis Talleyrand. Une femme sans doute dans sa trentaine, en cherchant désespérément une place vide, est passée près de moi. Quelques instants plus tard, elle est revenue et m’a demandé si elle pouvait s’y asseoir. J’ai déplacé Talleyrand sur la table. La femme est assise. « Il est mignon », a-t-elle dit. « Il s’appelle Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord. Il a un an », ai-je dit. La conversation épuisée, elle s’est mise à regarder son portable. Je me suis remis à lire mon roman. Immobile, Talleyrand demeurait silencieux, jusqu’à ce que le TER arrive à la gare de Strasbourg.

dimanche 11 novembre 2018

Lettre de démotivation


 Cher Monsieur,
 Ta gueule. Je n’ai aucune motivation à répondre à ton offre d’emploi. Si tu veux que quelqu’un travaille pour toi, bouge ton cul toi-même. Je suis occupé. Je dois rester couché sur le lit à regarder « Breaking Bad » toute la journée. Est-ce le travail que tu proposes est-aussi intéressant et palpitant que « Breaking Bad » ? Probablement pas. Ça doit être aussi ennuyeux que de lire les ingrédients d’un carton de lait. Je n’ai donc pas le temps de travailler pour toi. Mais ne m’en veux pas pour ça. As-tu déjà regardé « Breaking Bad » ? C’est une série américaine super intéressante. Je te conseille de la regarder. Mais n’essaie de pas de fabriquer de drogue. La drogue, c’est mal, comme dit Vito Corleone dans « Le Parrain ».
 Je ne t’ai jamais vu. Mais je n’ai pas particulièrement envie de te voir. Donc, tout va bien. Je n’ai donc plus rien à te dire.
 Je vous prie de ficher le camp, Madame et Monsieur, et de jeter mes meilleures salutations distinguées dans la poubelle.

samedi 10 novembre 2018

''Le coffret à bijoux dans la fontaine'' Yoko Ogawa


 Lorsque je lis une nouvelle magnifique, j’ai envie de l’accaparer comme mon trésor. Je vais la mettre dans mon petit coffret à bijoux, mais bien construit, et le cacher dans un endroit que personne ne connaît.
 Il n'en va pas de même avec les longs romans. Ils s’étalent sur le monde comme la mer ou le fleuve, de sorte qu’il est impossible de les cacher quelque part. Les gens peuvent les contempler ou nager librement dedans quand ils souhaitent.
 J’ai l’impression que la relation que j’ai avec les nouvelles est plus subtile. Au cours d’une lecture, lorsque je suis impressionnée, je dis : « Qu’est-ce que c’est que ça….. ». Quand il s’agit d’une nouvelle, le ton de ma voix s’affaiblit. Je ne crie pas en tapant sur la table, mais je murmure pour moi-même en cachette. Lorsque je termine ma lecture, je cache la nouvelle dans mon coffret à bijoux ; je la verrouille, et l’immerge dans le fond de la fontaine qui jaillit secrètement dans un coin de mon jardin.
 Lorsque je suis si épuisée que je ne peux pas me lever et que je n’arrive pas à atteindre le bord de la mer ou du fleuve, je prends mes bijoux que j’ai caché dans mon jardin. Je plonge la main dans la fontaine et sors le coffret. Je confirme que même un monde si minuscule qu’il tient dans ma main est rempli de vies humaines et je suis rassurée. Ainsi, je peux ressentir que je ne suis pas abandonnée toute seule sur la lande, et que je suis protégée par la chaleur de quelqu’un.
 L’œuvre que j’ai choisie cette fois, « The Many Things That Denny Brown Did Not Know (Age Fifteen) (Beaucoup de choses que Denny Brown ignorait (quinze ans)) » d’Elisabeth Gilbert est très importante pour moi. À vrai dire, j’aurais voulu la laisser dans la fontaine. Ce n’est pas par le désir de possession, mais face à une œuvre si extraordinaire, j’avais peur d’être déconcertée au point de ne plus savoir quoi écrire.  
En même temps, ce n’est pas une histoire tapageuse. Elle ne traite pas de nouveau thème surprenant ; elle n’a pas de truquage méticuleux non plus. Il s’agit simplement de l’histoire relatant les expériences qu’un lycéen de quinze ans ordinaire fait pendant les vacances d’été, dans sa petite ville des États-Unis.
 Comme le titre l’indique, le garçon, Denny Brown ne connait rien du monde. Il ne connait pas l’origine du nom de sa ville, ne sait rien de la mitose des cellules, ignore que Beethoven était sourd. Il ne comprend pas trop en quoi consiste le travail de ses parents, infirmiers, ni pourquoi la grande sœur d’un ami prend sa main dans la sienne. Les deux tiers du roman sont consacrés aux choses qu’il ignore.
 Un jour, un petit hasard a lieu. La sœur d’un ami, la jeune femme attrayante à la forte poitrine qui prend sa main silencieusement, contracte la petite vérole.
 Depuis cet événement, l’histoire se développe de manière tout à fait inattendue. Je le répète : comme ce n’est ni remarquable, ni méticuleux, ni étonnant, même si j’explique avec détail ce qui va se passer, beaucoup de lecteurs seront déçus. Je préfère donc ne rien expliquer pour l'instant. La seule chose claire, c’est que Denny Brown, qui mène, main dans la main, la jeune fille, victime de vérole, dans la salle de bain, touche la partie la plus profonde de l’esprit humain. À cet instant, le garçon qui ne savait même pas que Beethoven était sourd, apprend une chose inexplicable qui n’est mentionnée dans aucun manuel scolaire.
 Elisabeth Gilbert a sauvé un petit miracle de la vie quotidienne qui aurait disparu sans que personne ne le découvre. Elle a accompli cet acte seulement en quelques pages. En relisant et relisant cette nouvelle, à la fois émue et déconcertée, je murmure : « Qu’est-ce que c’est que ça……. ».
 Je pense que le travail des écrivains n’est pas de créer un miracle, mais de le découvrir. C’est aussi l’un des critères qui, pour moi, définissent un bon roman.
 On me demande souvent si je suis plus forte pour le roman ou pour la nouvelle. Je ne suis forte ni pour l’un ni pour l’autre. Que ce soit un roman ou une nouvelle, écrire une histoire est toujours difficile. Je ne peux vraiment pas répondre que je suis forte pour l’un ou l’autre. Cependant, s’il y a des gens qui pensent qu’une certaine technique est nécessaire pour écrire une nouvelle, je pense que c’est faux. Écrire une histoire que l’on a découverte, c’est la chose unique et la plus importante.
 Lorsque j’ai du mal à écrire et que je souffre, je vais à la fontaine de mon jardin, et j’ouvre la serrure de mon coffret à bijoux. J'immerge mon secret dans le fond de la fontaine et je me remets à écrire la suite de mon histoire. C’est ainsi que je continue à écrire.

vendredi 9 novembre 2018

Mimi


 Une semaine est passée depuis que Mimi a disparu. Hier, lorsque je jouais avec Patience, la gardienne de la résidence est venue me demander si je n’avais pas vu Mimi. Elle savait que j’étais proche avec la disparue. Malheureusement, je n’ai pas vu Mimi depuis qu’elle a disparu. Son coussin est toujours à côté de celui de Patience. Il y a quelques jours, la nuit, j’ai eu l’impression d’avoir entendu les miaulements d’un chat, mais était-ce un rêve ?
 Je pouvais éprouver du bonheur lorsque je portais un chat dans mes bras, tout doux et tout chaud. Mimi ne reviendra-elle plus sur mes genoux ?

lundi 5 novembre 2018

L’apprentissage du français


 Lorsque j’ai commencé à apprendre le français, j’habitais à Tokyo pour une certaine raison. J’ai d’abord choisi une école de français qui se trouvait dans un immeuble d’un quartier résidentiel. C’était un immeuble ordinaire dont un appartement entier, assez spacieux, était occupé par une école de français. Je me rappelle aussi le nom de mon premier professeur. Il s’appelait « Robin » et parlait parfaitement le japonais. Il y avait aussi une autre professeur petite aux cheveux rouges, dont j’ai oublié le nom. Toutefois, je ne suis pas resté longtemps dans cette école parce que les cours consistaient majoritairement en dialogues et étaient destinés aux gens qui souhaitaient apprendre le français joyeusement. Je ne nie pas que cette méthode être efficace, puisque je ne suis pas spécialiste dans l’apprentissage des langues étrangères. Toutefois, je pense toujours que la grammaire est importante. Au bout d’un mois, je me suis mis à chercher une autre école.
 À Tokyo, il y a deux écoles de français réputées. L’un est l’Institut français, qui est reconnu par le gouvernement français, doté d’une une riche médiathèque et qui organise fréquemment des événements culturels. L’autre est l’Athénée français, qui n’est pas reconnu par le gouvernement français, mais qui existe depuis avant la première guerre mondiale et qui a engendré bon nombre d’écrivains et de spécialistes en littérature française. J’ai finalement choisi cette dernière, parce qu’elle était beaucoup moins chère.
 Chaque semaine, je prenais la ligne Chûo pour aller à Ochanomizu. J’avais appris les bases de la grammaire française en autodidacte. Je me suis donc inscrit au niveau intermédiaire. Mon professeur de français, un Blanc grand et maigre, habillé toujours de manière chic, contrairement à Robin, ne parlait pas trop le japonais, bien qu'il était marié à une Japonaise et vivait au Japon depuis longtemps. Le cours était centré sur la grammaire et ça m’a plu. Après les cours, j'aimais me promener à Ochanomizu où il y a beaucoup de librairies d’occasion. Parfois je marchais jusqu'à Kudanshita. J’achetais souvent des castella (gâteau japonais) en forme de clochette à la boulangerie.
 La plupart de mes camarades étaient des femmes d’un certain âge qui apprenaient le français en dilettantes. Il y avait aussi quelques jeunes. Nous étions que deux hommes. Cela m’a étonné que même des dames âgées apprenaient passionnément le français, parce que je ne sais pas si j’aurais envie d’apprendre une langue étrangère quand j’aurai leur âge. Je parlais de temps en temps avec une Coréenne d’un certain âge qui avait du caractère. Elle avait sa vie au Japon, et elle parlait le japonais si parfaitement que j’ai appris qu’elle était coréenne beaucoup plus tard. L’autre garçon venait de l’ouest du Japon. C’était un homme très extraverti qui parlait le dialecte du Kansai. Une fois, on est allés voir ensemble un film de François Ozon dans un petit cinéma. Il y avait aussi une dame qui m’a un jour dit qu’elle ne s’intéressait pas du tout à la France. Je lui ai demandé pourquoi elle apprenait le français. « J’ai envie d’émigrer au Sénégal, m'a-t-elle dit. – Je vois », ai-je dit. C'était aussi dans cette école que j'ai rencontré une dame, interprète professionnelle d'allemand et de japonais. Elle avait vécu longtemps en Allemagne de sorte qu'elle parlait un excellent allemand. Elle m'a dit qu'elle continuerait le français jusqu'à ce qu'elle obtienne le diplôme d'interprète de cette langue. Il y avait aussi une jeune fille qui étudiait la technologie astronomique, quelque chose de ce genre. Elle apprenait le français pour entrer dans une université française prestigieuse dont je n'ai pas retenu le nom. Il s’est révélé que nous avions des goûts très proches en musique et en cinéma, et elle m’a dit qu’elle n’avait jamais rencontré quelqu’un qui avait des goûts aussi similaires. Nous avons échangé nos adresses e-mail. Elle était jolie, mais je ne lui ai rien envoyé. J’avais la flemme.
 Tout le monde était passionné pour le français, et avait un rêve ou une ambition. Je n’avais rien de tout cela. Entre les deux choix de me suicider et d'aller à l'université française, j’avais choisi le second. Tout ce que je faisais, c’était de regarder de temps en temps de vieux films de Jean-Luc Godard et de lire Boris Vian. Mon premier objectif était d'obtenir le DALF C1, et je l’ai atteint il y a quelques années. Je continue encore le français, quoique je sois toujours apathique et dénué de grande ambition. Je me demande ce que ces gens que j'avais rencontrés sont devenus aujourd'hui.

dimanche 4 novembre 2018

La disparition de Mimi


 Mimi a disparu. Mimi est une chatte qui habite dans ma résidence, avec un autre chat, Patience. Les femmes de ménage la cherchent, mais en vain. Elle est petite, craintive et elle boîte, de sorte que je ne pense pas qu’elle soit allée très loin. Où est-elle partie ? Moi aussi, je l’ai cherchée aujourd’hui. Tout ce que j’ai trouvé, c’était sa gamelle en aluminium vide et son coussin sans un poil.
 La disparition d’un chat me rappelle « Kafka sur le rivage » dans lequel, il y a un homme âgé, légèrement handicapé mental, Monsieur Nakata, qui a la capacité de parler avec les chats. Un jour, sa voisine lui demande de chercher son chat perdu. Au cours de sa recherche, il rencontre un homme qui s’appelle Johnny Walker et qui dit qu’il doit massacrer des chats pour en fabriquer une flûte spéciale. Monsieur Nakata est obligé de tuer cet homme suspect pour sauver le chat recherché et les autres animaux. Un chat s’est évaporé aussi dans « La Chronique de l’oiseau à ressort ». Son nom était, si je ne me trompe, Iwashi (sardine).

''Monsieur Love'' Sachiko Kishimoto


 Beaucoup de professeurs de mon université portaient des noms singuliers.
 Par exemple, un jour, sur le tableau d’annonces était affiché « Le cours de théologie de mercredi prochain de Monsieur Robot est annulé ».
 Monsieur Robot ! Nous étions étonnés. Est-ce un professeur mécanique ?
 Un autre jour, il était affiché « La salle du cours d’éthique de Monsieur Quoi a été changée ».
 Monsieur Quoi ! C’est quoi, Monsieur Quoi !
 Tout cela, c’est parce que mon université était jésuite. Certains enseignants étaient des prêtres jésuites de divers pays. Je n’ai jamais réussi à savoir la nationalité de Monsieur Robot.
 Le plus impressionnant était Monsieur Love.
 Love ! Peu avant le premier cours, nous, étudiants en littérature anglaise, étions agités.  Est-ce vraiment son nom ?
 La porte s’est ouverte, et le professeur est entré.
 Jésus ! a pensé tout le monde. C’était un blond aux yeux bleus. Un Blanc grand et maigre. Il était barbu et ses cheveux descendaient jusqu’aux épaules. Ça me semblait étrange qu’il ne portait pas de couronne d’épines.
 Il est monté d’un grand pas sur l’estrade, et a dit : « My name is….. ». Tout à coup, il s’est retourné ; il a pris non pas une claie, mais une éponge, avec laquelle il a écrit sur le tableau entier :

LOVE.

 Chacun a retenu son souffle. Les filles ouvraient légèrement leur bouche. Les garçons baissaient la tête. Le cœur des filles a été touché. Celui des garçons a été brisé. Mais Monsieur Love était jésuite. Les Jésuites sont des gens qui ont juré à Dieu de ne jamais avoir de femme de toute leur vie. On n’avait donc pas le droit d’en être amoureux. Ça nous a passionnés davantage.
 Les cours de Monsieur Love étaient intéressants. Un jour, on a analysé un poème.
Dans ce poème, il y avait les mots « les vaisseaux sanguins de la mer ». Personne ne comprenait de quoi il s’agissait. En y consacrant un cours entier, Monsieur Love nous a fait réfléchir sur ces mots comme une devinette. Encore aujourd’hui, lorsque je vois des lignes ressemblant à des sentiers sur la surface de la mer, je me dis : « Ah, ce sont des vaisseaux sanguins de la mer ».
 À chaque cours, il donnait un devoir de production écrite en anglais. Le sujet était libre, mais il disait toujours : « Soyez concrets ». Si on écrivait une histoire qui avait une chute ou qui était un peu ‘’attendrissante’’, il prenait un air triste comme Jésus, et secouait la tête en disant : « Ce n’est pas du tout concret ».
 Au contraire, cela a été un spectacle le jour où quelqu’un avait écrit ses souvenirs d’une forte fièvre. « Ma température est montée jusqu’à quarante degrés. J’ai distraitement regardé le ciel nocturne. Toutes les étoiles sont tombées sur moi. Cela m’a rafraîchi le front et c’était agréable », avait-il écrit. Monsieur Love, en sautillant sur l’estrade, avait crié : « Formidable ! C’est très concret ! ».
 Mes compositions n’ont jamais été très estimées, sauf une seule fois. J’ai écrit qu’au lycée, pour le stage d'entraînement de mon club de sport, j’étais montée au sommet d’une montagne, la nuit, que de nombreux nuages en forme de choux à la crème flottaient sur l’horizon et des éclairs brillaient silencieusement.
 Dix ans après avoir obtenu mon diplôme, j’ai trouvé l’avis de décès de Monsieur Love dans un journal. Il était encore dans sa soixantaine. Le statut de prêtre avait disparu. À côté de son nom, on donnait, en tant que parent du défunt, celui de son épouse.

vendredi 2 novembre 2018

''Les souvenirs de ski'' Sachiko Kishimoto


  Je l’ai déjà dit : je n’aime pas les jeux olympiques.
 J’avais beau le répéter, les jeux olympiques d’hiver ont eu lieu à Vancouver cette année.
 Je déteste les jeux olympiques, mais je déteste particulièrement les jeux olympiques d’hiver.
 Bien que ce soit déjà une fête anormale où des gens anormalement musclés, animés d’une émulation anormale, sautent anormalement haut, ou nagent anormalement vite, ou tournent anormalement, ces jeux olympiques ont lieu en hiver, saison connue pour son froid qui règne au dehors, sur la glace ou la neige. Les joueurs portent un équipement étrange sur eux, et ils sautent anormalement haut, ou glissent anormalement vite, ou tournent ou frottent quelque chose anormalement. Pour moi, c’est de la folie.
 Bien entendu, je pense que les patineurs artistiques sont impressionnants. Je ne peux pas sauter en tournant trois fois et demi sur moi-même, même sur la terre. J’ai fait du patinage quand j’étais enfant. Tout ce que j’ai réussi à faire, c’est de me tenir debout sur la glace. Lorsque je regarde les patineurs sur glace qui tournent ou lèvent la jambe ou sautent, je me rappelle l’odeur du vieux cuir, le froid sur mes fesses mouillées, l’odeur de pétrole émanant du poêle de la salle de séchage, et le rouge du sang qui coulait du nez d’un adulte qu'on emmenait sur un brancard après après sa collision contre un mur. Tout cela me revient à l’esprit, et je suis prise d’une inquiétude inexplicable.
 Le ski aussi me rappelle bien de souvenirs.
 Une seule fois, je suis allée faire du ski quand j’étais étudiante. Mes amies m’ont proposé d’y aller à la place d’une fille qui avait un empêchement. C’étaient des folles qui faisaient du ski tous les weekends pendant la saison. Au début, j’ai poliment refusé leur proposition. Je n’avais jamais fait de ski, je n’avais pas d’équipement. Mais comme on m’a dit : « T’inquiète. Je te prêterai l’équipement de ma grande sœur. On va t’apprendre à faire du ski », j’ai finalement décidé d’y aller.
 Le télésiège m’a conduite jusqu’au sommet de la montagne. Lorsque je me suis retournée pour leur demander de m’apprendre à faire du ski, elles étaient déjà parties. Je suis descendue en tombant environ cent fois. Je me suis plainte en leur rappelant qu’elles m’avaient promis de m’apprendre à skier. Elles m’ont dit : « C'est quelque chose qu'on apprend naturellement ! C’est comme ça ! ». Elles n’étaient plus les mêmes. Elles voulaient faire du ski le plus longtemps possible jusqu'à la tombée de la nuit.
 Le lendemain, elles ont peut-être eu pitié de moi. On a pris une leçon auprès d’un moniteur qui nous apprenait à tourner ou à changer de direction. Cependant, j’ai trop accéléré dans un virage. Je me suis enfoncée dans la neige en essayant de changer de direction. Si on descendait en rang, je suivais cent mètres en arrière. J’ai accroché un de mes skis à un poteau du télésiège et j’ai l’ai fait s’arrêter. Je me sentais trop misérable et j’ai pleuré. Mes larmes ont fait de mes lunettes de ski une piscine.
 Le troisième jour, j’arrivais à descendre toute seule de haut en bas de la piste. Juste au moment où je me disais : « Le ski, finalement c’est amusant », j’ai largement dévié de la piste et je suis tombée dans la neige. Couchée sur le dos, je me suis enfoncée d’environ un mètre. J’ai essayé de me lever à l’aide de mes bâtons. Ils se sont enfoncés profondément et je ne pouvais plus les arracher. « Ohé ! », ai-je crié. Personne n’est venu. J’ai levé les yeux. Le ciel que je voyais du trou qui avait ma forme était bleu. Tout était silencieux. Je ne ferai plus jamais de ski, me suis-je juré.
 Environ vingt ans se sont écoulés depuis lors. J’ai terminé mes études, j’ai trouvé un emploi, je l’ai quitté, et j’ai trouvé mon travail actuel. Je n’ai plus jamais fait de ski depuis cet événement, et je ne regrette pas.
 La seule chose qui me préoccupe, c’est que je ne me souviens pas comment je suis sortie du trou ce jour-là. Quelqu’un est-il venu au secours ? Ou en suis-je sortie toute seule ? En suis-je vraiment sortie ? Tout en écrivant ce texte, j’ai l’impression qu’en réalité, je me toujours toujours dans la neige.