samedi 9 novembre 2019

Photoshop

Aujourd’hui, j’avais un examen sur Photoshop. Je pense que tout le monde connait Photoshop. C’est un logiciel qu’utilisent les filles qui prennent des photos d’elles-mêmes pour les publier sur Instagram. Il permet d’effacer les rides, de lisser et éclaircir la peau, ou bien d’agrandir les yeux, de rapetisser le nez etc. En bref, c’est un logiciel qui permet de retoucher des images.
Le sujet de l’examen demandait de confectionner la couverture d’un livre imaginaire en utilisant l’une des images fournies par le professeur. J’ai choisi celle dans laquelle plusieurs enfants, riants et joyeux, levaient les bras pour exprimer pleinement leur joie d’être nés dans ce monde. Lorsque j’ai vu le sujet, j’ai un peu paniqué de sorte que j’ai commencé à créer mon image sans savoir ce que je voulais faire. Finalement, j’ai créé l’image de bras d’enfants qui poussaient dans l’herbe. Comme titre de mon livre imaginaire, j’ai mis « Le champ de mains ». Au bout d’un moment, j’ai jeté un rapide coup d’œil aux réalisations de mes camarades. Elles étaient multicolores, empreintes d’une atmosphère joyeuse avec des enfants qui riaient. Le titre de ma voisine était « Pique-nique avec Martin », quelque chose de ce genre. À ce moment-là, j’ai compris que j’avais échoué, que ce que le professeur attendait n’était pas une image de bras qui poussent dans l’herbe, mais plutôt celle d’enfants qui s’amusent. Comme c’était trop tard, je n’y pouvais rien. 

vendredi 8 novembre 2019

La fin des vacances

Les vacances de Toussaint sont terminées. J'ai profité pleinement de ces journées merveilleuses. D’abord, je ne suis jamais sorti. J’ai sculpté trois chats et un bébé de manchot empereur. J’ai regardé « Erased » et « Nichijou ». De surcroît, comme ma colocataire est rentrée chez ses parents pendant les vacances, j’ai pu monologuer à voix haute autant que je voulais. J’ai pu m’entraîner à imiter la façon de parler du colonel Muska (« Où allez-vous ? », « Mon vrai nom est Romuska Palo Ur Laputa », « Regardez, les gens sont comme des ordures ! »). J’ai fait aussi une émission de radio tout seul (« Bonjour à tous ! Bienvenue à mon émission. Je vous présente la lettre d’un auditeur qui signe "Grosse créature blanche et visqueuse'' : ‘’Depuis une semaine, ma propriétaire qui habite à côté de chez moi fouille dans mes ordures. Dès que je lui adresse la parole, elle fuit. c'est de l'amour ?’’ »).

jeudi 31 octobre 2019

''Le Condor'' Haruki Murakami

« Ne sortez à aucun moment de chez vous le 26 juillet, dit la devineresse.
- Qu’en est-il de la main ? ai-je demandé craintivement.
- La main ?
- Je ne peux pas prendre le journal sans sortir ma main par la porte.
- Cela importe peu tant que vous ne sortiez pas votre jambe.
- Qu’est-ce qui se passe si je sors ma jambe ?
- Une chose extraordinaire que vous n’arriverez pas à imaginer aura lieu.
- Une chose extraordinaire que je n’arriverai pas à imaginer ?
- Oui.
- Me faire mordre par un grand fourmilier, par exemple ?
- Ça, c'est improbable.
- Pourquoi ?
- Parce que vous l’imaginez déjà ».
En effet.
Je n’ai pas forcément cru la divination, mais le 26 juillet, j’ai verrouillé la porte pour m’enfermer chez moi. J’ai bu bière après bière et écouté tous les albums des Doors. Par la suite, j’ai imaginé autant de malheurs que le permettait mon imagination. Plus j’imaginais, plus le nombre de malheurs potentiels diminuait.
Mais en vérité, tout cela était inutile. Même si je diminuais le nombre d'éventuelles catastrophes, il restait toujours « une chose extraordinaire que je n’arrivais pas à imaginer ».
N’importe.
Le 26 juillet était une belle journée ensoleillée. Le soleil tapait dur sur la terre et brûlait jusqu’aux parties métaphysiques des selles des gens. Les voix joyeuses des enfants se faisaient entendre depuis la piscine du voisinage.
Une piscine de 25 mètres, fraîche…
Mais non, un anaconda me guettait sans doute là-bas.
« Anaconda », ai-je écrit dans mon cahier.
Ainsi, la possibilité de l’anaconda a disparu. Je trouvais cela un peu dommage quand même, mais je n’avais pas le choix.

Midi a passé. Les ombres se sont allongées. Ainsi est arrivé le soir. Sur la table, 17 canettes de bière étaient alignées et 21 albums étaient entassés. Et moi, j’étais las de tout cela.
À sept heures, le téléphone a sonné.
« Viens boire avec nous, a dit quelqu’un.
- Je ne peux pas, ai-je dit.
- Mais c’est spécial aujourd’hui !
- Ici aussi ».
« Intoxication alcoolique aiguë », ai-je noté. Puis j'ai raccroché.
À 11h15, le téléphone a de nouveau sonné. Cette fois, c’était une voix de femme.
« Depuis qu’on s’est vus la dernière fois, je n’ai fait que penser à toi.
- Uh-huh.
-Et maintenant je crois comprendre ce que tu voulais me dire à ce moment-là.
- Je vois.
- On peut se voir ce soir ? »
« Maladie sexuelle transmissible ou conception », ai-je noté. Puis, j'ai raccroché.
À 11h55, la devineresse m’a appelé.
« N’êtes-vous pas sorti de chez vous ?
- Bien sûr que non, ai-je dit. Mais il y a une seule chose que j'aimerais savoir. Par exemple, qu’est-ce qui peut être ‘’une chose extraordinaire que je n’arriverai pas à imaginer’’ ?
- Qu’en est-il du condor ?
- Le condor ?
- Avez-vous pensé quelque chose à propos d’un condor ?
- Non, ai-je dit.
- Un condor serait survenu, il vous aurait pris par le dos, se serait envolé dans le ciel, puis il vous aurait jeté au beau milieu de l'océan Pacifique».
Ah, le condor.
Et l’horloge a sonné minuit.

mercredi 31 juillet 2019

Le Planétarium (7)

 J’ai entrouvert la fenêtre et je me suis assis sur la chaise. Le vent frais qui avait une odeur de mer a soufflé dans la chambre et a effleuré les cheveux de la jeune fille dormante. Pour la première fois, j’ai observé son visage tranquillement et je me suis rendu compte que de sa beauté. Son nez était droit et petit. Son front esquissait une courbe élégante, et avec sa respiration régulière, ses cils s’agitaient doucement de haut en bas, puis de bas en haut. Quelques-uns de ses cheveux fins et souples s’emmêlaient autour de sa bouche. Je les ai débarrassés en faisant attention à ne pas la réveiller, bien que je savais qu’elle ne se réveillerait pas.  
 Madame Alekhine m’avait dit qu’il s’agissait d’un travail de répétiteur. Toutefois, j’ai supposé que c’était un prétexte pour que je parle constamment à sa fille dans le coma. J’avais aussi entendu dire que parler à une personne réduite à l’état végétatif était efficace pour qu’elle reprenne conscience. Étant donné qu’elle m’avait dit que sa fille dormait depuis longtemps, elle avait déjà fait tout ce qu’elle pouvait. Au bout de plusieurs années, elle se sentait probablement lasse et sa seule domestique était vieille, de sorte qu’elle a cherché quelqu’un pour s’occuper de sa fille. Mais comme le contenu du travail n’était pas ordinaire, elle a utilisé un agent d’emploi qui se charge des offres atypiques. Lune était cachée dans une pièce dissimulée probablement pour éviter que des rumeurs se répandent.. 
 « Tu m’entends ? », ai-je demandé à Lune sans espérer de réponse de sa part. « L’endroit où tu es est-il confortable ? ». J’ai pris sa main. Elle était chaude. C’était la seule preuve qui montrait elle était vivante. 
 Je me suis approché de l’étagère dont un rayon était rempli de disque. « Cette chambre était peut-être un débarras avant d’être rénovée », me suis-je dit. Les disques étaient poussiéreux, mais conservés en bon état. J’ai choisi « Pet Sounds » des Beach Boys ; je l’ai mis sur le tourne-disque et fait tomber l’aiguille. Après quelques crépitements, « Would’nt it be nice » s’est mis à couler. Je me suis retourné à la chaise et j’ai contemplé de nouveau la fille. La lumière chaleureuse et douce d’après-midi créait une ombre ambrée sur son visage. La musique était agréable, et je me suis mis à somnoler. 
 Lorsque je me suis réveillé, le disque avait déjà fini. Le ciel était teinté d’un bleu-rose mélancolique. J’ai regardé la montre et j’ai réalisé que je m’étais endormi pendant cinq heures. Je me suis précipité à remettre le disque dans l’étagère. J’ai pris ma veste. Après avoir dit au revoir à Lune, je suis sorti de la chambre secrète et j’ai descendu l’escalier. 
 La maison était tout obscure. La propriétaire et la domestique étaient-elles sorties quelque part ? Des rideaux laissés ouverts s’introduisait une lumière de lampadaire et éclairait la fontaine. J’ai marché à tâtons dans le couloir, et j’ai quitté la maison, silencieuse comme une ruine, en songeant à la fille dormant toujours dans la chambre secrète. 

vendredi 19 juillet 2019

Le Planétarium (6)


 Chez moi, je songeais à ce que j’ai vu aujourd’hui. L’image de la tache rougeâtre répandue sur la poitrine de la jeune fille ne me quittait pas l’esprit. Ce qui s’était passé dans la grande maison était anormale. La fille dénuée de conscience était traitée comme une poupée de taille humaine. La domestique et la propriétaire de la maison ne semblaient pas s’en soucier. Combien de temps vivent-elles ainsi ? Je me suis demandé ce que je pouvais faire. Dire à la propriétaire que je ne pourrais pas continuer ce travail ? Téléphoner à la Chauve-souris ? D’ailleurs, c’était à cause de cet agent d’emploi que tout cela avait commencé. Mais j’avais l’impression que ça ne servirait pas à grand-chose. Je pouvais l’imaginer me dire : « Écoutez bien, Monsieur. Je ne suis qu’un entremetteur. C’est vous qui avez accepté cette offre d’emploi ». En même temps, j’avais une préoccupation financière. Ce travail de répétiteur me payait très bien. De plus, je pouvais faire ce que je voulais pendant mon temps libre. Même si je cherchais un autre travail, la condition ne serait pas aussi bonne que cet étrange travail. 

 J’ai éteint la lampe et je me suis endormi. J’ai rêvé que je dessinais une carte. La carte d’une ville qui n’existe nulle part. 
 Dès le lendemain, mon travail a commencé pour de bon. L’ustensile se trouvait dans le débarras au deuxième étage. Dans la chambre secrète du premier étage, j’ai balayé, puis nettoyé le sol avec un chiffon. Après avoir prix une courte pause, j’ai rempli un bassin d’eau chaude dans le lavabo et j’ai trempé une serviette propre dans l’eau. Ensuite, je devais déshabiller la fille, mais je ne savais pas comment je pouvais le faire. D’abord, j’ai passé ma main dans son dos pour la dresser. Puis, j’ai pris le bord de sa chemise de nuit que ’ai essayé de la faire passer par sa tête. Mais le pyjama s’est coincé à la mâchoire. J’avais oublié de déboutonner. Dès que son encolure a été relâché, ses deux seins de taille moyenne qui avait l’air souples sont apparus. Ensuite, j’ai décidé de lui enlever le vêtement par les manches. J’ai enfoncé les mains frêles de la fille dans les manches pour faire passer ses bras par l’encolure. Ses épaules nues sont apparues. Maintenant je pouvais enlever sa chemise de nuit par la tête. Alors que j’essayais de la lever, la fille a perdu l’équilibre et a failli tomber du lit. J’ai précipitamment soutenu son corps. Sa frange a touché mes lèvres. Ses cheveux étaient un peu gras, mais j’ai senti l’odeur de son shampoing emmêlé de sa sueur. 
 Comme j’ai pris du temps à la déshabiller, l’eau dans le bassin était devenue un peu tiède. J’ai tordu la serviette et je me suis mis à essuyer le corps de la fille. J’ai essuyé son visage, son cou, sa poitrine, son abdomen jusqu’à la plante du pied. Sa peau était mouillée et avait l’air fraîche. Un fils de salive coulait de ses lèvres entrouvertes. 
 De l’armoire, j’ai sorti une nouvelle chemise de nuit. Après en l’avoir habillée, je l’ai couchée et mis une couette dessus. 
 Je me suis assis sur la chaise et j’ai regardé par la fenêtre. Dans une pièce en face, j’ai vu qu’à travers le rideau fin que Madame Alekhine écrivait quelque chose assise à son bureau. Au-dessus, des nuages coulaient lentement dans le ciel d’automne. Le sifflet d’un bateau parvenait du port. 
 Quelques instants plus tard, on a frappé à la porte. Je l’ai ouverte. Madame Koenig est entrée avec un plateau. « Tout va bien ? », m’a-t-elle demandé. « Oui, j’ai essuyé le corps de la fille et j’ai changé son habit », ai-je dit. 
« Aujourd’hui, c’est le jour de bain, m’a-t-elle dit d’un air légèrement déconcerté.
– Je suis désolé. Je ne le savais pas.
- Ce n’est pas grave. On va la baigner demain ». 
 Sur le plateau était mis du pain, de la tête de veau et du café. La cuisine émettait un parfum appétissant. Sur une autre assiette était mise une sorte de souple blanchâtre et visqueuse, ressemblant à de la vomissure. « C’est pour la princesse », a dit la domestique en montrant du doigt la vomissure. J’ai été soulagé. « Après avoir fini, mettez les assiettes devant la porte », m’a-t-elle dit. Après avoir réfléchi un instant, je lui ai posé une question. « Quel est le métier de Madame Alekhine ? ». « Romancière », a-t-elle dit et elle a quitté la pièce.
 Le repas était incomparablement copieux par rapport à ce que je mangeais habituellement. Après avoir terminé mon déjeuner, je me suis installé au chevet de la fille. Avec une cuillère, petit à petit, je lui ai fait avaler la soupe ressemblant à de la vomissure d’un cholérique. Lorsque l’assiette s’est vidée, j’ai essuyé ses lèvres. J’ai posé la vaisselle sur le plateau et l’a mis en dehors de la chambre.

samedi 29 juin 2019

G

 Je suis allé chez le coiffeur. La personne qui s’occupe de ma coupe est toujours la même. C’est une jeune femme souriante qui est dix centimètres de plus grande que moi. À cause de la température, elle portait un vêtement décolleté. C'était une stimulation trop forte pour un puceau. De temps à autres, je sentais son souffle sur mon cou et mon oreille. J'ai failli mourir d'une crise cardiaque.
 Dans le salon, on entendait une émission de radio. Pendant que la coiffeuse me coupait les cheveux avec des ciseaux brillants, ils ont passé un morceau que j’avais déjà entendu quelque part. Les paroles disaient : « You’re just somebody that I used to know ». Cest une chanson très célèbre qui avait reçu un prix célèbre il y a quelques années. Jai essayé de me souvenir du nom du chanteur. Je pensais que cétait juste un pseudonyme, sans nom de famille, un peu comme « Aragon » ou « Eminem ». Et si je ne me trompais pas, son nom commençait par « G », « GA » ou « GO ». Mais je n’arrivais pas à me le rappeler. « Go…go, go, gorilla ? », me suis-je dit. « Gaulois ? … Nous sommes en 50 avant Jésus-Christ. Toute la Gaule est occupée par les Romains... Toutes? Non! Un petit village d'irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l'envahisseur ! ...Non, c'est pas ça ». « Go, Gollum ? Gollum ! Gollum ! My precioouuuuss….. Non, c’est autre chose ». Finalement, je ne suis pas parvenu à me souvenir du nom du chanteur. Pendant la coupe, j’avais l’impression irritante que des fourmis grouillaient sous ma peau. 
 Ensuite, cela a été un moment de torture. La coiffeuse s’est assise sur une chaise, et a sorti une tondeuse pour parfaire son œuvre. La vibration de la tondeuse me chatouille toujours. Comme d’ordinaire, je me suis mordu les lèvres pour ne pas rire ; j’ai essayé de penser à des choses tristes comme l’exécution de la famille Romanov (Un peloton d’une douzaine d’hommes apparaît et le geôlier déclare : « Nikolaï Alexandrovitch, les vôtres ont essayé de vous sauver, mais ils n’y sont pas parvenus. Et nous sommes obligés de vous fusiller. Votre vie est terminée. »). Mais chaque fois que j’essayais de me représenter le massacre, Gollum intervenait, et j’avais envie de rire.
 J’ai finalement pouffé. « Ça va ? », s’est inquiétée la coiffeuse. « Ça me chatouille », ai-je dit honnêtement. « D’autres clients ne disent pas ça ? », ai-je ajouté pour masquer mon embarras. « Si, les enfants….. », m’a-t-elle dit.
 C’était sur le chemin du retour que je me suis souvenu que le nom du chanteur était Gotye.

vendredi 28 juin 2019

Le Planétarium (5)

 Je me trouvais seul avec la fille dans la chambre. Déconcerté, je me suis assis sur la chaise et j’ai essayé de réfléchir sur ce qui m’arrivait, mais ma tête était confuse et aucune idée ne me venait à l’esprit. Petit à petit, j’ai commencé à me rendre compte de mon erreur. J’ai également compris pourquoi la propriétaire parlait de façon hésitante et pourquoi tant de répétiteurs n’avaient pas tenu plus de deux semaines. J’ai levé la tête. La fille dormait toujours paisiblement. La propriétaire m’avait dit que sa fille était tombée dans le coma. Je pensais sans aucune raison qu’elle était guérie, mais qu’elle avait peut-être des séquelles. J’avais tort. Elle ne s’était pas réveillée. Elle n’est jamais sortie de son rêve infini. Elle était toujours dans le coma, ou ce serait plus simple de dire qu’elle était réduite à l’état végétatif. 
 En regardant son visage endormi, je me suis demandé ce que je pouvais faire maintenant. Les cahiers que j’ai apportés de chez moi ne servaient à rien. C’est comme si on apprenait les mathématiques à un arbre. 
 J’ai tué le temps en lisant un livre que j’avais trouvé dans l’étagère. J’avais perdu la sensation du temps et j’ai regardé mon portable. Quatre heures s’étaient déjà passées depuis que je suis venu ici. Pouvais-je rentrer sans le dire à la propriétaire ? J’ai pris mon sac et je me suis approché de la porte. Il semblait qu’il n’y avait personne à l’extérieur de la chambre. Au moment où j’ai mis ma main sur la poignée, la porte s’est ouverte soudain. Madame Alekhine se tenait là, un plateau dans ses mains. 
« Les leçons vont-elles bien ? », m’a-t-elle demandé en posant deux thés sur la table.
« Euh… oui », ai-je menti. Je ne pouvais pas lui dire que j’ai passé quatre heures en lisant un livre. 
« Qu’avez-vous fait exactement ? Comment trouvez-vous ma fille ?
- Je…je…je me suis juste présenté et je lui ai raconté un peu ce que j’ai fait à l’université. Et, je lui ai appris un peu l’anglais. Votre fille est très…adorable et très bien éduquée », ai-je bredouillé.
 Madame Alekhine s’est tue pendant un moment. L’air rêveuse, elle semblait réfléchir à quelque chose. 
« Que vous a-t-elle dit précisément ?
- Elle ?
- Lune ».
 Cette fois, c’était moi qui suis resté silencieux. Pourquoi me posait-elle cette question ? Quelle intention avait-elle ? Évidemment, la fille ne disait même pas un mot. La fille était végétative. Le seul bruit qu’elle faisait, c’était la respiration paisible. J’ai regardé les yeux de mon interlocutrice. Ils étaient fixés sur moi. Les coins de ses lèvres étaient légèrement levés si bien qu’elle semblait sourire, mais c’était un sourire figé, comme un masque qu’on ne peut pas enlever.
« Lune…m’a dit qu’elle était ravie de me rencontrer, ai-je dit.
- Et ensuite ?
- Qu’elle voulait écouter des histoires…diverses histoires…des histoires tristes, joyeuses, émouvantes, effrayante… 
- En avez-vous raconté une ?
- Oui, l’histoire d’une taxidermiste qui a empaillé son mari et son fils.
- Bien », a-t-elle dit, et elle s’est tue de nouveau. Elle semblait toujours réfléchir ou sinon perdue dans ses pensées. Au bout d’un moment, comme si elle s’était souvenue de quelque chose, elle a dit d’un air joyeux : « Prenez le thé. Il va refroidir ». J’en ai pris un, et elle aussi. Mais Madame Alkehine n’a pas bu son thé. Elle s’est levée et s’est approchée du lit. Elle a porté la tasse à la bouche de Lune. Des lèvres de la fille endormie coulait le liquide doré en trempant sa chemise de nuit blanche. 

lundi 24 juin 2019

À la recherche d'un appartement


 J’ai déménagé. J’avais vécu pendant trois ans dans une résidence universitaire qui me rappelle une prison. Ma chambre était petite. Les parties communes étaient délabrées.
Je n’avais pas choisi cette résidence. C’était le Crous qui l’avait choisie pour moi lorsque j’étais au Japon. Il était compliqué de chercher un logement étant dans un pays éloigné de plus de neuf mille kilomètres. Je n’avais pas d’autre choix que de l’accepter. Je l’ai acceptée. Je suis venu.
 Si je ne l’ai pas quittée au bout d’un an, c’est parce que j’avais la flemme de chercher un autre appartement. Ce n’était pas difficile d’imaginer que la quête d’un logement serait une corvée. De plus, je travaillais comme interprète pendant l’été et je n’étais pas souvent à Strasbourg durant les grandes vacances. La raison qui m’a retenu dans cette résidence ressemblant à un HLM était la présence de deux chats. Ces deux chats me permettaient de tolérer une vie qui semble être au seuil de dignité limite garantie par la Constitution japonaise : « Toute personne a droit au maintien d'un niveau minimum de vie matérielle et culturelle ». Mais à la troisième année, l’un des deux chats, le petit, avec qui je jouais souvent, a fugué. Depuis lors, il n’est jamais revenu.
 Comme je craignais de devenir fou si je restais dans cette résidence, j’ai décidé de me mettre à chercher un appartement après avoir terminé ma licence. Ce printemps, j’ai reçu un mail de Crous disant que je devais le quitter parce que j’y avais vécu trois ans, et que c’était le nombre maximal de renouvellement. C’était une belle occasion.
 Toutefois, comme je l’avais imaginé, chercher un appartement n’était pas simple surtout lorsqu’on est à la fois étudiant et étranger. On m’a dit que les personnes vivant à l’étranger ne peuvent pas se porter comme étant mes garantes. Il y avait plusieurs garanties morales comme celle de Visale, mais j’ai aussitôt découvert que la plupart des agences immobilières ainsi que les propriétaires n’y faisaient pas confiance. Au début, je guettais le Bon Coin. J’ai envoyé des messages à plusieurs annonces. Une fois, une certaine « Jeanne » m’a répondu par mail. Elle me disait qu’elle m’acceptait sans garant mais à condition de payer 400 euros comme garantie. Étrangement, elle demandait de verser cette somme via un site suspect avant même de visiter l’appartement. Elle me disait que je pourrais le visiter vendredi. Je lui ai dit que je n’étais pas disponible vendredi. Elle me disait que je pourrais le visiter vendredi. J’ai pensé qu’elle était folle. Si elle n’était pas folle, c’était un escroc sans aucune jugeote. J’ai cherché sur Google les photos que « Jeanne » avait mises sur son annonce. Il s’est avéré que les images étaient prises d’une agence immobilière quelconque. J’ai enregistré le mail de « Jeanne » sur plusieurs sites de rencontre homosexuelle, et j’ai bloqué son mail.
 La situation en devenait désespérante. Je n’ai aucune famille en France. Mes amis sont étudiants. Personne ne peut se porter comme étant mon garant. À ce moment-là, j’ai eu une idée. Je me suis souvenu que ma correspondante Pauline est professeure. Me disant que c’était normal même si elle refusait ma proposition, je lui ai demandé de se porter comme ma garante. Elle l’a accepté.
 Jusque-là, j’étais un soldat sans armes. Maintenant j’avais l’impression d’avoir une épée et un bouclier. J’ai commencé à visiter des appartements. Mes conditions sine qua non étaient les suivantes : 1. Pas très loin de l’université. 2. L’appartement doit être idéalement doté d’une baignoire. 3. L’appartement doit idéalement avoir deux pièces. Parmi ces conditions, le plus important était la baignoire. J’en avais marre de la douche. Je voulais prendre un bain. Une fois, j’ai trouvé un appartement près de l’université, avec une baignoire, et qui n’était pas cher du tout. Le plafond et le sol étaient un peu abîmés, mais j’ai envoyé mon dossier à l’agence avant que quelqu’un d’autre ne le prenne. L’agence m’a dit que j’aurais la réponse dans la semaine. Une semaine, puis deux semaines se sont écoulées. Je n’avais toujours pas de réponse. J’ai donc appelé l’agence. On m’a alors dit que mon dossier était refusé. Je n’étais pas particulièrement déçu car je n’ai confiance en personne. Et comme dit Woody Allen dans « Annie Hall », « life is divided into the horrible and the miserable».
 Jusqu’à ce moment-là, je pensais que je pourrais avoir un appartement si je donnais à l’agence un dossier complet. Mon dossier était refusé tandis qu’il était complet et le personnel qui s’en est occupé m’avait dit que tout était bon. J’ai alors changé de stratégie. J’ai décidé d’envoyer mon dossier à plusieurs agences immobilières en même temps. Ce n’était peut-être pas très sincère, mais beaucoup d’agences ne tenaient pas leur promesse. On est quitte.
 Deux mois ont passé. Je n’avais toujours pas de logement. Dans un mois, je devais quitter ma résidence. Un jour, sur Facebook, je suis tombé sur l’annonce d’une fille. Elle disait qu’elle cherchait d’urgence quelqu’un qui louerait son appartement. Sur les photos qu’elle avait mises en ligne, on voyait deux pièces, une baignoire et l’appartement n’était pas loin de l’université. Je lui ai envoyé un message. J’ai visité son appartement le jour même. C’était exactement ce que je recherchais. Elle m’a dit qu’elle allait envoyer un mail à son agence. Quelques jours plus tard, elle m’a demandé de revenir à son appartement et m’a dit qu’il y aurait une personne de l’agence immobilière et deux autres candidates.
 Je suis ainsi revenu à l’appartement. Quelques minutes plus tard, une employée de l’agence, qui est une dame très gaie et bavarde est arrivée. Ensuite, une fille nous a rejoints. L’autre fille, qui portait des lunettes, est aussi arrivée avec un peu de retard. L’employée de l’agence nous a dit que la propriétaire préférait quelqu’un de calme qui voudrait rester longtemps, parce qu’une ancienne locataire qui était aussi étudiante, invitait fréquemment ses amis pour faire la fête. Beaucoup de choses m’ont traversé l’esprit. Les deux filles avaient l’air calmes et gentilles. Elles étaient françaises. Le fait que je sois de nationalité japonaise allait peut-être jouer en ma défaveur. Mais je sais que les femmes n’aiment pas souvent les femmes. J’ai présenté mon dossier à la personne de l’agence. Elle nous a dit d’attendre la semaine prochaine pour avoir la réponse. La semaine prochaine, j’ai eu la réponse de sa part qui n’était ni oui ni non. Elle disait que la propriétaire souhaitait que mes parents se portent aussi mes garantes en plus de ma correspondante. C’était facile. J’ai dit oui. Ma recherche d’un appartement, longue et épuisante, s’est ainsi terminée. Je n’ai plus besoin de guetter sur le Bon Coin. Je n’ai plus besoin de visiter un appartement. D’une fenêtre de mon appartement actuel, dans la soirée, on voit une grande roue illuminée.


lundi 3 juin 2019

Le Planétarium (4)

 Vers l’aube, j’ai reçu un appel. Sans que je puisse sortir de ma rêverie, j’ai décroché dans la torpeur. « Allô ? », ai-je dit. J’entendais des parasites. J’entendais la respiration de la personne qui était de l’autre côté du fil, mais elle se taisait. « Allô ? À qui ai-je l’honneur ? », ai-je dit. La respiration de mon interlocuteur ne me permettait pas de savoir si c’était un homme ou une femme. Alors que j’allais lui dire quelque chose, il a raccroché. Le bip sonnait solitairement comme un trapéziste pendu dans l’espace. 
 Je me suis réveillé vers sept heures du matin. À cause de l’appel étrange, mon sommeil était peu profond. J’ai bu un café en regardant l’actualité du matin à la télé. Des affaires semblables les unes aux autres que j’avais déjà entendues quelque part se répétaient tous les jours. Une femme névrosée avait tué son enfant et son mari. Un train était déraillé dans un pays lointain et trois cents passagers étaient morts. Cinquante personnes tuées dans un attentat. Un homme politicien était accusé d’avoir détourné de l’argent. 
 Je me suis mis à me préparer pour sortir. Toutefois, je ne savais pas ce qui était exactement nécessaire pour mon travail. Dans mon sac, j’ai mis quelques stylos, un cahier et quelques livres. Pour mon premier jour, cela semblait suffisant. S’il y avait quelque chose de manquant, je pourrais préparer après être rentré ce soir. 
 Je suis monté dans le métro comme d’habitude. Les voitures étaient plutôt désertes. Les passagers avaient tous l’air fatigués et mélancoliques. Je suis descendu près de la rivière. Ensuite, je devais traverser le bois comme la veille. Je mettais au moins une heure pour me rendre à la grande maison. Cet itinéraire était plutôt long, mais je devais le supporter en tenant compte de la haute somme du salaire. 
 Devant la porte en fer, j’ai sorti de ma poche la clef que j’avais reçue la veille. Au début, je me suis demandé où je devais l’enfoncer car je ne voyais la serrure nulle part. À un moment donné, j’ai réalisé que le bec de la chouette gravée sur le heurtoir en était une. Ma clef s’est glissée dedans, et la porte lourde s’est ouverte. 
 Le couloir était tout à fait silencieux et sombre. J’ai allumé la lumière et je suis entré dans le salon qui était vide. N’y a-il personne dans la maison ? « Bonjour », ai-je crié, mais je n’ai eu aucune réponse. « La propriétaire et la domestique doivent être absentes. C’est pour cela qu’elle m’a donné la clef hier », me suis-je dit. J’essayé de me rappeler comment j’étais arrivé à la chambre secrète. J’ai monté l’escalier au rez-de-chaussée. Au premier étage, on arrivait devant une étagère qui dissimulait un autre univers. Comme Madame Alkehine avait fait, je l’ai tournée.
 « Est-elle réveillée aujourd’hui ? », me suis-je demandé devant la chambre de la demoiselle sans oser y entrer. J’ai frappé quelques fois à la porte et j’ai dit : « Bonjour. Je suis votre nouveau répétiteur ». Aucune réponse. J’ai appuyé mon oreille sur la porte, mais tout était silencieux comme après un massacre. J’ai frappé de nouveau à la porte. Au moment où j’ai mis ma main sur la poignée, la porte s’est ouverte soudain et j’ai failli tomber. 
« On vous attendait », m’a dit la domestique. 
 La domestique s’appelait Madame Koenig. Elle m’a dit qu’elle travaillait pour Madame Alekhine depuis plus de trente ans, et que ses parents servaient également les parents de la propriétaire. Je ne savais pas quel âge avait. Ses cheveux coupés court était tout blancs. Sa peau était entièrement ridée comme la terre asséchée. Elle m’a dit qu’elle vivait toute seule dans le pavillon isolé de la maison. On aurait dit qu’elle faisait partie de la maison. 
 Dans la chambre, il y avait seau rempli d’eau. Un chiffon était mis au bord de la fenêtre. Elle était sans doute en train de faire le ménage. Les rayons du soleil faisaient dessiner les détails de la pièce que je n’avais pas vus la veille. Sur le mur, un échantillon de papillons empaillés était accroché. Quelques cahiers et stylos étaient éparpillés sur le bureau, comme si leur propriétaire les avait utilisés la veille. Du vent a soufflé de la fenêtre ouverte. En bas, la fontaine étincelait sous la lumière. 
 J’ai jeté un coup d’œil au lit. La fille dormait paisiblement comme la veille. Les yeux clos et les mains croisées sur la poitrine, elle était complètement immobile.
« Je suis vieille. Je supporte de plus en plus mal les travaux comme ceux-ci, a dit la vieille dame, le regard dans le vide. À partir d’aujourd’hui, c’est votre travail.
- Quel travail ? Je suis venu en tant que répétiteur… », ai-je dit.
 La dame s’est approchée de l’armoire. Elle a sorti une chemise de nuit et l’a arrochée sur la chaise. Ensuite, elle s’est approchée du lit. Elle a glissé la main derrière le dos de la fille pour la dresser. Ses mains ont commencé à déboutonner l’habit de la fille. 
 J’ai détourné le regard. À ce moment-là, Madame Koenig m’a dit de venir à ses côtés. « Regardez bien. À partir de demain, c’est votre travail », m’a-t-elle dit. Alors que la vieille domestique enlevait les vêtements, la fille semblait toujours dormir profondément. « Pourquoi elle ne se réveille pas ? », lui ai-je demandé. La domestique ne m’a pas répondu. La tête de la fille s’est inclinée brusquement. Elle ressemblait maintenant à une poupée de taille humaine. La vieille dame a également décollé la couette, pour lui enlever la culotte. Je sentais un étrange sentiment de culpabilité. Je ne devais pas regarder le corps nu d’une fille que je ne connaissais pas. Je me sentais comme si j’étais humilié, alors que c’était elle qui était dénudée devant un inconnu. Inconsciemment, j’ai baissé le regard. « Regardez », m’a dit la vieille dame d’un ton ferme. Bien que son regard fût fixé sur le corps nu de la jeune fille, elle semblait savoir tout ce que je pensais dans mon esprit. « Je reviens », a dit la domestique, et elle est partie. 
 Les bras et les jambes écartés, le corps nu, lisse et blanc de Lune comme la neige se couchait aisément sur le lit. Les yeux clos, elle ne sortait toujours pas de son rêve. Ses poils d’or fins, couvrant entièrement sa peau, se dessinaient sous la lumière du soleil. J’ai eu envie de la toucher. Craintivement, en faisant attention à ne pas faire de bruit, j’ai avancé un pas.
 À ce moment-là, la poignée a été tournée. La domestique est revenue avec une serviette de laquelle montait une vapeur, et un bassin rempli d’eau chaude.
 Elle a trempé la serviette dans l’eau et l’a tordue. Et elle s’est mise à frotter le front de la fille. La serviette a effleuré le contour des sourcils, du nez, puis des lèvres de Lune. La domestique a essuyé son cou, sa poitrine. Elle a levé un peu les bras de la fille dormante pour passer la serviette sur ses aisselles. De temps en temps, elle la trompait dans l’eau chaude et la tordait. 
 En mettant beaucoup de temps, elle essuyait entièrement le corps de la fille. Laver le corps d’un être humain complètement endormi semblait un travail beaucoup plus laborieux qu’on ne l’imaginait. Une sueur coulait sur son front et la demoiselle soufflait un peu. La vieille dame a ramassé toutes ses forces et a inversé la jeune fille, pour essuyer ensuite son dos, ses fesses, ses cuisses et ses jambes. 
 Lorsque tout a eu terminé, elle s’est ensuite mise à habiller Lune d’une autre chemise de nuit qu’elle avait accrochée sur la chaise. Finalement, la domestique l’a couchée sur le lit, et a mis une couverture en serviette dessus.
« Madame est quelqu’un qui aime la propreté. Il faut essuyer son corps tous les jours. Tous les deux jours, on la fait prendre le bain, m’a-t-elle dit, cette fois en me regardant droit dans les yeux.
- Je suis venu en tant que répétiteur. 
- Il faut essuyer son corps tous les jours. Tous les deux jours, on la fait prendre le bain », a-t-elle répété d’un air péremptoire. 
 Elle a repris son ustensile. Au moment de me laisser dans la chambre, elle m’a dit : « À partir de demain, vous devez aussi faire le ménage.
- Où est Madame Alekhine ?
- Madame travaille ».
 Mais où…, ai-je envie de lui dire, mais la porte était fermée. 

vendredi 24 mai 2019

L'application de rencontre

 Il y a longtemps, une amie a téléchargé une application de rencontre sur son portable. Ce n’est toutefois pas une application de rencontre amoureuse. Il s’agit d’une application « platonique » qui est faite pour trouver des amis. Du moins, c’est ce qui écrit dans l’explication. À ce moment-là, un très fort sentiment de rivalité est né dans mon esprit. Un sentiment de rivalité pour quoi ? Je ne sais pas. En tous cas, c’est ce qui s’est passé. J’ai téléchargé la même application sur mon portable.
 J’ai ouvert l’application, mais j’ignorais comment l’utiliser. J’ai demandé à cette amie son mode d’emploi. « C’est comme Tinder », m’a-t-elle dit. Mais je ne connaissais pas Tinder. J’ai touché un peu partout sur l’écran. Le visage d’une femme inconnue s’est affiché. J’a eu peur et j’ai pleuré. J’ai glissé le doigt. Le visage d’une autre femme inconnue s’est affiché. J’ai eu peur et j’ai pleuré. J’ai glissé le doigt. Le visage d’un homme inconnu s’est affiché. J’ai eu peur et j’ai pleuré. C’était comme le catalogue d’êtres humains à vendre. 
 Quoi qu’il en soit, je me suis peu à peu habitué à utiliser cette application de rencontre, et j’ai parlé avec quelques personnes. Mais j’avais vraiment la flemme de leur répondre. Alors au bout d’une ou deux semaines, je l’ai oubliée. Le temps qui s’écoulait a fait que de la mousse pousse sur cette application, autour de laquelle se sont élevés des arbres. Sur ces arbres des oiseaux se sont rassemblés pour faire des nids. Après une pluie diluvienne qui a duré sept jours, une rivière s'est formée. Autour de l’eau, des êtres humains se sont réunis et ils ont fondé un village. Leur village a grandi petit à petit. Quelques fois, des épidémies ont ravagé le village, mais il y avait toujours des gens qui ont survécu. Une partie de la communauté a quitté le village pour vivre ailleurs. Malgré d'innombrables guerres et massacre, l'être humain n'a cessé de vivre en rêvant d’un jour où la paix et l’amour inondent leur monde, et lorsqu’un million d’années se sont écoulées depuis que j’ai téléchargé cette application, je l’ai rouverte, en découvrant qu’une femme se plaignait car je ne lui répondais pas.

mercredi 15 mai 2019

Tu peux me prêter ton portable ?


 Je ne sais pas pourquoi, mais en France il m’arrive souvent qu’un inconnu me demande de lui prêter mon portable. Ce qu’il me dit, c’est toujours la même chose : que son portable est cassé, mais qu’il doit appeler quelqu’un en urgence. Pourquoi y a-t-il autant de gens qui ont un portable cassé ? Je ne leur prête jamais mon portable pour la simple raison que je n’ai pas envie de prêter mon smartphone à un inconnu. Il se peut que ce demandeur veuille voler mon Pocophone F1 de Xiaomi (oui, j’ai abandonné l’Iphone depuis quelques temps. Adieu, Apple !). Il se peut que ce demandeur jette un coup d’œil sur l’historique de mon portable et découvre que je voudrais bien m’acheter un kotatsu pour l’hiver. Il se peut qu’il se mette à courir dès qu’il aura mon smartphone dans sa main. Depuis que je me suis fait arnaquer de dix euros par une femme soi-disant « sourde », je n’ai plus confiance en personne.

 Mais ce n’est pas bien de se méfier tout le temps des gens. Il y a des gens bien dans ce monde. Je ne sais pas qui, mais je pense qu’il y a des gens bien. Évidemment, il est possible que leur portable soit vraiment en panne et qu’ils aient un coup de fil urgent à passer. Je pense que je leur prêterai mon portable s’ils tombent par terre, qu’ils crachent du sang et qu'ils tremblent de tous leurs membres. Pour l’instant, je n’ai jamais été abordé dans la rue par quelqu’un qui serait tombé par terre, crachant du sang et tremblant de tous ses membres. Aujourd’hui, pendant que j’attendais le bus, un homme costaud avec des lunettes de soleil m’a demandé de lui prêter mon portable en me montrant son smartphone Samsung à l’écran brisé. Je lui ai dit que je ne pouvais pas prêter mon portable à un inconnu et je me suis excusé. Il est parti. Maintenant, en écrivant ce journal, j’ai l’impression que j’aurais dû me lever, lui dire à la manière d’un personnage d’animé : « Salaud, bats-moi si tu veux mon portable », ce qui aurait été facile pour lui parce qu'il était plus costaud, plus musclé que moi qui suis adorable et faible comme un agneau. Il m’aurait battu, aurait volé mon Pocophone F1 et se serait ensuite enfui. Je serais tombé par terre en crachant du sang et j’aurais demandé à quelqu’un de me prêter son portable.

samedi 11 mai 2019

Le Planétarium (3)

3. La Lune et la pluie
 Le lendemain, j’ai pris le métro pour me rendre à la grande maison. J’ai traversé le même pont que la veille et je suis venu jusqu’à l’entrée du bois. Sous le ciel grisâtre et pluvieux, le bois semblait encore plus ténébreux que la veille. Le sentier était couvert de boue et de feuilles mortes. Des insectes étaient noyés dans des mares. . 
 J’ai marché d’un pas rapide, mais la boue m’en empêchait. J’avais l’impression que plus je marchais, plus la maison s’éloignait. Lorsque je suis sorti du bois, j’étais trempé de pluie de la tête aux pieds. De la boue entrait dans mes chaussures. 
 Passé par le jardin abandonné, j’ai ouvert la porte de la maison. De l’autre côté se tenait la vieille domestique. « Excusez-moi pour le retard. Il y a une averse et… », ai-je dit. Elle m’a donné une serviette et s’est mise à marcher dans le long couloir. Je me suis précipité à la suivre. De mes cheveux tombaient sur le plancher des gouttes d’eau, en créant des taches ressemblant à des pétales de fleur. Au bout du couloir, la domestique a ouvert la porte. De l’autre côté de la porte s’étendait une pièce vaste, un salon propre contrairement à ce que j’imaginais par l’apparence délabrée de la maison. Madame Alekhine était assise sur le canapé. Elle portait aujourd’hui une robe blanche. Elle a posé sur la table le livre qu’elle était en train de lire, et m’a dit : « Bonsoir ». « Je suis désolé…il a commencé à pleuvoir et je n’avais pas de parapluie…. – Vous allez attraper froid...Je reviens », m’a-t-elle dit et elle est partie. Quelques instants plus tard, elle est revenue avec une chemise masculine. « C’était à mon mari. J’espère que ce ne soit pas trop grand pour vous », m’a-t-elle dit. La domestique m’a conduit dans la salle de bain où je me suis changé. La chemise impeccablement blanche et amidonnée dépassait légèrement ma taille. J’ai retroussé les manches et je suis revenu au salon. « Ça vous va bien », m’a dit Madame Alekhine. Je me suis assis sur le canapé. La vieille domestique m’a servi un café. Dans le salon, il y avait une grande fenêtre par laquelle on voyait une fontaine. Derrière, on voyait la salle de bain où j’étais tout à l’heure. J’ai compris que cette maison était carré, et le centre du bâtiment était cette cour où il y avait la fontaine.
 Le salon était plus simple que ce que je ne le pensais. Sur une armoire était mise un tourne-disque qui avait l’air vieux. L’étagère était remplie de disques. Sur le mur était accroché une gravure représentant un coquillage posé sur la plage. Chaque sillon était soigneusement gravé. Sur la surface parasitaient des balanes telles des pores. 
 À un moment donné, Madame Alekhine a ouvert la bouche :
« Vous allez mieux maintenant ?
- Oui. Je vous remercie », ai-je dit en posant mon café. 
 Elle semblait plus douce que la veille. Un silence s’est installé un certain temps. Le bruit de de la pluie remplissait la pièce. 
« Ma fille, Lune…est tombée dans le coma quand elle avait treize ans, m’a-t-elle dit. C’était un accident. »
 J’ai cherché des mots dans ma tête, mais en vain. Mais je comprenais mieux la situation que la veille. Sa fille est tombée dans le coma il y a quelques années. Finalement, elle s’est réveillée. Cependant, il lui a resté des séquelles mentales ou physiques qui l’empêchaient d’aller à l’école. 
« Je suis désolé, ai-je dit. 
- Ne vous en faite pas. Elle va bien. Aimeriez-vous voir votre élève ? Hier, je lui ai parlé de vous……Elle est très contente et elle attend de vous voir avec impatience », m’a-t-elle dit.
 Nous sommes entrés dans une petite pièce qui se trouvait au bout du salon. Au centre la pièce, il y avait une table sur laquelle était mise une vieille machine à écrire, à moitié dissimulée sous l’avalanche de nombreuses feuilles de papier. Il y avait une grande armoire qui couvrait entièrement le mur. La dame l’a ouverte. C’est alors que j’ai découvert que c’était une fausse armoire pour cacher une porte. De l’autre côté de la porte se trouvait un escalier conduisant au premier étage et au sous-sol. Il y avait également un ascenseur exigu qui ne semblait pas être utilisé depuis longtemps.
 Nous avons monté l’escalier. Dans le mur un seul vitrail représentant une femme était incrusté. À cause de gouttes de la pluie, elle semblait pleurer. 
 Au premier étage, nous sommes débouchés sur une pièce sans aucune porte ni fenêtre où il n’y avait rien d’autre qu’une étagère. L’escalier durait encore en haut. J’ai pensé que nous allions monter au deuxième étage, mais la dame s’y est arrêtée. Elle a poussé l’étagère, qui est par la suite tournée. C’était une porte camouflée. J’ai pris une encyclopédie tombée par terre. Toutes les pages étaient blanches. 
 À l’autre côté de la fausse étagère, se trouvait un lavabo et des toilettes. Le miroir était terni, ce qui signifiait qu’un certain temps s’était écoulé depuis qu’une personne a miré son visage dans la glace pour la dernière fois. Madame Alekhine a ouvert la porte à côté des toilettes.
 Une chambre obscure s’étendait. Un faisceau de lumière s’introduisait à travers l’entrebâillement des rideaux fermés. Il y avait un piano droit, une armoire et une table. Au bout de la pièce, un lit était mis. Quelqu’un semblait couché, mais de ma position, je ne pouvais pas voir son visage.
 Madame Alekhine a avancé vers la fenêtre, et tout d’un coup elle a ouvert les rideaux. La lueur de la lune a éclairé la pièce. J’ai regardé par la fenêtre. À l’opposé de l’endroit où je voyais une autre pièce de la maison. En bas, il y avait la fontaine que j’avais vue tout à l’heure. Comme la maison était carré, personne ne voyait l’intérieur de cette pièce à moins que ce ne soit pas un oiseau. 
 La dame caressait tendrement les cheveux d’une fille couchée sur le lit. On voyait la poitrine de sa chemise de nuit. Si je prêtais l’oreille, je pouvais entendre sa respiration imperceptible. Ses cheveux étaient châtains et avaient l’air souples. Les mains croisées sur le cœur, la fille dormait paisiblement. 
« Lune ? Monsieur le nouveau répétiteur est venu te voir », a dit sa mère en caressant sa joue. 
 La fille demeurait silencieuse, mais sa mère l’ignorait. Elle a continué à lui parler toute seule : 
« C’est un jeune homme charmant et intelligent. Il va s’occuper de toi désormais ».
 Immobile, la fille n’a pas émis un mot. 
« Euh, elle semble dormir très profondément. Ce serait mieux que je revienne à tout à l’heure ou un autre jour, ai-je dit humblement. 
- Veuillez-vous lui vous présenter. Elle est ravie de vous rencontrer.
- Mais… ».
 J’ai essayé de lui contredire, puis j’ai avalé mes mots, car je me suis rendu compte qu’elle me transperçait d’un regard résolu comme si elle disait qu’elle ne tolérait aucune objection contre elle.
 Craintivement, je me suis approché du lit. À son chevet, je me suis présenté : « Euh…Bonjour, Lune. Je suis enchanté de te rencontrer. À partir d’aujourd’hui, je travaille comme ton répétiteur…et, voilà, n’hésite pas à me dire s’il y a des choses que tu voudrais particulièrement apprendre, la littérature, les mathématiques, chimie, malheureusement je ne peux pas t’apprendre la musique, mais…euh, voilà ». Et j’ai doucement pris sa main et l’a agitée quelques fois en guise de salutation. 
 J’ai regardé à mes côtés. Madame Alekhine avait l’air contente. Les yeux fixés sur moi, elle m’adressait un plein sourire. Pendant ce temps, la fille n’a jamais ouvert les yeux. Son sommeil semblait si profond qu’elle ne se réveillerait pas même si un éléphant faisait des claquettes à son chevet. 
« Nous allons commencer dès le lendemain, m’a-t-elle dit. Elle est fatiguée aujourd’hui », m’a-t-elle dit. Je me suis demandé comment on pouvait savoir si la jeune fille était fatiguée ou pas, mais je me suis tu. Puis, ma patronne m’a donné une enveloppe. 
 À l’intérieur se trouvaient une clef et les billets de trois milles euros. 
« Vous savez maintenant comment arriver à la chambre de ma fille. Venez à 9 heures du matin et la leçon doit se terminer à 5 heures du soir. De midi à 14 heures vous aurez une pause et un repas », m’a-t-elle dit.
 J’aurais voulu lui demander si sa fille dormait toujours aussi profondément ou si elle se réveillait à certaines heures, mais aucun mot n’est sorti de ma bouche.
 Au rez-de-chaussée, je lui ai proposé de rendre la chemise qu’on m’avait prêtée, mais elle m’a dit que ce n’était pas la peine. La domestique m’a donné des bottes quand je quittais la maison. J’ai ainsi laissé mon vêtement et mes chaussures. Je les ai remerciées et je suis sorti. 
 Lorsque j’en suis sorti, la pluie avait cessé et la nuit était tombée. Le sentier dans le bois était encore plus boueux que tout à l’heure, et il était devenu comme une mare. À travers les feuilles des arbres, la lune projetait une lumière blanche aux alentours. Je me suis retourné pour regarder la maison. De là où j’étais, je ne voyais pas la chambre de Lune. La porte de fer s’est fermée en grinçant. Je songeais à la fille dormante dans la pièce secrète. 

lundi 6 mai 2019

La fin de ma licence

 La Cathédrale Notre-Dame a brûlé. L’empereur a abdiqué. Mon semestre s’est achevé. Mes trois ans de ma licence se sont terminés. Je pensais que lorsque j’aurai terminé mon dernier examen, tout le monde (les professeurs, les étudiants, les animaux de la forêt noire, les prêtres, les nettoyeurs) m’attendrait à la sortie de l’amphithéâtre, et qu’ils m’acclameraient en faisant claquer des pétards, en sifflant, parce que c'est souvent comme ça dans le dernier épisode d'un animé, mais en fait, non. Personne ne m’attendait. C’était comme si un film se terminait dans un cinéma vide sans que personne ne le sache. 
 Ces trois années m'ont semblé à la fois courtes et longues. Je peux me souvenir de certains cours, et d’autres, non. Le moment le plus dur était bel et bien la première année. Je venais de débarquer du Japon. La première inscription pédagogique que l’on devait effectuer sur place était chaotique, et on ne pouvait pas vraiment choisir ses cours car seuls les codes étaient indiqués et pas le contenu. Ainsi, je suis tombé sur un cours de littérature française qui ne m’intéressait pas du tout Le résultat de ma première dissertation était catastrophique, et le cours de phonétique était incompréhensible. C’était comme si je me noyais dans une immense piscine. Toutefois, j’ai terminé ma première année avec de plutôt bonnes notes parce que j’avais travaillé d’arrache-pied. La deuxième année, je m’ennuyais. Je savais maintenant comment les cours et les examens s’organisaient en France. La plupart des cours ne m’intéressaient toujours pas. Le cours de littérature française que j’avais choisi était toujours si ennuyeux que j'aurais encore préféré observer des fourmis qu'aller à cette séance de torture de deux heures. La deuxième année, bien que j’aie souffert moins qu’à la première année, je l’ai terminée avec une moyenne un peu plus basse à cause du manque de motivation. Cette année, les cours me semblaient plus faciles qu’en première année et deuxième année, ou simplement je me suis habitué à la vie universitaire. Du moins, je ne me noyais plus. Je nageais plutôt aisément. La dissertation en trois grandes parties qui m'avait torturé quand j’étais neuveau, était devenue une habitude. Les cours de littérature que je détestais d’habitude alors que je suis en lettres, étaient plutôt intéressants cette année. Est-ce une fin heureuse ou une fin malheureuse ? Sans doute ni l’une ni l’autre car ce film dure encore. 

dimanche 5 mai 2019

Le Planétarium (2)

2. L'étrange travail

 Je n’avais jamais vu le code postal indiqué sur le morceau de papier.
 Le lendemain, j’ai pris le métro et je suis descendu à une station près de la rivière. J’ai traversé un pont au bout duquel un bois s’étendait. J’ai mis un pas sur le sentier, couvert par divers types d’herbe. Chaque fois que j’ai marché, des feuilles s’écrasaient sous mes pieds. De temps en temps, des oiseaux poussaient des cris qui me rappelaient le grincement d’une machine gigantesque. Je ne les voyais nulle part. 
 Lorsque je suis sorti du bois, j’ai aperçu une grande maison sur la colline. J’ai monté la douce pente au beau milieu des prairies. Du sommet, on pouvait dominer un cimetière abandonné et des ruines. 
 La maison était entourée par des murs dépassant largement ma taille, couverts entièrement par des lierres. Le jardin devait être abandonné depuis longtemps. Il était envahi par divers types de fleurs et de champignons. La maison elle aussi était couverte par des lierres ressemblant à des vaisseaux sanguins.
 J’ai sonné à la porte en bois aussi haute que les murs, mais la sonnerie semblait cassée. À côté du bouton, il y avait un heurtoir en forme d’un hibou. Je l’ai frappé à la plusieurs reprises et j’ai crié : « Bonjour ! ». Quelques instants plus tard, la porte s’est entrouverte toute seule avec un terrible grincement. 
  À l’autre côté de la porte, un long couloir s’allongeait dans l’obscurité. J’ai attendu quelqu’un venir, mais un long moment s’est écoulé sans que personne n’apparaisse. « Est-ce qu’il y a quelqu’un ici ? », ai-je dit vers le bout du couloir, mais ma voix s’est fondue dans le noir et seul l’écho me répondait. Tandis que je pensais à rentrer, j’ai entendu le bruit de pas de quelqu’un qui s’approchait. Le plancher en bois a grincé à chaque fois que cette personne a mis le pied. Au bout d’un moment, une silhouette est apparue. C’était une vieille dame au dos courbé. Ses cheveux étaient grisâtres et ses yeux étaient d’un vert si pâle qu’ils semblaient atteints d’une cécité. Elle tenait une lampe à la main. « Je suis un nouveau répétiteur », lui ai-je dit. « Suivez-moi », m’a-t-elle dit. 
 La vieille dame au dos courbé m’a tourné le dos. J’ai marché d’un bon pas pour l’attraper. « Par-là », m’a-t-elle dit d’une voix rauque et a ouvert une porte.
 C’était une petite pièce poussiéreuse. Les rideaux diaphanes à travers lesquels la lumière s’infiltrait étaient fermés. Sur les étagères étaient exposées une multitude de bouteilles et de flacons. Au centre, il y avait deux fauteuils en cuir entre lesquelles était mise une petite table en carrée. 
« Madame arrive dans quelques minutes. Attendez ici », a dit la vieille dame et elle a fermé la porte. 
 Je me suis assis sur le fauteuil. La table était en fait un échiquier sur lequel se dessinaient des carrées minuscules ocre et brun. Cette table avait de petits tiroirs dans lesquels se trouvaient peut-être des pièces.
 Au bout de quelques minutes, j’ai entendu le sol grincer et la poignée s’est tournée. De l’autre côté de la porte se tenait une femme d’un certain âge. Elle devait avoir environ quarante ans voire même plus. Elle s’était fait un chignon et portait une robe noire comme en deuil. Après avoir fermé la porte, elle s’est assise devant moi. Tandis que je réfléchissais à ce que j’allais lui dire, elle m’a dit : « Merci d’être venue. Je suis S. Alekhine, la propriétaire de cette maison. 
- Je suis ravi de vous rencontrer…, ai-je dit. 
- Aimez-vous l’échec ? 
- J’y jouais avec mon père quand j’étais enfant, mais je ne suis pas très fort », ai-je dit.
 Elle a ouvert le tiroir et s’est mise à disposer les pièces blanches. Le roi au centre, la reine à côté. Les deux fons étaient à leurs côtés, ainsi que les cavaliers et les tours. La ligne de bataille était défendue par les pions. J’ai aussi ouvert mon tiroir, et je me suis précipité à disposer les pièces noires. 
« Excusez-moi…, m’a-t-elle dit. Je peux discuter plus à l’aise en jouant aux échecs. J’espère que ça ne vous dérange ? ».
 J’ai secoué la tête. Elle avancé son pion à E4 et s’est mise à parler. 
« C’est à propos de ma fille que j’ai demandé ce travail. » 
 J’ai avancé mon pion à E5.
« A-t-elle un problème ? ai-je demandé. Du genre, elle a de mauvaises notes à l’école ou elle sort avec de mauvais amis.
- Pas du tout. C’était une fille intelligente, souriante et populaire, même si elle avait un côté introverti »
‘’C’était’’ ? Pourquoi parle-t-elle de sa fille au passé ? me suis-je demandé, cependant, sans lui poser cette question, j’ai continué à jouer mes pièces.
 Nous nous sommes tus un long moment et nous nous sommes concentrés à jouer aux échecs. Il n’y avait pas beaucoup de mouvements dans nos camps. J’ai pris le cavalier blanc avec ma reine noire. Maintenant l’un de mes soldats s’enfonçait dans le camp de mon ennemi.
 Mes soldats noirs s’approchaient de plus en plus du roi blanc. J’ai pris son fou. Elle m’a pris un pion et un cavalier.
« Ma fille est malade », a-t-elle dit en reculant sa dame. 
 J’ai déplacé mon tour à g8. 
« Comment elle s’appelle ? ai-je dit.
- Lune », m’a-t-elle dit.
 Lune, ai-je répété dans ma tête. Je commençais petit à petit à comprendre la situation. Sa fille avait sans doute une maladie qui l’empêchait de sortir, de sorte qu’elle ne pouvait pas aller à l’école. Elle restait toute la journée dans sa chambre, en étudiant avec sa mère. Mais c’était difficile de tout lui apprendre toute seule et c’est la raison pour laquelle elle a cherché un répétiteur pour sa fille. 
 J’ai avancé ma dame à c6. Elle a posé un pion à f2 et a dit sèchement « Chèque ». C’est alors que je me suis rendu compte que mon roi, isolé sans reine était entouré par des pièces blanches. Pendant que j’étais épris de prendre ses pièces, elle avait développé son piège sur l’échiquier comme une toile d’araignée, en sacrifiant ses soldats loyaux, en attendant que je m’y perde.  Après un moment de silence, j’ai doucement fait tomber mon roi. 
 Elle s’est levée et s’est approchée de l’étagère. Elle est revenue avec un album et me l’a donné. L’album était rempli de photos d’une fille. L’album commençait par sa naissance et le bébé grandissait. Sur une photo, la fillette d’environ cinq ans, soufflait les bougies sur son gâteau d’anniversaire. Sur une autre photo, elle riait sur un cheval d’un manège. De temps en temps, apparaissaient un homme et une femme, peut-être ses parents. La même femme était assise devant moi. Elle avait pris un peu plus de rides que sur les photos. Ses cheveux s’étaient mis à blanchir et ses yeux étaient légèrement cernés. Mais c’était elle. L’homme était peut-être son mari. Ses cheveux étaient aplatis en arrière. Il portait de petites lunettes rondes et ressemblait à un mathématicien syphilitique. Plus j’ai tourné des pages, plus la fillette grandissait. Ses bras et ses jambes s’allongeaient ; son ventre s’aplatissait et ses cheveux poussaient. Tout à coup, l’album s’est terminé. Même si je tournais des pages, il n’y avait plus rien. Les pages blanches duraient à l’infini. Sur la dernière photo, elle avait environ douze ou treize ans. Elle portait un T-shirt et un short, souriant vers l’appareil photo sur une dune. 
 J’ai fermé l’album et l’ai rendu à la dame.
« Ça fait plus de dix ans qu’elle ne va pas à l’école. Quand les enfants de son âge apprenaient beaucoup de choses et jouent entre eux, elle était contrainte de rester dans sa chambre toute la journée. Elle s’isolait de plus en plus du monde extérieur. Elle s’ennuyait aussi. Ce que je voudrais vous demander, ce n’est pas vraiment être son répétiteur. Mais j’aimerais que vous connectiez ma fille au monde extérieur, pour qu’elle puisse faire ce qu’elle voudrait quand elle sera guérie. 
- Mais plus précisément que devrai-je faire ?
- Comme vous voudrez.
- Devrai-je travailler combien d’heures par jour ?
- Ce n’est pas défini. Vous pouvez travailler en fonction de votre nécessité. En temps libre, vous pouvez faire ce que vous voudrez, peu importe. Je vais vous payer trois milles euros par mois. Mais si vous voulez, je pourrai vous payer davantage ». 
 Elle semblait toujours éviter de me donner des informations détaillées m’intriguait. J’ai supposé qu’il y avait une raison qui l’empêchait de me les dire, très probablement au sujet de sa fille. Elle avait subi un accident de voiture et son visage était défiguré, ou sa maladie était contagieuse, ou elle était handicapée mentale…Et probablement, la Chauve-souris était un agent d’emplois spécialisé dans les offres confidentielles. Sinon le salaire ne serait pas aussi élevé pour un simple travail de répétiteur. 
 J’ai levé la tête. La propriétaire fixait son regard sur moi au visage inexpressif, immobile comme une statue grecque. Un instant, je me suis senti étouffé pour une raison obscure, peut-être à cause de l’étroitesse de la pièce et de l’étrangeté de cette situation. Un long moment plus tard, j’ai dit : « Quand je pourrai commencer à travailler ? ».
 « Revenez ici demain, à quatorze heures trente », m’a-t-elle dit. 
  La vieille dame que je ne savais toujours pas si c’était une domestique ou la mère de la patronne, m’a accompagné jusqu’à la porte. 
« Est-ce que je peux vous poser une question ? ai-je demandé dans le seuil, au moment de quitter la maison.
- Je vous en prie, m’a-t-elle dit d’une voix rauque comme si on trainait un sac lourd rempli de sable.
- Y a-t-il eu combien de répétiteurs avant moi ?
- Vous êtes le cinquante-quatrième. Les autres n’ont pas tenu plus de deux semaines ».

lundi 29 avril 2019

''Une pensée sur Darth Vader'' Sachiko Kishimoto


 Darth Vader dort-il la nuit ?
 Depuis que je me suis posé cette question il y a deux semaines, je ne peux m’empêcher de penser à Darth Vader.
 Darth Vader termine ses corvées quotidiennes du mal et se retire dans sa chambre à la fin d’une journée. Où se trouve sa chambre ? Sur l’Étoile de la mort ? Ou dans un immense vaisseau spatial ? À quel point est-elle spacieuse ? Comme c’est un personnage important, je pense que sa chambre correspond à une pièce d’environ trente tatamis. Ou comme il n’y a sans doute pas assez d’espace dans le vaisseau spatial, ne serait-ce qu’une modeste pièce d’environ six tatamis ?
 Le décor est-il noir uni ? Les murs sont noirs. Le plafond est aussi noir ainsi que le tapis. Euh, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de tapis. Le plancher est peut-être en linoléum noir, sinon en marbre. Son bureau est noir. Son fauteuil aussi. Les rideaux…peut-être qu’il n’y en a pas.
 Après avoir terminé ses tâches du mal Darth Vader se retire dans sa chambre à la fin de la journée. Les portes automatiques se ferment. À quoi pense-t-il lorsqu’il se trouve seul ? Lui arrive-t-il de se dire : « Je suis fatigué » ? Soupire-t-il ? Mais non, Darth Vader respire toujours en faisant le fameux bruit « khshouuu » « khsouuuu ». Son soupire se fondra sans doute dans ce bruit.  
 Darth Vader se retire dans sa chambre à la fin de la journée. Il enlève son manteau noir et le suspend à un cintre. Il enlève ses gants et les met sur la table. Enlève-t-il aussi ses bottes ainsi que la sorte d’armure qu’il porte sous son manteau ? En se déshabillant, à quoi pense-t-il ? Le soir, a-t-il, comme tout le monde, ce moment où l’on erre distraitement dans ses pensées ? Si cela lui arrive, s'agira-t-il d'être ballotté entre son méchant supérieur qui le critique au sujet de la construction retardée de l’Étoile de la mort et ses subordonnés incompétents ? Ou a-t-il déjà perdu toute émotion et le bruit de sa respiration retentit-il vainement dans son esprit vide ?
 Et son casque. Je pensais qu’il était complètement collé à sa tête, mais j’ai appris qu’en réalité, il peut l’enlever. Sous son casque se cachait le visage d’un homme ordinaire. Comment se sent-on quand on porte le casque et qu’on entend sa respiration toute la journée ? L’intérieur de son casque ne devient-t-il pas humide ? N’est-il pas mouillé par les sécrétions grasses de sa peau ou par sa sueur ? Lorsque Darth Vader se trouve seul dans sa chambre, enlève-t-il son casque ? Est-il soulagé lorsqu’il sent l’air frais sur son visage, à la fin de la journée, sans le masque ? Se lave-t-il le visage et le crâne ? La nuit, dort-il à côté de son masque ?
 Ou sans enlever ni ses bottes ni son manteau ni ses gants, dort-il debout avec son casque ? Ou comme c’est un cyborg, n’a-t-il pas besoin de dormir et travaille-t-il sans répits sur ses tâches du mal ?
 Au fait, selon une personne que j’ai vue récemment, le thème musical de Darth Vader a des paroles. Les voici :
 Darth Vader, noir.
 Darth Vader, terrifiant.

lundi 22 avril 2019

Le Planétarium (1)

1. Le téléphone a sonné 

 Cet après-midi, tandis que je traduisais un document sur la saturnie, mon téléphone portable a sonné. Elle sonnait de manière étrange comme si elle parvenait du fond d’un puits qui se trouve quelque part dans la forêt. J’ai essayé de l’ignorer et continuer de traduire le texte. « Les larves de la saturnie n’apparaissent qu’une fois dans l’année. Elles passent l’hiver en état d’œuf. Après avoir mué quatre fois, elles se mettent à former des cocons émeraude…… ». Le téléphone ne cessait de sonner pendant ce temps. J’ai arrêté mes mains un instant et j’y ai jeté un coup d’œil. Sur l’écran, il était affiché seulement : « Chauve-souris ». Ce nom ne me disait rien. Au moment où je l’ai remis sur le bureau, la sonnerie a cessé. Après un bip, le locuteur s’est mis à laisser un message. Sa façon de parler aussi était étrange. C’était comme si on mettait une cassette audio à l’envers et j’ai dû me concentrer pour comprendre ce qu’il disait.  
« Allô, allô. Vous êtes là ? Hé, hé, hé. Je sais bien que vous êtes là. Vous êtes assis sur le bureau. Vous étiez en train de travailler, n’est-ce pas ? Ou sinon vous lisiez un livre. Peu importe. En tous cas, je sais bien que vous m’écoutez laisser ce message sur votre téléphone. Oups, pardon. J’ai trop parlé. C’est ma mauvaise habitude. En fait, j’ai un travail à vous présenter. Si vous êtes disponible, venez à l’adresse suivante : 16 Rue du……».
 Un bip a sonné de nouveau. La fin du message. 
 J’allais supprimer ce message, mais il y avait quelque chose d’intrigant. Cet homme parlait comme s’il savait tout ce que je faisais. J’ai relevé le store, mais personne ne me guettait dans les rues. J’ai regardé le judas, mais le couloir était désert. J’ai regardé les coins du plafond, mais il n’y avait pas de caméra. Je réfléchissais trop. Si je me rendais à cette adresse, que se passerait-t-il ? De quel travail s’agit-il ? Après que j’ai terminé mes études à l’université, je travaillais en faisant de petits boulots comme cette traduction sur la saturnie. Si ce travail était terminé, je devais chercher un autre travail. Aller chez la Chauve-souris ne semblait pas une mauvaise idée. Elle n’a pas déterminé la date du rendez-vous. J’ai attendu qu’il m’appelle de nouveau, mais en vain. 
 C’était une semaine plus tard que je suis allé à cette adresse. Je l’ai entrée dans le moteur de recherche de Google Map. Cependant, il n’y avait rien sur la photo aérienne. L’endroit où le bâtiment devait se trouver n’était qu’un espace entre deux immeubles. Je me suis convaincu que la photo était ancienne, ou l’homme s’était trompé de l’adresse. 
 J’ai pris le métro et je suis descendu à quatrième arrêt. C’était un quartier où je n’étais jamais allé. Il y avait un parc d’attraction fermé il y a longtemps. Au loin, je pouvais apercevoir une grande roue toute rouillée grincer dans le vent. Passé par une rue marchandise dont la plupart des magasins étaient fermés, près de l’ancienne carrière, le bâtiment que l’adresse indiquait, mais qui n’existait pas sur la carte, se trouvait.
 C’était un vieux bâtiment en bêton. Les murs, couverts par des lierres étaient fissurés par-ci et par-là. Quelques fenêtres brisées étaient réparées avec des rubans adhésifs. À première vue, l’immeuble ressemblait à une ruine. J’ai aperçu une lueur à l’autre côté d’une fenêtre. J’ai poussé la porte de fer principale qui s’est ouverte en faisant un grincement terrible ressemblant aux cris stridents d’une femme dans un film d’horreur merdique. L’intérieur était obscur. J’ai cherché le bouton de lumière à tâtons. Après avoir crépité quelques fois, les lampes fluorescentes ont éclairé les alentours de sa lumière verdâtre. À droite, il y avait des boîtes aux lettres en fer desquelles débordaient une multitude de prospectus et de journaux. J’en ai pris un journal pour voir la date. Il datait d’il y a plus de cinquante ans. Au fond, un ascenseur se trouvait au centre. Avant que je m’appuie sur le bouton, l’ascenseur est descendu tout seul. La porte s’est ouverte, mais il n’y avait personne à l’intérieur. Le vieux miroir collé au mur reflétait mon visage apathique. Je suis monté dedans, et j’ai découvert qu’un bouton était déjà allumé.
 Je suis descendu sur le septième étage. Dans le couloir, des plaques illisibles étaient pendues sur quelques portes. Le panneau vert indiquant la sortie du secours clignotait. Je me suis aperçu d’une lumière orange qui s’infiltrait d’une porte. J’ai eu l’impression que la Chauve-souris était là. 
 Dans cet immeuble délabré, cette porte avait une aura particulière. D’abord, elle était ornée de décoration d’or méticuleuse et somptueuse comme dans un palais. À côté, il était écrit en rouge : « Agent de placement privé : La Chauve-souris ». J’ai sonné à la porte. Mais personne ne me répondait. J’ai appuyé mon oreille contre la porte. J’ai entendu quelqu’un parler en téléphone. Un instant plus tard, la porte s’est ouverte. Un homme d’un certain âge, aussi petit qu’un enfant de douze ans, se tenait debout en souriant, et m’a dit d’entrer. 
 Il n’y avait qu’une pièce à l’intérieur. Le sol était couvert d’un tapis rouge. Il y avait une grande table en face de la fenêtre de laquelle on pouvait voir la grande roue. Au milieu de la pièce, il y avait un divan en cuir. Les murs étaient couverts par les étagères qui atteignaient le plafond. 
 Je me suis installé sur la chaise devant la table. Le nain a sorti un épais dossier de l’une des étagères et a posé sur son bureau. Il a tourné les pages avec ses doigts potelés en marmonnant quelque chose d’incompréhensible. Alors que son corps était obèse, sa tête était disproportionnellement petite. Le sommet de son crâne était chauve, ses yeux était strabiques et le centre de son visage était saillant. Dix personnes sur dix diraient qu’il ressemblait à une chauve-souris.
 Il a arrêté ses mains sur une page et a toussé quelques fois. « Pardon, pardon, a-t-il dit. Je vous attendais. Et alors, vous êtes quand même intéressé par mon message ? 
- Qui êtes-vous ? 
- Je ne vous avais pas encore dit mon nom. Voici, c’est mon nom », a-t-il dit en me donnant sa carte de visite. Le morceau de papier était un peu jauni. Il y avait une tache étrange sur le bout.
« Je suis agent d’emplois, a-t-il continué. En bref, mon travail se constitue de présenter des personnes disponibles à mes clients. Mes clients me demandent diverses missions. Certaines personnes cherchent quelqu’un qui peut tordre la pelouse de leur jardin. D’autres demandent de nettoyer leurs maisons. De temps en temps, il y a des demandes étranges. Écrire une lettre d’amour ou de plainte, chercher un certain insecte rare etc. Et mon travail, c’est de chercher la personne idéale, appropriée, parfaitement adéquate, pour accomplir la demande de mes clients, vous voyez. 
- Mais pourquoi vous avez mon numéro ? Je me suis jamais inscrit dans ce genre d’agence…, ai-je demandé.
- Vous savez, Monsieur. De nos jours, il n’y a pas de secret. En quelque sorte, nous sommes tous surveillés. Votre historique d’achats sur Internet est conservé quelque part. Dans les rues, les caméras de surveillance nous surveillent où que ce soit. De la même manière, moi aussi, j’ai des connections qui me permettent d’identifier une personne idéale pour une tâche. » 
 Il y avait une sonorité étrange dans sa voix. C’est comme si j’écoutais un enregistrement automatique. Jusqu’ici, il a dû répéter la même phrase encore et encore. L’apparence physique plutôt pauvre de l’homme dans cette pièce somptueusement décorée me faisait perdre la sensation de la réalité. 
« Et si je refusais ? lui ai-je dit après avoir réfléchi un instant.
- Vous ne refuserez pas », m’a-t-il dit. Ses prunelles noires brillaient. Qu’est-ce qu’il connaissait ? Il semble que cet homme connaissait tout sur moi, ou sur la ville. La nuit, il devait se transformer en une vraie chauve-souris. Il volait dans le ciel nocturne, pour épier la vie des habitants par les fenêtres de tous les appartements. Un silence a régné dans la pièce. Au bout d’un moment, il a rouvert la bouche :
« Ma cliente souhaite vous voir. 
- Qui est-ce ? 
- Je ne suis qu’un intermédiaire. J’approche le demandeur et le fournisseur et rien de plus. Si vous êtes intéressé, rendez-vous à cette adresse demain », a-t-il dit en me tendant une note, sur laquelle il était écrit une adresse d’une écriture tremblante à l’encre bleue. 
« Est-ce que je peux poser une question ? ai-je demandé, au moment de quitter la pièce. 
- Je vous en prie ! 
- De quel type de travail s’agit-il ? 
- Répétiteur ». 
 Et la porte s’est fermée.