J’ai déménagé. J’avais vécu pendant
trois ans dans une résidence universitaire qui me rappelle une prison. Ma
chambre était petite. Les parties communes étaient délabrées.
Je n’avais pas choisi cette
résidence. C’était le Crous qui l’avait choisie pour moi lorsque j’étais au
Japon. Il était compliqué de chercher un logement étant dans un pays éloigné de
plus de neuf mille kilomètres. Je n’avais pas d’autre choix que de l’accepter.
Je l’ai acceptée. Je suis venu.
Si je ne l’ai pas quittée au bout
d’un an, c’est parce que j’avais la flemme de chercher un autre appartement. Ce
n’était pas difficile d’imaginer que la quête d’un logement serait une corvée.
De plus, je travaillais comme interprète pendant l’été et je n’étais pas
souvent à Strasbourg durant les grandes vacances. La raison qui m’a retenu dans
cette résidence ressemblant à un HLM était la présence de deux chats. Ces deux
chats me permettaient de tolérer une vie qui semble être au seuil de dignité
limite garantie par la Constitution japonaise : « Toute personne a droit au
maintien d'un niveau minimum de vie matérielle et culturelle ». Mais à la
troisième année, l’un des deux chats, le petit, avec qui je jouais souvent, a fugué.
Depuis lors, il n’est jamais revenu.
Comme je craignais de devenir fou si
je restais dans cette résidence, j’ai décidé de me mettre à chercher un
appartement après avoir terminé ma licence. Ce printemps, j’ai reçu un mail de
Crous disant que je devais le quitter parce que j’y avais vécu trois ans, et
que c’était le nombre maximal de renouvellement. C’était une belle occasion.
Toutefois, comme je l’avais imaginé,
chercher un appartement n’était pas simple surtout lorsqu’on est à la fois
étudiant et étranger. On m’a dit que les personnes vivant à l’étranger ne
peuvent pas se porter comme étant mes garantes. Il y avait plusieurs garanties
morales comme celle de Visale, mais j’ai aussitôt découvert que la plupart des
agences immobilières ainsi que les propriétaires n’y faisaient pas confiance.
Au début, je guettais le Bon Coin. J’ai envoyé des messages à plusieurs
annonces. Une fois, une certaine « Jeanne » m’a répondu par mail. Elle me
disait qu’elle m’acceptait sans garant mais à condition de payer 400 euros
comme garantie. Étrangement, elle demandait de verser cette somme via un site
suspect avant même de visiter l’appartement. Elle me disait que je pourrais le
visiter vendredi. Je lui ai dit que je n’étais pas disponible vendredi. Elle me
disait que je pourrais le visiter vendredi. J’ai pensé qu’elle était folle. Si
elle n’était pas folle, c’était un escroc sans aucune jugeote. J’ai cherché sur
Google les photos que « Jeanne » avait mises sur son annonce. Il s’est avéré
que les images étaient prises d’une agence immobilière quelconque. J’ai
enregistré le mail de « Jeanne » sur plusieurs sites de rencontre homosexuelle,
et j’ai bloqué son mail.
La situation en devenait
désespérante. Je n’ai aucune famille en France. Mes amis sont étudiants.
Personne ne peut se porter comme étant mon garant. À ce moment-là, j’ai eu une
idée. Je me suis souvenu que ma correspondante Pauline est professeure. Me
disant que c’était normal même si elle refusait ma proposition, je lui ai
demandé de se porter comme ma garante. Elle l’a accepté.
Jusque-là, j’étais un soldat sans
armes. Maintenant j’avais l’impression d’avoir une épée et un bouclier. J’ai
commencé à visiter des appartements. Mes conditions sine qua non étaient les
suivantes : 1. Pas très loin de l’université. 2. L’appartement doit être
idéalement doté d’une baignoire. 3. L’appartement doit idéalement avoir deux
pièces. Parmi ces conditions, le plus important était la baignoire. J’en avais
marre de la douche. Je voulais prendre un bain. Une fois, j’ai trouvé un
appartement près de l’université, avec une baignoire, et qui n’était pas cher
du tout. Le plafond et le sol étaient un peu abîmés, mais j’ai envoyé mon
dossier à l’agence avant que quelqu’un d’autre ne le prenne. L’agence m’a dit
que j’aurais la réponse dans la semaine. Une semaine, puis deux semaines se
sont écoulées. Je n’avais toujours pas de réponse. J’ai donc appelé l’agence.
On m’a alors dit que mon dossier était refusé. Je n’étais pas particulièrement
déçu car je n’ai confiance en personne. Et comme dit
Woody Allen dans « Annie Hall », « life is divided into the horrible and the
miserable».
Jusqu’à ce moment-là, je pensais que
je pourrais avoir un appartement si je donnais à l’agence un dossier complet.
Mon dossier était refusé tandis qu’il était complet et le personnel qui s’en
est occupé m’avait dit que tout était bon. J’ai alors changé de stratégie. J’ai
décidé d’envoyer mon dossier à plusieurs agences immobilières en même temps. Ce
n’était peut-être pas très sincère, mais beaucoup d’agences ne tenaient pas
leur promesse. On est quitte.
Deux mois ont passé. Je n’avais
toujours pas de logement. Dans un mois, je devais quitter ma résidence. Un
jour, sur Facebook, je suis tombé sur l’annonce d’une fille. Elle disait
qu’elle cherchait d’urgence quelqu’un qui louerait son appartement. Sur les
photos qu’elle avait mises en ligne, on voyait deux pièces, une baignoire et
l’appartement n’était pas loin de l’université. Je lui ai envoyé un message.
J’ai visité son appartement le jour même. C’était exactement ce que je
recherchais. Elle m’a dit qu’elle allait envoyer un mail à son agence. Quelques
jours plus tard, elle m’a demandé de revenir à son appartement et m’a dit qu’il
y aurait une personne de l’agence immobilière et deux autres candidates.
Je suis ainsi revenu à l’appartement.
Quelques minutes plus tard, une employée de l’agence, qui est une dame très
gaie et bavarde est arrivée. Ensuite, une fille nous a rejoints. L’autre fille,
qui portait des lunettes, est aussi arrivée avec un peu de retard. L’employée
de l’agence nous a dit que la propriétaire préférait quelqu’un de calme qui
voudrait rester longtemps, parce qu’une ancienne locataire qui était aussi
étudiante, invitait fréquemment ses amis pour faire la fête. Beaucoup de choses
m’ont traversé l’esprit. Les deux filles avaient l’air calmes et gentilles.
Elles étaient françaises. Le fait que je sois de nationalité japonaise allait
peut-être jouer en ma défaveur. Mais je sais que les femmes n’aiment pas
souvent les femmes. J’ai présenté mon dossier à la personne de l’agence. Elle
nous a dit d’attendre la semaine prochaine pour avoir la réponse. La semaine
prochaine, j’ai eu la réponse de sa part qui n’était ni oui ni non. Elle disait
que la propriétaire souhaitait que mes parents se portent aussi mes garantes en
plus de ma correspondante. C’était facile. J’ai dit oui. Ma recherche d’un
appartement, longue et épuisante, s’est ainsi terminée. Je n’ai plus besoin de
guetter sur le Bon Coin. Je n’ai plus besoin de visiter un appartement. D’une
fenêtre de mon appartement actuel, dans la soirée, on voit une grande roue
illuminée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire