lundi 24 juin 2019

À la recherche d'un appartement


 J’ai déménagé. J’avais vécu pendant trois ans dans une résidence universitaire qui me rappelle une prison. Ma chambre était petite. Les parties communes étaient délabrées.
Je n’avais pas choisi cette résidence. C’était le Crous qui l’avait choisie pour moi lorsque j’étais au Japon. Il était compliqué de chercher un logement étant dans un pays éloigné de plus de neuf mille kilomètres. Je n’avais pas d’autre choix que de l’accepter. Je l’ai acceptée. Je suis venu.
 Si je ne l’ai pas quittée au bout d’un an, c’est parce que j’avais la flemme de chercher un autre appartement. Ce n’était pas difficile d’imaginer que la quête d’un logement serait une corvée. De plus, je travaillais comme interprète pendant l’été et je n’étais pas souvent à Strasbourg durant les grandes vacances. La raison qui m’a retenu dans cette résidence ressemblant à un HLM était la présence de deux chats. Ces deux chats me permettaient de tolérer une vie qui semble être au seuil de dignité limite garantie par la Constitution japonaise : « Toute personne a droit au maintien d'un niveau minimum de vie matérielle et culturelle ». Mais à la troisième année, l’un des deux chats, le petit, avec qui je jouais souvent, a fugué. Depuis lors, il n’est jamais revenu.
 Comme je craignais de devenir fou si je restais dans cette résidence, j’ai décidé de me mettre à chercher un appartement après avoir terminé ma licence. Ce printemps, j’ai reçu un mail de Crous disant que je devais le quitter parce que j’y avais vécu trois ans, et que c’était le nombre maximal de renouvellement. C’était une belle occasion.
 Toutefois, comme je l’avais imaginé, chercher un appartement n’était pas simple surtout lorsqu’on est à la fois étudiant et étranger. On m’a dit que les personnes vivant à l’étranger ne peuvent pas se porter comme étant mes garantes. Il y avait plusieurs garanties morales comme celle de Visale, mais j’ai aussitôt découvert que la plupart des agences immobilières ainsi que les propriétaires n’y faisaient pas confiance. Au début, je guettais le Bon Coin. J’ai envoyé des messages à plusieurs annonces. Une fois, une certaine « Jeanne » m’a répondu par mail. Elle me disait qu’elle m’acceptait sans garant mais à condition de payer 400 euros comme garantie. Étrangement, elle demandait de verser cette somme via un site suspect avant même de visiter l’appartement. Elle me disait que je pourrais le visiter vendredi. Je lui ai dit que je n’étais pas disponible vendredi. Elle me disait que je pourrais le visiter vendredi. J’ai pensé qu’elle était folle. Si elle n’était pas folle, c’était un escroc sans aucune jugeote. J’ai cherché sur Google les photos que « Jeanne » avait mises sur son annonce. Il s’est avéré que les images étaient prises d’une agence immobilière quelconque. J’ai enregistré le mail de « Jeanne » sur plusieurs sites de rencontre homosexuelle, et j’ai bloqué son mail.
 La situation en devenait désespérante. Je n’ai aucune famille en France. Mes amis sont étudiants. Personne ne peut se porter comme étant mon garant. À ce moment-là, j’ai eu une idée. Je me suis souvenu que ma correspondante Pauline est professeure. Me disant que c’était normal même si elle refusait ma proposition, je lui ai demandé de se porter comme ma garante. Elle l’a accepté.
 Jusque-là, j’étais un soldat sans armes. Maintenant j’avais l’impression d’avoir une épée et un bouclier. J’ai commencé à visiter des appartements. Mes conditions sine qua non étaient les suivantes : 1. Pas très loin de l’université. 2. L’appartement doit être idéalement doté d’une baignoire. 3. L’appartement doit idéalement avoir deux pièces. Parmi ces conditions, le plus important était la baignoire. J’en avais marre de la douche. Je voulais prendre un bain. Une fois, j’ai trouvé un appartement près de l’université, avec une baignoire, et qui n’était pas cher du tout. Le plafond et le sol étaient un peu abîmés, mais j’ai envoyé mon dossier à l’agence avant que quelqu’un d’autre ne le prenne. L’agence m’a dit que j’aurais la réponse dans la semaine. Une semaine, puis deux semaines se sont écoulées. Je n’avais toujours pas de réponse. J’ai donc appelé l’agence. On m’a alors dit que mon dossier était refusé. Je n’étais pas particulièrement déçu car je n’ai confiance en personne. Et comme dit Woody Allen dans « Annie Hall », « life is divided into the horrible and the miserable».
 Jusqu’à ce moment-là, je pensais que je pourrais avoir un appartement si je donnais à l’agence un dossier complet. Mon dossier était refusé tandis qu’il était complet et le personnel qui s’en est occupé m’avait dit que tout était bon. J’ai alors changé de stratégie. J’ai décidé d’envoyer mon dossier à plusieurs agences immobilières en même temps. Ce n’était peut-être pas très sincère, mais beaucoup d’agences ne tenaient pas leur promesse. On est quitte.
 Deux mois ont passé. Je n’avais toujours pas de logement. Dans un mois, je devais quitter ma résidence. Un jour, sur Facebook, je suis tombé sur l’annonce d’une fille. Elle disait qu’elle cherchait d’urgence quelqu’un qui louerait son appartement. Sur les photos qu’elle avait mises en ligne, on voyait deux pièces, une baignoire et l’appartement n’était pas loin de l’université. Je lui ai envoyé un message. J’ai visité son appartement le jour même. C’était exactement ce que je recherchais. Elle m’a dit qu’elle allait envoyer un mail à son agence. Quelques jours plus tard, elle m’a demandé de revenir à son appartement et m’a dit qu’il y aurait une personne de l’agence immobilière et deux autres candidates.
 Je suis ainsi revenu à l’appartement. Quelques minutes plus tard, une employée de l’agence, qui est une dame très gaie et bavarde est arrivée. Ensuite, une fille nous a rejoints. L’autre fille, qui portait des lunettes, est aussi arrivée avec un peu de retard. L’employée de l’agence nous a dit que la propriétaire préférait quelqu’un de calme qui voudrait rester longtemps, parce qu’une ancienne locataire qui était aussi étudiante, invitait fréquemment ses amis pour faire la fête. Beaucoup de choses m’ont traversé l’esprit. Les deux filles avaient l’air calmes et gentilles. Elles étaient françaises. Le fait que je sois de nationalité japonaise allait peut-être jouer en ma défaveur. Mais je sais que les femmes n’aiment pas souvent les femmes. J’ai présenté mon dossier à la personne de l’agence. Elle nous a dit d’attendre la semaine prochaine pour avoir la réponse. La semaine prochaine, j’ai eu la réponse de sa part qui n’était ni oui ni non. Elle disait que la propriétaire souhaitait que mes parents se portent aussi mes garantes en plus de ma correspondante. C’était facile. J’ai dit oui. Ma recherche d’un appartement, longue et épuisante, s’est ainsi terminée. Je n’ai plus besoin de guetter sur le Bon Coin. Je n’ai plus besoin de visiter un appartement. D’une fenêtre de mon appartement actuel, dans la soirée, on voit une grande roue illuminée.


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