lundi 24 avril 2017

Un passage sans titre

Je regardais le visage d'une fille dormant à côté de moi.
Dans la pénombre bleuâtre du matin, le soulèvement de son nez et l'ombre projetée transformaient son visage en une dune.
À côté de l’œil gauche close, un voyageur aussi minuscule qu'un sésame chancelait en recherchant l'eau avec son chameau.
Leurs pas étaient lents et la dune semblait durer infiniment.
Lorsqu'ils traversaient le dessous du nez, la fille a respiré brusquement.
Si bien que le chameau a été emporté quelque part, le voyageur a été coincé aux lèvres.
Ses lèvres étaient humides.
Le voyageur s'est réjouit d’avoir enfin trouvé l'eau.
À ce moment-là, les lèvres de la fille se sont entrouvertes et le voyageur est tombé dans le gouffre.
Au moment de sa chute, nos regards se sont croisés.
Son visage était stupéfait, le mien aussi

vendredi 21 avril 2017

Avant-hier

Avant-hier, j'ai mangé pour le déjeuner de la lotte et des asperges sautées en buvant de la bière comme un cascade.
À la main gauche je tenais ''Écoute le chant du vent'' d'Haruki Murakami parce que c'est un livre que j'ai toujours envie de lire au début de l'été.
Lorsque j'ai terminé le déjeuner, un immense sommeil m'a avalé tel un tsunami.
À ce moment-là, je me suis dit que c'était sans doute à cause d'alcool.
Je me suis effondré sur le lit.

Lorsque je me suis réveillé avec une migraine, il faisait déjà nuit.
Une boule de plomb roulait dans ma tête de droite à gauche, de gauche à droite.
Je me suis dit que c'était aussi sans doute à cause de l'alcool pourtant je n'avais jamais eu de gueule de bois.
La migraine me serrait trop la tête pour lire un livre.
J'ai donc regardé ''Rogue One'' doublé en français.
Ça m'a choqué que le ''Death star'' était ''L'étoile de la mort'' et ''R2'' était ''R deux'' et que tous les personnages principaux sont morts à la fin.
Je ne croyais pas qu'un film de Disney puisse avoir une fin malheureuse.
Un jour, le gros rat de Disney serait-il aussi anesthésié et disséqué dans un laboratoire ?
J'ai mesuré me température corporelle et le résultat était de 37,2 degrés.
J'avais une légère fièvre parce que ma température habituelle est d'environ trente-cinq.
Après avoir écrit un testament, je me suis enfoui sous une couverture.

J'ai fait un drôle de rêve.
J'étais dans un paquebot qui avait sombré il y a longtemps.
Des hublots étaient brisés.
Les bactéries mortes voltigeaient telle la neige.
''Il n'y a personne ?'' ai-je crié, mais personne ne m'a répondu.
Je suis entré dans une cabine qui était entrouverte.
Quelques vieux vêtements d'une fille flottaient comme des herbes marines.
Un cahier était posé sur la table.
C'était le journal d'une fille qui vivait jadis dans ce navire.
À la dernière page il était écrit ; ''La baudroie mâle parasite la baudroie femelle, le corps de la baudroie mâle s'absorbe petit à petit dans le ventre de la baudroie femelle et au final, il ne reste que ses testicules.''
J'ai imaginé dans ma tête un homme en train d'être absorbé dans le ventre d'une femme.
Sa tête était douloureuse.
C'était un monde à la Cronenberg dont ''La mouche'' m'avait traumatisé lorsque j'avais quatorze ans.
Cette phrase m'a rendu quelque peu inquiet.
Je suis sorti de cette cabine et j'ai avancé vers le fond.
Soudainement je me suis rendu compte d'une lumière qui s'introduisait par une porte.
J'ai pu voir par le judas des femmes et des hommes qui entouraient une ripaille.
Un serveur d'un âge mûr s'est aperçu de moi et il m'a gentiment ouvert la porte.
J'étais content parce que j'avais faim, en plus la cuisine semblait vraiment délicieuse.
En décortiquant des crabes, j'ai échangé des avis sur les films de Fédérico Féllini avec une femme qui était assise à côté de moi.
Elle m'a dit que son meilleur film était ''Satyricon''.
Je lui ai dit que je préférais ''Amarcord''.
Elle m'a dit que ''La Strada'' qu'elle avait vu en Sicile était le plus émouvant de tous les autres films.
Je lui ai dit que ''La cité des femmes'' n'était pas mal, mais que je ne voulais pas me faire couper les couilles par des femmes.
Elle a posé sa fourchette et son couteau, et m'a demandé, ''Mais absorber ?''.

Le lendemain, la boule de plomb roulait encore dans ma tête de  droite à gauche et de gauche à droite.
Mais mon corps était plus léger.
J'ai mesuré ma température et cette fois elle était de 35,5.
Cependant, la fièvre avait dévoré mes cellules cérébrales, qui étaient semblables à la chair d'une crabe.
Dorénavant ma mémoire ne s'étend que sur quatre-vingt minutes et je ne pourrai pas distinguer un arbre d'un homme.

lundi 17 avril 2017

Le doigt

Dans la cour de l'université, j'ai trouvé un doigt.
J'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'un ver blanc.
Il avait l'air souple et immobile.
Je m'en suis approché et je me suis accroupi pour le contempler de près.
Ce ver blanc était légèrement courbé.
Il n'avait ni œil ni bouche.
Je l'ai pris dans ma main et c'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que ce n'en était pas un.
Ce n'était pas un ver.
C'était un doigt.
Le doigt était froid et rigide comme s'il était en céramique.
Sans doute coupé par un couteau tranchant tel qu'un bistouri, il était coupé à la troisième articulation au niveau de la  paume.
L'ongle était lisse et dur.
À la coupe on voyait encore de la chair et les traces de nerfs qui étaient pétrifiées.
Par sa longueur et sa forme frêle, j'en ai déduit qu'il s'agissait de l'index qui un jour avait appartenu à une femme.
Le lustre de la peau prouvait que son ancien propriétaire était encore jeune.
Cependant imaginer une femme à partir d'un simple index était assez difficile.
Je l'ai soigneusement couvert d'un mouchoir et je l'ai mis dans la poche.

C'était le début de l'automne.
Les arbres avaient commencé à perdre leurs feuilles.
Les couples en pull-over se promenaient main dans la main en respirant l'air frais à pleins poumons.
Je n'avais même pas une fille avec qui j'aurais pu réchauffer mes mains gelées.
Tout ce que j'avais, c'était cet index dans ma poche.

La nuit est tombée.
J'ai posé l'index sur un mouchoir à côté de la fenêtre.
Je l'ai contemplé pendant un certain temps comme un scientifique étudie minutieusement l'aspect d'un virus.
J'ai caressé cet index avec le mien.
Il n'a manifesté aucune réaction.
Ensuite je l'ai piqué avec un crayon pointu.
C'était pareil.
L'index restait paralysé.
Son sommeil était aussi profond qu'une grotte insondable.
Pour l'empêcher de s'enfuir, j'ai bouché le goulot avec un bouchon de liège.
Je l'ai provisoirement nommé ''Mitsouko''.
J'ai écrit dans mon cahier, '' 21 Octobre, index trouvé dans le buisson de la cour de l'université, nommé Mitsouko''

Le lendemain matin, lorsque je me suis réveillé, Mitsouko s'était affaiblie.
La surface de sa peau était asséchée, elle était allongée comme si elle était au bout de ses forces.
J'avais oublié d'aérer la fiole.
Je l'ai tout de suite débouchée et j'ai percé le liège de trous pour qu'elle puisse respirer.
J'y ai également ajouté un peu d'eau.
On dirait qu'elle a repris des forces maintenant.
Son lustre est revenu, elle a imperceptiblement levé la tête comme en signe de remerciement.
''Je vous en prie'', lui ai-je dis.

J'ai fait une affiche et j'en ai collé les copies partout dans l'université.
Le texte de l'affiche était comme suit ;
RECHERCHE PROPRIÉTAIRE D'UN DOIGT
taille ; 7 centimètres
poids ; 1,5 grammes
couleur ; blanc
lieu de la découverte ; le buisson
En bas, j'ai mis mon numéro de portable.
J'ai même illustré l'affiche d'un portrait du doigt.
Je suis plutôt doué pour le dessin.

samedi 15 avril 2017

''Assassinat du Commendatore'' 《Franz Kafka aimait les pentes》 Haruki Murakami




Le lendemain (samedi) le Commendatore est enfin apparu devant moi.
Depuis le dîner chez Menshiki du mardi soir, c'était sa première apparition, pour employant son terme, sa première ''concrétisation''.
Après avoir fait des courses, alors que je lisais un livre dans le salon, une clochette s'est mise à sonner dans l'atelier.
J'y suis allé et j'ai découvert que le Commendatore était assis sur une étagère, il faisait sonner la clochette près de son oreille.
Comme s'il vérifiait cette sonorité subtile.
Aussitôt qu'il m'a aperçu, il a cessé de l'agiter.

''-Ça faisait longtemps, ai-je dit.

-Qu'est-ce que ce <Ça faisait longtemps>, a répondu sèchement le Commendatore, l'idée fait des aller-retours dans le monde partout depuis cent ans, mille ans. Un ou deux jours ne sont rien.

-Le dîner chez Menshiki vous a plu ?

-Ah,ah, c'était un dîner extraordinaire !
Évidemment, je ne pouvais pas y goûter, mais la cuisine m'a fait plaisir aux yeux. 
Et Menshiki-kun est quelqu'un d'attrayant. 
C'est un homme qui a une certaine clairvoyance. 
Mais c'est aussi un homme plein de difficultés à l'intérieur.

-Il m'a demandé une chose.

-Ah, ouais, a répondu le Commendatore avec indifférence, en regardant la clochette dans sa main.
J'ai écouté cette histoire à côté de vous. Mais ça, ça n'a pas rapport avec moi. C'est un problème pragmatique, autrement dit, un problème d'ici-bas qui s'étale entre vous et Menshiki-kun.

-Puis-je poser une question ? lui ai-je dit.
Le Commendatore s'est frotté la barbe avec la main.

-Allez-y. Mais je ne sais pas si je pourrai y répondre.

-C'est une question au sujet du tableau de Tomohiko Amada intitulé ''Assassinat du Commendatore''. 
J'imagine que vous connaissez déjà ce tableau puisque vous avez emprunté votre apparence à un personnage de cette peinture. 
Il semble que ce tableau est basé sur une tentative d'assassinat qui a réellement eu lieu à Viennes en 1938 et que Monsieur Amada lui-même a été impliqué dans cette affaire. 
Ne savez-vous pas quelque chose à ce propos ?

Le Commendatore a réfléchi, les bras croisés, puis il a entrouvert les yeux et il a répondu :

-Dans l'histoire, il y a un tas de choses qu’il vaut mieux laisser telles quelles dans l'obscurité. 
La connaissance exacte ne rend pas toujours les gens heureux. 
L'objectivité ne surpasse pas toujours  la subjectivité. 
Le fait ne dissipe pas toujours l'illusion.

-Dans les généralités, certainement que oui. 
Mais ce tableau évoque quelque chose au spectateur. 
J'ai l'impression que Tomohiko Amada a peint ce tableau dans l'intention personnelle de cryptographier une chose importante qu'il a connue mais qui ne pourra pas être révélée. 
Il semble que ce tableau confesse quelque chose sous la forme d'une métaphore en substituant les personnages et le lieu à une autre époque, en utilisant le métier de la peinture japonaise qu'il a acquise à nouveau. 
Je pense même que c'est dans ce seul but qu'il a abandonné la peinture occidentale pour passer à la peinture japonaise.

-Laissez le tableau raconter, a dit le Commendatore d'une voix tranquille, si ce tableau souhaite raconter quelque chose, laissez-le faire. 
Laissez la métaphore telle quelle. 
Et quel inconvénient cela présente-t-il ?


-Ce n'est pas une question d’inconvénient. 
Je voudrais juste connaître ce background qui a incité Tomohiko Amada à peindre ce tableau. 
Parce que visiblement, ce tableau nous supplie quelque chose. 
Il a été peint dans un but concret.''

Le Commendatore a caressé sa barbe avec le dos de la main comme s'il se souvenait de quelque chose. Puis il a dit,

-Franz Kafka aimait les pentes.
N'importe quelle pente le fascinait.
Il aimait observer une maison bâtie sur une forte pente. 
Il pouvait rester assis des heures à regarder une telle maison.
Sans se fatiguer, de temps en temps il penchait la tête.
C'était quelqu'un de bizarre.
Vous le saviez ?

Franz Kafka et la pente ?

-Non, je ne savais pas, lui ai-je dit. 
Je n’avais jamais entendu cette histoire.

-Et, la connaissance d'une telle anecdote, par exemple,  contribuera-t-elle à la compréhension de ses œuvres ? Hein ?

Je n'ai pas répondu à cette question.

-Alors connaissiez-vous personnellement Franz Kafka ?

-Lui, il ne me connaissait pas, bien sûr, a dit le Commendatore.
Et il a ri tout bas comme s'il s'était souvenu de quelque chose.
C'était peut-être la première fois que je l'entendais rire.
Y avait-il quelque chose d’amusant chez Franz Kafka ?
Le Commendatore a repris son ton initial et il a continué,

-La vérité est autrement dit la représentation et la représentation est la vérité.
La meilleure chose à faire, c'est avaler une représentation telle quelle, sans logique ni fait, sans chercher le nombril du porc ni les couilles de la fourmis. 
Qu'un être humain tente d'atteindre la compréhension en dehors de cette manière, c'est comme essayer de faire flotter un panier percé.
Je vous le dis par gentillesse.
Il vaudrait mieux oublier ce sujet.
Malheureusement, ce que fait Menshiki-kun est aussi une chose semblable.

-C'est-à-dire, quoi que je fasse, tout sera vain ?

-Nul ne peut faire frotter un objet qui a de multiples trous sur l'eau.

-Précisément qu'est-ce qu'il essaie de faire ?

Le Commendatore a haussé les épaules.
Et il a créé entre les sourcils une ride charmante qui rappelle Marlon Brando dans sa jeunesse.
Je ne crois pas que Commendatore ait jamais vu le film d'Elia Kazan, ''Sur les quais'', mais sa manière de froncer le sourcil était vraiment semblable à Marlon Brando.
Je n'arrivais pas à imaginer jusqu’où le Commendatore allait puiser son inspiration pour ses différentes apparences et expressions du visage. 
Il a ajouté,

-Il n'y a que très peu de choses que je peux vous expliquer sur ''Assassinat du Commendatore'' de Tomohiko Amada.
Parce que l'essence est dans l'allégorie et la métaphore.
L'allégorie et la métaphore ne doivent pas être expliquées par des mots.
Elles doivent être avalées, et le Commendatore s'est gratté le revers de l'oreille avec le bout de l'auriculaire comme fait un chat avant la pluie.
Mais je vous apprends une seule chose.
Même si ce n'est pas grand chose, demain soir, vous recevrez un coup de fils de la part de Menshiki-kun.
Vous devrez lui donner votre réponse après mûre réflexion.
Pourtant votre réponse ne changera pas même si vous réfléchissez longuement.
En tous cas, ce sera mieux de délibérer suffisamment longtemps.

-Et ce qui est important, c'est de faire savoir à l'interlocuteur que je réfléchis. 
Comme un geste.

-Tout à fait. Refuser d'abord la première offre, c'est une règle inflexible et de base dans le business.
Il n'y a rien à perdre à apprendre ça, a dit le Commendatore et il a ri tout bas. 
Il semble qu'il est de bonne humeur aujourd'hui.

-Au fait, ça n'a rien à voir avec ça, mais est-ce amusant de tripoter un clitoris ?

-Ce n'est pas parce que c'est amusant qu'on tripote un clitoris, selon moi.

-C'est incompréhensible à mes yeux.

-Aux miens aussi, ai-je dit.
Même une idée ne comprend pas tout.

-De toute façon, il est temps de s'en aller, a dit le Commendatore.
J'ai un endroit où aller, je n'ai pas assez de temps.''

Et le Commendatore a disparu d'une manière graduelle et lente comme disparaît le Chat du Cheshire.
Je suis allé à la cuisine, j'ai préparé un repas simple et j'ai dîné tout seul.
Je me suis ensuite demandé à quel endroit une idée devait se rendre.
Mais je n'avais évidemment aucune idée.

lundi 10 avril 2017

''L'avril est le mois le plus cruel"

Une fois un poète a écrit ''L'avril est le mois le plus cruel''.
Il devait avoir une allergie aux pollens.
L'avril est le mois le plus cruel.
Le pollen invisible entre dans mes narines et mes pores tel un cambrioleur rusé, il me chatouillent de l'intérieur.
Et ainsi, du liquide organique, tel un ruisseau pollué, ne cesse de couler de mon nez.
Je suis le klaxon d'une voiture en panne, parce que je ne cesse d'éternuer avec un grand bruit.
Heureusement que mes yeux ne démangent pas.
Mais des larmes coulent de mon œil gauche alors que mon œil droite est toujours intacte.
Ce qui est étrange est le fait que je ne vois guère d'autres personnes victimes de cette atrocité de l'avril.
En cours, je suis toujours la seule personne qui entasse des mouchoirs sur la table.

Aujourd'hui, dans le train une fille d'environ douze ans était assise devant moi.
Elle était plongée dans sa lecture tandis que j'avais le nez qui coulait.
Sa peau brunâtre frissonnait de la joie du printemps.
Elle doit avoir envie de courir sur la plaine et parler avec des oursons dans la forêt.
J'avais du mal à ouvrir les yeux à cause du rayon du soleil et d'une légère enflure due à l'allergie.
Le paysage défilant était flou alors que je n'avais pas enlevé mes lunettes.

J'ai envie de brûler tous les arbres.
Ces feuilles ridicules agitées par le vent me rend névrosé.
Si je pouvais incinérer tous ces arbres bruts avec un lance-flamme, je frissonnerais de la joie de ce printemps désastreux.

jeudi 6 avril 2017

Le prologue d''Assassinat du Commendatore" d'Haruki Murakami

 Pour mon plaisir, j'ai traduit le prologue du dernier roman d'Haruki Murakami.


Aujourd'hui lorsque je me suis réveillé d'un court sommeil, un homme sans visage était debout devant moi.
Il était assis sur une chaise qui se trouvait à l'opposée du canapé sur lequel je somnolais, avec sa paire d'yeux sans visage, il me regardait tout droit.
C'était un homme grand, il était habillé de la même manière que lorsque je l'avais vu pour la dernière fois.
Un chapeau noir à large bord cachait la moitié de son visage, il portait un long manteau d'une couleur sombre.

''-Je suis venu pour te demander de faire mon portrait.
Après avoir vérifié que j'étais totalement réveillé, l'homme sans visage me dit d'un ton ferme.
Sa voix était grave, elle manquait à l'intonation et l'humidité.
-Tu me l'avais promis, t'en souviens tu ?
-Oui, je m'en souviens. Mais à ce moment-là, je n'avais pas de papier et je n'ai pas pu vous dessiner, lui ai-je dit.
Ma voix manquait également de l'intonation et l'humidité comme la sienne.
-En revanche, je vous avais donné le porte-bonheur en forme de pingouin.
-Oui, je l'ai amené ici, m'a-t-il dit et il a tendu droit sa main droite.
Il avait une main très longue.
Dans sa main, il tenait une poupée plastique de pingouin.
Celle-ci avait, une fois, été attachée à un téléphone portable en tant que porte-bonheur.
Il l'a faite tomber sur une table en verre.
Elle a fait un petit bruit sec.
-Je te la rends. Sans doute tu en auras besoin. Ce petit pingouin deviendra ton protecteur et il protégera les gens autour de toi. En revanche, je voudrais que tu fasses mon portrait.
J'étais déconcerté.
-Mais je n'ai jamais fait le portait d'une personne qui n'a pas de visage.
Ma gorge était complètement sèche.
-J'ai entendu dire que tu es un excellent peintre de portraits. Et il y a un commencement à tout, a dit l'homme sans visage.''
Puis il a ris.
Je pense qu'il a ris.
Ce bruit qui est présumé d'être son rire, ressemblait à celui d'un vent, qui souffle du fond profond d'une goutte.

Il a enlevé son chapeau noir qui cachait la moitié de son visage.
À la place du visage, du brouillard d'un blanc laiteux tourbillonnait.
Je me suis levé, j'ai pris un crayon doux et un cahier de croquis à l'atelier.
Je me suis ensuite assis sur le canapé et je me suis mis à dessiner le portait d'un homme sans visage.
Mais je ne savais ni d’où je pouvais commencer ni où se trouvait le point de départ.
En tous les cas, celui qui était assis devant moi n'était qu'un rien.
Comment pourrait-on réaliser une chose qui n'a pas de forme ?
En plus, ce brouillard d'un blanc laiteux, comprenant un rien, ne cessait de changer sa forme.
''-Dépêche-toi, dit l'homme sans visage, je ne pourrai pas rester longtemps ici.''
Mon cœur marquait un bruit sec à l'intérieur de mon thorax.
Je n'ai pas le temps.
Il faut que je me dépêche.
Mais mes doigts, grippant un crayon, étaient pétrifiés dans l'espace.
Comme si le dessus de mes poignets s’engourdissait.
Comme il a dit, j'ai quelques gens précieux à protéger.
Et tout ce que je pouvais faire était peindre.
Malgré cela, je ne pouvais pas dessiner le visage de l'homme sans visage.
Tout à fait déconcerté, je perçais le mouvement de ce brouillard du regard.

''-Je suis désolé, le temps est venu, a dit l'homme sans visage quelques instants plus tard.
Puis il a expiré une brume rivulaire blanche de sa bouche sans visage.
-Attendez, s'il vous plaît. Si j'ai encore le temps...''
L'homme a remis son chapeau noir et il a encore caché la moitié de son visage.
-Un jour, je reviendrai. À ce moment, tu seras capable de me dessiner. Jusqu'à ce jour, je garderai ce porte-bonheur de pingouin.''

L'homme sans visage a disparu.
Comme une bourrasque dissipe un brouillard, il s'est évaporé en un clin d’œil.
Seules la chaise et la table ont été laissées.
Le porte-bonheur de pingouin ne restait plus sur la table en verre.
Il me semblait que tout n'était qu'un rêve court.
Mais je savais bien que ce n'en était pas un.
Si c'était un rêve, ce monde entier où je vis le serait aussi.
Un jour, je pourrais faire le portait d'un rien.
Comme un peintre a pu achever une peinture qui s'intitule ''Assassinat du Commendatore''.
Mais j'ai encore besoin de temps.
Je dois mettre le temps de mon côté.