Je me trouvais seul avec la fille dans la chambre. Déconcerté, je me suis assis sur la chaise et j’ai essayé de réfléchir sur ce qui m’arrivait, mais ma tête était confuse et aucune idée ne me venait à l’esprit. Petit à petit, j’ai commencé à me rendre compte de mon erreur. J’ai également compris pourquoi la propriétaire parlait de façon hésitante et pourquoi tant de répétiteurs n’avaient pas tenu plus de deux semaines. J’ai levé la tête. La fille dormait toujours paisiblement. La propriétaire m’avait dit que sa fille était tombée dans le coma. Je pensais sans aucune raison qu’elle était guérie, mais qu’elle avait peut-être des séquelles. J’avais tort. Elle ne s’était pas réveillée. Elle n’est jamais sortie de son rêve infini. Elle était toujours dans le coma, ou ce serait plus simple de dire qu’elle était réduite à l’état végétatif.
En regardant son visage endormi, je me suis demandé ce que je pouvais faire maintenant. Les cahiers que j’ai apportés de chez moi ne servaient à rien. C’est comme si on apprenait les mathématiques à un arbre.
J’ai tué le temps en lisant un livre que j’avais trouvé dans l’étagère. J’avais perdu la sensation du temps et j’ai regardé mon portable. Quatre heures s’étaient déjà passées depuis que je suis venu ici. Pouvais-je rentrer sans le dire à la propriétaire ? J’ai pris mon sac et je me suis approché de la porte. Il semblait qu’il n’y avait personne à l’extérieur de la chambre. Au moment où j’ai mis ma main sur la poignée, la porte s’est ouverte soudain. Madame Alekhine se tenait là, un plateau dans ses mains.
« Les leçons vont-elles bien ? », m’a-t-elle demandé en posant deux thés sur la table.
« Euh… oui », ai-je menti. Je ne pouvais pas lui dire que j’ai passé quatre heures en lisant un livre.
« Qu’avez-vous fait exactement ? Comment trouvez-vous ma fille ?
- Je…je…je me suis juste présenté et je lui ai raconté un peu ce que j’ai fait à l’université. Et, je lui ai appris un peu l’anglais. Votre fille est très…adorable et très bien éduquée », ai-je bredouillé.
Madame Alekhine s’est tue pendant un moment. L’air rêveuse, elle semblait réfléchir à quelque chose.
« Que vous a-t-elle dit précisément ?
- Elle ?
- Lune ».
Cette fois, c’était moi qui suis resté silencieux. Pourquoi me posait-elle cette question ? Quelle intention avait-elle ? Évidemment, la fille ne disait même pas un mot. La fille était végétative. Le seul bruit qu’elle faisait, c’était la respiration paisible. J’ai regardé les yeux de mon interlocutrice. Ils étaient fixés sur moi. Les coins de ses lèvres étaient légèrement levés si bien qu’elle semblait sourire, mais c’était un sourire figé, comme un masque qu’on ne peut pas enlever.
« Lune…m’a dit qu’elle était ravie de me rencontrer, ai-je dit.
- Et ensuite ?
- Qu’elle voulait écouter des histoires…diverses histoires…des histoires tristes, joyeuses, émouvantes, effrayante…
- En avez-vous raconté une ?
- Oui, l’histoire d’une taxidermiste qui a empaillé son mari et son fils.
- Bien », a-t-elle dit, et elle s’est tue de nouveau. Elle semblait toujours réfléchir ou sinon perdue dans ses pensées. Au bout d’un moment, comme si elle s’était souvenue de quelque chose, elle a dit d’un air joyeux : « Prenez le thé. Il va refroidir ». J’en ai pris un, et elle aussi. Mais Madame Alkehine n’a pas bu son thé. Elle s’est levée et s’est approchée du lit. Elle a porté la tasse à la bouche de Lune. Des lèvres de la fille endormie coulait le liquide doré en trempant sa chemise de nuit blanche.
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