mercredi 28 février 2018

La définition du bonheur

 Je déteste boire du café instantané et me lever tôt. Jusqu’ici, je buvais toujours du café instantané car je pensais qu’ainsi, je n’avais pas besoin de cafetière. Mais mon désir de boire du vrai café chez moi l’a finalement emporté sur ma patience et j’en ai commandé une sur Amazon. C’est une cafetière bon marché qui n’a rien de spécial, mais suffisante pour faire du café normal.

 J’ai marché jusque chez le fleuriste pour recevoir ma cafetière. Il faisait incroyablement froid aujourd’hui. On sait tout de suite quand la température descend au-dessous du zéro, car on a mal comme si des milliers d’aiguilles invisibles nous piquaient la peau. Je pense que c’était la première fois que j’entrais chez un fleuriste en France. Il y flottait un parfum de fleur et il faisait chaud à l’intérieur. J’ai reçu mon colis, puis j’ai rebroussé chemin et je suis rentré chez moi.

 J’ai ouvert le carton et j’ai branché la cafetière. J’y ai mis un peu d’eau et du café moulu dedans. Dès que j’ai allumé la machine, elle a grondé comme un moteur. J’ai attendu en regardant les gouttes de café tomber les unes après les autres.

 Quelques minutes plus tard, j’ai versé du café dans ma tasse rouge. Une vapeur blanche s’en est dégagée et le parfum amer et doux du café s’est répandu dans la pièce. J’en ai siroté un peu et je me suis vaguement souvenu du mot du diplomate Talleyrand , « noir comme le diable, chaud comme l'enfer, pur comme un ange, doux comme l'amour ».

 Le café que j’ai goûté en lisant « Les Souvenirs d’Anne Frank » me semblait meilleur qu'à l'accoutumé. Si on me demandait la définition du bonheur, je répondrais que c'est ‘’de lire un livre qu’on aime avec un bon café chaud, un jour d’hiver glacial.’’

mardi 27 février 2018

Doppelgänger

 Il y a quelques jours, mon esclave, Ophélie, m’a dit qu’elle avait vu mon sosie dans la rue. Elle m’a dit que cet homme avait tout à fait le même visage, la même coupe, et portait le même manteau que moi. Ça ne m’a pas étonné car je trouve mon apparence physique assez banale. J’imagine qu’il y a plus de mille personnes au monde qui me ressemblent physiquement. Mais Ophélie ne m’a pas cru. Il ne faut pas toujours la prendre au sérieux car elle dit souvent ‘’non’’ automatiquement, avant de réfléchir. Cependant, je pense que cette personne ne me ressemblait pas à ce point. Pourquoi ? Parce que si elle était exactement comme moi, Ophélie aurait lui adressé la parole. Mais un clin d’œil lui a suffi pour comprendre que ce n’était pas moi.

  En allemand, il y a le mot ‘’Doppelgänger’’. ‘’Doppel’’ signifie ‘’double’’, ‘’gänger’’, ‘’celui qui marche’’. Ça veut donc dire ‘’son double qui marche’’. Au Japon, on dit que celui qui a vu son Doppelgänger meurt. Par exemple, il est notoire que l’écrivain Ryûnosuke AKUTAGAWA s’est suicidé quelques jours après avoir dit qu’il avait vu son sosie. Je dois donc essayer de ne pas rencontrer cette personne qui me ressemble. Mais si mon sosie débouchait soudain dans une ruelle où je flânais, je n’aurais aucun moyen de lui échapper.

 Aujourd’hui, je suis allé à la BNU pour emprunter un livre que j’avais demandé. « The Man In The High Castle » de Phillipe K Dick. En marchant vers l’accueil, je me suis rendu compte que l’une des trois bibliothécaires assises à la réception ressemblait beaucoup à Ophélie. Un instant je me suis même demandé ce qu’elle faisait là, alors qu’il y a quelques jours, elle m’a dit qu’elle était chez ses parents en Picardie pour fêter le quatre-vingt dixième anniversaire de sa grand-mère. Cette bibliothécaire portait des lunettes à monture d’argent, elle avait les yeux bleus et les cheveux blonds. J’ai eu peur, j’ai changé de direction et j’ai demandé mon livre à une autre bibliothécaire qui avait l’air plus gentille, assise à l’autre bout.

 Plus tard, j'ai envoyé un message à Ophélie pour lui dire que, moi aussi, j'avais vu son sosie. Elle m'a dit que selon une de ses amies, on voyait son sosie partout. Les "Doppelgänger" d'Ophélie prolifèrent peut-être en secret. Un jour, le monde serait rempli de femmes qui auront le même visage qu'elle.

lundi 26 février 2018

''Un chat nommé Peter'' Haruki Murakami


 Donner un nom à un chat n’est pas facile comme disaient les Anglais d’autrefois. Quand j’étais étudiant, j’habitais un appartement à Mitaka, et un jour j’ai ramassé un chaton mâle. À vrai dire, je ne l’ai pas vraiment ‘’ramassé’’. Une nuit que je rentrais de mon petit boulot, il m’a suivi en miaulant, et finalement il s’est installé chez moi. C’était un tigre marron : il avait de longs poils, ses joues étaient comme des favoris duveteux et il était mignon. Son caractère était plutôt difficile, mais il s’est bien entendu avec moi et nous avons vécu longtemps ensemble.

 Pendant longtemps, je ne lui avais pas donné de nom, car je n’avais pas besoin de l’appeler. Une nuit, alors que j’écoutais une émission de radio – je crois que c’était ‘’All Night Nippon’’ –, une auditrice disait dans une lettre : « J’avais un chat mignon nommé Peter mais il a disparu il y a peu de temps, et aujourd’hui je me sens vraiment seule ». À ce moment-là, je me suis dit : « Ah bon ! Alors, je vais nommer mon chat Peter ». C’était tout, donc ce nom n’avait pas de sens profond.

 Ce Peter était un chat indépendant. Quand je rentrais chez mes parents pour les vacances, il vivait tout seul en tant que chat errant ; dès que je revenais, il redevenait mon chat. Nous avons continué à vivre ainsi pendant des années. Je ne savais ni comment ni où il vivait pendant mon absence. Mais au fur et à mesure que je l'observais, j’ai compris qu’il se procurait de nourriture surtout par le vol et la chasse aux animaux sauvages. Ainsi, chaque fois que je rentrais chez mes parents pendant que l’université fermait ses portes, Peter redevenait un chat sauvage et viril.

 À cette époque-là, il y avait encore des traces du temps où ma ville était appelée Musashino, il y avait pas mal d’animaux sauvages aux alentours. Un matin, Peter est rentré en tenant dans la gueule quelque chose qu’il a jeté à mon chevet. Je l’ai regardé en marmonnant : « Tu as attrapé encore un rat », c’était en fait une petite taupe. C’était la première fois que je voyais une vraie taupe. J’imagine que Peter avait guetté toute la nuit devant le trou de la taupe et qu’il l’avait attrapée au moment où elle sortait. Puis il l’a prise dans sa gueule, et il est venu me la montrer l’air tout fier. J’étais désolé pour cette taupe, mais si je pensais aux efforts qu’avait fourmis Peter pour en arriver là, je devais lui caresser la tête et lui donner quelque chose de bon.

 À l’époque, le problème avec un chat, c’est que ma situation financière était très souvent précaire. Alors que moi, son maître, n’avais rien à manger, comment nourrir un chat ? Comme je n’avais pas le sens de l’argent (je ne l’ai toujours pas), je me trouvais complètement démuni à peu près une semaine par mois. Dans ce cas, je demandais souvent à des filles de ma classe de me prêter de l’argent. Mais même si je leur disais que j’avais faim, elles m’ignoraient en disant : « J’sais pas moi. Ça ne me regarde pas. », par contre, si je leur disais : « Je suis fauché et mon chat n’a rien à manger », la plupart d’entre elles avaient pitié de moi et me prêtaient un peu d’argent. En tous cas, c’est comme ça que mon chat et moi survivions malgré la pauvreté et la faim. Il m’arrivait même de partager un peu de nourriture avec lui. C’était effectivement une vie misérable, mais joyeuse.

 J’étais encore étudiant quand je me suis marié. Comme je menais toujours une vie précaire dans mon appartement, on a voulu que je vive chez mes beaux-parents. Mais ils géraient un magasin de literie. Son père m’a dit : «Il est hors de question que tu amènes un chat. Qu'est-ce qu'on ferait s'il y avait des poils sur mes marchandises ». Il avait raison. Comme je ne pouvais rien y faire, j’ai dû laisser Peter tout seul. Son indépendance était déjà prouvée. Même s’il était laissé seul, il ne mourrait pas.

 Par un sombre jour d’octobre, j’ai mis mes quelques meubles et ma collection de disques de jazz dans une camionnette. Dans ma chambre vide, j’ai donné des sashimis de thon à Peter. C’était notre dernier mets. « Je suis vraiment désolé, mais je vais me marier bientôt, et je ne pourrai pas t’amener chez ma copine », lui ai-je expliqué le plus clairement possible. Mais Peter était occupé à dévorer ses sashimis (c’est normal. Il n’en avait jamais mangé jusqu’ici). De plus, comme c’était un chat, il ne pouvait pas comprendre les circonstances délicates de la vie de son maître.

 Une fois son repas terminé, en laissant Peter qui ne cessait de lécher sa gamelle, j’ai quitté mon appartement en camionnette. Pendant un certain moment, ma femme et moi demeurions silencieux. Au bout d’un moment, elle m’a dit : « C’est bon. Emmenons ce chat chez nous. Je vais arranger ça ». Nous avons tout de suite rebroussé chemin et j’ai tenu dans mes bras Peter qui pensait encore au thon dans un état second. Je me rappelle qu’il était déjà adulte et qu’il était très lourd. J’ai serré mon visage contre sa joue. Son poil était mou comme celui d’un plumeau.

 Au début, mon beau-père montrait son désaccord total en disant : « Mon Dieu, comment tu as osé amener un chat ! C’est pas possible ! Va l’emmener au loin ! », mais il semblait qu’il ne détestait pas les chats au fond. En fin de compte, il a commencé à choyer Peter en cachette. Devant moi, il lui donnait un coup de pied sans raison, cependant, au matin, quand personne n’était là, il caressait sa tête et lui donnait à manger. Même lorsque Peter a pissé sur un futon pour le mariage, sans se plaindre (ou juste un peu) il en refabriquait un autre. C’était un homme un peu excentrique et dur qui n’était même pas allé à l’école primaire (ce n'est pas une expression discriminatoire. Je trouve ça cool à notre époque, vous ne trouvez pas ?), toutefois il était droit comme c'était un Tokyoïte de naissance.

 Mais malheureusement, je n’ai pas pu garder Peter chez lui jusqu’à la fin. Peter était un chat qui avait grandi à la campagne et qui savait parfaitement vivre librement, il n’était pas fait pour vivre dans une rue marchande de l’arrondissement de Bunkyô. S’il avait faim, il s’introduisait dans la cuisine d’une maison voisine et il tenait de la nourriture dans sa gueule sans aucune hésitation. Des femmes du quartier se sont souvent plaintes auprès de nous : « Votre chat a volé à nouveau mon chinchard » etc. Chaque fois que cela nous arrivait, nous devions les rembourser ou nous excuser (celui qui s’excusait le plus souvent était le père de ma femme). Mais Peter ne comprenait pas en quoi ces actes étaient mauvais. Il ne comprenait pas pourquoi il était grondé. C’était un chat qui avait appris comment survivre, et c’était un style de vie tout à fait correct pour lui. De plus, pour ce chat libre qui avait grandi en capturant des taupes sur les terres de Musashino, la vie dans une rue marchande entourée de béton et de routes était suffocante et stressante. Finalement, il a changé et il pissait partout. C’était très embêtant, franchement.

 Ainsi, nous avons été obligés de nous séparer de Peter. Un ami qui vivait dans la campagne de Saitama l’a accueilli. J’étais triste de lui dire au revoir, mais comme cet ami m’avait dit : « Tout près de chez moi, il y a une grande forêt et il y a beaucoup d’animaux. Je pense que ton chat pourra mener une vie heureuse dans cet environnement », je me suis dit que c’était mieux pour lui et j’ai décidé de le lui donner. Pour notre denier jour ensemble, je lui ai offert à nouveau des sashimis de thon.

 D’après ce qu’on m’a dit, il semble que Peter a mené une vie nonchalante et heureuse dans sa maison de campagne. Tous les matins, il partait dans la forêt après le petit déjeuner, il y jouait tout son soûl et il rentrait par la suite. J’ai pensé que c’était une vie idéale pour lui. Il a vécu ainsi pendant des années, et un jour, enfin, Peter n’est jamais revenu.

 Encore aujourd’hui, je pense de temps en temps à Peter, chat mâle et sauvage qui a disparu tranquillement dans la forêt. Lorsque je pense à Peter, je me souviens de l’époque où j’étais encore jeune, pauvre et téméraire, et que je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire. Je me rappelle aussi des nombreux garçons et filles que j’ai rencontrés. Où sont-ils aujourd’hui ? En tous cas, l’une de ces personnes est mon épouse et maintenant elle me crie de là : « Hé ! Je t’avais déjà dit de fermer l’armoire après l’avoir ouverte ! »

''Sais-tu si « miaou » est une exclamation ou un adverbe ?''

 Les livres ennuyeux renfrognent le lecteur. D'autre part, certains livres sont capables de le faire pleurer. Et il y a aussi des livres qui font sourire les gens.

 C’est difficile de faire rire quelqu’un avec un simple texte. Par exemple, je trouve que les romans de Dostoïevski sont souvent drôles. Dans « Les frères Karamazov », j’ai ri en lisant le passage où Dmitri bat Fiodor à cause d'un malentendu. J’ai entendu dire que lorsque Kafka a lu à haute voix « La métamorphose », le public a ri. Quand on y pense, l’absurdité de certaines œuvres de Kafka ont effectivement quelque chose qui incite à rire.

 Personnellement j'aimerais compter aussi Natsume Sôseki parmi ces grands écrivains qui avaient un sens de l’humour raffiné.

 « Je suis un chat » de Natsume Sôseki est l'une des œuvres les plus amusantes de l'auteur. D’abord, le fait que l’histoire est racontée du point de vue d’un chat est singulier. Ce chat sauvage nom s’introduit dans la maison d’un professeur d’anglais Kushami dont le modèle est Sôseki lui-même et l'animal fait la réflexion suivante sur le métier de son maître.

« Tout chat que je sois, il m’arrive de penser : un professeur a vraiment une vie heureuse. Si je renaissais en homme, je voudrais n’être que professeur. Si on peut occuper un emploi en dormant autant, un chat aussi en est capable. Et malgré cela, d’après mon maître, il n’y a rien de plus pénible que ce métier de professeur, et chaque fois que ses amis viennent chez lui, il grogne sur une chose ou une autre ».

 Sôseki était maître du poème chinois classique et du haiku, mais les multiples références des écrivains occidentaux nous permettent de comprendre qu’il lisait beaucoup la littérature européenne. Le nom de Zola et de Sainte-Beuve apparaît dans un dialogue du professeur Kushami et de son épouse.

« - Et qu’y a-t-il de si terrible à quelques grognements d’écoliers ou de professeurs ? Sainte-Beuve, un des plus grands critiques que ce monde ait portés, faisait des cours très impopulaires à l’université de Paris, et quand il sortait il avait toujours un couteau dans sa manche pour se protéger des étudiants. D’autre part, quand Brunetière a attaqué Zola, toujours à l’université de Paris…… 
- Oui, oui, mais tu n’es pas professeur d’université. Tu ne fais qu’expliquer un livre de lecture anglais et tu n’as pas à te comparer à ces géants. On dirait un goujon qui veut nager avec une baleine. Cela ne peut que te rendre encore plus ridicule. 
- Tais-toi donc ! (…) »
 C’est vrai que lorsque Sôseki a créé la série de « Je suis un chat », il venait de débuter en tant qu’écrivain assez tardivement, à l'âge de trente-huit ans. Mais en tant qu’admirateur de Sôseki, je voudrais dire qu'il n’a rien à envier à Zola ou à Sainte-Beuve.
 Et du coup, à l'époque de Zola et de Sainte-Beuve, donner des cours ennuyeux risquait de pousser les étudiants à le poignarder. Sur ce point-là, je pense que certains professeurs de mon université ont de la chance car ils n'ont pas besoin de porter un couteau sur eux.

 Au milieu de l’histoire, une dame au gros nez apparaît et sa description hyperbolique, un peu méchante m'a fait rire.

« On dirait qu’elle a volé le nez de quelqu’un et se l’est planté sur la figure. Il est très impressionnant, comme si on avait placé les grosses lanternes de pierre du temple Yasukuni dans un jardinet de dix mètres carrés, et ne semble pas se trouver à l’aise sur le visage. C’est un nez en bec d’aigle, qui a commencé un jour à s’élancer très haut, puis, pensant qu’il dépassait la mesure, s’est ravisé, a perdu son énergie première dans sa course puis est venu plonger vers les lèvres qu’il regarde maintenant de très près. C’est un tel phénomène qu’il serait plus exact de considérer que lorsque cette femme dit quelque chose, ce n’est pas sa bouche qui parle, mais bien plutôt son nez qui ouvre la bouche. Par respect pour ce grandiose monument, je décide d’appeler cette femme Hanako, Mme Nez. »

 C’est une description incroyable. Qui pourrait dépeindre un nez d'une telle manière à la fois si humoristique et poétique ?

 Ainsi, ça se voit que Sôseki était quelqu’un qui avait le sens de l’humour. Cependant, il avait beaucoup de problèmes en réalité. Certains spécialistes disent qu’il souffrait d’une forte dépression. D’autres disent qu’il était victime de trouble bipolaire. D’autres se demandent s’il n’était pas légèrement schizophrène d'après les anecdotes suivantes :
 « Quand il vivait à Londres, il a donné une pièce de monnaie à un mendiant dehors. Après être rentré chez lui, il a vu qu’il y avait la même monnaie sur le bord de la fenêtre des toilettes. Il a cru que la propriétaire de l’appartement l'a mise là pour le harceler. »
« Au Japon, quand il s’installait devant un brasero avec sa famille, il a remarqué qu’il y avait de la monnaie sur le bord. Il s’est souvenu de ce dernier incident et il a battu sa fille de trois ans au cours d’une crise. » 
 Cet épisode était réalisé dans la série « Natsume Sôseki no tsuma (L’épouse de Natsume Sôseki)’’ »

« Il croyait que l’étudiant qui vivait devant chez lui était un détective qui le surveillait »
« Avant le petit déjeuner, il se penchait à la fenêtre de son bureau et criait fort à ce malheureux étudiant : ‘’Ohé ! Monsieur détective ! À quelle heure tu vas à l’école ?’’, ‘’Monsieur détective, dis à quelle heure tu vas sortir !’’ »
« Il a écrit sur une table : ''Les gens autour de moi sont tous fous.’’ »
  Mais en réalité, le fou était Sôseki lui-même. Le fou est fou parce qu'il ne sait pas qu'il est fou.
« Il a cru que l’âme d’une femme qu’il avait vue seule une fois dans sa jeunesse s’était réincarné en une actrice. » 
 Cette anecdote est romantique. Elle me rappelle « Dix Nuits de Rêves » de l'auteur.

 Je suis désolé pour Monsieur Natsume, mais ces épisodes m'ont fait un peu rire. Comme il est mort il y a plus de cent ans, c’est difficile de déterminer quelle était sa maladie. Je ne suis pas spécialiste, mais c’est vrai que ces délires de persécutions semblent typiquement ceux d’un schizophrène. D’autre part, avoir des délires ne veut pas dire forcément être schizophrène, puisqu’il y a quand même d’autres artistes qui manifestaient des symptômes semblables et qui n’étaient probablement pas schizophrènes. Jean-Jacques Rousseau et Ludwig Van Beethoven, par exemple. J’ai l’impression qu’au niveau de la personnalité, Beethoven et Sôseki avaient quelque chose en commun. Ils souffraient tous les deux d’ulcère de l’estomac chronique. Ils étaient très colériques et avaient des troubles mentaux. (On dit aussi qu'ils avaient tous les deux des traces de varioles qui sont invisibles sur leurs portraits). Ça me paraît difficile de comparer la musique et la littérature, mais ne trouvez-vous pas par exemple, qu’il y a quelque chose de proche entre les derniers quatuors à cordes de Beethoven et « L’oreiller d’herbe » de Sôseki ?

 On sait que Sôseki avait écouté Chopin et Dvořák de son vivant, toutefois on ne sait pas s'il connaissait Beethoven. Avait-il eu l'occasion d'aller à ses concert lors de son séjour à Londres ? J'espère qu'il l'avait écouté et que son art lui avait plu.

''Natsume Sôseki, résidant à Londres, écrit une lettre relatant son expérience de Noël à son épouse Kyôko'' (Le calendrier Sôseki)

 

 À la même date qu’aujourd’hui, il y a cent seize ans, le 26 décembre 1900 (33 de l’ère Meiji), Sôseki, trente-trois ans était à Londres en Angleterre.

 Le XIX siècle allait se terminer dans quelques jours. Le nouveau siècle arrivait bientôt. La nuit tombée, dans la chambre de son appartement, son regard tomba naturellement sur une enveloppe qui était posée sur la table. C’était une lettre qui venait d’arriver du Japon la veille.

 L’expéditrice était son épouse, Kyôko. La lettre qu’elle avait envoyée le 17 novembre avait traversé l’océan et était arrivée le 25 décembre par hasard. Le fait qu’une des rares lettres de sa femme était arrivée le jour de Noël apporta de la joie dans le cœur de Sôseki.

 À cette époque-là, le mot « Noël » était déjà connu au Japon. Cependant, ils ne savaient pas ce que c'était en réalité dans une tradition européenne. Sôseki s’informa sur Noël auprès de la propriétaire et des femmes au foyer de son appartement et il en fit l’expérience.

 Sôseki prit la plume, et en écrivain la réponse à Kyôko, ne manqua pas d'en parler. .
« Aujourd’hui, c'est le jour de l'événement important appelé ‘’ Noël’’ qui est semblable au premier jour de l’an au Japon. On décore la maison avec un sapin vert et tous les membres de la famille s’y réunissent pour dîner ensemble. Hier, on m’offrit un copieux repas de ‘’canard’’ à l’appartement. »
 En Europe, c’est le jour où un met un sapin de Noël dans la maison, on dîne avec la famille en remerciant Dieu, et on passe un moment à la fois paisible et présomptueux.  On lui avait servi du canard au lieu de la dinde, était-ce par rapport au goût des femmes au foyer de l’appartement ou était-ce à cause de la situation du budget familial ?

 Sôseki décida d’écrire aussi à son meilleur ami, Shiki MASAOKA. Pour Shiki qui aimait le voyage, il choisit une carte postale qui représentait l’ambiance joyeuse de Londres et il remplia le blanc avec de petits caractères.
« Comment va votre maladie ? Je continue mes recherches en banlieue qui est tout comme Fukugawa de Tokyo. Je voudrais acheter des livres, mais un livre coûte souvent plus de trente ou quarante yens et je n’ai aucun moyen de m'en procurer. J’imagine que là-bas, la ville est animée car nous sommes à la fin de l’année et bientôt le nouvel an. Ici, je fis pour la première fois l’expérience de ‘’ Noël’’ en Angleterre hier. »
 Sôseki y ajouta également des haikus qui représentaient ses sentiments lors de Noël et du nouvel an à l’étranger :
« On décore, le sapin de Noël, pour le bonheur » 

« Sans toso, le printemps sans ivresse, qui est manquant »
 Cette carte postale arriva à Shiki le 14 février de l’année suivante. Shiki, malade, qui ne pouvait même plus marcher s’en réjouit si vivement qu’il faillit verser des larmes, en regardant la photo représentée et les caractères.

Toso (alcool de riz épicé que l'on boit au nouvel an)


dimanche 25 février 2018

Patience, patience !

 Hier, j’ai parlé pour les six mois suivants. J’ai donc décidé de ne pas parler pendant six mois à partir d’aujourd’hui.

 Ce matin, je suis allé voir le gros chat, Patience. Le petit chat, Mimi n’était pas là. Le premier était en train de manger. Je l’ai observé pendant qu’il prenait son petit déjeuner. Il mangeait quelque chose qui ressemblait à du thon. Ça avait l’air bon. J’aurais voulu partager son repas, mais je me suis contenté de le regarder.

 Quand il a eu fini, il est venu vers moi, et a miaulé comme d’habitude. Le gardien d’aujourd’hui, un homme qui parle français avec un petit accent m’a demandé si j’aimais les chats. J’ai acquiescé dans une langue humaine. Il m’a ensuite demandé d’où je venais. Parfois, je mens que je suis russe d’origine japonaise, mais aujourd’hui je lui ai dit honnêtement que je venais du Japon.

 Quelques minutes plus tard, le gardien a sifflé doucement.

« Mya ! », a dit Patience.

 L’homme a sifflé de nouveau.

« Mya ! », a dit Patience.

 Il a sifflé encore, pour la dernière fois.

« Mya ! », a dit Patience.

 Je lui ai adressé un sourire d’admiration. Il a eu l’air content.
 Puis le gros chat s’est tourné vers moi, et m’a dit : « Mya ! » 

samedi 24 février 2018

''Je ne veux pas d'ami. Meurs'' Shinsei Kamattechan


Il y a quelqu’un que je veux tuer avec un fusil de chasse et en faire un ragoût.
Je suis obligé de faire semblant d’être ami avec les gens pour garder les règles de la classe.
À 2 heures de l’après-midi, chez le psychiatre.
Tu es avec ta famille.
Dans la salle d’attente, nous sommes tous blancs.

Eh, sérieux ?
Quand on arrive à dire ça, on est ami ?
Eh, sérieux ?
Quand on arrive à dire ça, on est ami ? On est ami ?

Je me sens un peu bizarre récemment.
Je ne sais plus ce que je dois faire.
Je ne veux pas d’ami.
Les gens de ma classe sont tous dégueulasses.

À 2 heures de l’après-midi, chez le psychiatre,
Tu es avec ta famille.
Dans la salle d’attente, nous sommes tous blancs.

Eh, sérieux ?
Quand on arrive à dire ça, on est ami ?
Eh, sérieux ? Vraiment ? Tu te plains !?
Le paysage qu’on voit souvent pendant les pauses.
Eh, sérieux ?
Quand on arrive à dire ça, on a des amis ?

Je vis quand même en faisant retentir un tambourin.
Tu t'es aussi pendu avec un tambourin.
À 2 heures de l’après-midi, je vais chez le psychiatre en voiture avec ma famille.
J’ai ouvert la fenêtre et j’ai dit : « Le ciel d’automne est très beau ».

Eh, sérieux ?
Quand on arrive à dire ça, on est amis ?
Eh, sérieux ? Vraiment ? Tu te plains !?
Le paysage qu’on voit souvent pendant les pauses.

Eh, sérieux ?
Quand on arrive à dire ça, on est amis ?
Je vis quand même en faisant retentir un tambourin.
Toi, tu t’es pendu avec un tambourin.
Tu t’es pendu avec un tambourin.
Tu es finalement mort.

‎À l'avenir, mon travail sera de liker les selfies des filles moches que personne ne ''like''.

 Hier en sortant de ma chambre, j’ai croisé mon voisin. Il m’a dit qu’il avait quelque chose à me dire. Toutefois il était déjà sept heures trente, et je n’avais pas le temps. Il m’a dit qu’il m’en parlerait dès que je rentrerai. 

 Parfois, il m’arrivait de pousser des cris bizarres lorsque le stress atteignait son comble. J’ai pensé que mon voisin allait m'en avertir était arrivé. 

 Inquiet, j’ai passé le test de lecture des Mille et Une Nuits, mais j’ai fait plusieurs erreurs idiotes. Comme je ne m’étais pas encore habitué aux noms arabes, je remplaçais certains noms de personnages par des noms japonais dans ma tête, tels que Sasaki, Yamada, Yoshida etc. Je ne savais donc plus quels personnages étaient le sujet de certaines questions. Baba-Abdahalla, était-ce Sasaki ou Yoshida ou Yamada ? Je ne savais même plus s'il s'agissait d'une femme ou d'un homme. 

 Dans le couloir s'était affiché le résultat du semestre telle la proscription romaine. J’ai constaté que j'ai validé mon semestre sans problème mais ma note de littérature française était catastrophique, ce qui baissait ma moyenne générale. Honnêtement, j’ai même l’impression que certains professeurs de littérature française sont sadiques et qu’ils choisissent exprès des livres extrêmement ennuyeux pour nous torturer. Je me rappelle que mon professeur de littérature française souriait souvent tout seul pendant le cours. Il devait être content de regarder ses étudiants souffrir. 

Le pianiste sans bras

 Un ami s’est inquiété car je suis isolé à l’université et il m’a invité à une réunion avec des Japonais. Comme je n’avais parlé à personne sauf avec les caissiers du supermarché en 2016 (‘’Bonjour’’, ‘’Au revoir’’), mon vœu pour cette année est de communiquer avec des êtres humains. De plus, mon psychiatre m’avait également conseillé de discuter avec des gens (Je viens chez toi car je n’arrive pas à faire ça !).

 Je pensais à rester à côté de mon ami. C'est l’une des rares personnes de l’université avec qui j’ai parlé, mais lui, il a beaucoup d’amis et il est très sociable, si bien qu’il s’occupait d’autres personnes et que je me suis retrouvé entre deux Japonaises inconnues. Je n’aime pas être entre deux personnes car si elles enfonçaient des couteaux dans mon ventre des deux côtés, je succomberais certainement. De plus en plus angoissé, je ne pouvais plus penser clairement. J’avais mal à l’estomac et ma vue se brouillait. Au bout d’un moment, l’une des Japonaises assise à côté de moi m’a adressé la parole. Elle avait une voix extrêmement aiguë comme un personnage d’animé. J’ai répondu quelque chose. La conversation n’a duré que trois secondes. Une atmosphère embarrassée s’est installée entre nous et quelques instants plus tard, elle s’est mise à parler avec sa voisine française. J’avais la nausée. J’ai eu envie de rentrer chez moi et de regarder la nouvelle série de Gundam. À ce moment-là, j’ai décidé de me réfugier dans la rêverie, et de tenir jusqu’à ce que cet enfer prenne fin.

 Lorsque je panique ou que je n’arrive pas à gérer mes émotions, je m’enfuis dans le palais que je construis dans mon esprit. Suite à plusieurs agrandissements, il devient de plus en plus labyrinthique et difforme. Un vieillard, une petite fille et un pingouin y vivent ensemble. 

 Plusieurs minutes plus tard, j’ai entendu quelqu’un m’appeler. Je suis sorti de mon palais et j’ai levé la tête. Mon ami me demandait si j’allais bien. Je lui ai répondu que j’allais bien mais j’avais peut-être l’air malade. Il m’a dit de venir à côté de lui.

 J’ai ainsi quitté les deux Japonaises. Cette fois, je me suis mis à côté de mon ami et d’une autre Japonaise. J’étais immobile car je n’avais pas réussi à gérer mes émotions. C’est comme un ordinateur. Quand il y a trop de procédures, CPU craque et l’écran se fige. Parfois, les émotions qui n'ont pas été gérées se transforment en larmes. Quelques minutes plus tard, la Japonaise a peut-être eu pitié de la misérable bête à figure humaine que j’étais, et m’a posé une question :

« Qu’est-ce que tu fais le week-end ? »

 À mon grand soulagement, c’était une question à laquelle je pouvais répondre facilement.

« Je m’enferme dans ma chambre et je dors toute la journée ! », ai-je répondu sans hésitation.

 Elle me regardait d’un air intrigué mêlé de mépris. Puis, elle m’a posé une autre question :

« Alors pourquoi tu es venu en France ? »

 Le palais dans mon esprit s’est effondré d’un coup.


 Pendant ce temps, des Japonais qui maîtrisaient le français moins que moi parlaient joyeusement avec des Français. J’ai compris petit à petit que je perdais ma place qui n’avait sans doute jamais existé. J’ai eu l’impression que le sol sur lequel je me tenais s’effondrait sur mes pieds.

 Maintenant je n’avais plus personne avec qui parler. Cela m’a rappelé que j’étais ‘’défectueux’’ mais en même temps j’étais soulagé car au moins je ne décevais plus personne. Je suis allé m'asseoir sur une chaise dans un coin, et je me suis mis à lire la suite de ‘’1Q84’’. J’ai relu plusieurs fois le passage où l’homme au crâne rasé parle de Carl Jung. Dans le livre, on dit qu’il a construit tout seul une maison simple et mystérieuse en accumulant des pierres. Après l’avoir achevée, il a gravé sur un mur « Qu’il fasse froid ou non, Dieu est ici ». J’ai répété cette phrase dans ma tête. Je ne comprends pas ce qu’elle veut dire, mais elle a en effet ‘’une sonorité intrigante’’ comme dit l’homme au crâne rasé.

 Ce soir, je ne peux m’empêcher de penser qu’il me manque vraiment quelque chose que les autres possèdent de naissance. Si j’allais chez le psychiatre la prochaine fois, je lui demanderais si, pour moi, essayer de communiquer avec les autres n’est pas comme si une personne sans bras tentait de jouer du piano. 

vendredi 23 février 2018

Les Parisiennes vs une Japonaise

 Dans ‘’Mishima Yukio Letter Kyôshitsu (La classe de lettres de Yukio Mishima)’’ que j’ai emprunté à la bibliothèque il y a longtemps, il y a un passage où un des personnages compare les Parisiennes et une Japonaise. Ce livre est intitulé « La classe de lettres », mais en réalité, il s’agit d’un roman épistolaire divertissant de l’auteur du ‘’Pavillon d’or’’. Les livres disons ‘’mineurs’’ d’un auteur ne sont souvent pas traduits en langue étrangère, toutefois ce sont ces œuvres ‘’moins importantes’’ qui permettent de découvrir les dimensions dissimulées d'un écrivain.

 J’aimerais essayer d’en traduire un passage. Comme c’est une fiction, Mesdames, françaises et japonaises, je vous prie de ne pas en prendre ombrage. D’ailleurs, je n’en suis pas l’auteur. Si vous voulez vous plaindre, voici, l’endroit où l’auteur repose : Cimetière de Tama : 4 Chome-628, Tamacho, Fuchu, Tokyo, Japon.

Lettre que Tobio YAMA envoya à Mamako KORI au cours de son voyage il y a longtemps.   
 Maintenant, je suis à Paris. D’un vieil hôtel tranquille qui s’appelle ‘’Hôtel Iéna’’, près du palais de Chaillot, en regardant le ciel gris tourbillonnant mélancoliquement à travers les arbres hivernaux que reflète la fenêtre, j’écris cette lettre en me souvenant de votre visage.  
 Mais je n’insinue pas que votre visage est morose, au contraire, j’essaie d’oublier l’hiver sombre de Paris en songeant à votre visage lumineux.  
 J’ai déjà vu deux ou trois modélistes de premier rang ; j’ai assisté aussi à plusieurs présentations d’une collection de mode. Même si je m’habille chaudement, il fait si froid que j’ai du mal à marcher cinquante mètres. Je pense que les gens d’ici qui marchent d’un air indifférent sont presque comme les Esquimaux. 
 J’ai essayé de comparer les dames d’ici et vous.  
Vous : 
1.        Beauté 9 
2.        Dignité 9  
3.        Coquetterie 0 
4.        Gentillesse 10 
5.        Élégance 9 
6.        Folie 9 
7.        Innocence 10 
Total : 56  
Parisiennes 
1.        Beauté 8 
2.        Dignité 10 
3.        Coquetterie 10 
4.        Gentillesse 0 
5.        Élégance 9 
6.        Folie 9 
7.        Innocence 0
Total : 46  
 Et donc, vous avez gagné de dix points, mais je vous prie de comprendre que je suis plus ou moins indulgent envers vous à cause du mal du pays. 
 J’ai vu ‘’La Veuve joyeuse’’ au théâtre Mogador et je me suis souvenu à nouveau de vous. J’ai eu envie que nous l’admirions ensemble.

 J'apprécie le critère ''Folie''. Le grand écrivain savait donc que 'la folie rend les femmes plus séduisantes. J’ai aussi pensé à comparer les Strasbourgeoises et les Japonaises, mais pour l'instant, je me contente de dire que je suis assez malin pour éviter les problèmes inutiles.

jeudi 22 février 2018

Le jour de Sôseki


 Aujourd’hui (le 21 février), c’était le jour de Natsume Sôseki au Japon. Toutefois, je ne savais pas qu'il y avait un tel jour. Je pense que la plupart des Japonais ne le savent pas non plus. J’ai trouvé cette information par hasard en naviguant sur Internet. Il semble que c’est le jour où Natsume Sôseki avait poliment refusé le doctorat de littérature que lui proposait le gouvernement japonais. Il avait envoyé une lettre disant : « Jusqu’à aujourd’hui, j’ai toujours vécu juste comme un Natsume et rien de plus. Je souhaiterais donc continuer à vivre juste comme un Natsume. ». Sôseki était sans doute quelqu’un qui aimait vivre librement, comme un chat.

 Pendant l’examen de linguistique diachronique, après avoir répondu à toutes les questions, j'ai regardé dans le vide les mains sur les genoux. Au bout d’un moment, le professeur est venu à côté de moi. Il a pris ma copie. J’ai observé son visage. Au début, il n’avait aucune expression, mais en transperçant ma copie du regard, il a petit à petit froncé les sourcils. J’ai été pris d’angoisse. Je me suis demandé si j’avais fait de grosses bêtises. Au bout de quelques instants, il a reposé ma copie et m’a chuchoté en partant : « C’est pas mal… Vous avez à peu près dix-neuf ». Je connais donc déjà ma note bien que le résultat ne soit pas encore affiché.

 Après ce cours, je suis allé à la bibliothèque de japonais. La bibliothécaire était toute seule. J’ai choisi sans aucune hésitation « Je suis un chat » (j’avais l’intention de le lire pendant les vacances depuis longtemps). L'air fier, j’ai dit à la bibliothécaire que c’était le jour de Sôseki aujourd’hui.

« Il y a un jour de Sôseki au Japon ? m’a-t-elle dit.
- Oui, c’est aujourd’hui ! Avez-vous déjà lu ses livres ?
- ‘’Sanshirô’’ et ‘’Botchan’’. C’est un très bon auteur. »

 J’avais déjà parlé plusieurs fois avec elle car le thème de son mémoire est une femme écrivain que j'aime bien. Elle connait mon nom, mais je ne connais pas le sien. Tu es une bibliothécaire, tu n’as pas encore de nom, ai-je murmuré dans ma tête. 

mercredi 21 février 2018

Music when the lights go out

 Demain mon esprit va s'effondrer comme un château de sable. J’ai mal à l’estomac ; j’ai de l’eczéma sur les mains. Mon QI a baissé jusqu’à deux (c’est la même intelligence que les algues qui flottent sur la mer), et je n’arrive pas à comprendre ce que les gens me disent. Une fille m'a dit quelque chose. J'ai répondu. Elle a fait une drôle de tête. AI-je dit quelque chose qu'il ne fallait pas dire ?

 Aujourd’hui, pendant un cours, le professeur a interrogé chaque étudiant. Alors que j’étais en train de dessiner, mon tour est venu, mais j’avais oublié comment parler et je n’ai rien pu dire. Quelqu’un derrière moi a répondu à ma place et j’ai continué à dessiner. Ce que je dessinais ? C'est un secret.

La crise au temple de Shuzenji ! Natsume Sôseki vomit énormément de sang et se trouve entre la vie et la mort. (Le calendrier Sôseki le 24 août)

 À la même date qu’il y a cent six ans, 44 de l’ère Meiji (1910), le 24 août, Sôseki, quarante-quatre ans séjournait à l’auberge Kikuya du temple Shuzenji à Izu. Après l’internement à l’hôpital pour un ulcère à l’estomac, Sôseki était venu pour une cure de plein air. C’était le dix-neuvième jour de son séjour.

 Ce jour-là, Sôseki avait mal à l’estomac depuis le matin. Sa mine était toute pâle comme du papier. Dans la soirée, Kyôko qui était venue de Tokyo lui fit boire du lait. Le gastro-entérologue, Tôzô SUGIMOTO arriva aussi de Tokyo et il examina Sôseki. Rinzô MORINARI, qui était venu au temple plus tôt et qui vient du même hôpital, restait aussi à ses côtés.

 À ce moment-là, l’état de Sôseki avait l’air relativement stable. Une fois la consultation terminée, les médecins se sont retirés dans leurs chambres pour prendre un bain et pour dîner. Kyôko alla à côté de Sôseki pour demander s’il allait bien. Ce dernier grimaça de douleur.

« Vous vous sentez mal ? » demanda Kyôko.

 Évidemment, elle s’inquiétait pour lui, mais quand on est malade, il est difficile de répondre. Sôseki pensa sans doute : « Laissez-moi tranquille ». Les malades sont souvent comme ça. Sôseki lui répondit brutalement :

« Allez-vous en, s’il vous plaît. »

 Et Sôseki, qui était couché sur le dos, cracha du sang au moment où il essaya de se retourner vers la droite.

 Dans un tel cas, Kyôko avait du courage. Sans paniquer, en soutenant le corps de Sôseki, elle cria pour appeler les servantes qui étaient dans le couloir, puis elle leur demanda de rappeler les médecins. Pendant ce temps, dans les bras de Kyôko, Sôseki ne cessa de vomir du sang. Le dessous de la poitrine de son Kimono se teignit entièrement de rouge.

 Les médecins arrivèrent immédiatement.

 Sôseki avait perdu conscience et il allait mourir. Les médecins enchaînèrent les piqûres de camphre pour le sauver. Comme il ne reprenait pas conscience, ils les prodiguaient les unes après les autres. Le nombre total de piqûres dépassa finalement seize. Au bout du moment, les médecins arrêtèrent de compter.

 Trente minutes plus tard, comme s’il passait par la porte de la mort qui se refermait, Sôseki reprit conscience. Mais il était toujours en danger. En prenant le pouls de leur patient, les médecins murmurèrent :

« Très faible »
« Il n’y a pas d’espoir »
« Si on appelait ses enfants ? »

 Sôseki écoutait leur conversation d’un sentiment étrangement calme.
 Entre la vie et la mort, une certaine paix, comme s’il s’était débarrassé de ses souffrances quotidiennes d’un coup, sombrait au fond de son corps affaibli jusqu’au bout.

Le mot de Sôseki du jour :

« Je perdis une quantité énorme de sang d’un coup, j’erras entre la vie et la mort » ‘’Omoidasu Koto Nado’’(Les mémoires aléatoires)

mardi 20 février 2018

Rinjirô et Tarô


 Ici, il y a un tableau représentant un chat qui dort paisiblement. Le peintre s’appelle Rinjirô HASEGAWA. C'était un homme qui menait une vie solitaire.

 Le peintre a consacré six ans à la composition de ce tableau dont le modèle était son chat, Tarô.

 Au début, Rinjirô n’avait pas l’intention de peindre Tarô. Pendant qu’il le regardait dormir dans son atelier, l’idée lui en est venue.

 Il a étalé une étoffe rouge sur une petite table. Il s’est mis à peindre Tarô qui dormait dessus.

 Tarô était un modèle idéal qui ne bougeait point. Le lendemain, le peintre a mis Tarô endormi sur la petite table, le chat a pris la même pose que la veille. Cependant, le mois suivant, Tarô avait changé. Il faisait plus frais et il roulait sur lui-même.

 L’artiste a attendu l’année suivante à la même époque pour recommencer à le peindre. Tarô a pris la même pose que l’année précédente et le peintre a enfin presque achevé son œuvre.

 Quand on lui a fait remarquer que ce chat n’avait pas de moustaches, on était déjà au printemps. Rinjirô a de nouveau attendu le retour de l’hiver.

 Mais Tarô est tombé malade. Il ne pouvait plus prendre la même pose. Le lustre de son pelage a disparu, il s’est progressivement affaibli. Un jour, il s’est endormi pour toujours. Après sa mort, Rinjirô a ajouté des moustaches au modèle en pensant à l’époque où Tarô était vivant. 

Just Like Heaven

 J’étais terriblement déprimé aujourd’hui et je n’ai pas pu me concentrer sur les cours. Je sais quand je déprime car mon cerveau chauffe comme un moteur et j’ai l’impression de rêver éveillé. Parfois j’ai aussi envie de me détruire. Dans ce cas-là, le plus souvent, j’écoute de la musique et j’essaie de me concentrer sur tous les sons que j’entends.

 Je suis défectueux. Si j’avais été une pièce de machine, j’aurais déjà été jeté comme une ordure. Mais comme je suis un être humain, je suis obligé de vivre bien que j'aie cessé de fonctionner depuis longtemps. Je suis sûr que je ne serai jamais heureux. Je préfère encore qu’on m’interne dans un hôpital psychiatrique toute ma vie. La naissance est l'origine du mal comme dit Cioran.

 Pendant l'examen d'anglais (nous devions écrire un essai sur ''Les neiges du Kilimanjaro'' de Hemingway), ma voisine m’a demandé si elle pouvait utiliser mon ruban correcteur. J'ai dit oui. Elle l'a beaucoup utilisé et l'a finalement épuisé. Je souhaite qu'elle tombe sur un caca de chien dans la rue.

lundi 19 février 2018

''Le 29 novembre, Monsieur et Madame Natsume sont stupéfaits de la mort soudaine de leur petite fille''

 Aujourd’hui, à la même date il y a cent cinq ans, le 29 novembre en 1911 (44 de l’ère Meiji), il faisait beau à Tokyo. C’était le jour de la leçon de chant de nô. Le maître de Sôseki, Arata HÔSHÖ était venu chez lui (Minami-machi, Waseda, Tokyo) et Sôseki apprit la suite du chant « Morihisa ».

 Dans la soirée, un de ses disciples Kôkyô NAKAMURA vint chez lui. Kôkyô avait démissionné le journal d’Asahi depuis peu. Il était venu demander des conseils à Sôseki.

 Pendant que les deux hommes discutaient dans le bureau, des enfants vinrent et dirent « Venez avec nous, s’il vous plaît ».

« Hinako est sans doute prise de convulsions »
 En pensant cela, Sôseki se leva et se dirigea vers le salon. La cadette Hinako et le second fils Shinroku étaient de temps en temps pris de convulsions. Même s’ils s’évanouissaient, ils reprenaient conscience si on leur jetait de l’eau sur le visage. Tous les membres de la famille y étaient tous habitués. Sôseki pensait que ce n’était pas grave.

 Cependant, quelque chose était différent ce jour-là.

 Dans le salon, le dîner que Hinako n’avait pas fini était laissé tel quel. Elle était tombée dans la pièce voisine à six tatamis. Sa mère Kyôko la tint dans ses bras et mit sur son visage une serviette mouillée pour le rafraîchir. Sôseki regarda son visage ; ses lèvres étaient toutes pâles.
« Ce n’est pas normal », pensa Sôseki, l’air tendu.

 La servante appela le médecin qui vivait juste avant chez les Natsume. Il fit une piqûre à Hinako, mais la situation ne s’améliora pas. La bouche ouverte, les yeux mi-clos, la fillette semblait dormir, mais en réalité, elle avait cessé de respirer.

 En peu de temps, le médecin traitant de la famille Tetsusaburô TOYOTA arriva. La respiration artificielle, une piqûre, un bain à l’huile de moutarde, il essaya tout ce qu’il put, mais la fillette ne respira jamais.
  « C’est étrange », murmura le médecin plusieurs fois. Il semblait qu’il n’arrivait pas à déterminer la cause de la mort.

 Sôseki et Kyôko restaient sidérés, sans pouvoir accepter la réalité. A peine plus tôt, la fillette se faisait porter sur le dos de sa grande sœurs Fudeko (la fille aînée de Sôseki), et jouait joyeusement près du tombeau du chat. Pendant qu’elle utilisait maladroitement des baguettes en tenant son bol de l’autre main, elle poussa tout à coup un petit cri, tomba et elle est morte sur place.

 Malgré la tristesse affligeante, Sôseki déplaça le corps de Hinako dans la pièce voisine. Il la coucha, la tête en direction du nord, et il mit à son chevet un ballon qu'elle aimait beaucoup. Elle n’avait qu’un an et huit mois.

 La poitrine de Monsieur et Madame Natsume se remplit d’une tristesse qui devint de plus en plus réelle.

Le mot de Sôseki du jour :

« Mystérieuse est la mort de Hinako » (‘’Bribes’’)