2. L'étrange travail
Je n’avais jamais vu le code postal indiqué sur le morceau de papier.
Le lendemain, j’ai pris le métro et je suis descendu à une station près de la rivière. J’ai traversé un pont au bout duquel un bois s’étendait. J’ai mis un pas sur le sentier, couvert par divers types d’herbe. Chaque fois que j’ai marché, des feuilles s’écrasaient sous mes pieds. De temps en temps, des oiseaux poussaient des cris qui me rappelaient le grincement d’une machine gigantesque. Je ne les voyais nulle part.
Lorsque je suis sorti du bois, j’ai aperçu une grande maison sur la colline. J’ai monté la douce pente au beau milieu des prairies. Du sommet, on pouvait dominer un cimetière abandonné et des ruines.
Le lendemain, j’ai pris le métro et je suis descendu à une station près de la rivière. J’ai traversé un pont au bout duquel un bois s’étendait. J’ai mis un pas sur le sentier, couvert par divers types d’herbe. Chaque fois que j’ai marché, des feuilles s’écrasaient sous mes pieds. De temps en temps, des oiseaux poussaient des cris qui me rappelaient le grincement d’une machine gigantesque. Je ne les voyais nulle part.
Lorsque je suis sorti du bois, j’ai aperçu une grande maison sur la colline. J’ai monté la douce pente au beau milieu des prairies. Du sommet, on pouvait dominer un cimetière abandonné et des ruines.
La maison était entourée par des murs dépassant largement ma taille, couverts entièrement par des lierres. Le jardin devait être abandonné depuis longtemps. Il était envahi par divers types de fleurs et de champignons. La maison elle aussi était couverte par des lierres ressemblant à des vaisseaux sanguins.
J’ai sonné à la porte en bois aussi haute que les murs, mais la sonnerie semblait cassée. À côté du bouton, il y avait un heurtoir en forme d’un hibou. Je l’ai frappé à la plusieurs reprises et j’ai crié : « Bonjour ! ». Quelques instants plus tard, la porte s’est entrouverte toute seule avec un terrible grincement.
À l’autre côté de la porte, un long couloir s’allongeait dans l’obscurité. J’ai attendu quelqu’un venir, mais un long moment s’est écoulé sans que personne n’apparaisse. « Est-ce qu’il y a quelqu’un ici ? », ai-je dit vers le bout du couloir, mais ma voix s’est fondue dans le noir et seul l’écho me répondait. Tandis que je pensais à rentrer, j’ai entendu le bruit de pas de quelqu’un qui s’approchait. Le plancher en bois a grincé à chaque fois que cette personne a mis le pied. Au bout d’un moment, une silhouette est apparue. C’était une vieille dame au dos courbé. Ses cheveux étaient grisâtres et ses yeux étaient d’un vert si pâle qu’ils semblaient atteints d’une cécité. Elle tenait une lampe à la main. « Je suis un nouveau répétiteur », lui ai-je dit. « Suivez-moi », m’a-t-elle dit.
La vieille dame au dos courbé m’a tourné le dos. J’ai marché d’un bon pas pour l’attraper. « Par-là », m’a-t-elle dit d’une voix rauque et a ouvert une porte.
C’était une petite pièce poussiéreuse. Les rideaux diaphanes à travers lesquels la lumière s’infiltrait étaient fermés. Sur les étagères étaient exposées une multitude de bouteilles et de flacons. Au centre, il y avait deux fauteuils en cuir entre lesquelles était mise une petite table en carrée.
« Madame arrive dans quelques minutes. Attendez ici », a dit la vieille dame et elle a fermé la porte.
Je me suis assis sur le fauteuil. La table était en fait un échiquier sur lequel se dessinaient des carrées minuscules ocre et brun. Cette table avait de petits tiroirs dans lesquels se trouvaient peut-être des pièces.
Au bout de quelques minutes, j’ai entendu le sol grincer et la poignée s’est tournée. De l’autre côté de la porte se tenait une femme d’un certain âge. Elle devait avoir environ quarante ans voire même plus. Elle s’était fait un chignon et portait une robe noire comme en deuil. Après avoir fermé la porte, elle s’est assise devant moi. Tandis que je réfléchissais à ce que j’allais lui dire, elle m’a dit : « Merci d’être venue. Je suis S. Alekhine, la propriétaire de cette maison.
- Je suis ravi de vous rencontrer…, ai-je dit.
- Aimez-vous l’échec ?
- J’y jouais avec mon père quand j’étais enfant, mais je ne suis pas très fort », ai-je dit.
Elle a ouvert le tiroir et s’est mise à disposer les pièces blanches. Le roi au centre, la reine à côté. Les deux fons étaient à leurs côtés, ainsi que les cavaliers et les tours. La ligne de bataille était défendue par les pions. J’ai aussi ouvert mon tiroir, et je me suis précipité à disposer les pièces noires.
« Excusez-moi…, m’a-t-elle dit. Je peux discuter plus à l’aise en jouant aux échecs. J’espère que ça ne vous dérange ? ».
J’ai secoué la tête. Elle avancé son pion à E4 et s’est mise à parler.
« C’est à propos de ma fille que j’ai demandé ce travail. »
J’ai avancé mon pion à E5.
« A-t-elle un problème ? ai-je demandé. Du genre, elle a de mauvaises notes à l’école ou elle sort avec de mauvais amis.
- Pas du tout. C’était une fille intelligente, souriante et populaire, même si elle avait un côté introverti »
‘’C’était’’ ? Pourquoi parle-t-elle de sa fille au passé ? me suis-je demandé, cependant, sans lui poser cette question, j’ai continué à jouer mes pièces.
Nous nous sommes tus un long moment et nous nous sommes concentrés à jouer aux échecs. Il n’y avait pas beaucoup de mouvements dans nos camps. J’ai pris le cavalier blanc avec ma reine noire. Maintenant l’un de mes soldats s’enfonçait dans le camp de mon ennemi.
Mes soldats noirs s’approchaient de plus en plus du roi blanc. J’ai pris son fou. Elle m’a pris un pion et un cavalier.
« Ma fille est malade », a-t-elle dit en reculant sa dame.
J’ai déplacé mon tour à g8.
« Comment elle s’appelle ? ai-je dit.
- Lune », m’a-t-elle dit.
Lune, ai-je répété dans ma tête. Je commençais petit à petit à comprendre la situation. Sa fille avait sans doute une maladie qui l’empêchait de sortir, de sorte qu’elle ne pouvait pas aller à l’école. Elle restait toute la journée dans sa chambre, en étudiant avec sa mère. Mais c’était difficile de tout lui apprendre toute seule et c’est la raison pour laquelle elle a cherché un répétiteur pour sa fille.
J’ai avancé ma dame à c6. Elle a posé un pion à f2 et a dit sèchement « Chèque ». C’est alors que je me suis rendu compte que mon roi, isolé sans reine était entouré par des pièces blanches. Pendant que j’étais épris de prendre ses pièces, elle avait développé son piège sur l’échiquier comme une toile d’araignée, en sacrifiant ses soldats loyaux, en attendant que je m’y perde. Après un moment de silence, j’ai doucement fait tomber mon roi.
Elle s’est levée et s’est approchée de l’étagère. Elle est revenue avec un album et me l’a donné. L’album était rempli de photos d’une fille. L’album commençait par sa naissance et le bébé grandissait. Sur une photo, la fillette d’environ cinq ans, soufflait les bougies sur son gâteau d’anniversaire. Sur une autre photo, elle riait sur un cheval d’un manège. De temps en temps, apparaissaient un homme et une femme, peut-être ses parents. La même femme était assise devant moi. Elle avait pris un peu plus de rides que sur les photos. Ses cheveux s’étaient mis à blanchir et ses yeux étaient légèrement cernés. Mais c’était elle. L’homme était peut-être son mari. Ses cheveux étaient aplatis en arrière. Il portait de petites lunettes rondes et ressemblait à un mathématicien syphilitique. Plus j’ai tourné des pages, plus la fillette grandissait. Ses bras et ses jambes s’allongeaient ; son ventre s’aplatissait et ses cheveux poussaient. Tout à coup, l’album s’est terminé. Même si je tournais des pages, il n’y avait plus rien. Les pages blanches duraient à l’infini. Sur la dernière photo, elle avait environ douze ou treize ans. Elle portait un T-shirt et un short, souriant vers l’appareil photo sur une dune.
J’ai fermé l’album et l’ai rendu à la dame.
« Ça fait plus de dix ans qu’elle ne va pas à l’école. Quand les enfants de son âge apprenaient beaucoup de choses et jouent entre eux, elle était contrainte de rester dans sa chambre toute la journée. Elle s’isolait de plus en plus du monde extérieur. Elle s’ennuyait aussi. Ce que je voudrais vous demander, ce n’est pas vraiment être son répétiteur. Mais j’aimerais que vous connectiez ma fille au monde extérieur, pour qu’elle puisse faire ce qu’elle voudrait quand elle sera guérie.
- Mais plus précisément que devrai-je faire ?
- Comme vous voudrez.
- Devrai-je travailler combien d’heures par jour ?
- Ce n’est pas défini. Vous pouvez travailler en fonction de votre nécessité. En temps libre, vous pouvez faire ce que vous voudrez, peu importe. Je vais vous payer trois milles euros par mois. Mais si vous voulez, je pourrai vous payer davantage ».
Elle semblait toujours éviter de me donner des informations détaillées m’intriguait. J’ai supposé qu’il y avait une raison qui l’empêchait de me les dire, très probablement au sujet de sa fille. Elle avait subi un accident de voiture et son visage était défiguré, ou sa maladie était contagieuse, ou elle était handicapée mentale…Et probablement, la Chauve-souris était un agent d’emplois spécialisé dans les offres confidentielles. Sinon le salaire ne serait pas aussi élevé pour un simple travail de répétiteur.
J’ai levé la tête. La propriétaire fixait son regard sur moi au visage inexpressif, immobile comme une statue grecque. Un instant, je me suis senti étouffé pour une raison obscure, peut-être à cause de l’étroitesse de la pièce et de l’étrangeté de cette situation. Un long moment plus tard, j’ai dit : « Quand je pourrai commencer à travailler ? ».
« Revenez ici demain, à quatorze heures trente », m’a-t-elle dit.
La vieille dame que je ne savais toujours pas si c’était une domestique ou la mère de la patronne, m’a accompagné jusqu’à la porte.
« Est-ce que je peux vous poser une question ? ai-je demandé dans le seuil, au moment de quitter la maison.
- Je vous en prie, m’a-t-elle dit d’une voix rauque comme si on trainait un sac lourd rempli de sable.
- Y a-t-il eu combien de répétiteurs avant moi ?
- Vous êtes le cinquante-quatrième. Les autres n’ont pas tenu plus de deux semaines ».
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