Vers l’aube, j’ai reçu un appel. Sans que je puisse sortir de ma rêverie, j’ai décroché dans la torpeur. « Allô ? », ai-je dit. J’entendais des parasites. J’entendais la respiration de la personne qui était de l’autre côté du fil, mais elle se taisait. « Allô ? À qui ai-je l’honneur ? », ai-je dit. La respiration de mon interlocuteur ne me permettait pas de savoir si c’était un homme ou une femme. Alors que j’allais lui dire quelque chose, il a raccroché. Le bip sonnait solitairement comme un trapéziste pendu dans l’espace.
Je me suis réveillé vers sept heures du matin. À cause de l’appel étrange, mon sommeil était peu profond. J’ai bu un café en regardant l’actualité du matin à la télé. Des affaires semblables les unes aux autres que j’avais déjà entendues quelque part se répétaient tous les jours. Une femme névrosée avait tué son enfant et son mari. Un train était déraillé dans un pays lointain et trois cents passagers étaient morts. Cinquante personnes tuées dans un attentat. Un homme politicien était accusé d’avoir détourné de l’argent.
Je me suis mis à me préparer pour sortir. Toutefois, je ne savais pas ce qui était exactement nécessaire pour mon travail. Dans mon sac, j’ai mis quelques stylos, un cahier et quelques livres. Pour mon premier jour, cela semblait suffisant. S’il y avait quelque chose de manquant, je pourrais préparer après être rentré ce soir.
Je suis monté dans le métro comme d’habitude. Les voitures étaient plutôt désertes. Les passagers avaient tous l’air fatigués et mélancoliques. Je suis descendu près de la rivière. Ensuite, je devais traverser le bois comme la veille. Je mettais au moins une heure pour me rendre à la grande maison. Cet itinéraire était plutôt long, mais je devais le supporter en tenant compte de la haute somme du salaire.
Devant la porte en fer, j’ai sorti de ma poche la clef que j’avais reçue la veille. Au début, je me suis demandé où je devais l’enfoncer car je ne voyais la serrure nulle part. À un moment donné, j’ai réalisé que le bec de la chouette gravée sur le heurtoir en était une. Ma clef s’est glissée dedans, et la porte lourde s’est ouverte.
Le couloir était tout à fait silencieux et sombre. J’ai allumé la lumière et je suis entré dans le salon qui était vide. N’y a-il personne dans la maison ? « Bonjour », ai-je crié, mais je n’ai eu aucune réponse. « La propriétaire et la domestique doivent être absentes. C’est pour cela qu’elle m’a donné la clef hier », me suis-je dit. J’essayé de me rappeler comment j’étais arrivé à la chambre secrète. J’ai monté l’escalier au rez-de-chaussée. Au premier étage, on arrivait devant une étagère qui dissimulait un autre univers. Comme Madame Alkehine avait fait, je l’ai tournée.
« Est-elle réveillée aujourd’hui ? », me suis-je demandé devant la chambre de la demoiselle sans oser y entrer. J’ai frappé quelques fois à la porte et j’ai dit : « Bonjour. Je suis votre nouveau répétiteur ». Aucune réponse. J’ai appuyé mon oreille sur la porte, mais tout était silencieux comme après un massacre. J’ai frappé de nouveau à la porte. Au moment où j’ai mis ma main sur la poignée, la porte s’est ouverte soudain et j’ai failli tomber.
« On vous attendait », m’a dit la domestique.
La domestique s’appelait Madame Koenig. Elle m’a dit qu’elle travaillait pour Madame Alekhine depuis plus de trente ans, et que ses parents servaient également les parents de la propriétaire. Je ne savais pas quel âge avait. Ses cheveux coupés court était tout blancs. Sa peau était entièrement ridée comme la terre asséchée. Elle m’a dit qu’elle vivait toute seule dans le pavillon isolé de la maison. On aurait dit qu’elle faisait partie de la maison.
Dans la chambre, il y avait seau rempli d’eau. Un chiffon était mis au bord de la fenêtre. Elle était sans doute en train de faire le ménage. Les rayons du soleil faisaient dessiner les détails de la pièce que je n’avais pas vus la veille. Sur le mur, un échantillon de papillons empaillés était accroché. Quelques cahiers et stylos étaient éparpillés sur le bureau, comme si leur propriétaire les avait utilisés la veille. Du vent a soufflé de la fenêtre ouverte. En bas, la fontaine étincelait sous la lumière.
J’ai jeté un coup d’œil au lit. La fille dormait paisiblement comme la veille. Les yeux clos et les mains croisées sur la poitrine, elle était complètement immobile.
« Je suis vieille. Je supporte de plus en plus mal les travaux comme ceux-ci, a dit la vieille dame, le regard dans le vide. À partir d’aujourd’hui, c’est votre travail.
- Quel travail ? Je suis venu en tant que répétiteur… », ai-je dit.
La dame s’est approchée de l’armoire. Elle a sorti une chemise de nuit et l’a arrochée sur la chaise. Ensuite, elle s’est approchée du lit. Elle a glissé la main derrière le dos de la fille pour la dresser. Ses mains ont commencé à déboutonner l’habit de la fille.
J’ai détourné le regard. À ce moment-là, Madame Koenig m’a dit de venir à ses côtés. « Regardez bien. À partir de demain, c’est votre travail », m’a-t-elle dit. Alors que la vieille domestique enlevait les vêtements, la fille semblait toujours dormir profondément. « Pourquoi elle ne se réveille pas ? », lui ai-je demandé. La domestique ne m’a pas répondu. La tête de la fille s’est inclinée brusquement. Elle ressemblait maintenant à une poupée de taille humaine. La vieille dame a également décollé la couette, pour lui enlever la culotte. Je sentais un étrange sentiment de culpabilité. Je ne devais pas regarder le corps nu d’une fille que je ne connaissais pas. Je me sentais comme si j’étais humilié, alors que c’était elle qui était dénudée devant un inconnu. Inconsciemment, j’ai baissé le regard. « Regardez », m’a dit la vieille dame d’un ton ferme. Bien que son regard fût fixé sur le corps nu de la jeune fille, elle semblait savoir tout ce que je pensais dans mon esprit. « Je reviens », a dit la domestique, et elle est partie.
Les bras et les jambes écartés, le corps nu, lisse et blanc de Lune comme la neige se couchait aisément sur le lit. Les yeux clos, elle ne sortait toujours pas de son rêve. Ses poils d’or fins, couvrant entièrement sa peau, se dessinaient sous la lumière du soleil. J’ai eu envie de la toucher. Craintivement, en faisant attention à ne pas faire de bruit, j’ai avancé un pas.
À ce moment-là, la poignée a été tournée. La domestique est revenue avec une serviette de laquelle montait une vapeur, et un bassin rempli d’eau chaude.
Elle a trempé la serviette dans l’eau et l’a tordue. Et elle s’est mise à frotter le front de la fille. La serviette a effleuré le contour des sourcils, du nez, puis des lèvres de Lune. La domestique a essuyé son cou, sa poitrine. Elle a levé un peu les bras de la fille dormante pour passer la serviette sur ses aisselles. De temps en temps, elle la trompait dans l’eau chaude et la tordait.
En mettant beaucoup de temps, elle essuyait entièrement le corps de la fille. Laver le corps d’un être humain complètement endormi semblait un travail beaucoup plus laborieux qu’on ne l’imaginait. Une sueur coulait sur son front et la demoiselle soufflait un peu. La vieille dame a ramassé toutes ses forces et a inversé la jeune fille, pour essuyer ensuite son dos, ses fesses, ses cuisses et ses jambes.
Lorsque tout a eu terminé, elle s’est ensuite mise à habiller Lune d’une autre chemise de nuit qu’elle avait accrochée sur la chaise. Finalement, la domestique l’a couchée sur le lit, et a mis une couverture en serviette dessus.
« Madame est quelqu’un qui aime la propreté. Il faut essuyer son corps tous les jours. Tous les deux jours, on la fait prendre le bain, m’a-t-elle dit, cette fois en me regardant droit dans les yeux.
- Je suis venu en tant que répétiteur.
- Il faut essuyer son corps tous les jours. Tous les deux jours, on la fait prendre le bain », a-t-elle répété d’un air péremptoire.
Elle a repris son ustensile. Au moment de me laisser dans la chambre, elle m’a dit : « À partir de demain, vous devez aussi faire le ménage.
- Où est Madame Alekhine ?
- Madame travaille ».
Mais où…, ai-je envie de lui dire, mais la porte était fermée.