jeudi 6 avril 2017

Le prologue d''Assassinat du Commendatore" d'Haruki Murakami

 Pour mon plaisir, j'ai traduit le prologue du dernier roman d'Haruki Murakami.


Aujourd'hui lorsque je me suis réveillé d'un court sommeil, un homme sans visage était debout devant moi.
Il était assis sur une chaise qui se trouvait à l'opposée du canapé sur lequel je somnolais, avec sa paire d'yeux sans visage, il me regardait tout droit.
C'était un homme grand, il était habillé de la même manière que lorsque je l'avais vu pour la dernière fois.
Un chapeau noir à large bord cachait la moitié de son visage, il portait un long manteau d'une couleur sombre.

''-Je suis venu pour te demander de faire mon portrait.
Après avoir vérifié que j'étais totalement réveillé, l'homme sans visage me dit d'un ton ferme.
Sa voix était grave, elle manquait à l'intonation et l'humidité.
-Tu me l'avais promis, t'en souviens tu ?
-Oui, je m'en souviens. Mais à ce moment-là, je n'avais pas de papier et je n'ai pas pu vous dessiner, lui ai-je dit.
Ma voix manquait également de l'intonation et l'humidité comme la sienne.
-En revanche, je vous avais donné le porte-bonheur en forme de pingouin.
-Oui, je l'ai amené ici, m'a-t-il dit et il a tendu droit sa main droite.
Il avait une main très longue.
Dans sa main, il tenait une poupée plastique de pingouin.
Celle-ci avait, une fois, été attachée à un téléphone portable en tant que porte-bonheur.
Il l'a faite tomber sur une table en verre.
Elle a fait un petit bruit sec.
-Je te la rends. Sans doute tu en auras besoin. Ce petit pingouin deviendra ton protecteur et il protégera les gens autour de toi. En revanche, je voudrais que tu fasses mon portrait.
J'étais déconcerté.
-Mais je n'ai jamais fait le portait d'une personne qui n'a pas de visage.
Ma gorge était complètement sèche.
-J'ai entendu dire que tu es un excellent peintre de portraits. Et il y a un commencement à tout, a dit l'homme sans visage.''
Puis il a ris.
Je pense qu'il a ris.
Ce bruit qui est présumé d'être son rire, ressemblait à celui d'un vent, qui souffle du fond profond d'une goutte.

Il a enlevé son chapeau noir qui cachait la moitié de son visage.
À la place du visage, du brouillard d'un blanc laiteux tourbillonnait.
Je me suis levé, j'ai pris un crayon doux et un cahier de croquis à l'atelier.
Je me suis ensuite assis sur le canapé et je me suis mis à dessiner le portait d'un homme sans visage.
Mais je ne savais ni d’où je pouvais commencer ni où se trouvait le point de départ.
En tous les cas, celui qui était assis devant moi n'était qu'un rien.
Comment pourrait-on réaliser une chose qui n'a pas de forme ?
En plus, ce brouillard d'un blanc laiteux, comprenant un rien, ne cessait de changer sa forme.
''-Dépêche-toi, dit l'homme sans visage, je ne pourrai pas rester longtemps ici.''
Mon cœur marquait un bruit sec à l'intérieur de mon thorax.
Je n'ai pas le temps.
Il faut que je me dépêche.
Mais mes doigts, grippant un crayon, étaient pétrifiés dans l'espace.
Comme si le dessus de mes poignets s’engourdissait.
Comme il a dit, j'ai quelques gens précieux à protéger.
Et tout ce que je pouvais faire était peindre.
Malgré cela, je ne pouvais pas dessiner le visage de l'homme sans visage.
Tout à fait déconcerté, je perçais le mouvement de ce brouillard du regard.

''-Je suis désolé, le temps est venu, a dit l'homme sans visage quelques instants plus tard.
Puis il a expiré une brume rivulaire blanche de sa bouche sans visage.
-Attendez, s'il vous plaît. Si j'ai encore le temps...''
L'homme a remis son chapeau noir et il a encore caché la moitié de son visage.
-Un jour, je reviendrai. À ce moment, tu seras capable de me dessiner. Jusqu'à ce jour, je garderai ce porte-bonheur de pingouin.''

L'homme sans visage a disparu.
Comme une bourrasque dissipe un brouillard, il s'est évaporé en un clin d’œil.
Seules la chaise et la table ont été laissées.
Le porte-bonheur de pingouin ne restait plus sur la table en verre.
Il me semblait que tout n'était qu'un rêve court.
Mais je savais bien que ce n'en était pas un.
Si c'était un rêve, ce monde entier où je vis le serait aussi.
Un jour, je pourrais faire le portait d'un rien.
Comme un peintre a pu achever une peinture qui s'intitule ''Assassinat du Commendatore''.
Mais j'ai encore besoin de temps.
Je dois mettre le temps de mon côté.

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