mercredi 20 mars 2019

Amendes


 Aujourd’hui, j’ai payé des amendes à la bibliothèque. J’avais emprunté un essai de l’écrivain américain Nicholson Baker et « Les Mots » de Jean-Paul Sartre il y a plus d’un mois. Je les avais complètement oubliés. Ce qui m’a rappelé que je devais rendre ces livres, c’est un mail que j’ai reçu ce matin. Le titre disait : « Documents à rendre – Amendes en cours ». J’ai eu peur et j’ai pleuré.
 Je suis donc allé à la bibliothèque pour rendre ces livres. Je les ai rendus à une bibliothécaire qui était assise au comptoir. Elle a scanné Nicholson Baker et Jean-Paul Sartre, et a regardé  l’écran de son ordinateur. Je me demandais si je pourrais sortir de la bibliothèque sans payer d’amende si je ne lui disais rien. Pendant que je pensais cela, elle regardait l’écran de l’ordinateur. J’ai eu l’impression qu’elle fronçait légèrement ses sourcils, mais c’était peut-être une illusion créée par mon angoisse ou c’était peut-être son visage naturel. Incapable de supporter cette pression, je lui ai moi-même dit : « J’ai peut-être des amendes à payer ou pas ». « Ah », m’a-t-elle dit. Ce « Ah » ne m’a pas permis de comprendre si elle le savait ou non. Elle m’a dit de descendre l’escalier et de régler en bas.
 C’est ainsi que j’ai payé, la mort dans l’âme, une amende de trois euros soixante à une dame âpre comme un rocher au premier étage de la bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg à propos de laquelle on murmure qu’elle cache des momies en sous-sol.
De retour chez moi, j’ai aussitôt réalisé qu’il n’y avait pas Internet. Je me suis senti malade parce que je suis accroc à Internet. Une personne qui n’a pas assez de sang peut tomber d’anémie. C’est la même chose. Si je n’ai pas assez Internet, je tombe malade. Pour une raison obscure, le wifi de ma résidence était coupé, et il semble que c’était la même chose pour les autres. Au moment où j’écris ce journal, il n’y a toujours pas Internet. Je me suis rendu compte que ma vie était une poubelle vide sans Internet. Je ne pouvais pas faire mon devoir de latin sans Internet ; je ne pouvais pas faire de traduction ; je ne pouvais pas aller sur Twitter ; je ne pouvais pas répondre sur le Messenger (ce qui est bien) ; je ne pouvais lire ni le Figaro ni the Guardian ; je ne pouvais pas aller sur Youtube. Je ne pouvais rien faire. Je m’ennuyais. J’ai eu l’impression d’être seul au monde. Mais je pouvais écouter de la musique ; je pouvais lire un livre ; je pouvais faire une sieste ; je pouvais jouer avec un chat ; je pouvais jouer aux échecs ; je pouvais fermer mes paupières ; je pouvais les rouvrir ; je pouvais explorer dans mes souvenirs et je pouvais écrire.
 J’ai tué le temps de cette longue soirée en lisant un livre sur les quatre sœurs Romanov.


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