vendredi 3 février 2017

Le vent d'été, le bombardement sur l'Alsace-Lorraine en 1943

J'ai senti le parfum de la pluie.
J'ai levé le voile.
J'ai découvert qu'il pleuvait.
La ville entière était humide.
L'asphalte et les bâtiments reluisaient tel un planisphère céleste.
Les flaques d'eau parsemées dans la ville reflétaient un autre monde comme si elles étaient un passage vers un monde à l'envers.
J'ai vite fait bouillir de l'eau pour boire une tasse de café au lait.
Car je sais que le matin ne commence pas sans caféine.
Je me suis assoupi comme d'habitude dans le bus,
J'ai continué de rêver.
Je portais un uniforme de collégien que je haïssais.
La cravate bleu-marine m'étouffait.
Je devais avoir environ 15 ans.
J'étais dans la salle de classe après les cours.
C'était un été vertigineusement chaud du Japon.
Les cigales chantaient à tue-tête.
J'étais seul.
C'est du moins ce que je croyais.
J'ai aperçu soudainement une fille aux longs cheveux noirs et lisses.
Elle me tournait le dos.
Elle se tenait derrière un rideau blanc en dentelle, fin comme un souffle.
Ses chaussettes bleues, la même couleur que ma cravate, les recouvraient jusqu'aux genoux.
Le vent d'été faisait flotter ses cheveux et onduler sa jupe.
Elle contemplait sans doute le paysage qui s'étendait dehors.
Mais que regardait-elle exactement ?
La circulation des voitures ?
Les passants ?
La montagne ?
Je transpirais.
Je voulais savoir qui elle était, si je la connaissais.
Je voulais voir son visage.
Je me suis levé pour lui adresser la parole mais elle m'a tourné le dos pour que je ne puisse pas voir son visage.
Tout à coup le chant des cigales a cessé.
Ma transpiration s'est accentuée.
Un coup de vent a soufflé.
Elle avait disparu.

Je transpirais dans le bus.
Le chauffage était trop fort.
Je voyais devant moi une fille blonde regarder droit par la fenêtre.
Son regard avait quelque chose de passionnant comme si elle avait pris une décision ferme.
Elle téléphonait à quelqu'un.
Sa voix était basse et  paisible, presque un chuchotement.
Mais cette langue n'était pas le français.
Je dirais que c'était du russe.
Mais cette langue sonnait comme une sorte de langue fictive, comme si elle venait de mon rêve.
À l'université, quelques étudiants et moi attendions la professeur de méthodologie.
Quelques minutes plus tard, une grosse à la peau brunâtre est venue.
Ce n'était évidemment pas notre professeur.
Elle est grande et élancée.
Cette dame nous a dit qu'elle ne viendrait pas aujourd'hui.
Je suis donc parti.

J'ai lu ''Les attaques de la boulangerie'' à la bibliothèque U2-U3.
Comme le titre l'indique, c'est une histoire dans laquelle les protagonistes braquent une boulangerie.
Ce livre est très court.
Il est illustré de dessins d'une artiste allemande.
Selon l'explication, lors d'un voyage à Berlin, l'auteur a découvert une illustration de cette dessinatrice et a été ensorcelé.
Sur le plat inférieur, les portraits de l'auteur et de la dessinatrice me souriaient discrètement.
Je leur ai aussi rendu un sourire.
Mais tout ce que j'ai pu faire était un rictus grotesque.
Le coin gauche et le coin droit de mes lèvres n'étaient pas équilibrés.
La première partie de ce livre s'intitule ''L'attaque de la boulangerie'',
Le protagoniste et son compagnon de l'époque attaquent une boulangerie dont le propriétaire est un fanatique de Richard Wagner et un membre du parti communiste.
Vous devez vous demander pourquoi ils avaient besoin de braquer une boulangerie.
La réponse est simple,

1. Parce qu'ils avaient une faim insatiable, presque violente.
2. Parce qu'ils n'avaient pas un sou et qu'ils ne voulaient absolument pas travailler.

La deuxième partie s'intitule ''La seconde attaque de la boulangerie''.
Quelques années se sont écoulées depuis la première attaque.
Le protagoniste n'est plus en contact avec son compagnon.
Par contre, il s'était marié.
À minuit, le jeune couple a soudainement eu une fringale féroce.
Ils n'ont rien trouvé dans le frigo.
Tant pis.
Après quelques discussions, ils ont décidé d'attaquer une boulangerie.
Cependant comme il faisait déjà nuit, ils n'ont trouvé aucune boulangerie ouverte.
Suite à un compromis, ils ont décidé d'attaquer un Mcdo.

Durant le cours de littérature haïtienne, une sirène a sonné.
Cette sirène était semblable aux sanglots d'un homme.

OUUUUUUUUUUUF......

OUUUUUUUUUUUF......

OUUUUUUUUUUUF.......

OUUUAAAUUUUUF.......

Quelque part, pas très loin d'ici, un homme sanglotait ainsi.
Qu'est-il arrivé ?
À quoi ressemblait-il ?
J'ai regardé à l'extérieur par la fenêtre, cependant je n'ai pas vu d'homme sangloter.

''Je dis aux étudiants étrangers.
En France, on fait sonner la sirène le premier mercredi d'un mois pour voir si ça fonctionne bien.
Donc il ne faut pas vous inquiéter.
Ce n'est rien.'' dit la professeur.

Mais c'était trop tard.
J'avais paniqué et je me suis mis à courir nu dans la salle de cours en criant.
Tout le monde me regardait.
La professeur était stupéfaite.
C'est un mensonge.
Malheureusement je ne suis pas aussi sensible.
J'ai juste imaginé dans ma tête une formation de bombardiers allemands s'approchant dans le ciel lourd d'Alsace-Lorraine.
La ville de l'Alsace était détruite.
Je voyais des maisons en flammes, des enfants pleurer en cherchant leurs mamans, la cathédrale était aussi endommagée.
''C'était ma cathédrale...'' murmurai-je.
Personne ne m'a entendu.
Selon un livre historique,
 ''20 pour-cent de la métropole alsacienne ont été détruits, 5797 bombes ont touché 13,982 maisons ou immeubles, dont 1524 n'étaient plus que des ruines.
La cathédrale a souffert sur l'arrière, au niveau de la tour Klotz. 
À quelques mètres près, la flèche aurait été atteinte, et l'événement aurait alors pris une tout autre ampleur.''
En me promenant dans les rues de Strasbourg, j'ai réalisé qu'il est difficile d'imaginer les choses qui se sont déjà passées.
Les événements passés ne reviennent jamais.
Je ne reverrai plus jamais ces gens.
Je ne rattraperai plus jamais ces temps.
Mais de temps à autres, nous entendons un écho qui vient d'un passé lointain.
Une image transmise d'un endroit inexistant scintille puis s'en va tel un mirage.

C'était en effet pourquoi l'homme sanglotait sans cesse jusqu'à ce que la guerre se finisse et que le drapeau tricolore se hisse dans le ciel d'azur.

Je marchais en sentant contre ma peau la pluie fine presque comme une brume.
Quand il fait beau, je me sens isolé comme si j'étais la seule personne infectée de mélancolie dans le monde.
Personne n'a envie de rire quand il pleut.
J'ai remercié secrètement ce crachin d'avoir dissimulé ma mélancolie.
Je voulais m'échapper dans le monde qui se trouvait dans la réflexion des flaques.
C'est un monde où les ombres règnent.
Contrairement à ce monde réel, régi par les substances, le monde de la réflexion est régi par les hommes-ombres.
Dans ce monde, les substances sont contraintes à être ombres des hommes-ombres.
Les hommes-ombres marchent dans les rues cependant ils n'ont pas de visage.
Même si vous en croisez dans ce monde substantif, il est difficile d'en apercevoir.
Parce qu'ils sont semi-transparents, s'oscillant comme une voile fine.
Certains pensent que c'est du vent noir.
D'autres pensent que ce ne sont que des idées.
Mais ils guettent au coin de la rue et vous attendent.
Les jours de pluie, un passage lié au monde des hommes-ombres s'ouvre à la dérobée.
Parfois il y a des gens qui y tombent.
Ces gens ne reviendront jamais.
Ils seront obligés de vivre en tant qu'ombre des hommes-ombres.

À la maison, j'ai bu une canette de bière en regardant vaguement les traces de gouttes que laissait la pluie sur la vitre.
Une goutte tombait après l'autre, puis elles se sont enchaînées tel un collier.
J'ai souri comme une lune.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire