Haruki Murakami est sans doute l'écrivain japonais
contemporain le plus lu au monde.
Il est également le seul écrivain que je lis en japonais (Je
lis tous les autres romans en français ou en anglais)
Malgré son caractère introverti et individualiste, c'est une
véritable vedette dans le monde de la littérature.
Son nouveau roman ''Assassinat du
Commendatore(KIshidancyô-goroshi) a même été imprimé plus d'un million trois
cent mille exemplaires avant la publication.
Le jour de la sortie de ce roman, quelques librairies à
Tokyo se sont exceptionnellement ouvertes toute la nuit pour ceux qui ne
pouvaient même pas attendre une seconde pour le lire.
Certains de ses fans façonnent leur vie à la manière de personnages
de Murakami.
Ils sont appelés ''Harukistes''.
Ils vont au café littéraire pour lire ensemble ses romans et
partagent leurs avis.
(Mais il me semble personnellement que ce type d'activité ne
correspond pas du tout au caractère des héros des romans de Murakami voire il
est contraire. J'ai lu tous ses romans mais il n'y avait même pas un personnage
qui allait au café pour partager son avis avec des gens. À moins que je ne sois pas trop tordu de penser une telle chose ?)
Vers 2014 ou 2015 (je ne me rappelle pas la date exacte), un
site temporaire dans lequel l'auteur échangeait avec ses lecteurs s'étaient ouvert.
La plupart des questions étaient en japonais mais il y en
avait aussi en anglais.
Je me rappelle qu'il avait dit qu'il n'aimaient pas le mot
''harukiste'' à cause de sa frivolité et qu'il préférait le mot ''Murakamiste'' à la sonorité plus sérieuse.
Je préfère donc m'appeler Murakamiste à Harukiste.
Les Murakamistes ne vont pas au café, ils lisent les romans
de Murakami en cachette comme il y avait des gens qui lisaient ''des romans
dégradants'' sous le régime du Nazi.
Je ne raconterai pas tout pour ceux qui attendent la version
traduite qui sortira quatre ou cinq ans plus tard.
Mais je résume l'histoire pour vous la présenter brièvement.
Donc, s'il y a des gens qui ne veulent pas la connaître, je
vous conseille de fermer tout de suite l'onglet et de vous enfuir.
Ne vous inquiétez pas, je ne vous chasserai pas.
Le protagoniste est un peintre de 36 ans.
Il a un certain talent mais il n'est pas encore un grand
artiste.
Récemment il a divorcé de sa femme car elle avait un
amant.
Mu par le désir de fuir, il a voyagé un peu partout
dans le Japon.
Lorsqu'il est rentré, il s'est retrouvé seul.
Un ami de longue date dont le père est un grand peintre (Tomohiko
AMADA) lui a proposé d'habiter l'atelier que son père utilisait.
Le peintre légendaire souffre désormais de la maladie
d'Alzheimer et il mène une vie tranquille en attendant sa mort dans une maison
de retraite luxueuse à Izu.
Il n'a aucune raison pour refuser cette vie.
Il s'est résigné et sa vie solitaire à la montagne commence...
J'ai l'impression que cette oeuvre revêt un caractère
synthétique de tous ses romans.
Dans les œuvres de la première période, les protagonistes sont souvent des hommes trentenaires, chômeurs, dont les femmes les quittent soudainement ou qui simplement disparaît.
C'est curieux parce que l'auteur s’est marié très tôt (Il
était encore étudiant) et à ma connaissance sa femme ne l'a jamais
quitté.
Mais en quelque sorte, la disparition de la femme est son
obsession.
Dans ses romans, pas mal d'objets et de personnages ont
disparu.
Le "souris", un éléphant dans un zoo, un chat...
Marie AKIKAWA disparaît dans "Assassinat du Commendatore".
Il paraît qu'il y a quelques jours, ''Des hommes sans
femmes'' est sorti en France.
Comme le titre indique, c'est un recueil de nouvelles dont
toutes les histoires sont consacrées à des hommes sans femmes.
''L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage''
qui avait été publié l'année précédente au Japon m'avait franchement déçu.
Mais ''Des hommes sans femmes'' comprend des histoires
touchantes et j'ai remarqué que son style avait subtilement changé, il est devenu plus solide et structurel.
Peut-être ''L'incolore Tsukuru Tazaki'' était un point de
transmission pour l'écrivain ?
Dans celui-ci, il y avait un passage où le héros pénètre dans le rêve d'une fille.
Ce rêve est si réaliste et érotique que la fille en est fortement bouleversée.
''Assassinat du Commendatore'' a aussi un passage similaire.
Or, la fosse sombre qui est liée à un autre monde est aussi un
sujet fréquent dans ses romans.
L'histoire d'un puits que raconte Naoko dans ''Flipper,
1973'', le puits dans lequel le héros est enfermé dans ''Chroniques de
l'oiseau à ressort''.
Un passage obscure et mystérieux est déjà apparu dans ''la
fin des temps'', dans ''Kafka sur le rivage''. deux déserteurs guident le
protagoniste dans la forêt pour qu'il ne se perde pas.
L'idée d'une maison isolée dans une montagne me rappele ''La course au mouton sauvage''.
En plus, l'image d'une fille mystérieuse(Marie AKIKAWA) est
aussi sans doute liée
à Fukaeri de ''1Q84''.
Et bien sûr, une métaphore personnifiée est encore présente.
(D'ailleurs, le sous-titre du second tome est intitulé
''Utsurou Métaphor(Métaphore érrant)''.Le verbe ''utsurou'' me semble intéressant
car on ne l'utilise presque jamais, de plus la sonorité du mot ''utsuro(vide)''
et ''utsurou'' est assez proche.)
Voici, la scène que j'ai aimée (J'ai traduit par moi-même,
la traduction professionnel sera différente)
''-Qui êtes-vous ? Etes-vous aussi une sorte d'idée ?
-Non, Monsieur. Je ne suis pas une idée, je ne suis qu'une métaphore.
-Métaphore ?
-Oui, Monsieur. Je ne suis qu'une pauvre métaphore. J'existe pour lier une chose à une autre. Donc pour l'amour de Dieu, pardonnez-moi''
Mon esprit s'est mis à divaguer.
''-Si vous êtes une métaphore, dites-moi une métaphore à l'improviste. Vous pourrez le faire.
-Je ne suis qu'une métaphore inférieure. Il m"est impossible de créer une métaphore spirituelle.
-Elle n'a pas besoin d'être spirituelle. Dites-moi quelque chose.''
Le long-visage a réfléchi pendant un certain temps puis il a dit,
-Il était quelqu'un de très remarquable, comme un homme qui porte un chapeau à pointe orange dans un train de banlieue bondé.
Bien entendu, ce n'était pas une métaphore excellente, ce n'en était même pas une.
-Ce n'est pas une métaphore. C'est une figure, lui a-je dis.
-Pardonnez-moi, j'en crée une autre, a dit le long-visage, la sueur sur son front.
-Il a vécu comme s'il portait un chapeau à pointe orange dans un train de banlieue bondé.
-Ça n'a pas de sens, d'ailleurs, ce n'est pas encore une véritable métaphore. Je ne peux pas croire que vous le soyez. Je vous tue.''
Mon personnage préféré est Menshiki.
C'est un homme mystérieux aux cheveux blancs, il habite dans
une villa magnifique dans le voisinage du protagoniste.
Il a de la noirceur dans son cœur mais il n'est pas méchant.
Il est juste condamné à vivre avec cette obscurité.
Il avait choisi de vivre dans un lieu si incommode pour
observer une fille censée être son propre enfant.
Suis-je le seul qui y ai remarqué une influence de ''Gatsby
le Magnifique'' que l'auteur avait même traduit en japonais ?
Un homme riche et ombrageux qui mène une vie solitaire dans
le voisinage du narrateur en cherchant l'occasion de s'approcher d'une femme...
Murakami a toujours été un écrivain qui cherche un nouveau
chemin à travers la création de romans.
Lorsqu'on lit depuis ''L'écoute le chant du vent'' et toute son oeuvre, on comprend comment il y parvient.
Celui-ci est un ouvrage encore plus profond et élaboré qui
laisse au lecteur de longues résonances après la lecture tel le dernier sifflet
du train.
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