vendredi 10 mars 2017

La poupée de Robespierre (2)


Le 30 Juillet, 30 de la rue des Cordeliers

J'avais acheté des poupées aux marchés aux puces lorsque j'ai voyagé à Paris.
Il y avait de la brume.
Le ciel était grisâtre et instable comme une femme qui était sur le point de sangloter.
Je longeais les stands en jetant un coup d’œil sur les vieilleries.
Les affiches des années vingt, les bouquins qui sentait la moisissure, les poteries dont je ne connaissais pas la valeur....
Sur un stand, des jolies poupées ont tout à coup attiré mon regard.
Malgré un tas de vieilleries qui les entouraient, elles étaient facilement remarquables comme si cette rencontre était prédestinée.
Il semblait qu'elles me fixaient du regard.
J'ai été aussitôt ensorcelé.
Au fond de ce stand, une vieille dame dont les yeux étaient dépolis était assise.
Elle m'a jeté un coup d’œil mais elle était indifférente à ma présence.
Ses yeux étaient brouillés telle une rivière après l'orage, je me suis demandé si elle n'était pas aveugle.
Elle s'était rendue compte que j'étais attiré par ses poupées.

-C'est la série Révolution, m'a-t-elle dit d'une voix rauque, très désagréable à entendre.

Il y avait la poupée d'un homme coquet, celle d'une fille sobre et d'une femme en robe splendide et d'un homme potelé.
En outre, il y avait aussi la poupée d'un homme dont le visage était étrangement déformé.
Le dessous de son visage était courbé comme s'il était tiré par une main invisible.
Son teint était livide comme s'il agonisait, son expression semblait à fois douloureuse et voluptueuse selon les aspects.
Je me suis convaincu que le créateur de ces poupées avait raté celui-ci.
À côté de lui, se trouvait un objet étrange qui ressemblait à une porte immense et dépouillée.
Deux supports en bois noirâtre s'étendaient vers le ciel comme des cyprès juxtaposés.
Je me suis rappelé soudainement que dans une nouvelle de Kafka, il y avait une histoire dans laquelle un homme était exécuté par une machine étrange.
Elle ressemblait à deux coffres.
Un prisonnier a été attaché fixement sur l'un des coffres, puis l'aiguille qui était fixée sur l'autre s'est mise à graver petit à petit le verdict sur son dos.
Lorsque cette machine a achevé son travail, l'homme n'était plus qu'un cadavre.
Au moment où je songeais au cadavre de ce condamné sur le coffre, je me suis rendu compte que cet objet était une guillotine minuscule.
Elle avait même un tranchant triangle.
Le tranchant était partiellement rouillée comme elle avait réellement été utilisée.
Or, était-ce des traces de sang ?

''-C'est comme une vraie guillotine !, fis-je.
-Voulez-vous l'essayer ?, m'a-dit la vieille.''

Cette idée m'a un peu terrifié, mais je me suis dit que même si elle était vraisemblable, elle n'était qu'une maquette.

J'ai mis mon auriculaire dans le trou où les condamnés à mort devaient poser leurs têtes.
La vieille riait en me montrant ses dents jaunies.
Elle avait l'air à la fois triste et joviale.
Aussitôt qu'elle a lâché le déclic, la lame minuscule est tombée.
J'ai eu la sensation du fer froid sur mon doigt.
Je l'ai tiré et j'ai confirmé qu'il n'était pas tranché.
Peut-être le tranchant était-il factice ou peut-être était-il trop rouillé.

J'ai poussé un soupir.

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