Le 30 Juillet, 30 de la rue des Cordeliers
J'avais acheté des poupées aux marchés aux puces lorsque j'ai voyagé à Paris.
Il y avait de la brume.
Le ciel était grisâtre et instable comme une femme qui était
sur le point de sangloter.
Je longeais les stands en jetant un coup d’œil sur les
vieilleries.
Les affiches des années vingt, les bouquins qui sentait la
moisissure, les poteries dont je ne connaissais pas la valeur....
Sur un stand, des jolies poupées ont tout à coup attiré mon
regard.
Malgré un tas de vieilleries qui les entouraient, elles
étaient facilement remarquables comme si cette rencontre était prédestinée.
Il semblait qu'elles me fixaient du regard.
J'ai été aussitôt ensorcelé.
Au fond de ce stand, une vieille dame dont les yeux étaient
dépolis était assise.
Elle m'a jeté un coup d’œil mais elle était indifférente à ma présence.
Ses yeux étaient brouillés telle une rivière après l'orage,
je me suis demandé si elle n'était pas aveugle.
Elle s'était rendue compte que j'étais attiré par ses
poupées.
-C'est la série Révolution, m'a-t-elle dit d'une voix
rauque, très désagréable à entendre.
Il y avait la poupée d'un homme coquet, celle d'une fille
sobre et d'une femme en robe splendide et d'un homme potelé.
En outre, il y avait aussi la poupée d'un homme dont le
visage était étrangement déformé.
Le dessous de son visage était courbé comme s'il était tiré
par une main invisible.
Son teint était livide comme s'il agonisait, son expression
semblait à fois douloureuse et voluptueuse selon les aspects.
Je me suis convaincu que le créateur de ces poupées avait
raté celui-ci.
À côté de lui, se trouvait un objet étrange qui ressemblait
à une porte immense et dépouillée.
Deux supports en bois noirâtre s'étendaient vers le ciel
comme des cyprès juxtaposés.
Je me suis rappelé soudainement que dans une nouvelle de
Kafka, il y avait une histoire dans laquelle un homme était exécuté par une
machine étrange.
Elle ressemblait à deux coffres.
Un prisonnier a été attaché fixement sur l'un des coffres, puis
l'aiguille qui était fixée sur l'autre s'est mise à graver petit à petit le verdict sur son dos.
Lorsque cette machine a achevé son travail, l'homme n'était
plus qu'un cadavre.
Au moment où je songeais au cadavre de ce condamné sur le
coffre, je me suis rendu compte que cet objet était une guillotine minuscule.
Elle avait même un tranchant triangle.
Le tranchant était partiellement rouillée comme elle avait
réellement été utilisée.
Or, était-ce des traces de sang ?
''-C'est comme une vraie guillotine !, fis-je.
-Voulez-vous l'essayer ?, m'a-dit la vieille.''
Cette idée m'a un peu terrifié, mais je me suis dit que même
si elle était vraisemblable, elle n'était qu'une maquette.
J'ai mis mon auriculaire dans le trou où les condamnés à
mort devaient poser leurs têtes.
La vieille riait en me montrant ses dents jaunies.
Elle avait l'air à la fois triste et joviale.
Aussitôt qu'elle a lâché le déclic, la lame minuscule est
tombée.
J'ai eu la sensation du fer froid sur mon doigt.
Je l'ai tiré et j'ai confirmé qu'il n'était pas tranché.
Peut-être le tranchant était-il factice ou peut-être était-il
trop rouillé.
J'ai poussé un soupir.
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