dimanche 12 mars 2017

La poupée de Robespierre (3)

Une pensée métaphysique sur la guillotine 

Je lui ai dit que j'aimerais acheter la poupée de l'homme à lunettes et celle de la fille sobre.

''-Je vous ai dit que c'est la série Révolution, m'a-t-elle dit.
-C'est-à-dire ?
-C'est un assortiment.Ils ne sont pas séparables comme un service à thé, comme les Gémeaux, comme deux amants qui s'aiment ! Vous ne pouvez pas choisir celle-ci ou celle-là. Ne vous en souciez pas, de toute façon, le prix ne changera pas...''

C'est ainsi que j'ai acheté ces poupées pour seulement soixante-dix euros.
La vieille m'a gentiment offert la maquette de guillotine.
J'ai fait un bon achat.

Ma préférée était la fille sobre.
Contrairement aux autres poupées qui étaient habillées en couleur douce, celle-ci était habillée d'une robe écarlate.
Ses grands yeux bleus purs comme un ciel d'été m'ont beaucoup plu,
Un jour, dans un livre je suis tombé sur le portait d'une jeune femme qui lui ressemblait.
Cette femme avait le même éclat dans ses yeux que ma poupée.
Elle souriait timidement, une masse de cheveux châtains était tombée sur son épaule comme un écureuil dormant.
Sur l'annotation il était écrit que ce portrait en pastel avait été dessiné en prison, le jour même de l'exécution de cette femme.
Malgré le fait qu'elle allait être guillotinée dans quelques heures, elle gardait sa sérénité.
Elle portait une chemise blanche, qui était dorée sous l'effet de la lumière.
D'après ce qui était écrit dans ce livre, juste avant son exécution, elle avait souhaité mourir en portant sa robe écarlate et c'est pourquoi elle avait changé d'habit.
Le bourreau qui l'avait accompagnée jusqu’à la place de la Révolution avait laissé une note détaillée.
Il décrivit la scène comme le suivant ;

''Nous montâmes dans la charrette. Il y avait deux chaises, je l’engageai à s’asseoir, elle refusa. Je lui dis qu’elle avait raison et que, de la sorte, les cahots la fatigueraient moins, elle sourit encore, mais sans me répondre. Elle resta debout, appuyée sur les ridelles. Firmin, qui était assis derrière la voiture, voulut prendre le tabouret, mais je l’en empêchai, et je le mis devant la citoyenne, afin qu’elle pût y accoter un de ses genoux. Il plut et il tonna au moment où nous arrivions sur le quai ; mais le peuple, qui était en grand nombre sur notre passage, ne se dispersa pas comme d’habitude. On avait beaucoup crié au moment où nous étions sortis de l’Arcade, mais plus nous avancions, moins ces cris étaient nombreux. Il n’y avait guère que ceux qui marchaient autour de nous qui injuriaient la condamnée et lui reprochaient la mort de Marat. À une fenêtre de la rue Saint-Honoré, je reconnus les citoyens Robespierre, Camille Desmoulins et Danton. Le citoyen Robespierre paraissait très animé et parlait beaucoup à ses collègues, mais ceux-ci, et particulièrement le citoyen Danton, avaient l’air de ne pas l’écouter, tant ils regardaient fixement la condamnée. Moi-même, à chaque instant, je me détournais pour la regarder, et plus je la regardais, plus j’avais envie de la voir. Ce n’était pourtant pas à cause de sa beauté, si grande qu’elle fût ; mais il me semblait impossible qu’elle restât jusqu’à la fin aussi douce, aussi courageuse que je la voyais, je voulais m’assurer qu’elle aurait sa faiblesse comme les autres, mais je ne sais pas pourquoi, chaque fois que je tournais mes yeux sur elle, je tremblais qu’elle n’eut défailli. Cependant, ce que je regardais comme impossible est arrivé. Pendant les deux heures qu’elle a été près de moi, ses paupières n’ont pas tremblé, je n’ai pas surpris un mouvement de colère ou d’indignation sur son visage. Elle ne parlait pas, elle regardait, non pas ceux qui entouraient la charrette et qui lui débitaient leurs saletés, mais les citoyens rangés le long des maisons. Il y avait tant de monde dans la rue que nous avancions bien lentement. Comme elle avait soupiré, je crus pouvoir lui dire : « Vous trouvez que c’est bien long, n’est-ce pas ? » Elle me répondit : « Bah ! nous sommes toujours sûrs d’arriver », et sa voix était aussi calme, aussi flûtée que dans la prison.Au moment où nous débouchâmes sur la place de la Révolution, je me levai et me plaçai devant elle pour l’empêcher de voir la guillotine. Mais elle se pencha en avant pour regarder et elle me dit : « J’ai bien le droit d’être curieuse, je n’en avais jamais vu ! » Je crois, néanmoins, que sa curiosité la fit pâlir, mais cela ne dura qu’un instant et presque aussitôt son teint reprit ses couleurs qui étaient fort vives. Au moment où nous descendions de la charrette je m’aperçus que des inconnus étaient mêlés à mes hommes. Pendant que je m’adressais aux gendarmes pour qu’ils m’aidassent à dégager la place, la condamnée avait rapidement monté l’escalier. Comme elle arrivait sur la plateforme, Firmin lui ayant brusquement enlevé son fichu, elle se précipita d’elle-même sur la bascule où elle fut bouclée. Bien que je ne fusse pas à mon poste, je pensai qu’il serait barbare de prolonger, pendant une seconde de plus, l’agonie de cette femme courageuse, et je fis signe à Firmin qui se trouvait auprès du poteau de droite, de lâcher le déclic.''

J'aime bien cette parole, « J’ai bien le droit d’être curieuse, je n’en avais jamais vu ! », puisqu'on y reconnaît tout de même une sorte de bravade d'une fille de son âge.
A-t-elle au moins regretté à ce moment-là son acte brave ?
Peut-être un peu ou un instant, mais je suis sûr qu'elle dirait ''non''.

Il y a une anecdote célèbre sur l'exécution de cette fille.
Un adjoint de ce bourreau, probablement surexcité par l'exaltation de la foule, a frappé sa tête maintenant détachée de son corps.
L'enthousiasme du grand public a vite changé en une frayeur car ils ont vu la tête rougir et transpercer l'adjoint d'un regard haineux.
Malheureusement l'époque était encore loin de l'invention du smartphone.
Personne n'a pu filmer la scène.
D'après certains spécialistes, à cause du rayon du soleil du crépuscule et à la suite du changement brusque de la pression artérielle, sa tête semblait rougir et indignée.
Mais cette opinion ne dépasse pas la limite d'hypothèse car nul ne sait ce qui se passe après être guillotiné.
Cependant, d'après un de ses parents, c'était une fille décidé ;
''Elle ne faisait que ce qu’elle voulait. On ne pouvait pas la contrarier, ceci était inutile, elle n’avait jamais de doutes, jamais d’incertitudes. Son parti une fois pris, elle n’admettait plus de contradiction.''
Ce témoignage n'est guère douteux.
Sinon comment une jeune femme de son âge aurait pu assassiner ''l'ami du peuple'' d'un seul coup de couteau ?
Si elle avait un caractère opiniâtre, le fait que le grand public ait cru que sa tête rougit d'indignation serait devenu probable.

J'imagine encore et encore le moment où le tranchant de la guillotine s'est enfoncé dans la chair de sa nuque, l'instant où sa tête est tombée sur le plancher, le moment précis et éphémère où une jeune fille charnelle a été transformée en une poupée gigantesque.
Qui aurait cru que le temps était sans retour ?
Quand j'étais enfant, mon psychiatre m'a demandé de ne jamais dire aux autres, puis il a chuchoté à mon oreille qu'en réalité, chaque instant est éternel et que le temps est sporadique.

Maximilien Robespierre reviendra infiniment pour guillotiner un millier de citoyens, le tranchant de la guillotine tombera pour la millionième fois, afin de décapiter la poupée de la fille.

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