Je tenais la poupée au visage déformé pour l'examiner.
Son visage manifestait une certaine souffrance.
J'ai cru qu'elle était ratée mais en fait, la déformation de
ses traits était due à sa douleur physique.
Une maladie dévorait son corps tels d'innombrables fourmis
ingurgitent le cadavre d'une souris.
Une mort silencieuse
s'approchait déjà de lui.
La Mort a donc pris la route dans un quartier lointain.
Elle est entré dans une ruelle et a traversé un vieux pont en
pierre.
Elle a pris ensuite un train avec d'autres passagers.
Là, elle a sorti ''Le château'' et s'est mise à lire la suite.
Le paysage défilait comme un vieux manège tournant à
l'infini.
Et un jour, la Mort frapperait lentement mais d'une manière
inflexible à la porte de l'entrée.
C'est ainsi que la Mort se présentait aux gens.
La poupée de la fille à la
robe écarlate était posée dans ma main droite.
J'ai posé sa tête sur celle de l'homme agonisant.
Leurs lèvres se superposaient les unes sur les autres tel un
théorème mal démontré.
Elles me rappelaient la collision de deux côtes découpées.
L'expression douloureuse ne quittait jamais le visage de
l'homme tandis que la poupée gardait toujours un sourire angélique.
Je voulais la déshabiller, mais son habit était trop compliqué pour moi.
A travers le vêtement, j'ai frôlé de mon index son corps.
Je craignis que ces poupées n'avaient pas de tronc, que
seules les parties visibles telles que la tête, les mains, les jambes étaient soigneusement créées et qu'une masse en paille ou ouate ne remplissait leur
taille, mais depuis l'étoffe du vêtement j'ai pu ressentir, que celle-ci
possédait bien une poitrine et un ventre véritables.
Ma main a glissé et elle est tombée misérablement par terre.
L'agonisant fixait l'espace du regard comme s'il maudissait
quelqu'un.
La poupée était couchée à plat ventre.
Comme si elle essayait de me cacher le secret de
l'adolescence.
Ses longs cheveux se répandaient en étoile.
En la renversant, j'ai été aussitôt soulagé car elle me souriait
comme à l’ordinaire.
La forme de la machine était si simple et raffinée qu'il n'y
avait plus rien à ajouter.
Une lame triangulaire était suspendue par un fils entre deux
supports de bois.
En direction de cette lame se trouvait une planche
trouée pour qu'un condamné y soumette sa tête.
Ensuite un exécuteur lâche le bouton et en un clin d’œil, la
tête du condamné est détachée de son corps.
Plus je la contemplais, plus je perdais la réalité.
Elle ressemblait à un instrument gigantesque tel un orgue.
Si la lame avait des trous qui étaient mis à la suite d'un
calcul subtil, quel type de son créerait-elle lorsqu'elle tomberait ?
Le résultat devra ressembler aux cris harmonisés de femmes.
Elle m'a également rappelé une machine de calcul antique.
Par le mouvement répétitif de la descente et de la montée de
la lame, les anciens pronostiquaient une saison néfaste.
Or, elle devait être le résultat de l'illusion d'un
somnambule si bien que cet objet n'avait plus aucun sens.
La machine se dressait là tel le monolithe de ''2001,
l'Odyssée de l'espace''.
Mais cette machine a-t-elle servi à l'évolution humaine ?
Je me demandais entre le roi et la reine.
Le roi avait une bonne mine, il souriait joyeusement comme
un collectionneur de papillons lorsqu'il regardait son oeuvre.
Une serrure au bout d'un collier s'enfonçait dans son cou charnu.
La reine était vêtue d'un costume gonflé tel une
montgolfière.
Une robe se superposait sur une autre et une autre doublait l'autre ainsi que l'entassement de tissus cellulaire de la peau humaine.
Sa tête était petite et ovale comme Humpty Dumpty.
Ses yeux étaient mi-clos en forme de croissant inversé.
Son nez et sa bouche se posaient discrètement comme si on
les avait oubliés.
Sa mâchoire pointue esquissait la courbe d'une comète.
Je l'ai fixée sur l'échafaud.
Ses yeux étaient maintenant plus ouverts que lorsqu'elle
était debout.
Elle regardait indifféremment vers le haut comme un enfant
qui regarde les étoiles.
C'était le visage d'une femme qui avait tout abandonné.
Même la dernière goutte de l'espoir ne lui restait plus.
J'ai poussé son socle avant, j'ai ensuite baissé la planche
trouée afin d'y figer sa tête.
J'ai dû soigneusement débarrasser les touffes de ses cheveux
pour qu'ils ne se prennent dedans.
La lumière de l'après-midi lui donnait une ombre qui mettait
ses traits en relief telle l'ondulation d'une chaîne de montagnes.
J'ai lâché le levier, la lame est tombée.
Elle s'est arrêtée à la racine du cou de la reine comme si
quelqu'un avait suspendu une vidéo à ce moment précis.
La reine contemplait toujours les mouvements des astres
inexistants.
Cette nuit, j'ai fait un rêve.
J'étais attaché sur l'échafaud.
Mes poignets étaient fermement liés par une corde âpre et ça
me faisait mal.
J’essayais de remuer mais je ne pouvais même pas bouger
d'une semelle.
Une ombre sans visage était debout à côté de moi.
Ses traits étaient flous comme ils s’étaient recouverts d’un
nuage épais.
Au-dessus, je pouvais voir la lame triangulaire qui était
tel un corps pendu à une branche d'un arbre.
La figure ombrageuse caressait ma joue du dos de sa main,
puis elle descendait le long de ma
poitrine.
La sensation que donnait cette main était aussi vague que
son visage.
Je sentais un air tiède souffler.
La main me quittait et je voyais la lame tomber.
Ça a été un bruit imperceptible qui m'a réveillé.
Il ressemblait à un bruit de pas mais il était trop faible
pour être celui que fait un adulte.
Quelqu'un faisait des allers-retours en faisant attention à
ne pas me réveiller.
J'ai entrouvert mes yeux.
Mes rétines se sont habituée petit à petit à l'obscurité de la pièce.
J'avais oublié de fermer les rideaux si bien que la lumière
extérieure des réverbères s'introduisait par la fenêtre.
Je vis vaguement des figures danser sous le clair de lune.
C'était mes poupées.
J'ai mis des lunettes et à travers les verres je me suis rendu
compte qu'elles ne dansaient pas.
Elles faisaient une ronde main dans la main autour de la
guillotine
La reine riait, Robespierre trottait, la serrure au bout du collier du roi marquait une cadence, la
robe écarlate de la poupée tremblait telle une feuille dans le tourbillon.
Leurs bouches qui n'étaient qu'une simple cavité ovale
s'ouvraient et se fermaient.
Il semblait qu'elles chantaient en chœur mais dans un
silence absolu.
L'agonisant n'était pas là.
Le roi s'est avancé d'un pas, après avoir pris une ultime respiration, il s'est incliné devant le public comme un chef d'orchestre avant l'exécution puis il a lâché le déclic.
Je cherchais sa silhouette et je vis qu’il était
figé sur l'échafaud.
Le regard
fixé dans le vide, il avait une expression de souffrance identique à celle de
tout à l'heure à part le fait que sa bouche était maintenant
pleine ouverte.
Aucun son ne sortait de sa bouche parce que la poupée n'a
pas de cordes vocaliques.
En un clin d’œil, la tête de l'agonisant est tombée.
Ses yeux écarquillés, sa bouche ouverte à tel point que la mâchoire était sur le point de décrocher, se découpaient telle une peinture baroque sous la lumière de la nuit.
Tout à coup, les autres poupées s’arrêtèrent et elles ont longuement applaudi telle une audience qui venait d'assister à un concert inoubliable.
Les applaudissements ont retenti comme la sirène d'un bateau
perdu au milieu de la mer.
Le lendemain lorsque je me suis réveillé, toutes les poupées avaient perdu leurs têtes.
Alors que la nuit précédente encore, seul l'agonisant
l'avait perdue.
Leurs corps s'étaient dispersés comme à la suite d'un
génocide
Il n'y avait aucune trace de sang.
La découpe des cous était aussi plate que celle d'un
fromage.
J'ai fouillé partout pour les retrouver.
J'ai tiré tous les tiroirs, je me suis faufilé sous le lit, j'ai cherché dans les toutes les poches de mes vêtements ainsi que le placard poussiéreux.
De temps à autre, je fais encore un rêve.
C'est un rêve dans lequel les têtes de ces cinq poupées sont
juxtaposées.
Et la sixième est la mienne.