L’Université est relativement déserte le vendredi. Je ne sais pas si c’est parce qu’il y a beaucoup d’étudiants qui aimeraient prolonger leur court week-end, ou si c'est pour une autre raison.
En cours de
littérature générale et comparée, la professeure nous a demandé d’échanger avec
des avis avec notre voisin. Toutefois, j’étais assis seul et je n’avais pas de
voisin. (La semaine dernière, ma voisine était une Américaine. Elle cherchait
dans sa tête le nom de l’auteur de ‘’En attendant Godot’’. Je lui ai dit le
plus gentiment possible que c’était Samuel Beckett et que Truman Capote et
Franz Kafka étaient deux de mes auteurs préférés.) Quand j’allais commencer à
songer aux motifs répétitifs du troisième mouvement de ‘’La tempête’’ de Ludvig
Van Beethoven pour passer le temps, quelqu’un m'a tapé sur l’épaule.
Je me suis
retourné et j’ai vu qu’un chat géant me regardait. C’est un mensonge. En
réalité, une fille de haute taille que j’avais déjà vue plusieurs fois, mais
avec qui je n’avais jamais parlé, me souriait et m’a dit « Bonjour ».
Malheureusement,
je ne comprends pas la langue des humains, je ne comprends que la langue des
chats, me suis-je excusé. Alors elle a commencé à me parler en langue des chats
noirs. J’ai eu de la chance. Si elle m’avait parlé en langue des chats tigres,
on n’aurait pas pu se comprendre.
À vrai dire,
je n’avais pas fait ce que la professeure nous avait demandé ; c’est-à-dire, je
n’avais pas écrit mon avis sur la littérature générale et comparée. Parce que
simplement lire l'essai de Steiner m'a pris trop de temps. Je le lui ai dit
franchement, à la fille aux lunettes rondes à monture en or et aux cheveux
bruns, qu’on comprenait tout de suite qu’elle n’est pas française, avec son
fort accent. Elle m’a dit « C’est pas grave », et m’a montré sa note. Pendant
qu’elle m’expliquait son point de vue, je hochais la tête en disant de temps en
temps : « C’est vrai.; « C’est vrai. » « Vous avez raison. » « Je suis
d’accord. » Elle était éloquente et ne cessait de parler. Il semblait que
beaucoup d’idées naissaient comme des étoiles dans sa tête. J’ai regardé dans
ma tête. Elle était vide. Mais ça ne m'a pas rendu particulièrement triste,
parce que je suis vide. Je me suis dit juste ; « So it goes and so on. » en
imitant le héros du roman de Kurt Vonneghut, Slaughter House Five.
Pendant
qu’elle m’expliquait ses idées, qui étaient vraiment impressionnantes comparées
à ma page blanche, j’étais attiré par ses lunettes. Au bout d’un moment, la
curiosité a vaincu ma raison. Je lui ai demandé pourquoi elle portait des
lunettes rondes. Au début, elle n’a pas compris ma question. Je la lui ai donc
répétée en français, puis en anglais, en faisant attention à ne pas faire de
fautes de grammaire. « Why are you wearing round glasses ? »
Légèrement
étonnée, elle m’a demandé : « Mes lunettes ? »
Après avoir
réfléchi un instant, elle a levé sa tête et m’a dit ; « Je ne sais pas. Parce
que j’aime bien ? » Derrière ses lentilles, ses grands yeux marron remuaient
comme deux créatures indépendantes. Puis elle a enlevé ses lunettes et m’a dit
; « Ce sont des lunettes John Lennon. » Sur la monture, les caractères
minuscules gravés « John Lennon » reflétaient la lumière. Elle a remis ses
lunettes. Je l’ai regardée de nouveau et je me suis rendu compte que sa
coiffure était aussi celle de John Lennon vers la fin des Beatles. Je lui ai
demandé si elle aimait Lennon. « Je ne sais pas. », m’a-t-elle dit de nouveau.
J’ai quand même eu le bon sens de ne pas lui demander de chanter « Across The
Universe ».