vendredi 2 juin 2017

‘’Le ciel embrasé dans le miroir’' Haruki Murakami

Nous (Bien sûr, ''nous'' désigne moi et mon chien) sommes sortis de la cabane après que les enfants se sont endormis. 
Tandis que je lisais à haute voix ''L’annuaire de la construction navale, édition 1963'' au chevet, mes enfants se sont mis à s’assoupir. 
Les phrases telles que ''Le déplacement total ; 20,652 tonnes, la hauteur ; 37, 63 mètres'' seraient même capables de faire dormir un énorme troupeau d’éléphants.

"-Hé, Monsieur, m’a dit le chien. 
Promenons-nous dehors. 
La Lune est belle cette nuit.

-Ça marche'', lui ai-je dit.

J’habite avec un chien qui parle. 
Évidemment, un chien qui parle est très rare. 
Avant d’être avec un chien qui parle, j’habitais avec ma femme. 
Au printemps de l’an dernier, un bazar s’est organisé à une place de la ville, j’y ai échangé ma femme et ce chien qui parle. 
Je ne sais pas si c’est moi ou le commerçant qui a eu plus de profits. 
J’aimais en effet me femme plus que tout mais il n’y a pas de chose qui est plus rare que le chien qui parle.

Le chien et moi avons longé la rivière et monté la colline douce, puis nous sommes entrés dans la forêt. 
C’était en juillet, les alentours étaient remplis des cris des cigales et des grenouilles. 
La lumière de la Lune qui s’infiltrait à travers les arbres projetait des tâches parsemées sur le sentier. 
En marchant, je me souvenais de journées qui s’étaient passées et ne reviendraient jamais.

''Hé, Monsieur. 
À quoi est-ce que vous pensez ? m’a demandé le chien.

-Je pensais au passé, ai-je répondu. 
À ma jeunesse.

-Oubliez-la, m’a dit le chien d’une voix sèche. 
La nostalgie du passé vous rendra misérable. 
Je n’arrive pas à comprendre. Il me semble que surtout les humains déjà misérables essaient d’être plus misérables. 
Comprenez-vous ?

-Ça suffit’’, ai-je dit.

Et nous avons continué à marcher. 
Le chien ne doit pas parler d’une telle manière à son maître. 
Il semble que je l’ai trop gâté. 
S’il ne changeait pas de son attitude, je devrais l’échanger avec quelque chose d’autre au bazar du printemps l’an prochain. 
Même si c’est difficile de reprendre ma femme, je pourrais avoir une antilope qui joue de la harpe.

Il semblait que le chien ait deviné mes pensées.

''-Je n’avais aucune intention de vous déplaire, s’est excusé le chien. 
Vous êtes vraiment quelqu’un de bien.

-Marchons encore un peu, puis rentrons, ai-je dit. 
La forêt de la nuit est terrifiante.

-Effectivement. 
La forêt de la nuit est terrifiante'', a dit le chien puis il a réfléchi un certain temps.

''-Plein de choses se passent dans la forêt de la nuit. 
Le ciel embrasé dans le miroir, par exemple.

-Le ciel embrasé dans le miroir ?'' Tout étonné, j’ai répété ce qu’il a dit.

''- Oui, le ciel embrasé dans le miroir. 
C’est une vieille légende. 
La mère raconte souvent cette histoire quand elle veut faire peur à ses chiots.

-Umm, ai-je gémi.

-Ne voulez pas vous prendre une pause ici ?

-Ok."

Je me suis assis sur la racine d’un arbre et j’ai allumé une cigarette.

''-Peux-tu m’en dire encore plus sur le ciel embrasé dans le miroir ?

-Si vous me promettez de ne pas m’apporter au bazar du printemps l’an prochain. 
Je ne veux vraiment plus travailler à la baraque de forains à cet âge.

-Je te le promets.'', ai-je dit.

Le chien a hoché la tête, après avoir frotté sa patte antérieure contre un fût pour se débarrasser de boue, il s’est mis à raconter lentement.

''-C’est une histoire que tous les chiens d’ici connaissent. 
Quelque part dans cette forêt, il y a un étang rond en cristal, sa surface est lisse comme le miroir. 
Et elle reflète toujours un ciel embrasé. 
Le matin, le midi, la nuit, toujours un même ciel embrasé.

-Comment est-ce possible ?

-Je n’en ai aucune idée, a dit le chien et il a haussé les épaules. 
J’imagine que le cristal a une manière particulière d’absorber le temps. 
Comme un pélagique énigmatique.

-Et est-ce dangereux ?

-Oui. Tous ceux qui le regardent ont envie d’y entrer. 
Puisque ce ciel embrasé est tellement beau. 
Et ceux qui y sont entrés une fois sont condamnés à errer pour toujours dans le monde de ce ciel embrasé.

-Ça n’a pas l’air mal.

-Ah, vous voyez, a dit le chien et il a fermé l’œil. 
Mais lorsqu’on y entre réellement, ce n’est pas aussi chouette que l’on pense. 
Surtout quand on ne peut plus jamais en sortir.

-J’aime le ciel embrasé.

-Moi aussi.''


J’ai fumé la cigarette sans rien dire pendant un moment.

"-Et alors, tu as déjà vu… ce ciel embrasé dans le réel ?

-Non, a dit le chien et il a secoué la tête. 
Je ne l’ai jamais vu. 
Juste mes parents m’en avaient parlé. 
Et les parents de mes parents leur en avaient parlé. 
Je vous ai déjà dit que c’est une vieille légende.

-Mais il y a un chien qui l’a déjà vu ?

-Les chiens qui l’ont vu une fois ont disparu dans ce ciel embrasé.

-Je crois que je comprends.

-Au final, il n’y a pas de grande différence entre ce que pense le chien et l’homme, a dit le chien. 
Rentrons maintenant.''

Nous sommes revenus sur nos pas en silence. 
Les fougères telle la mer s’agitaient dans le vent de la nuit, le parfum des fleurs flottait dans la lumière de la Lune blanche. 
Le murmure d’un ruisseau s’approchait et s’éloignait. 
Les oiseaux de la nuit ont crié d’une voix comme si on frottait du métal.

''-Vous êtes fatigué ? m’a demandé le chien.

-Ne t’inquiète pas, ai-je dit. Je me sens très bien.

-Tant mieux alors, a dit le chien.

-Au fait, ai-je dit. 
L’histoire que tu m’as racontée est ton invention, n’est-ce pas ?

-Bah bien sûr que non. 
Pourquoi dois-je…

-Dis-moi la vérité, ai-je dit d’un ton tranchant.

-Vous l’avez deviné.

-Bien sûr.''

Le chien a gratté sa tête en souriant comme s’il était embarrassé.

''-Mais cette histoire était intéressante, n’est-ce pas ?

-Oui, quand même, ai-je dit.

-Mais n’oubliez pas votre promesse à propos du bazar du printemps. 
Vous m’avez promis vous-même.

-Je sais.

-Je ne veux vraiment pas être exposé à la baraque de forains.'', a dit le chien.

Ensuite nous avons continué le sentier sans rien dire jusqu’à la cabane. 
Cette nuit là, la Lune était terriblement belle.

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