À l’époque où je travaillais pour le
magazine de relations publiques dans une entreprise de liqueur occidentale,
avec environ quinze collègues, j’ai visité une brasserie longeant la rivière
Tone-gawa et nous avons décidé de passer une nuit sur les lieux. Toutefois, il n’y avait pas d’hôtel
aux alentours. Enfin, quelqu’un a trouvé l’« International Mashroom Hall » qui
se trouvait dans la ville de K, un peu plus loin. D’après ce que la
brochure nous a appris, c’était un hôtel magnifique doté d’un grand bain
public, de salles de réunion et même d’une salle de noces. L’explication disait
qu’un docteur qui avait inventé la méthode célèbre de la culture du shiitaké de
planter de l’hyphe sur une souche d’arbre, avait acheté une montagne grâce à la
fortune que lui avait apporté son invention, et fondé cet hôtel sur le sommet.
Au-dessous du logo de l’hôtel rappelant la calligraphie, il était écrit en
anglais : « INTERNATIONAL MASHROOM HOTEL ». Selon la personne qui a trouvé cet
hôtel, c’était le plus grand et le plus célèbre des alentours. Sceptiques, nous
sommes montés dans le bus à destination de K.
À l’hôtel, devant l’entrée
principale, il y avait un tout petit sanctuaire. À l’entrée, il était écrit : «
Sanctuaire Shiitaké ». Après avoir traversé un torii rouge, nous avons
découverts une statue de bronze rappelant celle du docteur Clark. Sur le socle
était gravé : « Les larmes aux yeux des paysans, j’ouvre les miens ». Je n’ai
pas vraiment compris ce que cela voulait dire, mais il était certain qu’il s’agissait
de la statue du docteur en question. Devant la réception de l’hôtel, il y avait
un bodhisattva de bronze. À son pied, il y avait un panneau qui indiquait : «
Bodhisattva Shiitaké ». Je l’ai contemplé et je me suis rendu compte que son
auréole était faite d’innombrables shiitakés en touffes.
Le hall était moderne et lumineux. Au
fond, il y avait un café chic. Les murs du lobby étaient de granit blanc orné
de motifs qui donnaient une atmosphère anormale. Des dessins qui ressemblaient
à des parapluies vus du dessus couvraient les murs. Il m’a fallu quelques
secondes pour réaliser que c’étaient des shiitakés vus d’en bas.
Des demi-sphères en plastique étaient
incrustés dans l’un des murs. L’une de ces demi-sphères présentait une «
collection d’articles du monde entier en forme de champignon ». Des bibelots
sous forme de champignons, des gravures représentant des champignons, une
broche sous forme de champignon, une tasse aux motifs de champignon…L’écharpe
aux motifs de champignon était-elle signée Hermès ?
Nos fiches remplies, on nous a conduit jusqu’à
nos chambres. Toutes les chambres à la japonaise avaient un nom de champignon,
le « salon de micocoulier », le « salon de polypore en touffe », le « salon
d’oreille de Judas », le « salon de shimeji »……
Nous, les trois femmes du groupe, dès
que nous sommes entrées dans le « salon du champignon nametake », nous avons
commencé à examiner notre chambre. « Et si les motifs des coussins étaient des
champignons ? ». On a tiré des chaises. C’était des champignons. « Alors, les
motifs des kimono seraient-ils aussi des champignons ? ». On a ouvert
l’armoire. C’était des champignons. « Et le thé……? ». On a soulevé le couvercle
de la boîte à thé. Il y avait des sachets de thé au shiitake dedans, et aussi
des « sablés au shiitake ».
Nous avons respiré un bon coup et nous
sommes allées au bain public. Il va sans dire que le bain était un « bain aux
essences de champignons ». Au centre de la grande baignoire il y avait un objet
gigantesque représentant un champignon du chapeau duquel sortait de l’eau
chaude.
Mais nous avons appris par la suite
que la passion pour les champignons de « l’International Mushroom Hall » ne limitait
pas à cela.
À sept heures du soir, tout le monde
portant un kimono sur lequel était imprimé « l’International Mushroom Hall »
s’est réuni au « salon de pleurotes » et la fête a commencé. Sur la table étaient
posées des assiettes ornées de motifs représentant des chapeaux de shiitake et
des portes-baguettes. Le repas proposé était un « menu complet de champignons
», mais plus personne ne s’en étonnait. Le repas a commencé par un dobin-mushi,
puis des hors-d’œuvre, steaks, pot-au-feu. Aucun plat n’était sans champignon. Le
plus impressionnant était un « rôti entier de shiitake ». Des rondins d’environ
trente centimètres étaient mis sur des assiettes et servis devant chaque personne. On prenait avec les doigts et on les mangeait avec de la sauce de soja. La fête
a parfaitement été animées. Il est si rare de déguster ainsi un menu complet. De
plus, la cuisine était délicieuse.
Cependant, vers neuf heures, le
comportement des serveuses est devenu quelque peu étrange. Elles semblaient
agitées et n’arrêtaient pas d’entrer dans la salle à manger. « Elles ont
peut-être envie de retourner dans la forêt », a dit quelqu’un en guise de
plaisanterie. « Sous ces tatamis, il y a peut-être des champignons qui ont
poussé dru », a dit un autre. « Au fait, il y avait bien le film ‘’Matango’’ »,
a murmuré quelqu’un. J’ai eu l’impression que mon dos me démangeait comme si les
innombrables champignons que j’avais mangés en étendaient leurs tentacules.
Un de mes collègues s’est levé et a
dit : « Je me déshabille ! ». Le banquet s’est alors animé de façon anormale. Je
ne peux pas tout écrire. Tous se sont mis à boire, chanter et danser comme des
possédés. C’était une manière de s’amuser anormale comme s’ils essayaient de se
débarrasser de leur peur. Je ne me souviens pas comment le banquet a pris fin. Je
suis retournée dans ma chambre. En évitant de regarder les motifs de mon futon,
et je me suis endormie.
Le lendemain, livides, nous nous
sommes retrouvés au hall du rez-de-chaussée. Heureusement, personne ne s’était
transformé en Matango. Nous avons fait un tour dans le magasin de l’hôtel. Des
sablés faits maison et du thé de shiitake, du vin de shiitake, des cravates,
ceintures, et portefeuilles avec des motifs de champignon. Nous sommes sortis
sans rien acheter.
Comme nous avions du temps avant le
départ, nous sommes entrés dans un café qui avait pour enseigne « Spore ». Ce
café inondé de soleil était à l’abri de l’invasion des champignons. C’était un
miracle. La chaleur d’un café normal qui n’était pas fait de shiitake, m’a réchauffé
le corps et le cœur comme si elle dissipait toutes nos folies de la veille. Merci,
café « Spore ». Je n’oublierai pas ton nom qui m’a redonné vie……
De retour chez moi, il y avait quelque
chose qui m’intriguait. J’ai sorti un dictionnaire que j’utilisais quand j’étais étudiante, et j’ai
cherché le mot. Voici ce que disait le dictionnaire :
Spore (n) Spore désigne un élément
unicellulaire que produisent certains végétaux comme les fougères, les mousses
et les champignons