Dans le bureau désert, je
tape sur ma calculatrice. J’additionne environ vingt nombres à sept chiffres.
Je termine mon calcul et je note le résultat sur une feuille de papier.
Ensuite, je recommence depuis le début pour le vérifier. Le résultat est
différent. Comme je ne sais pas lequel est correct, je note le deuxième
résultat sur le papier et je recommence. Je calcule encore et encore et le
total augmente à chaque fois. Mon regard se brouille et je n’arrive plus à voir
les chiffres. De plus, le clavier de la calculatrice est très petit. En
essayant de taper « 1 », je tape « 2 ». Je tape « AC (All Clear) » au lieu de «
+ » et ça ne marche pas comme je souhaite. Au bout d’un moment, les chiffres
que j’ai écrits sur le papier se transforment en cafards et se mettent à ramper
par-ci, par-là, en entrant dans l’espace entre les claviers, et entre mes
orteils.
Dans
le monde, il y a deux types de personnes. Ceux qui sont faits pour travailler
dans une entreprise et ceux qui ne le sont pas. On dit souvent en parlant des
joueurs de base-ball, « il a le sens du base-ball ». Pour emprunter cette
expression, je n’avais décidément pas le « sens de l’entreprise ».
Par
exemple, je détestais les bas. C'est déjà un défaut pour une employée de bureau. En
plus, j’avais du mal à me lever le matin. J’étais nulle en mathématiques,
j’étais ignorante de la hiérarchie de mon entreprise et je n’étais pas
attentionnée. Alors que je manquais plus que n’importe qui de ponctualité, de
sens de l’argent et d’amabilité, je convoitais la gentillesse d’autrui, le
temps et l’argent. De surcroît, je buvais et mangeais beaucoup. C’est une
tragédie qu’une personne comme moi soit entrée dans une entreprise, mais l’entreprise
qui l’a engagée est beaucoup plus malheureuse.
Évidemment,
j’ai commis toutes sortes de fautes. Au téléphone, j’ai dit au PDG : « Qui
êtes-vous, Monsieur ? ». J’ai fait tomber des sushis sur le bureau du
sous-directeur ; du thon a roulé sur le document sur lequel il allait écrire
quelque chose. J’ai réservé un mauvais billet de TGV pour Osaka et mis le chef
de bureau dans l’embarras à la gare de Tokyo. À la réception occupée à tour de
rôle par des filles, je me suis endormie et lorsque je me suis réveillée,
environ vingt clients, l’air gêné, faisaient la queue. J’ai perdu une facture
de dix millions de yens. J’ai imprimé des photos à l’envers. Je me suis trompé
de mots. Je me suis trompé de numéros de téléphone. Je me suis trompé de somme.
Tout était faux.
Malgré
cela, pathétiquement, j’aimais mon entreprise. Je l’aimais en sachant qu’elle
ne m’aimait pas. C’était un amour sans retour. Je me suis donc adonnée à la
boisson. J’ai bu de la bière, du vin, des cocktails, et du whisky. J’ai bu avec
mes collègues, mes aînés, mes cadets et mes clients. J’ai bu à Roppongi, à
Akasaka, à Aoyama et à Kagurazaka. Le fait que l’alcool fût le produit
principal de mon entreprise a renforcé cette tendance. C’était une société dans
laquelle boire était considéré comme une vertu. Quand j’ai dii que mon foie
était en mauvaise santé, on m’a admirée. Boire de l’alcool était la seule
preuve de mon amour ainsi que celle de mon existence.
Dans la journée, j’étais rarement à ma place.
Je fuyais partout de mon bureau et vagabondais dans mon entreprise. On m’a
surnommée « la vagabonde ». Quand je n’avais plus d’endroit où aller, je me
cachais dans les toilettes. Assise sur la cuvette, je m’assoupissais et rêvais.
Dans mon rêve, j’étais une « employée vagabonde ». Sans place fixe, je
n’appartenais à aucun poste. Avec un tableau accroché à mon cou, une
calculatrice et un crayon, j’errais dans le bureau. Parfois, quelqu’un qui
avait besoin d’un coup de main m’appelait. « Tu peux rédiger ça, s’il te plaît
? ». J’achevais vite le travail, et je recommençais à errer. Tout le monde
m’aimait et avait besoin de moi.
Dans
mon rêve, j’étais heureuse.
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