J’étais une pleurnicheuse célèbre à
l’école maternelle. Je pleurais deux ou trois fois par jour. Pendant deux ans
où j’ai fréquenté mon école maternelle, il n’y avait pas un seul jour où je
n’ai pas pleuré. Je pleurais parce que des enfants plus âgés que moi me
harcelaient. Ils me harcelaient parce que je pleurais.
La hiérarchie, les clans, les
négociations, la corruption passive……la vie des enfants est fatigante. Je pense
que moi, qui criais pour la moindre des méchancetés, j’étais une sorte de jouet
divertissant. On me frappait la tête. Je pleurais. On me volait mes crayons de
couleur. Je pleurais. On me tirait les cheveux. Je pleurais. On me
chatouillait. Je pleurais. J’étais en effet un « jouet pour enfants ».
Mais l’homme est un animal doté d’un
sens de l’équilibre. Ce qui entre finit toujours par sortir. J’avais une façon
à moi de me soulager du stress de vivre en tant que « jouet pour enfants ».
À l’époque, j’habitais un petit
appartement. Il y avait là une autre société d’enfants, et j’ai commis tous les
méfaits possibles de la terre. J’ai creusé un trou dans le sol : j’ai écrit «
con » sur le mur : j’ai enlevé leurs jouets à des enfants : j’ai cueilli toutes
les roses qu’une vieille dame avait plantées et soignées : j’ai tiré la langue
à des enfants à l’insu des adultes : je me suis introduite dans un terrain
interdit etc.
Mais dans cet appartement, il y avait
des enfants plus âgés que moi, et déjà une hiérarchie, avec un boss à son
sommet, était établie. J’avais réussi à entrer dans cette société en tant que «
non jouet pour enfants » (le perdant demeure toujours perdant dans cette
société), mais tout ce que je faisais, c’était de commettre de petits crimes en
cachette de ce boss. Cela ne me satisfaisait pas. Je voulais régner. Je voulais
devenir un grand méchant
C’est alors que je m’en suis prise à
Numazawa. Numazawa était un garçon de mon âge qui vivait dans l’appartement
derrière le mien. Il était taciturne et tranquille. Il était intelligent, mais
ne se plaignait jamais et ne se moquait jamais de moi. Il était idéal pour que
j’en fasse mon valet. J’ai organisé une « équipe d’explorateurs » avec lui et
sa petite sœur, et je me suis auto-proclamée capitaine.
On l’appelait « équipe d’explorateurs
», mais en réalité, je flânais simplement autour de l’appartement de Numazawa
et régnais arbitrairement sur lui. Par exemple, je lui ordonnais d’imiter son
capitaine et je l’ai fait répéter mes gestes et mes paroles. Je lui ai dit : «
Celui qui ramasse le plus de glands gagne », et lorsque j’ai vu que je me
trouvais en état d’infériorité, j’ai subitement changé de règles en lui disant
: « Celui qui a le moins de glands gagne ! ». Un jour, je l’ai fait
apporter tous les assaisonnements qu’il trouvait chez lui, et j’ai fait une
soupe de lombrics dans une bassine. La mère de Numazawa était une femme
taciturne. Face à ce spectacle horrible, elle a soupiré en disant : « Ah,
non….. », et rien de plus.
J’avais peur au fond de mon cœur.
Numazawa fréquentait la même école maternelle que moi. Nous nous rencontrions
rarement parce que nous étions dans des différentes classes et que je l’évitais
toujours, mais j’étais certaine qu’il savait ce que j’étais en réalité. De
temps en temps, il m’arrivait de me rendre compte qu’il me regarder me faire harceler
et pleurer pendant la pause de midi. Lorsque nous jouions aux explorateurs, il
me perçait parfois de ce même regard. J’avais l’impression que son regard me
disait quelque chose. J’avais peur qu’il me dise ce « quelque chose ». Afin
d’échapper à cette peur, je me suis comportée de manière encore plus
impérieuse.
J’ai volé son trésor, un crayon rose pâle
dont la mine pouvait s’extraire. J’ai cassé l’échelle de sa maquette de camion
de pompiers, et j’ai fui en faisant semblant de n’avoir rien fait. J’étais
jalouse lorsque son dessin était meilleur que le mien. Je lui disais : « Je
vais l’améliorer ! » et je le gâchais exprès.
Mais le moment que je craignais n’est
finalement jamais arrivé. La famille de Numazawa a déménagé un jour sans me
prévenir.
J’ai jeté le crayon rose pâle dans la
rivière. Dans la nouvelle société dite de l’école primaire, attentivement, j’ai
fait mes débuts modestes en tant que ni perdant ni boss.
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