vendredi 21 décembre 2018

''Souvenirs de l'International Mushroom Hotel'' Sachiko Kishimoto


 À l’époque où je travaillais pour le magazine de relations publiques dans une entreprise de liqueur occidentale, avec environ quinze collègues, j’ai visité une brasserie longeant la rivière Tone-gawa et nous avons décidé de passer une nuit sur les lieux. Toutefois, il n’y avait pas d’hôtel aux alentours. Enfin, quelqu’un a trouvé l’« International Mashroom Hall » qui se trouvait dans la ville de K, un peu plus loin. D’après ce que la brochure nous a appris, c’était un hôtel magnifique doté d’un grand bain public, de salles de réunion et même d’une salle de noces. L’explication disait qu’un docteur qui avait inventé la méthode célèbre de la culture du shiitaké de planter de l’hyphe sur une souche d’arbre, avait acheté une montagne grâce à la fortune que lui avait apporté son invention, et fondé cet hôtel sur le sommet. Au-dessous du logo de l’hôtel rappelant la calligraphie, il était écrit en anglais : « INTERNATIONAL MASHROOM HOTEL ». Selon la personne qui a trouvé cet hôtel, c’était le plus grand et le plus célèbre des alentours. Sceptiques, nous sommes montés dans le bus à destination de K.
 À l’hôtel, devant l’entrée principale, il y avait un tout petit sanctuaire. À l’entrée, il était écrit : « Sanctuaire Shiitaké ». Après avoir traversé un torii rouge, nous avons découverts une statue de bronze rappelant celle du docteur Clark. Sur le socle était gravé : « Les larmes aux yeux des paysans, j’ouvre les miens ». Je n’ai pas vraiment compris ce que cela voulait dire, mais il était certain qu’il s’agissait de la statue du docteur en question. Devant la réception de l’hôtel, il y avait un bodhisattva de bronze. À son pied, il y avait un panneau qui indiquait : « Bodhisattva Shiitaké ». Je l’ai contemplé et je me suis rendu compte que son auréole était faite d’innombrables shiitakés en touffes.
 Le hall était moderne et lumineux. Au fond, il y avait un café chic. Les murs du lobby étaient de granit blanc orné de motifs qui donnaient une atmosphère anormale. Des dessins qui ressemblaient à des parapluies vus du dessus couvraient les murs. Il m’a fallu quelques secondes pour réaliser que c’étaient des shiitakés vus d’en bas.
 Des demi-sphères en plastique étaient incrustés dans l’un des murs. L’une de ces demi-sphères présentait une « collection d’articles du monde entier en forme de champignon ». Des bibelots sous forme de champignons, des gravures représentant des champignons, une broche sous forme de champignon, une tasse aux motifs de champignon…L’écharpe aux motifs de champignon était-elle signée Hermès ?
 Nos fiches remplies, on nous a conduit jusqu’à nos chambres. Toutes les chambres à la japonaise avaient un nom de champignon, le « salon de micocoulier », le « salon de polypore en touffe », le « salon d’oreille de Judas », le « salon de shimeji »……
 Nous, les trois femmes du groupe, dès que nous sommes entrées dans le « salon du champignon nametake », nous avons commencé à examiner notre chambre. « Et si les motifs des coussins étaient des champignons ? ». On a tiré des chaises. C’était des champignons. « Alors, les motifs des kimono seraient-ils aussi des champignons ? ». On a ouvert l’armoire. C’était des champignons. « Et le thé……? ». On a soulevé le couvercle de la boîte à thé. Il y avait des sachets de thé au shiitake dedans, et aussi des « sablés au shiitake ».
 Nous avons respiré un bon coup et nous sommes allées au bain public. Il va sans dire que le bain était un « bain aux essences de champignons ». Au centre de la grande baignoire il y avait un objet gigantesque représentant un champignon du chapeau duquel sortait de l’eau chaude.
 Mais nous avons appris par la suite que la passion pour les champignons de « l’International Mushroom Hall » ne limitait pas à cela.
 À sept heures du soir, tout le monde portant un kimono sur lequel était imprimé « l’International Mushroom Hall » s’est réuni au « salon de pleurotes » et la fête a commencé. Sur la table étaient posées des assiettes ornées de motifs représentant des chapeaux de shiitake et des portes-baguettes. Le repas proposé était un « menu complet de champignons », mais plus personne ne s’en étonnait. Le repas a commencé par un dobin-mushi, puis des hors-d’œuvre, steaks, pot-au-feu. Aucun plat n’était sans champignon. Le plus impressionnant était un « rôti entier de shiitake ». Des rondins d’environ trente centimètres étaient mis sur des assiettes et servis devant chaque personne. On prenait avec les doigts et on les mangeait avec de la sauce de soja. La fête a parfaitement été animées. Il est si rare de déguster ainsi un menu complet. De plus, la cuisine était délicieuse.
 Cependant, vers neuf heures, le comportement des serveuses est devenu quelque peu étrange. Elles semblaient agitées et n’arrêtaient pas d’entrer dans la salle à manger. « Elles ont peut-être envie de retourner dans la forêt », a dit quelqu’un en guise de plaisanterie. « Sous ces tatamis, il y a peut-être des champignons qui ont poussé dru », a dit un autre. « Au fait, il y avait bien le film ‘’Matango’’ », a murmuré quelqu’un. J’ai eu l’impression que mon dos me démangeait comme si les innombrables champignons que j’avais mangés en étendaient leurs tentacules.
 Un de mes collègues s’est levé et a dit : « Je me déshabille ! ». Le banquet s’est alors animé de façon anormale. Je ne peux pas tout écrire. Tous se sont mis à boire, chanter et danser comme des possédés. C’était une manière de s’amuser anormale comme s’ils essayaient de se débarrasser de leur peur. Je ne me souviens pas comment le banquet a pris fin. Je suis retournée dans ma chambre. En évitant de regarder les motifs de mon futon, et je me suis endormie.
 Le lendemain, livides, nous nous sommes retrouvés au hall du rez-de-chaussée. Heureusement, personne ne s’était transformé en Matango. Nous avons fait un tour dans le magasin de l’hôtel. Des sablés faits maison et du thé de shiitake, du vin de shiitake, des cravates, ceintures, et portefeuilles avec des motifs de champignon. Nous sommes sortis sans rien acheter.
 Comme nous avions du temps avant le départ, nous sommes entrés dans un café qui avait pour enseigne « Spore ». Ce café inondé de soleil était à l’abri de l’invasion des champignons. C’était un miracle. La chaleur d’un café normal qui n’était pas fait de shiitake, m’a réchauffé le corps et le cœur comme si elle dissipait toutes nos folies de la veille. Merci, café « Spore ». Je n’oublierai pas ton nom qui m’a redonné vie……
 De retour chez moi, il y avait quelque chose qui m’intriguait. J’ai sorti un dictionnaire que j’utilisais quand j’étais étudiante, et j’ai cherché le mot. Voici ce que disait le dictionnaire :
 Spore (n) Spore désigne un élément unicellulaire que produisent certains végétaux comme les fougères, les mousses et les champignons

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