samedi 29 juillet 2017

''Innocent World'' Mr.Children






Le moment où on s’est embrassé dans la ville brillant en or me traverse l’esprit
Parfois, j’ai blessé des gens avec mes mots étourdis et tu n’es plus là
Ces temps-ci, je chéris même cet homme minable qui se reflète dans la fenêtre

Sans pouvoir être quelqu’un d’autre, en gardant mon rêve précieux
Je devrai marcher à l’infini, c’est bien ça ?

Cette mélodie qui coule toujours dans mes veines
Pénètre dans mon cœur, légèrement et tendrement
Avant que je monte une pente ensoleillée
J’espère te retrouver quelque part

Récemment j’ai réalisé qu’on parlait du travail même au dîner
Je me suis perdu en regardant le monde de divers points de vue

Je m’abandonne dans la relation humaine enchevêtrée,
Mais sans essayer d’être quelqu’un d’autre,
Dans une vie tranquille
Te laisser emporter par le vent,
Ça a l’air bien, tu ne penses pas ?

Sous la pluie mélancolique de Juin,
En songeant à la saison qui était pleine d’amour, je chante
Montre-moi ton sourire que j’avais oublié sans me rendre compte
Je jetterai ce sentiment hésitant au-delà de l’arc-en-ciel

Dans un coin de cette ville qui ne cesse de changer,
La bribe d’un rêve naît à cet instant

Sans être pourvoir quelqu’un d’autre, 
En espérant sur une lumière faible,
J’avancerai aussi demain, c’est bien ça ?

Cette mélodie qui coule toujours dans mon cœur
M’est trop gentille, me manque terriblement et me serre le cœur
Avant que je montre une pente ensoleillée,
J’espère te retrouver quelque part
En l’occurrence, je me jetterai au-delà de l’arc-en-ciel
Dans l’innocent world qui dure à l’infini

mardi 25 juillet 2017

Les chaussures



 Il était évident aux yeux de tous que mes chaussures venaient à la fin de leur vie. Elles étaient entièrement fatiguées, ma chaussure gauche avait deux trous, ma chaussure droite en avait trois dont l’un était grand. Je me suis promené en faisant attention aux pieds des piétons. Il y a diverses sortes de gens au monde ; les enfants, les vieillards, les adultes, les adolescents, les hommes et les femmes, etc. Mais j'étais la seule personne qui marchais avec des chaussures trouées. Même un mendiant portait des chaussures de cuir de couleur maronne qui n'avaient pas de trou. Mes chaussures m’étaient confortables. Lorsque je sortais avec, j’oubliais même leur présence. C’était normal parce que je les porte depuis deux ans. Je les avais achetées chez ABC Mart qui se trouvait dans la gare de Sapporo. Maintenant elles sont tout à fait ajustées à la forme de mes pieds. Mais les trous ne disparaissent pas. La semelle est devenue extra-fine à cause de multiples frottements sur le sol. C’était le moment d’en changer.

Par chance, j’avais un billet de cent euros que mon patron m’avait donné. Je l’ai mis dans ma poche et je suis sorti en ville. Aujourd’hui, il m'a semblé qu’il y avait encore moins de monde que d’habitude à cause du mauvais temps. Mais quand je suis sorti, il ne pleuvait plus. J’ai pris le tram E et je suis descendu à la station République. Je pouvais prendre le tram C pour me rendre à la station Brogile mais j’apprécie de marcher dans ce quartier. De plus, aujourd’hui était le dernier jour du travail de mes sneakers noirs. Je ne m’étais pas rendu compte jusqu’à présent, mais il y avait beaucoup de magasins de chaussures au centre-ville de Strasbourg.
 Près de la station Brogile, je suis entré dans une ruelle déserte. Aussitôt j’ai trouvé un magasin de chaussures. Dans la vitrine était discrètement exposée une variété de chaussures. Le prix que les étiquettes indiquaient était un peu cher, mais j’y suis entré. Le magasin n’était pas grand, mais il était calme et propre. La radio diffusait ‘’Show must go on’’ de Queen d’un petit volume. Au comptoir, un homme robuste d’âge mûr aux cheveux blancs était assis. Visiblement, j’étais le seul client. Après lui avoir dit bonjour, j’ai regardé des produits. Après un moment, il m’a dit, « Et si je vous aidais ? ». À vrai dire, je ne connaissais même pas ma taille en France. Je lui ai donc demandé de m’aider. Il m’a demandé si je voulais des chaussures de sport ou des chaussures en cuir. Je lui ai dit que je préférais les chaussures de sport. Le costume, la cravate, les chaussures en cuir, ce sont des choses que je n’aime pas beaucoup. « Quelle est votre taille ? m’a-t-il demandé.
- Je ne connais pas ma taille. Mais au Japon, c’était entre vingt-cinq et vingt-six centimètres, lui ai-je dit.
- Ah. C’est comme ça au Japon. »

Quelques instants plus tard, il m’a apporté des chaussures bleues. Il m’a dit que ces chaussures étaient du 40. Je ne comprends pas pourquoi la France n'adopte pas le système métrique pour les vêtements et les chaussures alors que cela a été inventé en France. (A-t-il été adopté sous Napoléon ? Plus tard, il s’est répandu dans le monde entier sauf aux États-Unis.) Mais ce n’était pas le moment d’argumenter. C’était le moment d’essayer des chaussures. Et elles étaient innocentes. Toutefois celles que le patron m’a suggérées étaient trop petites. J’avais un peu mal au bout de mes pieds. Et j’ai mis un peu de temps pour les mettre. Il a fait un commentaire sur mes pieds en disant qu’ils n’étaient pas petits mais larges. Il a ensuite apporté d’autres chaussures. Cette fois, elles étaient noires. Je les ai essayées. Celles-ci étaient beaucoup mieux que les bleues mais elles étaient un peu trop larges. Il a alors apporté les mêmes chaussures noires mais d'une pointure plus petite. C’était le moment de la rencontre entre mes nouvelles chaussures et moi. Elles n’étaient ni trop petites ni trop grandes, elles étaient confortables. Le design était simple et chic.
Au départ, elles coûtaient 179 euros, mais grâce aux soldes elles étaient à 80 euros.
J'ai remercié le Dieu des soldes et le patron. Lorsque je suis sorti du magasin, je portais mes nouvelles chaussures. Elles faisaient un bruit sec à chaque pas.

À la place Kléber, un bouquiniste vendait des livres d’occasion comme d’habitude. J’ai trouvé dans le wagon ‘’Le procès-verbal’’ du Clézio et ‘’Madame Bovary’’ de Flaubert mais je ne les ai pas achetés. Je me suis dit qu'il me fallait d'abord finir ‘’Les frères Karamazov’’ et ‘’La montagne magique’’.

Il a commencé à pleuvoir. Mais je n’ai pas pris le tram. Même si la pluie mouillait mon corps, je voulais marcher jusqu’à ce que je sois fatigué.

'’Le meilleur endroit pour lire John Updike’’ Haruki Murakami

 Le printemps m’évoque John Updike. Et John Updike m’évoque le printemps de l’année 1968. C'est dans notre esprit qu'existe ce genre d’enchaînement. Ce ne sont que de petites choses, mais de temps en temps je ressens que l’essentiel de la vie ou du monde se trouve dans ces petits événements. 
 Au printemps de l’année 1968, j’ai déménagé à Tokyo pour mes études. Comme je ne voulais pas porter mes gros bagages, je les avais déjà envoyés à mon nouvel appartement. Avec un paquet de cigarettes, un briquet et ‘’Music School’’ de John Updike dans la poche de mon manteau, j’ai quitté ma maison. C’était un livre de poche de l’édition de Bandam ou de Del, je me rappelle que sa bonne vieille couverture était simple et raffinée. Après avoir déjeuné avec ma petite amie et lui avoir dit au revoir, j’ai pris le train.
  Lorsque j’y pense maintenant, partir pour Tokyo avec un livre d’Updike dans la poche est affecté, mais bon. Je suis arrivé à Tokyo vers le soir et je suis allé à mon nouvel appartement de Mejiro, mais mes bagages qui auraient dû être déjà livrés n’étaient pas encore là. Il n’y avait ni vêtements ni cendrier ni couette ni tasse à café ni bouilloire. Je me suis senti misérable. Il fallait penser que c’était pour me punir d'avoir cherché à faire bon genre. 
 La chambre était vide. Il n’y avait qu’une table très simple avec un tiroir et qu'un lit en fer. Sur le lit était mis un matelas dont la seule vue me déprimait. Je me suis assis dessus, le matelas était aussi dur qu’une baguette achetée il y a une semaine.
 C’était le soir d’un jour de printemps grisâtre. J’ai ouvert la fenêtre, quelqu’un écoutait la radio au loin. Elle était en train de diffuser ‘’In-agadda-da-vida’’ des Iron Butterfly. Bien que cela remonte à quatorze ans, je me souviens très bien de certains détails. 
 Je n’avais pas grand-chose à faire. J’étais totalement découragé ce jour-là. Finalement, j’ai acheté un coca-cola (c’était une bouteille. Imaginez une bouteille, s’il vous plaît) et des biscuits, je me suis couché sur le matelas dur, j’ai lu la suite de mon livre d’Updike. Avec le coucher du soleil, la chambre s’est assombrie, j’ai allumé les lampes fluorescentes du plafond. L’une des lampes a crépité. 
 Lorsque je l’ai fini à huit heures et demi, au fond de la bouteille de coca-cola, des mégots créaient une couche de cinq centimètres. J’ai déposé le livre à mon chevet, j’ai contemplé le plafond pendant une heure. J’étais laissé seul dans cette ville gigantesque, sans couette ni rasoir. Je n’avais même pas une personne à appeler. Mais ce n’était pas un mauvais sentiment. 
 Si on me demande quel est le meilleur endroit pour la lecture, je répondrai « sur le matelas dur dans la chambre vide en avril de l’année 1968 ». Un endroit où chaque ligne pénètre dans mon cœur, c’est mon bureau idéal. Une pièce avec un sofa d’Eames où la musique de Telemann coule d’une enceinte acoustique de AR n’est pas mal. Mais c’est encore une autre question. Je ressens qu’il existe quelque part au monde un endroit idéal pour la lecture de John Updike, et aussi celui pour lire Cheever.

''Two nights before he left for Harvard, he had taken her virginity. She had cried, and he had felt foolish, having, somehow, failed. It had been his virginity, too. Orson was sane, sane enough to know that he had lots to learn, and to be, witihin limits, willing. Harvard processes thousands of such boys and restores them to the world with little apparent damage.'' -The Christian Roommates (from ''Music School'' of John Updike)


vendredi 21 juillet 2017

''Le Noël de l'homme-mouton'' Haruki Murakami




 C'est au beau milieu de l'été qu’un homme a demandé à l’homme-mouton de composer une musique pour Noël. L’homme-mouton et cet homme étaient tous les deux trempés de sueur dans leur costume en forme de mouton. Être homme-mouton en plein été est bien un travail pénible. Notamment pour cet homme-mouton pauvre qui n’avait pas d’argent pour acheter un climatiseur.  Un ventilateur qui tournait agitait les oreilles de ces deux hommes-moutons. 

« Nous, les membres de l’Association de l’homme-mouton, a dit le visiteur en ouvrant la fermeture éclair de sa poitrine pour y laisser entrer le vent, choisissons chaque année un homme-mouton qui a un don musical, lui demandons de composer un morceau pour consoler Saint homme-mouton et de l’interpréter le jour de Noël. Cette année vous avez l'honneur d'avoir été élu. 
- C’est bien trop pour moi, a dit l’homme-mouton. 
- Surtout que cette année est le deux mille cinq centième anniversaire de la mort du Saint homme-mouton. Nous voudrions que vous composiez une musique splendide digne de ce jour mémorable, a dit l’homme. 
- Je vois, je vois », a dit l’homme-mouton en se grattant l’oreille. J’ai encore quatre mois avant Noël, c’est assez pour composer une magnifique musique pour hommes-moutons, a pensé l’homme-mouton. 
« J’accepte ce travail avec plaisir. Ayez confiance en moi, a dit l’homme-mouton avec conviction. Je créerai une musique remarquable pour vous. » 

 D’abord septembre, ensuite octobre et novembre passèrent. Toutefois l’homme-mouton ne s’était pas encore mis à travailler sur la composition.  Étant donné que l’homme-mouton travaillait au magasin de donuts pendant la journée, il n’y avait que très peu de temps qu’il pouvait consacrer à la composition. De plus, lorsque l’homme-mouton se mettait à jouer du vieux piano, l’épouse du propriétaire qui vivait au rez-de-chaussée venait chaque fois frapper violemment à la porte de sa chambre. 
« Arrêtez de faire du bruit ! Vous m’agacez ! Je n’entends même pas le son de la télé à cause de vous ! 
- Veuillez m’excuser, mais cela ne va durer que jusqu’à Noël. Je vous prie de patienter pendant un petit moment, a dit l’homme-mouton craintivement. 
- Arrêtez vos conneries ! a crié l’épouse du propriétaire. Si vous avez à vous plaindre, vous pouvez quitter immédiatement cet appartement. On fait déjà bien l’objet de moqueries car nous laissons habiter un cinglé comme vous ! Ne m’emmerdez plus, s’il vous plaît ! » 
 Morose, l’homme-mouton regarda le calendrier. Malgré le fait qu’il ne restait que quatre jours avant Noël, il n’avait pas même composé une mesure. Tout ça parce qu'il avait maintenant perdu le droit de jouer du piano.  


 Alors que l’homme-mouton mangeait un donut, le visage sombre, dans le parc à midi, le Docteur ès moutons passa. 

« Qu’est-ce qu’il y a, Monsieur homme-mouton, a demandé le Docteur ès moutons. Vous avez l’air bien triste. Bien que ce soit bientôt Noël… 
- C’est à cause de ce Noël que je suis morose », a dit l’homme-mouton. Et il a expliqué ce qui s’était passé au Docteur ès moutons. « Hm…, a dit le Docteur en se caressant la barbe. Dans ce cas, je pourrai sans doute vous aider. 
- C’est vrai ? », a dit l’homme-mouton d’un air dubitatif. Il faut dire que le Docteur ès moutons était un professeur bien curieux qui ne faisait des recherches que sur les moutons, et les habitants de la ville discutaient entre eux en se demandant s’il n’était pas fou. 
« Je ne mens pas, a dit le Docteur ès moutons. Venez chez moi demain soir à six heures. J’ai une idée pour vous aider. Au fait, pouvez-vous me donner ce donut à la cannelle ? » 
Et sans que l’homme-mouton ne dise ni « oui »ni « je vous en prie », il prit son donut et l'ingurgita. 

 Le lendemain à six heures, l’homme-mouton rendit visite au Docteur ès moutons avec six donuts à la cannelle. Il habitait une vieille maison en brique, les arbres de jardin étaient tous taillés en forme de mouton. La sonnette, les piliers de porte, le pavé, tout était en forme de mouton. C’est épatant, a pensé l’homme-mouton. 

 Le Docteur ès moutons dévora quatre donuts coup sur coup et il mit soigneusement le reste dans le placard. Il lécha ensuite ses doigts et ramassa les miettes de donuts et les mangea. « Il adore vraiment les donuts… », se dit l’homme-mouton, admiratif.  Après avoir sucé ses doigts, le Docteur prit un livre épais de l’étagère. Sur la couverture, il était écrit « L’histoire de l’homme-mouton »
« Alors, Monsieur homme-mouton, a dit le Docteur d’une voix lourde. Dans ce livre, tout ce qui concerne l’homme-mouton est écrit, même la raison pour laquelle vous n’arrivez pas à composer. 
- Mais Docteur, je sais déjà bien pourquoi je ne peux pas composer. C’est parce que l’épouse du propriétaire de mon appartement ne me laisse pas jouer du piano, dit l’homme-mouton. Si je pouvais jouer du piano… 
- Non, non, dit le Docteur en secouant la tête. Ça n’a rien à voir avec cette histoire. Même si vous pouviez jouer du piano, le résultat serait le même. Il y a bien une raison plus importante. 
- C’est-à-dire ? demanda l’homme-mouton. 
- Vous êtes maudit, chuchota le Docteur. 
- Maudit ? 
- Exactement, dit le Docteur en hochant la tête à plusieurs reprises. Vous êtes maudit, c’est la raison pour laquelle vous ne pouvez ni jouer du piano ni composer. 
- Hmm… grogna l’homme-mouton. Mais alors pourquoi suis-je maudit ? Je n’ai rien fait de mal. » 
Le Docteur tourna quelques pages de ce livre. 
« N’avez-vous pas regardé la Lune le quinze juin ? 
- Non, ça fait cinq ans que je ne contemple pas la Lune. 
- Alors, le jour de Noël de l’année dernière, avez-vous mangé quelque chose qui a un trou ? 
- Je mange des donuts tous les jours pour le déjeuner. Je ne me rappelle plus quel type de donut, mais c’est certain que j’en ai mangé la veille de Noël, oui. 
- Est-ce que ce donut avait un trou ? 
- Bien sûr. La plupart des donuts ont un trou. 
- C’est à cause de cela, dit le Docteur en hochant encore et encore et encore la tête. C’est pour cela que vous êtes maudit. Si vous êtes homme-mouton, vous auriez dû savoir qu’il ne fallait pas manger une chose qui a un trou la veille de Noël. 
- Je n’ai jamais entendu une telle histoire, s’est écrié l’homme-mouton. Qu’est-ce que cette histoire ? 
- Vous ne connaissez pas la fête de Saint mouton, cela m’étonne, s’est écrié encore plus fort le Docteur. Les jeunes de nos jours ne connaissent rien. Quand vous êtes devenu homme-mouton, vous avez dû apprendre beaucoup de choses à l’école d’hommes-moutons, n’est-ce pas ? 
- Oui, c’est bien vrai… Mais je n’étais pas un bon élève à l’école, c’est pour ça… » dit l’homme-mouton en grattant la tête. 

« Vous voyez. Tout ça, c’est à cause de votre inattention. Vous êtes indécrottable. Mais quand bien même, je vous aiderai puisque vous m’avez offert des donuts, dit le Docteur. Vous savez, le vingt-quatre décembre est à la fois la veille de Noël et la fête de Saint mouton. En bref, c’est le jour sacré où Saint homme-mouton est tombé dans une fosse en marchant dans la rue à minuit et qu'il est mort. C’est pour cela que la vieille tradition interdit de manger une chose perforée ce jour, comme des macaroni, un chikuwa, un donut, un anneau de calamar, un oignon tranché etc.   
- J’ai une question, pourquoi Saint homme-mouton se promenait-il à minuit et pourquoi y avait-il une fosse dans la rue ? 
- Je n’en ai aucune idée. C'était il y a deux mille cinq cents ans. C’est normal que personne n’en sache rien. Mais en tout cas, c’est la loi. Soit que vous le sachiez, soit que vous l’ignoriez, si vous transgressez cette règle, vous serez maudit. Et si vous êtes maudit, vous ne serez plus un homme-mouton. C’est exactement la raison pour laquelle vous n’arrivez pas à composer un morceau pour hommes-moutons. » 
« Qu’est-ce que je peux faire…, dit l’homme-mouton d’un air très affaibli. N’y a-t-il pas moyen de briser cette malédiction ? 
- Hmm, a dit le Docteur. Bien entendu, il existe un moyen pour la briser. Mais ça doit être pénible. Êtes-vous d’accord ? 
- Je suis d’accord. Je ferai tout pour ça. Alors pourriez-vous me dire ce moyen ? 
- Ce moyen, c’est de tomber dans une fosse. 
- Une fosse ? dit l’homme-mouton. Tomber dans une fosse ? De quel type de fosse s’agit-il ? N’importe quelle fosse ? 
- Ne dites pas de bêtises. Pas n’importe quelle fosse. La fosse pour briser la malédiction a sa propre proportion. Attendez une seconde, je regarde. »  
 Le Docteur prit un vieux livre intitulé « La légende de Saint homme-mouton » et il tourna quelques pages. 
« Euh…Ah, c’est ici. Il est écrit, Saint homme-mouton est tombé dans une fosse de deux mètres de diamètre, de profondeur de deux cent trois mètres. Donc, vous devrez tomber dans la même fosse que celle-ci. 
- Mais écoutez-moi. Il m’est impossible de creuser une fosse de deux cent trois mètres, de plus, si je tombe dans une fosse comme celle-ci, je mourrai avant de briser la malédiction. 
- Attendez, attendez. Il y a une suite. ‘’Pour ceux qui souhaitent briser la malédiction, il suffit de diviser la profondeur par cent.’’ Cela veut dire qu’une fosse de deux mètres et trois centimètres est suffisante. 
- Ah, je me sens soulagé. Dans ce cas, je pourrai le faire. Je creuserai une fosse. », dit l’homme-mouton soulagé. 

 L’homme-mouton emprunta ce livre au Docteur ès moutons. D’après ce livre, il y avait de nombreuses règles pour briser la malédiction. L’homme-mouton les a énumérées dans un cahier. 


1). La fosse doit être creusée avec une pelle au manche de frêne. (Saint homme-mouton utilisait une canne de frêne.) 



2). Il faut tomber dans la fosse à une heure seize du matin de la veille de noël. (Saint homme-mouton est tombé dans la fosse à cette heure.) 



3). Lorsque vous serez dans la fosse, vous devez avoir de la nourriture qui n’a pas de trou sur vous comme casse-croûte. 


 Le premier et le deuxième semblaient bien raisonnables, en revanche, l’homme-mouton ne comprit pas bien pourquoi de la nourriture était nécessaire pour être dans la fosse d’environ deux cents mètres. 
« Bon. C’est ce qui est écrit dans ce livre. Alors je ferai comme il dit. », pensa l’homme-mouton.
  Il restait encore trois jours avant la veille de Noël. Avant trois jours, il devait fabriquer une pelle au manche de frêne, et creuser un trou de deux mètres de diamètre, de deux mètres trois centimètres de profondeur. Tant pis. Pourquoi dois-je me trouver dans une situation si compliquée ? Soupira l’homme-mouton.  Il y avait un frêne dans la forêt. Il en scia une branche et il en fit un manche de pelle avec un couteau en une journée. Et le lendemain, il se mit à creuser une fosse dans le terrain inoccupé derrière son appartement. 

L’épouse du propriétaire vint et lui demanda, « Dites, pourquoi vous creusez une fosse là ! » 
« Je creuse une fosse pour y jeter des ordures, lui a répondu l’homme-mouton. Je me suis dit que ce serait sûrement pratique. 
- Hm, ah bon. Si vous faites quelque chose de louche, j’appellerai immédiatement la police ! », dit la femme avec haine et elle partit.  L’homme-mouton acheva sa fosse de deux cents mètres de diamètres et de deux mètres trois centimètres de profondeur, en mesurant correctement les dimensions. « C’est parfait. », dit l’homme-mouton et il mit une planche de bois dessus. 

Enfin, la veille de Noël arriva. L’homme-mouton apporta des donuts torsadés qui n’avaient pas de trou de son magasin et les mit dans son havresac. La quantité était suffisante pour s’en servir comme casse-croûte. Et il mit son portefeuille et une petite torche électrique dans la poche de sa poitrine et il ferma la fermeture à glissière. À une heure du matin, les lumières des maisons aux environs étaient éteintes, une obscurité totale régnait sur le terrain inoccupé. Il ne voyait ni la lune, ni aucune étoile, ni même ses mains. 
« S’il faisait aussi noir, c’est normal que Saint homme-mouton soit tombé dans une fosse. », murmura l’homme-mouton en cherchant la fosse avec sa lampe de poche. Mais l’obscurité était trop profonde pour la localiser. 
« Oh mon Dieu. Il sera bientôt une heure seize. Si je ne trouve pas la fosse, je dois attendre la veille de Noël de l’année prochaine. Si cela m’arrive, je... » 
 À ce moment-là, tout à coup la terre sur laquelle il marchait disparu. L’homme-mouton tomba dans la fosse. « Quelqu’un aurait enlevé la planche dans la journée, pensa l’homme-mouton dans sa chute. Peut-être que c’est la femme de cet appartement. Elle ne fait que des choses qui m’ennuient. »  Toutefois il réalisa que quelque chose clochait. Je continue encore à chuter. La profondeur de ma fosse n’était que de deux mètres trois centimètres, alors j'aurais dû déjà atteindre le fond.  Soudainement il s’est cogné contre le fond avec un bruit lourd. Bizarrement, il n’a ressenti aucune douleur malgré cette profondeur incommensurable.   

 Après avoir secoué la tête, il essaya d'éclairer les alentours avec sa lampe de poche, mais il ne la retrouvait plus. Il avait dû la perdre au moment où il avait chuté dans la fosse. 
« Bon sang ! Qu’est-ce qui se passe ! cria quelqu’un dans l’obscurité. Il est encore une heure quatorze, t’es arrivé deux minutes en avance, merde ! Remonte la fosse et recommence depuis le début ! 
- Pardonnez-moi. Il faisait noir et je suis tombé par erreur, a dit l’homme-mouton. D’ailleurs, c’est impossible de remonter une fosse si profonde. 
- Merde ! T’as failli m’écraser. Moi, je croyais que tu viendrais à une heure seize, bon sang ! » 


  Il entendit le bruit que l'on fait en frottant une allumette, puis une bougie s’alluma. Celui qui l’avait allumée était un homme grand. Mais la hauteur de ses épaules était quasiment équivalente à celle de l’homme-mouton. Seule sa tête était affreusement longue et était tordue en plusieurs endroits comme un donut torsadé. 

« Bon sang ! Hé, toi, au fait, t’as bien apporté le casse-croûte, hein ? a dit le Tordu. Je t’en ferai voir, si tu n’en as pas. 
- Je l’ai bien apporté ! dit l’homme-mouton avec précipitation. 
- Montre-moi alors, bon sang ! J’ai la dalle, moi ! » 
L’homme-mouton ouvrit son havresac et prit les donuts torsadés un par un, et les donna au Tordu. 
« Q, qu’est-ce que c’est que ça ! s’est écrié le Tordu. Putain ! T’as apporté ces trucs pour te moquer de mon visage ! Bon sang ! 
- Mais non ! C’est une méprise ! dit l’homme-mouton en essuyant la sueur de son front. Je travaille au magasin de donuts et ces donuts tordus étaient la seule nourriture qui n’avait pas de trou. 
- T’as vu ! T’as dit ‘’tordu’’, merde ! », dit le Tordu et il s’accroupit sur place. 
 Les larmes aux yeux, il commença à sangloter. 
« Putain, pourquoi ai-je ce visage et dois-je travailler en tant que gardien dans le fond sombre de cette fosse ! Bon sang ! 
- Veuillez m’excuser, je me suis juste trompé de mot. Je voulais dire ‘’donuts torsadés’’. 
 - C’est trop tard, merde ! » dit le Tordu en pleurant.  
 Tout déconcerté, l’homme-mouton prit un autre donut torsadé, après l’avoir redressé, il le donna au Tordu. 
« Regardez, ce n’est rien. Maintenant il est tout droit. Prenez-le, c’est bon. » Le Tordu le prit et l'ingurgita mais il ne cessa pas de pleurer. 

Tandis que le Tordu mangeait ce donut, l’homme-mouton emprunta sa bougie et il examina le fond de la fosse. Une chambre vaste s’y étendait. Dans cette chambre se trouvaient un lit et une table. 
« Il a dit gardien, alors il doit y avoir une porte quelque part, a pensé l’homme-mouton. S’il n’y a pas de porte, on n’a pas besoin de gardien. » 
 Comme il l’avait pensé, il trouva une trouée au chevet du lit. Il s’y enfonça avec la bougie.  L’intérieur était totalement noir et sinueux. 
« Je n’ai pas de chance. Je dois subir une telle épreuve pour un seul donut que j’ai mangé le vingt-quatre décembre l’année dernière. » a murmuré tout seul l’homme-mouton.  


 Après avoir avancé environ dix minutes, il faisait petit à petit plus clair. Maintenant il pouvait voir la sortie. L’extérieur de cette trouée était lumineux. 

« C’est étrange. Je suis tombé vers une heure du matin. C’est trop tôt pour que le soleil se lève. », a-t-il dit en hochant la tête d’un air de doute.  
 Au-delà de la trouée s’étendait un terrain vaste. Ce terrain était entouré de hauts arbres que l’homme-mouton n’avait jamais vus dans sa vie. Des nuages blancs dans le ciel, il entendait des chants d’oiseaux. 
 « Alors, qu’est-ce que je peux faire maintenant ? Le livre disait que je pourrais mettre fin à ma malédiction si je tombais dans la fosse, mais là il se passe quelque chose d'incompréhensible. », dit l’homme-mouton.  
 Comme il avait faim, il décida de se reposer et de manger un donut.  


 Tandis qu’il mangeait le donut, quelqu’un lui adressa la parole, « Bonjour. »  « Bonjour, Monsieur homme-mouton. » Il tourna la tête, deux jumelles se tenaient debout. L’une portait un T-shirt sur lequel était écrit « 208 », le T-shirt de l'autre portait le chiffre « 209 » 

 À part ces chiffres, ces deux jeunes filles étaient complètement identiques. 
« Bonjour, jeunes filles, a dit l’homme-mouton. Voudriez-vous manger avec moi ? 
- C’est chouette, a dit la 208. 
- Ça a l’air vraiment bon, a dit la 209.
- C’est délicieux, parce que c’est moi qui l’ai cuisiné. », a dit l’homme-mouton. 
 Les trois se sont assis sur la terre côte à côte et mangèrent des donuts. 
« Je te remercie, a dit la 209. 
- C’est la première fois que j’ai mangé un donut si délicieux, a dit la 208. 
C’est bien alors, a dit l’homme-mouton. Au fait, je suis maudit, ne connaissez-vous pas de moyen pour briser ma malédiction ? Je suis venu ici pour trouver une solution. 
- Je suis désolée, a dit la 208. 
- Être maudit, c’est bien dur, n’est-ce pas ? 
- C’est très dur, oui, a dit l’homme-mouton en soupirant. 
- Il pourrait rendre visite à Madame Guillemot, a dit la 209 à la 208. 
- Tu as raison. Madame Guillemot doit savoir quelque chose, a dit la 208 à la 209. 
- Elle est très versée dans la malédiction, a dit la 209 à la 208. 
- Dites, pouvez-vous m’accompagner chez cette Madame Guillemet ? a demandé l’homme-mouton. 
- Ce n’est pas Madame Guillemet, a dit la 208. 
- C’est Madame Guillemot, a dit la 209. 
- Un guillemet et un guillemot ne sont pas du tout la même chose, a dit la 208. 
- Tu as tout à fait raison, a dit la 209. 
- Excusez-moi, s’est excusé l’homme-mouton à la 208 et à la 209. Pouvez-vous m’accompagner chez cette Madame Guillemot ? 
- C’est la moindre des choses, a dit la 208. 
- Suis nous », a dit la 209.  
 Les jumelles et l’homme-mouton marchèrent sur le sentier dans la forêt. Les jumelles chantaient en marchant. 


Si le vent était des jumelles, 

Elles pourraient souffler vers l’est et l’ouest. 
Si le vent était des jumelles, 
Elles pourraient souffler à droite et à gauche. 

 Après avoir marché pendant dix ou quinze minutes, ils arrivèrent aux bornes de la forêt. Au-delà, la mer s’étendait à l’infini. 
« Tu vois, là-bas, il y a une petite cabane sur le rocher. C’est la maison de Madame Guillemot, a dit la 209 en l’indiquant du doigt. 
- Nous ne pouvons pas franchir la forêt, a dit la 208. 
- Je vous remercie. Vous m’avez beaucoup aidé. », a dit l’homme-mouton. 
 Et il prit des donuts torsadés de son havresac et les donna aux jumelles. 
« Merci, Monsieur homme-mouton, a dit la 208. 
- J’espère que tout se passera bien», a dit la 209. 

Atteindre la maison de Madame Guillemot était très laborieux. Le rocher était escarpé, il n’y avait pas ce qu’on appelle un chemin. En outre, le vent fort de la mer était sur le point d’emporter l’homme-mouton qui se cramponnait de toutes ses forces au rocher. 
« Madame Guillemot n’a sans doute aucun problème car elle peut voler dans le ciel mais moi, je dois y aller à pieds. », a marmonné l’homme-mouton.


  Au bout du compte, il atteignit enfin le sommet du rocher et il frappa à la porte de la maison de Madame Guillemot. 

 « Qui est-ce ? L’encaisseur du journal ? a répondu une forte voix enrouée dans la maison. 
- Non, pas du tout. Je suis homme-mouton…, a dit l’homme-mouton. 
- Allez-vous en. Je n’ai rien à faire avec une personne comme vous, a répondu cette voix d’un ton tranchant. 
- Je suis quelqu’un de propre. Ouvrez la porte, s’il vous plaît. 
- N’êtes-vous vraiment pas un encaisseur ? » 
 Tout à coup, la porte s’ouvrit, Madame Guillemot était là. Elle était très grande, son bec était pointu comme une pioche. 
« Les jumelles m’ont dit que vous vous y connaissiez très bien sur la malédiction. », a dit l’homme-mouton craintivement. Si elle frappe de son bec sa tête, il succombera en un clin d’œil. Madame Guillemot regarda l’homme-mouton d’un air dubitatif. 
« Bon, entrez. Je vous écoute. »  
 L’intérieur de la maison était terriblement désordonné. La poussière était accumulée sur le plancher, la table était tâchée d'une substance visqueuse, la poubelle débordait.  
 L’homme-mouton lui expliqua chaque événement qu’il avait vécu jusque-là. 
« C’est grave, a dit Madame. Vous vous êtes trompé de sortie. 
- Alors il faut que je retourne à la fosse ? 
- Ça ne servira à rien. Si vous êtes venu jusque-là, cela veut dire que vous ne pouvez plus rebrousser chemin, a dit Madame en secouant son bec. Mais, je pourrais vous porter sur mon dos et vous amener à un endroit où vous pourrez briser cette malédiction. 
- Ce serait tellement gentil, a dit l’homme-mouton. 
- Mais vous avez l’air lourd, a dit Madame Guillemot avec précaution. 
- Je ne suis pas lourd. Je ne pèse que quarante-deux kilos, a dit l’homme-mouton en mentant sur son poids de trois kilos. 
- Alors, j’ai une proposition, a dit Madame Guillemot. Si vous faites le ménage dans cette pièce, je vous amènerai à l’endroit dont je vous ai parlé. 
- C’est réglé. »


 Mais l’homme-mouton a mis beaucoup de temps pour faire le ménage dans la pièce de Madame Guillemot. Elle n'avait pas dû le faire depuis quelques mois. L’homme-mouton nettoya les assiettes et les tasses salies, essuya la table, passa l’aspirateur sur le sol, lava les serviettes et jeta les ordures. Après cette corvée, il était épuisé. 

« Toutes ces épreuves sont dues à la malédiction, a marmonné l’hommemouton en cachette de Madame. 
- C’est bien, c’est bien, a dit Madame Guillemot d’un air satisfait. La maison doit être toujours aussi propre que ça. 
- Alors, maintenant pouvez-vous m’amener à cet endroit ? 
- Bien sûr. Je suis quelqu’un qui a le sens du devoir. Tenez, mettez-vous sur mon dos. » 

 L’homme-mouton sur son dos, Madame Guillemot s’envola dans le ciel. Comme il volait pour la première fois, il s’aggripa au cou de Madame. 
« Hé, vous, ça me fait mal. N’agrippez pas mon cou si fort, j’ai du mal à respirer, s’est écriée Madame Guillemot. 
- Excusez-moi », s’est excusé l’homme-mouton.
  De haut, il pouvait dominer la mer, la forêt, la colline. La forêt verte et la mer bleu foncé duraient à l’infini, entre elles s’allongeait la plage blanche. C’était un paysage très émouvant. 
« C’est magnifique, a dit l’homme-mouton. 
- On s’en fatigue vite quand on le voit tous les jours », a dit Madame Guillemot d’un air ennuyé.
  Madame Guillemot fit des tours autour de sa maison comme si elle vérifiait la condition de ses ailes, puis elle descendit sur la prairie qui n’en était pas même éloignée de cent mètres. 
« Qu’il y a-t-il, Madame ? Êtes-vous malade ? a demandé l’homme-mouton d’un air inquiet. 
- Je ne suis pas malade, moi, a dit Madame Guillemot en secouant la tête à droite et à gauche. Pourquoi je serais malade ? Dans cette ville, les gens me connaissent pour ma vigueur et j’incarne la santé elle-même.   
- Parce que vous avez atterri en un tel endroit. 
- C’est l’endroit dont je vous ai parlé, a dit Madame. 
- Mais cet endroit n’est même pas éloigné de cent mètre de chez vous ! a dit l’homme-mouton avec stupeur. Vous n’aviez pas besoin de me porter sur votre dos, j’aurais pu venir à pied. 
- Mais dans ce cas, vous n’auriez pas fait le ménage dans ma maison, hein ? 
- C’est bien vrai. 
- D’ailleurs je n’ai jamais dit que c’était loin. J’ai dit seulement que je pourrais vous porter sur mon dos. 
- Hm, oui, en effet », a dit l’homme-mouton mais il n’était pas vraiment convaincu. 
 Madame Guillemot s’envola en croassant et partit dans la direction de sa maison. 

 L’homme-mouton regarda autour de lui. Il aperçut un grand arbre qui se levait au milieu de la prairie. Une échelle de corde était accrochée à cet arbre. Comme il n’y avait rien d’autre aux alentours, il décida de monter cette échelle.
  Cette échelle de corde était instable et c’était difficile de la monter. Après avoir grimpé en transpirant trente ou quarante échelons, dans les branches, il entendit une voix joyeuse, « Salut, à quoi je peux vous être utile ? ». 
« Excusez-moi, je suis venu par rapport à la malédiction. Ne connaissez-vous pas quelque chose pour m'en libérer ? a dit l’homme-mouton vers cette voix. 
- Ah, la malédiction, hahaha. Je vous aiderai. Venez ici », a dit cette voix. 

 L’homme-mouton écarta les branches en faisant attention à ne pas glisser, au fond se trouvait une petite cabane qui était faite à partir du creux de l’arbre, devant laquelle le Tordu qui était en train de se raser était assis. 
« Oh ! a dit l’homme-mouton. Vous n’êtes pas dans le fond de la fosse ? 
- Mais non, ce n’est pas moi, hahahaha, a dit ce Tordu en riant. C’est mon frère. Regardez, je suis tordu dans le sens des aiguilles d’une montre. Mon frère est tordu dans le sens inverse. Il pleure facilement, il est souvent méchant avec les gens. »
 Les yeux tournés vers la droite, la mâchoire vers la gauche, le Tordu droit se rasait adroitement en étouffant un rire. 
« Il semble que vous ayez différents caractères, bien que vous soyez frères, a dit l’homme-mouton avec admiration. 
- Parce qu’on est tordu à droite et à gauche. On est l'inverse de l'autre, héhéhé, a dit le Tordu droit en se rasant le dessous de son oreille. Héhéhé. 
- Au fait, à propos de la malédiction…, a dit l’homme-mouton. 
- Je n’ai rien à vous dire, héhéhé, a dit le Tordu droit. Il vaut mieux souffrir davantage, hahahaha. »
 Tout fâché, l’homme-mouton descendit l’arbre. 
« Quel endroit désagréable ! a-t-il dit. Le Tordu droit est aussi tordu que le Tordu gauche. En plus Madame Guillemot est capricieuse. » 
 En désespoir de cause, l’homme-mouton marcha au hasard. Après avoir longuement marché, il arriva devant une belle fontaine, il but l’eau et mangea encore un donut. Après l’avoir fini, il eu sommeil. Il se coucha sur l’herbe et fit une sieste.


   Quand il se réveilla, le soleil s’était déjà couché, des étoiles blanches brillaient dans le ciel. De temps en temps il entendit des hurlements de loups mêlés au grondement du vent.  

« Je suis tout désespéré d’être perdu dans un tel endroit. De plus, je n’ai pas encore pu briser ma malédiction, a monologué l’homme-mouton. 
- Eh, d’après ce que j’ai entendu de votre part, il semble que vous vous souciez d’une malédiction, a soudainement dit une voix inconnue dans les ténèbres. 
- Qui est-ce ? Où êtes-vous ? a dit l’homme-mouton avec étonnement. 
- Euh, je n’ai pas de nom. », a répondu cette voix humblement.  
 L’homme-mouton scruta les alentours mais il ne voyait rien dans le noir.  
« N’essayez pas de me chercher, s’il vous plaît, a dit cette voix. Comment dire… Je ne suis vraiment rien qui ait quoi que ce soit d’intéressant. 
- Aimeriez-vous bien apparaître devant moi et manger des donuts ensemble ? a demandé l’homme-mouton. C’est ennuyeux d’être seul. 
- Euh, je vous remercie mais je ne suis pas digne de vos donuts, vraiment, a dit ce Rien. Votre gentillesse est déjà trop pour moi. 
- Ne vous en faites pas, j’ai beaucoup de donuts. Si vous êtes timide, je regarderai ailleurs. Pendant ce temps, venez ici et prenez-en un. 
- Excusez-moi, a dit Rien. Je prends la moitié du donut le plus petit, c’est déjà bien pour moi. »
  L’homme-mouton mit un donut sur l’herbe et il tourna le dos. Quelques instants plus tard, quelqu’un vint avec un bruit sec et mangea lentement le donut. 
« C’est délicieux, c’est vraiment délicieux, a dit Rien. Ah, ne me regardez pas, s’il vous plaît. » 

« Je ne vous regarde pas, mais vous ne connaissez pas quelque chose à propos de la malédiction ? a demandé l’homme-mouton. 
- La malédiction, hmm… miam-miam, je connais, oui, a dit Rien. C’est vraiment bon, miam-miam, 
- Où devrais-je aller pour briser cette malédiction ? a demandé l’hommemouton. 
- Sautez dans cette fontaine, miam-miam, c’est simple, a dit Rien. 
- Mais je ne sais pas nager. 
- Ce n’est pas grave même si vous ne savez pas nager. Il n’y a aucun problème. Ce donut, il est vraiment délicieux, miam-miam. » 
 En désespoir de cause, l’homme-mouton se rapprocha de la fontaine et il se jeta dedans tête la première. Mais au moment où il sauta, l’eau de la fontaine disparut. Et l’homme-mouton se cogna la tête contre le fond. Il eu le tourie. 
« Ha, je suis vraiment désolé, a dit quelqu’un. Je n’avais jamais imaginé que vous vous jetteriez tête la première. »  
L’homme-mouton ouvrit les yeux et vit un vieil homme petit d’un mètre et quarante centimètres. 
« J’ai mal, a dit l’homme-mouton. Qui êtes-vous ? 
- Je suis le fameux Saint homme-mouton, a aimablement dit ce vieil homme en souriant. 
- Alors c'est vous qui m’avez maudit ? Pourquoi vous avez fait ça ? Vous m’avez fait subir des épreuves alors que je n’ai rien fait de mal. Je suis tout épuisé, en plus, je me suis fait une bosse à la tête, a dit l’homme-mouton et il montra sa bosse à Saint homme-mouton. 
- Je suis vraiment désolé. Veuillez me pardonner. Mais j’ai mes propres raisons, a dit Saint homme-mouton. 
- Je vous écoute, a dit l’homme-mouton toujours agacé. 
- Ne vous fâchez pas, a dit Saint homme-mouton. Venez ici, j’ai une chose à vous montrer. »
  Saint homme-mouton marcha vers le fond de la fontaine, l’homme-mouton marcha après lui en secouant la tête. Saint homme-mouton se tint devant la porte, il l’ouvrit d’un coup. 

« Joyeux Noël ! » a crié tout le monde.
  Dans cette pièce, tout le monde était rassemblé. Le Tordu droit et le Tordu gauche, la 208 et la 209, Madame Guillemot et Rien étaient là. Rien était reconnaissable à cause de miettes de donut qui restaient sur son visage. Il vit même le Docteur ès moutons.
  Un grand sapin de Noël était posé dans la pièce, au pied de l’arbre des cadeaux avec des rubans étaient entassés. 
« Qu’est-ce que c’est que ça ? Pourquoi tout le monde est là ? a demandé l’homme-mouton, tout étonné. 
- Nous vous attendions tous, a dit la 208. 
- Nous vous attendions toujours, a dit la 209. 
- C’est moi qui vous ai invité à notre fête de Noël, a dit Saint homme-mouton. 
- Mais moi, j’ai été maudit et puis…, a dit l’homme-mouton. 
- Je vous ai maudit, pour que vous arriviez ici, a dit Saint homme-mouton. Je me suis dit que ce serait palpitant et amusant. 
- Je me suis bien amusée, croâ, croâ, croâ, a dit Madame Guillemot. 
- Putain, c’était très drôle, a dit le Tordu gauche. 
- C’était divertissant, héhéhé, a dit le Tordu droit. 
- Le donut était vraiment bon, miam-miam », a dit Rien. 
 L’homme-mouton s’indignait contre le fait d'avoir été dupé mais enfin, il commença aussi à s’amuser parce que tout le monde avait l’air heureux. 
« Je comprends maintenant, a dit l’homme-mouton en hochant la tête. 
- Monsieur homme-mouton, jouez du piano, s’il vous plaît, a dit la 208. 
- Vous êtes doué pour le piano, n’est-ce pas ? a dit la 209. 
- Y a-t-il un piano ici ? a demandé l’homme-mouton. 
- Oui, oui. Il y en a, a dit Saint homme-mouton et il enleva une large couverture sous laquelle se trouvait un piano blanc en forme de mouton. J’ai préparé celui-ci pour vous. Jouez-en à satiété. »
  Ce soir-là, l’homme-mouton était très heureux. Le piano en forme de mouton produisait des notes magnifiques, des mélodies belles et joyeuses coulaient sans cesse dans sa tête.
  Le Tordu droit et le Tordu gauche chantèrent en chœur, la 208 et la 209 dansèrent, Madame Guillemot s’envola dans la pièce en croassant, Saint homme-mouton et le Docteur ès moutons buvaient ensemble de la bière. Même Rien roulait sur le sol d’un air content.  Et le gâteau de Noël fut servi à tout le monde. 
« Ah, que c’est bon, miam-miam », en disant cela, Rien mangea trois morceaux du gâteau. 
« Pourvu que la paix dure éternellement dans le monde des hommes-moutons. » pria Saint homme-mouton. 

 Lorsqu’il se réveilla, l’homme-mouton était dans son lit. Tout semblait avoir été un rêve, mais il savait bien que ce n’en était pas un. La bosse restait encore sur sa tête, sur le derrière de son costume, au niveau des fesses, il y avait une tache d’huile, au lieu du vieux piano, le piano blanc en forme de mouton était là. Tout s’était passé pour de vrai.
 Par la fenêtre, on voyait un monde enneigé. Les branches, les boîtes aux lettres, les toits, tout était couvert de neige blanche.  L'après-midi, il rendit visite chez le Docteur ès moutons en banlieue, mais sa maison avait disparu. Il y avait juste un terrain inoccupé. Les arbres de jardin en forme de moutons, les piliers de porte, le pavé, tout avait disparu. 
« Je ne pourrais plus revoir ces gens, a pensé l’homme-mouton. Je ne pourrais plus revoir ni les deux Tordus, ni les jumelles 208 et 209, ni Madame Guillemot, ni Rien, ni le Docteur ès moutons, ni Saint homme-mouton. » 
 Les larmes coulèrent de ses yeux. L’homme-mouton aimait inconsciemment tout le monde. Après être rentré chez lui, il trouva dans la boîte aux lettres une carte postale avec un dessin de mouton.  Il était écrit dessus, « Pourvu que la paix dure éternellement dans le monde des hommes-moutons.» 

jeudi 13 juillet 2017

''Un restaurant occidental'' Kenji Miyazawa




Deux jeunes gentlemen, vêtus comme des soldats anglais, le fusil brillant sur l'épaule, suivis de deux chiens qui ressemblaient à des ours blancs, se baladaient, sur des feuilles sèches au fin fond d’une forêt, en se parlant ainsi : « Hé toi, ne trouves-tu pas que cette forêt est étrange ? Je n’ai vu jusqu’ici ni oiseau ni bête. J’ai vraiment hâte de tirer sur n’importe quelle bête. 
- Ce sera tellement divertissant de tirer deux ou trois balles dans le flanc jaune d'un cerf. Il tournera plusieurs fois sur lui-même avant de tomber au sol.»

 La forêt était profonde. Le chasseur professionnel, qui les avait guidés jusque-là, après avoir marmonné quelque chose d’un air gêné, était parti quelque part. De plus, cette forêt était si effrayante que ces deux chiens qui ressemblaient à des ours blancs furent pris d'un malaise, et poussèrent de longs grognements, avant de s'écrouler, morts, l'écume à la gueule. 

« C’est une perte de deux mille quatre cents yens pour moi. », a dit l’un des gentlemen en examinant les paupières du chien. 
« Moi, j’en ai perdu deux mille huit cents », a dit l’autre en baissant la tête, d’un air dépité. Le premier gentleman dont le visage avait quelque peu pâli, regarda l’autre dans les yeux et dit, 
« Je souhaiterais rentrer. 
- Je commence à avoir froid, et en plus j’ai faim maintenant. Il vaut mieux rentrer. 
- Alors, rentrons maintenant. Ce n’est pas grave, à l’auberge d’hier on pourra acheter des oiseaux forestiers pour dix yens. 
- Je me rappelle qu’il y avait aussi des lapins. Ce sera comme si on les avait tués. Rentrons. »

Toutefois, ce qui les inquiétait le plus, c’était qu'ils étaient maintenant complètement perdus. Le grondement du vent se fit entendre, un murmure passa dans les herbes, les feuilles bruissèrent, les arbres grognèrent.

« Je meurs de faim. En plus, depuis tout à l’heure, j’ai mal aux côtes. 
- Moi aussi. Je n’ai plus envie de marcher. 
- Moi aussi, je n’ai plus envie de marcher. Ah, que Dieu nous sauve. J’ai envie de manger quelque chose. 
- J’ai aussi envie de manger quelque chose. » 
Deux gentlemen, dans le bruissement des herbes de la pampa, se dirent ces mots.

À ce moment-là, ils regardèrent en arrière et ils aperçurent une magnifique maison occidentale. Et sur le perron était accrochée une plaque sur laquelle était écrit : « Restaurant occidental MAISON DU CHAT SAUVAGE ».

« Hé, tu as vu ! quelle coïncidence ! Il semble que cet endroit soit quand même assez fréquenté. Entrons ! 
- C’est étrange qu’il y ait un restaurant dans un tel endroit. Mais quand même, on pourra y prendre notre repas. 
- Bien sûr que oui. C’est ce qui est marqué sur cette plaque. 
- Pourquoi ne pas entrer ? J’ai si faim que je vais m’évanouir. »  

Les deux hommes se tenaient devant le perron. Ce perron, en briques blanches céramiques, était vraiment impressionnant. Il y avait une porte en verre sur laquelle était écrit en caractères dorés : « Tous les clients sont les bienvenus. Il ne faut surtout pas hésiter à entrer. » Après avoir lu ce message, les deux hommes étaient réjouis et ils se dirent, 
« As-tu vu cela ? Le monde est vraiment bien fait. Nous n’avons pas eu de chance aujourd’hui, mais voilà maintenant qu’un vrai bonheur qui apparaît devant nous. C’est un restaurant, mais il me semble qu’il offre gratuitement des repas. 
- Il me semble à moi aussi. ‘’Il ne faut surtout pas hésiter à entrer’’, ça veut dire ça. »

Aussitôt, ils découvrirent l'étendue du couloir. Et au dos de cette porte en verre, il était écrit en caractères dorés, « Nous vous accueillons chaleureusement surtout les clients gros ou jeunes. » Vu que ces deux hommes remplissent ce critère, ils se réjouirent davantage. 
« Vois-tu cela ? Ce message dit que nous serons traités spécialement. 
- Puisque nous remplissons tous les deux ce critère. »

Ils avancèrent dans le couloir et ils arrivèrent devant une porte peinte en bleu clair. 
« Cette maison est étrange. Pourquoi y a-t-il tant de portes ? 
- C’est le style russe. Dans les endroits glacials ou dans les montagnes, les maisons sont toujours comme ça. » 
Lorsqu’ils essayèrent d’ouvrir la porte, ils aperçurent au-dessus des caractères en or. « C’est un restaurant exigeant. Merci de votre compréhension. » 
« Ce restaurant doit avoir beaucoup de clients dans cette forêt-là. 
- Bien sûr. Rappelle-toi qu'à Tokyo les restaurants prospères ne se trouvent pas souvent sur les grands boulevards. » 

En disant cela, ils ouvrirent la porte. Alors derrière était écrit : « Nous exigeons beaucoup de choses. Mais je vous prie de patienter. » 
« Qu’est-ce que cela veut dire ?  a dit l'un des gentlemen en faisant la grimace. 
- Cela veut dire sans doute que les clients sont trop nombreux et qu’ils ont besoin de temps pour les servir.
- Oui, ça doit être ça. Ah, j’ai hâte d’entrer dans une pièce chauffée. - Et de me mettre à la table. »

Toutefois il y avait encore une porte. À côté, un miroir était accroché et dessous était posée une brosse. Sur la porte était écrit en caractères rouges, « Chers clients. Passez-vous ici un coup de brosses dans les cheveux et débarrassez-vous de la boue de vos chaussures, s’il vous plaît. » 
« Ils ont tout à fait raison. Sur le perron, j’avoue avoir sous-estimé ce restaurant car il est situé dans un endroit si loin de tout. 
- C’est un restaurant rigoureux et de bonne tenue. J’imagine que les gens de la haute société le fréquentent. » 
Ils se débarrassèrent de leurs fusils, ils défirent les bretelles et les mirent sur une table.

Plus loin, une porte noire les attendait. « Je vous prie d’enlever vos chapeaux, manteaux et vos chaussures. » 
« Les enlèvera-t-on ? 
- Nous n’avons pas le choix. Quelqu’un de très important est peut-être là maintenant.» 
Ils accrochèrent leurs chapeaux et leurs manteaux à des patères, ils enlevèrent leurs chaussures et ils entrèrent par cette porte.

Sur l’autre côté de la porte, on avait écrit : « Prière de laisser ici épingles de cravate, boutons de manchettes, lunettes, portefeuilles, et autres objets métalliques et pointus. » À côté de cette porte, un coffre-fort noir luxueux avait été laissé ouvert avec une clef. 
« Il me semble qu’ils utilisent de l’électricité pour la cuisine. C’est pour ça que les objets métaux, notamment les objets pointus y sont dangereux. 
- C’est peut-être ça. Mais alors, devrons-nous régler l’addition ici quand nous partirons ? 
- Il me semble. 
- Sans doute. » 
Ils enlevèrent leurs lunettes, leurs boutons de manchette et les mirent dans le coffrefort qu’ils fermèrent à clef.

Après avoir fait quelques pas, ils se trouvèrent devant une autre porte sur laquelle était écrit : « Étalez entièrement cette crème sur votre visage et vos mains, s’il vous plaît. » Le vase était rempli de crème de lait. 
« Pour quelle raison devons-nous nous mettre cette crème sur notre corps ?
- Hum, c’est peut-être parce qu’il fait froid dehors, et que, si l'on entre brusquement dans une pièce chauffée, la peau sera gercée. La crème, c’est pour prévenir ça. L’invité qui est au fond semble vraiment très important. Ce sera peut-être pour nous l'occasion de rencontrer un noble. »
Ils se mirent de la crème sur le visage puis sur les mains, ensuite ils enlevèrent leurs chaussettes pour s’en mettre sur les pieds. Comme il en restait, ils firent semblant de s'en mettre sur le visage et ils en mangèrent.

Ils ouvrirent la prochaine porte avec précipitation, cette fois, il était écrit : « Avez-vous bien mis de la crème ? En avez-vous mis derrière les oreilles ? » Et un petit pot de crème était là. 
« En effet, je ne m'en étais pas mis sur les oreilles. Elles ont failli gercer. Le patron de ce restaurant semble très prudent. 
- Il est très attentif. Au fait, moi, j’ai hâte de manger quelque chose. J’en ai assez de ce couloir qui n'en finit pas. »

Devant eux se trouvait encore une porte. « Maintenant le repas est presque prêt. Nous ne vous ferons pas attendre quinze minutes. Nous pourrons servir immédiatement. Mais avant, mettez-vous du parfum qui se trouve dans ce flacon sur votre tête, s’il vous plaît. ».Cependant, ce parfum sentait le vinaigre. 
« Ça sent le vinaigre. Quest-ce quil y a ? 
- Ils doivent sêtre trompés. Par erreur, une servante fébrile aurait mis du vinaigre dedans. »

Ils ouvrirent la porte et entrèrent. Sur le dos de la porte, il était écrit en caractères gras : « Nous nous excusons de vous avoir demandé diverses choses jusqu'ici. Mais celle-ci est notre dernière demande. Je vous prie de vous badigeonner avec ce pot de sel, s'il vous plaît. » Un beau pot de sel bleu en céramique était effectivement là. Mais cette fois, d’un air stupéfait, les deux hommes se regardèrent avec leurs visages pleins de crème l'un et l'autre. 
« Je trouve cela étrange. 
- Je trouve cela aussi étrange. 
- Toutes ces demandes exigées de la part de ce restaurant.
- Donc, ce restaurant occidental, d’après mon avis personnel, n'est pas un restaurant qui sert des cuisines occidentales aux clients, il s’agit d’une maison qui fait de ces clients des plats occidentaux et en mange. C, c, c, c, c’est-à-dire, n, n, n, nous…. »
L'un des gentlemen se mit à trembler et ne pouvait plus rien dire. 
« Ç,ç,ç,ça veut dire, n, n, n, nous…… Mon Dieu ! » 
L'autre se mit aussi à trembler et ne pouvait plus rien dire. 
« F, f, fui… » 
En tremblant, les gentlemen essayèrent de pousser la porte qui se trouvait derrière, mais maintenant elle ne bougeait plus d’un pouce.

Au fond se trouvait une porte percée de deux gros trous de serrures en forme d’une fourchette et d’un couteau. Il était écrit dessus, : « Je vous remercie pour tous vos efforts et votre patience. Entrez maintenant. » De plus, à travers ces trous, deux yeux bleus les épiaient. 
« Mon Dieu, dit l'un en tremblant. 
- Mon Dieu », dit l'autre en tremblant également. Ils se mirent à pleurer.

Derrière la porte, quelqu’un chuchotait, 
« Ah, zut. Ils s'en sont rendu compte. Ils ne se badigeonnent pas de sel. 
- C’est normal. C’est à cause du mot de notre patron. Souviens-toi qu’il avait écrit ‘’J’suis désolé d'avoir exigé autant de choses de vous. Tout ça, c’est fini.’’ C’est imbécile de dire ça ! 
Je m’en fiche. Il ne partagera même pas un os avec nous. 
- C’est vrai. Mais imagine, s’ils n’entrent pas ici, c’est nous qui devrons payer plus tard ! 
- Va-t-on essayer de les appeler ? On va les appeler. Hé, Messieurs. Venez ici, venez ici, venez ici. Les assiettes propres sont déjà prêtes, on a aussi assaisonné des salades avec du sel. Après il ne reste plus que de vous mélanger aux salades et vous mettre sur ces assiettes toutes blanches. Venez ici ! 
- Hé, Entrez, entrez ! Ou peut-être que vous n’aimez pas les salades ? Dans ce cas, nous allons tout de suite allumer du feu pour vous frire. Venez ici tout de suite ! » 
Sous le coup de la peur, les visages des deux gentlemen se froissèrent comme du papier, ils se regardèrent l’un et l’autre, et pleurèrent en tremblant.

Quelqu’un derrière la porte étouffa un rire et cria à nouveau. 
« Entrez, entrez. Ne pleurez pas, la crème sur vos visages coulera. Oui, Monsieur, j’arrive tout de suite… Hé, entrez maintenant ! 
- Venez immédiatement ! Le patron s’est déjà mis une serviette autour du cou. Un couteau à la main, en se léchant les babines, il vous attend avec impatience ! » 
Les deux hommes pleurèrent encore et encore et encore et encore.

À ce moment-là, derrière eux, avec des aboiements, les deux chiens semblables à des ours blancs entrèrent brusquement dans la pièce en détruisant la porte. Aussitôt les deux yeux dans les trous de serrures se volatilisèrent. Les chiens grondaient encore en tournant sur place, puis ils poussèrent un cri aigu et sautèrent sur la porte. Elle s'ouvrit et les chiens disparurent dans la pièce comme s’ils s'étaient fait absorber. Dans les ténèbres qui s’étendaient au-delà de la porte, ils entendirent des cris tels que « Miaow, Kuwaa, Gorogoro » et au final, des bruissements.

La maison disparut comme de la fumée, quand ils reprirent connaissance, gelés à cause du froid, les deux hommes se tenaient sur l’herbe. Ils aperçurent leurs manteaux, chaussures, portefeuilles et épingles de cravates accrochés sur des branches et éparpillés sur des racines par-ci, par-là. Le grondement du vent se fit entendre, un murmure passa dans les herbes, les feuilles bruissèrent, les arbres grognèrent. Avec un grondement soudain, les chiens revinrent aussi.

Et derrière, quelqu’un leur criait, « Messieurs, Messieurs ! » Ils retrouvèrent tout à coup de la force et crièrent, « Ohé ! Ohé ! On est là ! Venez ! » Le chasseur professionnel avec une pèlerine en pailles arriva en fendant l’herbe. C’est à ce moment-là qu’ils furent soulagés. Et ils mangèrent des dangos qu’avait apportés ce chasseur. Sur le chemin du retour, ils achetèrent des oiseaux forestiers pour dix yens et ils s'en retournèrent chez eux. Mais après être rentrés à Tokyo, leurs visages froissés comme du papier ne redevinrent jamais comme avant, même en y versant de l'eau chaude.

dimanche 9 juillet 2017

Le blues de verre (Motoo Fujiwara)



Le chat aux yeux de verre chante à la pleine voix
Le chat aux yeux de verre chante, les moustaches s’agitant au gré du vent

Si je me casse la voix, j’irai à la rivière
Je lécherai le reflet de mon visage à la surface de l'eau
Si aujourd'hui, ma pitance est meilleure que celle d'hier, je dirai, les yeux vers le ciel, "quelle bonne journée" en riant aux éclats.

Je chante toujours de toutes mes forces
Je vis ma vie pleinement

Le chat aux yeux de verre chante même quand il a faim
Le chat aux yeux de verre chante pour prouver qu’il est vivant
Le chat aux yeux de verre crie sa courte vie
Le chat aux yeux de verre crie pour ne pas laisser s'échapper le moindre instant

Etre né dans ce monde a déjà un sens.
Il ne faut pas gâcher la moindre seconde
Qu'il pleuve ou qu'il tonne, je lèverai ma tête vers le ciel et je rirai

Un jour, je deviendrai une étoile étincelante dans le ciel
Jusqu’à ce jour, je chanterai de toutes mes forces

Si je me casse la voix, j’irai à la rivière
Je lécherai le reflet de mon visage à la surface de l’eau
Etre né dans ce monde a déjà un sens.
Je crie pour ne pas laisser s'échapper le moindre instant
C’est pour ça que je chante
Je chante toujours
Je crie à ce moment 

Le chat aux yeux de verre est devenu une étoile
Sa forte voix a cessé
Tu as brûlé le dernier morceau de ta vie, on n’entend plus ton blues
Mais il reste gravé à jamais dans nos cœurs
Maintenant quand un malheur arrivera, tout le monde chantera
le blues du chat aux yeux de verre, les yeux levé vers le ciel, en souvenir de lui.

Je chanterai toujours de toutes mes forces
Je vis ma vie pleinement
Même si une obscurité se lève devant moi
Je ne cesserai de chanter de toutes mes forces