lundi 7 janvier 2019

''Face aux gens'' Haruki Murakami


 Je n’aime pas être observé quand je fais quelque chose, de sorte que j’essaie de rester chez moi autant que possible et d’y travailler seul. Toutefois, ma position sociale (oui, même une personne comme moi a une position sociale) m’oblige de temps en temps à paraître en public.
 Quoique j’y sois réticent, si je me dis : « Je ne peux plus rebrousser chemin » et que je me résous à le faire, normalement tout se passe bien. Pour une raison obscure, je ne suis jamais tendu devant une foule. Une fois, j’ai parlé environ trente minutes devant deux mille personnes dans une université américaine, et j’étais totalement à l’aise. J’étais détendu et j’ai pu parler sans problème. Mon audience a bien ri et ç’a été un moment agréable.  
 Il m’est arrivé plusieurs fois d’avoir à parler devant plus de mille spectateurs, mais le nombre n’a jamais été un problème. C’est peut-être parce que j’ai une mauvaise vue et que je ne vois pas clairement les visages des spectateurs. Je me dis : « Ah, il y a du monde » et c’est tout.
 Toutefois si je me tiens devant vingt à cinquante personnes, il m’arrive de perdre mes mots. Pourquoi ? Suis-je tendu parce que je vois bien les visages des gens ? Et s’il y avait beaucoup plus de monde ? J’ai l’impression d’avoir plus envie de parler une fois devant 50 000 personnes dans un endroit aussi énorme que le stade de Tokyo. « Hé, lisez-vous mes romans ? ». C’est une plaisanterie, bien sûr.
 Quoi qu’il en soit, je n’aime pas paraître en public. Même si je me débrouille une fois sur place, je serai épuisé plus tard. J’éprouve souvent un sentiment ressemblant à un dégoût de moi et je n’arrive plus à travailler. C’est pourquoi j’évite le plus possible de paraître en public. Merci de votre compréhension.
 Je ne suis donc jamais passé dans un programme télévisé. Comme je mène une vie ordinaire en prenant le bus, en me promenant et en achetant des poireaux et des radis blancs, ce serait compliqué si on m’abordait fréquemment dans la rue. Je ne voudrais pas qu’on dise : « Regarde, maman. Haruki Murakami passe à la télé. Il a une drôle de tête ». Mon visage ne regarde pas les autres.
 Il y a très longtemps, la NHK m’a demandé de parler dans une émission éducative. Comme d’habitude, j’ai poliment refusé cette proposition en disant : « Je ne veux pas montrer mon visage », le directeur de l’émission m’a dit : « Écoutez Monsieur Murakami. Mon émission fait moins de deux pour cent d’audimat. Il n’y a que peu de monde qui la regarde. Il n’y a pas à vous inquiéter ». « Ah bon », me suis-je dit, mais j’ai pensé aussitôt : « Mais attends, ce n’est pas la question ! ».
 Je connais quelqu’un qui demandait un rapport sexuel à une femme en lui disant : « Ça va vite finir » (il y a bon nombre de gens bizarres au monde). La logique du directeur de la NHK ressemble un peu à ça. J’imagine qu’il n’y a aucune femme qui se dit : « Ok, je vais le faire si ça finit vite » et qui accepte. Ce n’est pas comme un don du sang qu’on fait par devoir.
 Ainsi, je ne suis jamais passé à la télé. Serai-je tendu devant une caméra ou pas ?

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