Je n’aime pas être observé quand je
fais quelque chose, de sorte que j’essaie de rester chez moi autant que possible
et d’y travailler seul. Toutefois, ma position sociale (oui, même une personne
comme moi a une position sociale) m’oblige de temps en temps à paraître en public.
Quoique j’y sois réticent, si je me
dis : « Je ne peux plus rebrousser chemin » et que je me résous à le faire,
normalement tout se passe bien. Pour une raison obscure, je ne suis jamais
tendu devant une foule. Une fois, j’ai parlé environ trente minutes devant deux
mille personnes dans une université américaine, et j’étais totalement à l’aise.
J’étais détendu et j’ai pu parler sans problème. Mon audience a bien ri et ç’a
été un moment agréable.
Il m’est arrivé plusieurs fois d’avoir
à parler devant plus de mille spectateurs, mais le nombre n’a jamais été un
problème. C’est peut-être parce que j’ai une mauvaise vue et que je ne vois pas
clairement les visages des spectateurs. Je me dis : « Ah, il y a du monde » et
c’est tout.
Toutefois si je me tiens devant vingt
à cinquante personnes, il m’arrive de perdre mes mots. Pourquoi ? Suis-je tendu
parce que je vois bien les visages des gens ? Et s’il y avait beaucoup plus de
monde ? J’ai l’impression d’avoir plus envie de parler une fois devant 50 000
personnes dans un endroit aussi énorme que le stade de Tokyo. « Hé, lisez-vous
mes romans ? ». C’est une plaisanterie, bien sûr.
Quoi qu’il en soit, je n’aime pas
paraître en public. Même si je me débrouille une fois sur place, je serai
épuisé plus tard. J’éprouve souvent un sentiment ressemblant à un dégoût de moi
et je n’arrive plus à travailler. C’est pourquoi j’évite le plus possible de
paraître en public. Merci de votre compréhension.
Je ne suis donc jamais passé dans un
programme télévisé. Comme je mène une vie ordinaire en prenant le bus, en me
promenant et en achetant des poireaux et des radis blancs, ce serait compliqué
si on m’abordait fréquemment dans la rue. Je ne voudrais pas qu’on dise : «
Regarde, maman. Haruki Murakami passe à la télé. Il a une drôle de tête ». Mon
visage ne regarde pas les autres.
Il y a très longtemps, la NHK m’a
demandé de parler dans une émission éducative. Comme d’habitude, j’ai poliment
refusé cette proposition en disant : « Je ne veux pas montrer mon visage », le
directeur de l’émission m’a dit : « Écoutez Monsieur Murakami. Mon émission
fait moins de deux pour cent d’audimat. Il n’y a que peu de monde qui la
regarde. Il n’y a pas à vous inquiéter ». « Ah bon », me suis-je dit, mais j’ai
pensé aussitôt : « Mais attends, ce n’est pas la question ! ».
Je connais quelqu’un qui demandait un
rapport sexuel à une femme en lui disant : « Ça va vite finir » (il y a bon
nombre de gens bizarres au monde). La logique du directeur de la NHK ressemble
un peu à ça. J’imagine qu’il n’y a aucune femme qui se dit : « Ok, je vais le
faire si ça finit vite » et qui accepte. Ce n’est pas comme un don du sang qu’on
fait par devoir.
Ainsi, je ne suis jamais passé à la
télé. Serai-je tendu devant une caméra ou pas ?
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