Je suis entré dans l'amphithéâtre quinze
minutes avant le cours. L'amphi était vide. Deux filles étaient en train de
gravir l’escalier pour sortir. Je suis descendu pour jouer au professeur. Je
voulais me tenir sur l’estrade et dire « Monsieur ? Oui, le monsieur qui est
là. Vous avez la parole. Vous pouvez sortir si vous voulez bavarder ». J’avais
déjà entendu une professeur dire celà et j’avais toujours eu envie de l’imiter.
Lorsque je suis arrivé devant
l’estrade, je me suis aperçu qu’il y avait un piano droit. J’étais déjà entré
dans cet amphi plusieurs fois mais je ne savais pas qu’il y avait un piano. Le
piano était en bois et avait l’air vieux. Il semblait que personne ne l’avait
touché depuis longtemps. J’ai appuyé sur une touche. Un bruit transparent s’est
fait entendre. J’ai touché une autre touche. Un bruit plus grave d’une octave a
retenti dans l’amphi vide. Puis j’ai commencé à appuyer sur toutes les touches
comme un enfant. À ce moment-là, j’ai réalisé que les deux filles qui étaient
en train de monter l’escalier, s'étaient arrêtées et posaient leur regard sur
moi. Elles ont commencé à redescendre, et finalement elles sont venues jusqu’à
moi. L’une d’elles, qui était brune, s’est assise, et a commencé à jouer du
piano. « Je ne savais pas qu’il y avait un piano ici, m’a dit l’autre fille, la
blonde. – Moi non plus. Vous êtes dans quelle filière ? ai-je dit. –
Sociologie, et toi ? m’a-t-elle dit. – Lettres modernes », ai-je dit, pendant
que la brune jouait du piano. Son interprétation était assez maladroite. Ses
doigts étaient rigides comme un pianiste aux mains gelées et se trompaient de temps en temps de note, mais on
pouvait reconnaître aisément qu’il s’agissait de la Gymnopédie de Satie. Ainsi,
nous avons écouté le concert improvisé, maladroit et titubant de la fille brune. Après que la
Gymnopédie instable s’est achevée, les deux filles inconnues m’ont souhaité un
bon cours, et ont commencé à remonter l’escalier. Après qu’elles ont disparu de
ma vue, je me suis remis à taper sur le clavier. Quelques instants plus tard,
un groupe de filles de ma filière est entré dans l’amphi. « Il y a quelqu’un
qui joue du piano », a dit l’une d’entre elles, et elles sont tout de suite
sorties. Un instant plus tard, elles sont revenues l’air mécontentes, et j’ai
arrêté de jouer du piano.
Si je pouvais jouer du piano,
j’aimerais interpréter la sixième symphonie « pastoral » transcrite pour piano
par Franz List, ou les Variations Goldberg de Bach.
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