jeudi 31 janvier 2019

Le piano en bois


 Je suis entré dans l'amphithéâtre quinze minutes avant le cours. L'amphi était vide. Deux filles étaient en train de gravir l’escalier pour sortir. Je suis descendu pour jouer au professeur. Je voulais me tenir sur l’estrade et dire « Monsieur ? Oui, le monsieur qui est là. Vous avez la parole. Vous pouvez sortir si vous voulez bavarder ». J’avais déjà entendu une professeur dire celà et j’avais toujours eu envie de l’imiter.
 Lorsque je suis arrivé devant l’estrade, je me suis aperçu qu’il y avait un piano droit. J’étais déjà entré dans cet amphi plusieurs fois mais je ne savais pas qu’il y avait un piano. Le piano était en bois et avait l’air vieux. Il semblait que personne ne l’avait touché depuis longtemps. J’ai appuyé sur une touche. Un bruit transparent s’est fait entendre. J’ai touché une autre touche. Un bruit plus grave d’une octave a retenti dans l’amphi vide. Puis j’ai commencé à appuyer sur toutes les touches comme un enfant. À ce moment-là, j’ai réalisé que les deux filles qui étaient en train de monter l’escalier, s'étaient arrêtées et posaient leur regard sur moi. Elles ont commencé à redescendre, et finalement elles sont venues jusqu’à moi. L’une d’elles, qui était brune, s’est assise, et a commencé à jouer du piano. « Je ne savais pas qu’il y avait un piano ici, m’a dit l’autre fille, la blonde. – Moi non plus. Vous êtes dans quelle filière ? ai-je dit. – Sociologie, et toi ? m’a-t-elle dit. – Lettres modernes », ai-je dit, pendant que la brune jouait du piano. Son interprétation était assez maladroite. Ses doigts étaient rigides comme un pianiste aux mains gelées et se trompaient de temps en temps de note, mais on pouvait reconnaître aisément qu’il s’agissait de la Gymnopédie de Satie. Ainsi, nous avons écouté le concert improvisé, maladroit et titubant de la fille brune. Après que la Gymnopédie instable s’est achevée, les deux filles inconnues m’ont souhaité un bon cours, et ont commencé à remonter l’escalier. Après qu’elles ont disparu de ma vue, je me suis remis à taper sur le clavier. Quelques instants plus tard, un groupe de filles de ma filière est entré dans l’amphi. « Il y a quelqu’un qui joue du piano », a dit l’une d’entre elles, et elles sont tout de suite sorties. Un instant plus tard, elles sont revenues l’air mécontentes, et j’ai arrêté de jouer du piano.
 Si je pouvais jouer du piano, j’aimerais interpréter la sixième symphonie « pastoral » transcrite pour piano par Franz List, ou les Variations Goldberg de Bach.

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