J’aime les cahiers. Les cahiers
ordinaires sans décoration et agréables au toucher sont mes préférés. Lorsque je
contemple des pages blanches dans lesquelles s’alignent à l’infini des lignes
droites, j’apprends alors, que je suis tout à fait libre dans le monde des
mots.
La période durant laquelle
j’utilisais le plus souvent des cahiers, c’est quand j’étais étudiante. À
chaque semestre, j’achetais de nouveaux cahiers. Avec un marqueur, j’écrivais
sur leurs couvertures « littérature classique », « éthique » ou « mathématiques
». Si je regardais mes cahiers joliment superposés sur ma table, j’avais
l’impression que j’avais déjà achevé mes études.
Durant cette même période,
j’utilisais un cahier d'étudiant ordinaire sans décor ni artifice, et je m'en
servais en tant que journal intime. J'y consacrais d'ailleurs un temps
considérable puisque j'écrivais dedans tous les jours. À l’adolescence, remplir
des pages blanches de mes mots de manière si étroite qu’il n’y avait plus un
seul espace, était ma seule façon de m’exprimer. À l’époque où il n’y avait ni
traitement de texte ni ordinateur, le cahier était mon compagnon indispensable.
C’était comme un miroir qui reflétait mon image. La machine n’est qu’une
machine, mais les cahiers reflètent naturellement l’esprit des personnes qui
les utilisent. L’écriture propre à soi, un pli au coin d’une page, des soulignements,
des traces de doigts, des taches de boisson…….Les cahiers décorés de ces choses
étaient quelque peu énigmatiques et adorables.
Puis je suis devenue femme au foyer,
et j’avais de moins en moins d’occasion d’utiliser un cahier. Je notais sur un
bloc-notes qu’on m’a donné à la banque des dates de récupération des objets
inutilisables et de nettoiement des égouts de ma ville, et collais ces notes au
réfrigérateur.
J’éprouvais une certaine
insatisfaction. Sans vraiment savoir à quelle fin l’utiliser, je suis allée à
la papeterie et j’ai acheté un cahier qui m’a plu. Je l’ai ouvert sur la table
de cuisine. J’ai pris un crayon et j’ai écrit quelque chose. C’était une chose
qu’on ne pouvait nommer autrement que « quelque chose ». Et c’est de là que
sont nés mes romans.
Même depuis que j’ai pris l’habitude d’écrire
à l’ordinateur, j’utilise toujours un cahier pour faire un plan de roman. En
même temps que je note mes quelques idées, que je colle un article de journal
qui m’intéresse, et que je dessine un plan de maison, je vois petit à petit le
contour de mon histoire. J’efface une partie ; je dessine une flèche ;
j’entoure un élément important avec un stylo fluorescent ; j’ajoute une scène
qui donnera des indices. Mon cahier devient de plus en plus désordonné, mais il
n’y a pas à s’inquiéter, parce que plus mon cahier est chaotique, plus mon
histoire s’approfondit. Il y a un moment où la lumière que même l’auteur n’attendait
pas naît du fond de ce chaos. Bientôt on pourra écrire la première ligne.
Lorsque je rouvre mon cahier après
l’achèvement et la publication de mon roman, il m’arrive souvent de ne pas
comprendre ce qui est écrit. Bien que je sois auteur et que je me trouve dans
la position la plus proche de mon œuvre, je ne sais pas d’où est venue une
histoire et comment elle s’est formée. Quel que soit le nombre de romans que
j’écris, pour moi, l’histoire est un mystère.
J’ai un autre cahier secret. C’est un
cahier pour noter les mots que j’ai découverts pendant une lecture, qui
expriment combien la littérature, les mots, l’art sont importants pour une
personne.
« Ils ont voulu écouter encore et encore les mots de Bill : ‘’Les autres ne peuvent pas faire ce que vous pouvez faire’’, même s’ils les connaissaient parfaitement par cœur » - ‘’Here but Not Here: A Love Story’’ Lilian Ross
« Ce sont des mots du poète britannique du XVIIe siècle, John Donne. Alors que je ne l’ai jamais connu, et que je vis dans un pays et une époque différents, je peux connaître ses mots grâce au moyen de communication dit de livre. J’avais lu ce poème plusieurs fois jusqu’ici, mais il m’a fallu plus de vingt ans pour le comprendre. Ainsi, je suis rassurée que les livres m’attendent toujours » - ‘’L’Étagère du plaisir » Yûko Tsushima
L’éditeur légendaire du magazine littéraire
américain, « New Yorker », Bille Shawn a encouragé des auteurs en leur disant
que personne d’autre ne pouvait écrire ce qu’ils écrivaient. Ce qui a rassuré
Yûko Tsushima était le poème suivant : « Nul homme n’est une île, complète en
elle-même (…) N’envoie donc jamais demander pour qui la cloche sonne : elle
sonne pour toi ».
Chaque fois que je n’arrive pas à
écrire, j’ouvre ce cahier. Quelque part dans le monde, quelqu’un attend ce que
seule moi peux écrire. Je remplis mon cœur de ce sentiment ; je ferme le cahier
et je retourne dans l’univers de mon histoire.
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