mardi 16 octobre 2018

La Symphonie pastorale


 Aujourd’hui, il est arrivé quelque chose d’un peu mystérieux. Ce matin, un bouquiniste vendait des livres d’occasion au rez-de-chaussée du Patio. Comme j’avais un peu de temps avant le cours, je regardais avec d'autres étudiants des livres dans des cartons. Quelques œuvres, comme le deuxième tome des « Confessions » de Rousseau, m’ont intéressé. De plus, le prix n’était pas élevé. La plupart de ces livres ne coûtaient qu’un euro. Les gros coûtaient deux euros. Dans un carton, j’ai trouvé « La Symphonie pastorale » d’André Gide. Je n’ai jamais rien lu de cet écrivain, mais ce roman m’intéressait depuis longtemps car quelques personnes m’en avaient parlé. Je ne savais pas de quoi il parlait, mais le titre a attiré mon attention car la sixième symphonie de Ludwig est mon morceau préféré. Le livre avait l’air ancien. On aurait dit qu’il avait longtemps dormi sur l’étagère de la vieille maison d’une personne âgée, sans jamais être ouvert. Il sentait un peu le moisi, mais il était plutôt propre. Je l’ai pris avant que quelqu'un le prenne. Dans le même carton, j’ai trouvé « L’Étranger » de Camus que j’avais déjà lu. C’est en fait le premier livre que j’ai lu en français. Je l’avais choisi parce que les phrases étaient simples et surtout parce qu’il était mince. Mais comme j’étais encore débutant à cette époque-là, j’ai laissé échapper beaucoup d’éléments importants. Le livre était propre comme neuf. J’ai demandé au bouquiniste, un homme aux cheveux blancs qui se tenait derrière les livres, combien coûtaient ces deux romans. « Deux euros », m’a-t-il dit. En fait, ce matin, avant de venir à l’université, j’avais sorti de mon porte-monnaie plusieurs pièces de cinquante centimes et d’un euro et les avais mises dans mon portefeuille, alors que je ne porte pas d’argent sur moi d’habitude. J’ai donc acheté ces deux livres.
 Ensuite, pendant le cours de dimensions énonciatives, la professeur nous a demandé de faire un exercice qui consistait en une analyse de texte. J’y ai jeté un coup d’œil, et un instant j’ai été saisi, car ce texte était extrait de l’introduction de la « Symphonie pastorale » d’Angré Gide, le livre que j’avais acheté quelques heures auparavant ! Ce n’est en effet pas grand-chose si l'on compare à la chance de gagner une somme énorme à la loterie, mais lorsqu’on pense à la possibilité que je choisisse la « Symphonie pastorale » d’André Gide parmi de nombreux livres, et que la prof demande d’analyser un extrait de ce livre, il faut cependant reconnaître qu'il s'agit d'une coïncidence bien curieuse.
 L’après-midi, j’ai assisté à la conférence de Monsieur Bechler sur Haruki Murakami. Elle était intéressante, mais j’avoue que je n’étais pas très concentré. Mon regard était attiré par les cheveux bouclés du vieil homme assis devant moi. Pendant que le conférencier continuait son discours, je suivais les courbes artistiques que ces cheveux grisonnants esquissaient comme un dédale dont le sommet était un rocher dénudé. Pendant une heure, il n’a pas bougé d’un iota. Son voisin, un autre homme âgé petit et potelé dormait les bras croisés.
 Après la conférence, assis sur l'escalier du Palais universitaire, je me suis un peu amusé à faire des bulles de savon. Les bulles ne se sont pas envolées aussi loin que je l’imaginais.

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