vendredi 19 janvier 2018

Yukio Mishima



 Comme je traduis du japonais en français une thèse sur Yukio Mishima, je suis allé à la bibliothèque de japonais pour voir à quoi ressemblait le style de cet écrivain.
 La bibliothèque de japonais, dont j’ignorais toujours l’existence se trouve au cinquième étage du Patio, juste à côté du bureau des enseignants de la chaire de japonais. Elle est si petite qu’elle ressemble plus à un bureau qu’à une bibliothèque, et il n’y a que des livres sérieux, c’est-à-dire qu’il n’y a par exemple ni ‘’light novel’’ ni manga. Il y a des livres tels que « Œuvres complètes de Jyunichirô Tanizaki », « Le dit du Genji », « L’anthologie de haikus », et bien sûr, beaucoup de livres de Yukio Mishima.
 Avant de découvrir la littérature étrangère, je lisais souvent Yukio Mishima. « La confession d’un masque », « Le Pavillon d’or », « Les amours interdites », beaucoup de nouvelles et plusieurs essais. J’avais le souvenir que le style de Mishima était difficile avec un vocabulaire extrêmement riche (selon une anecdote, il a appris un dictionnaire entier par cœur quand il était étudiant), et des tournures compliquées.
Aujourd’hui, j’ai jeté un coup d’œil à quelques-uns de ses livres, et j’ai découvert que son style était beaucoup plus clair et accessible qu'il ne l'était dans ma mémoire.

 C’est un écrivain qui menait une réflexion sur la beauté. « Le Pavillon d’or » semble illustrer son mode de penser en tant qu’écrivain. Dans l’essai intitulé « Bunshô Dokuhon (Livre de lecture) » il écrit :
« À notre époque, les gens parlent souvent de déguster un roman, que de prendre plaisir à goûter son écriture. On entend rarement dire que l’écriture de tel ou tel écrivain est magnifique ; en revanche on entend souvent dire que son roman est intéressant. Mais l’écriture est l’essence-même du roman, et les mots n'en sont que les ingrédients. » 
« De nombreux classiques japonais ont une belle écriture que l’on peut savourer. Ce que l’on appelle une belle écriture en est un exemple : le contenu importe peu. Comme la cuisine japonaise, agréable aux yeux, faite juste pour goûter. »
 Bien que sa culture ait été profondément ancrée au Japon, il était très influencé par l’Occident. Dans une interview que j’ai entendue, il cite Goethe et Thomas Mann comme ses auteurs préférés. Donald Keene se souvient qu’il y avait un grand nombre de livres européens dans sa bibliothèque. D’ailleurs, Raymond Radiguet était l’un des héros de sa jeunesse. « La mort de Radiguet » est l’un des premiers récits de l’auteur.
 Il était aussi d’extrême droite et impérialiste. En 1970, il est entré dans le ministère des Armées avec ses compagnons et il a pris en otage le général commandant en chef des forces d'autodéfense. Après avoir adressé un discours aux soldats depuis le balcon du bâtiment (Il était difficilement audible parce qu’il n’avait pas de micro), il a sorti un katana et s’est suicidé en s'ouvrant le ventre selon le code d'honneur des samouraïs, le seppuku. Cependant les témoignages de ses compagnons et du général ligoté nous permettent de comprendre que la scène était sanglante et infernale : le "kaishakunin" (celui qui lui tranche le cou immédiatement après que le samouraï s’est ouvert le ventre) n’était qu’un étudiant de vingt-cinq ans. Évidemment, il n’avait jamais de sa vie coupé la tête de qui que ce fût et il n’a pas réussi à décapiter Mishima du premier coup. Mishima décédé, ce garçon qui avait assumé le rôle du kaishakunin, s'est ouvert le ventre et est mort sur place, avant l'arrivée des forces de l'ordre.

 Mishima a essayé de provoquer un coup d’état, mais il est douteux qu’il pensait vraiment réussir. J’imagine qu’il pensait que sa vie était aussi son œuvre. Il a donc cherché une mort héroïque comme celle dont il parle dans « La confession d’un masque ». De surcroît, ne pourrait-on pas penser que « Le Pavillon d’or » parle de la beauté de la destruction ? Selon Donald Keene, Mishima avait peur de vieillir et de devenir laid. En quelque sorte, sa mort était le résultat de sa philosophie esthétique.

 Dans une interview où Mishima parle de Goethe, il s’exprime que lorsque ce grand écrivain allemand a écrit « Les souffrances de jeune Werther », il se trouvait dans une situation semblable. Werther s’est suicidé et Goethe a survécu. Je me demande si la littérature n'aurait pas pu sauver Mishima de la mort.

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