J’ai fait un drôle de rêve et je me suis
réveillé à quatre heures du matin. Dans mon rêve, je montais dans une
locomotive avec d’autres personnes mais elle ne roulait pas dehors. Elle
circulait dans un palais en ruine. Quand elle s’est arrêtée, les autres se sont
mis à la démonter. J’étais réticent à la détruire parce que je savais que, sans
elle, on ne pourrait plus jamais rentrer. Mais j’étais tout seul contre ceux
qui la démontaient. Que pouvais-je faire ? Et c'était la fin de ce cauchemar.
Quand on écrit de cette manière, ça n’a pas du tout l’air effrayant, mais en
réalité ce rêve était si terrifiant que je ne pouvais plus me rendormir.
J’avais donc un mauvais pressentiment depuis
le matin. Si je commence par la conclusion, ça a été une journée affreuse.
Après le cours d’ancien français, la tête brumeuse, je suis sorti du bâtiment. Devant
moi, il y avait deux garçons de la classe que j’avais déjà vus mais avec qui je
n'avais jamais parlé. J’ai vu qu’ils parlaient de quelque chose avec une fille
qui tenait une plaque. Quelques instants plus tard, ils sont partis. Cette
fille m’a ensuite adressé la parole, mais elle parlait d'une manière très
bizarre. Alors que normalement j’ignore les inconnus, je me suis arrêté pour essayer
de comprendre ce qu’elle me disait. Au bout d’un moment, j’ai compris qu’elle
était sourde et muette, ou qu’elle faisait semblant d’être sourde et muette.
Elle m’a demandé de signer la liste qu’elle tenait. Par la suite, elle m’a
demandé de lui donner de l’argent et c’est à ce moment-là que j’ai eu la
conviction que c’était une escroquerie. Mon cerveau s'est tout à coup réveillé
mais c'était trop tard.
« Combien ? ai-je demandé, tout
résigné.
- Cinquante », a dit tout de suite la
putain.
Espèce de connasse, t’es pas sourde
toi !
Je lui ai donné un billet de dix euros pour me
débarrasser de ce parasite. Voilà, c’est ainsi que j’ai perdu dix euros
aujourd’hui. Si elle avait été belle, j’aurais pu encore me convaincre que ce
que j’avais fait qui avait un sens. Mais elle était moche, petite, idiote,
connasse, putain, porteuse du sida, infectée de toutes les maladies sexuelles
existant sur la terre.
Je suis ensuite allé à la bibliothèque de
japonais, cette fois pour m’y inscrire. J’ai donné un chèque de cent cinquante
euros comme caution à la bibliothécaire qui a une tête de bébé. Je me suis mis
à choisir des livres. Alors que j’étais venu pour lire un livre de Yukio
Mishima, tout à coup, mon corps a commencé à résister à lire son livre. Il faut
rappeler que la lecture c’est aussi quelque chose de physique, pas seulement
intellectuel. J’ai finalement choisi « La classe de lettres de Yukio Mishima »
qui était le plus fin et semblait le plus facile à lire. Avec ce livre,
j’apprendrai à écrire une belle lettre. Mais à qui je vais l'envoyer ? J’ai
emprunté aussi « Sanshirô » de Sôseki. Pourtant je ne sais pas si j’aurai le
temps de lire ce dernier.
Lorsque j’attendais le tram à l’arrêt
Esplanade pour rentrer chez moi, cette fois, c’est un autre type qui s’est
approché de moi. Ce gars avec un gobelet de papier n’était pas très vieux. Il
portait un manteau sale, une casquette qui ne servait sans doute pas à protéger
ses oreilles du froid. Il m’a dit « S’il vous plaît, give me money ». Sa
manière de parler m'a rappelé les mômes japonais qui demandaient du chocolat
aux soldats ricains juste après la guerre. Il me faisait pitié, mais j’avais
déjà donné dix euros à la putain. Je ne voulais absolument pas perdre davantage
d’argent. Ne m'en veux pas, plains-toi à la putain. Par ailleurs, s’il voulait
de l’argent, il devait faire quelque chose. Cirer des chaussures, raconter une
histoire intéressante, chanter et danser etc. Je lui ai dit en français que j’étais
désolé. Il est parti vers d’autres personnes.
C’était sans conteste une journée merdique.
Mais j’ai fait aussi une découverte. J’ai trouvé une boisson au soja au
supermarché. Je me suis demandé pourquoi il y en avait alors qu’il n’y a pas de
tofu en France. Comme je déteste le lait, quand j’étais au Japon, j’utilisais
une boisson de soja comme substitut. De toute façon le lait ne sert à rien aux
Japonais. Pourquoi ? Parce que la plupart des Japonais ont une intolérance au
lactose. Ils ne peuvent pas le digérer. En japonais, le lait se dit « Gyû-nyû
». Ici Gyû signifie la vache, et Nyû, le lait. Ça veut dire donc ‘’Le lait de
vache’’ littéralement. Évidemment, on ne doit pas priver les veaux du lait de
leur mère. C'est la raison pour laquelle je refuse d'en boire.
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