mercredi 31 janvier 2018

''L' étrange histoire d'un magasin d'antiquités" Haruki Murakami



 Je crois avoir déjà écrit quelque part que mon épouse aime les antiquités et qu’à l’occasion d’un voyage, elle visite des magasins de curiosités. Je suis quelqu’un qui essaie de ne pas juger les choses, mais il y a une seule règle que j’ai envie d'établir. C’est que « le fait d’entrer avec sa femme dans un magasin de curiosités et d'y passer une éternité, c'est mortellement ennuyeux pour quelqu’un qui ne s’intéresse pas aux antiquités ». Pendant que ma femme parle avec le patron en utilisant un jargon incompréhensible, je flâne dans le magasin en bâillant. Je suis obligé de regarder des choses qui ne m’intéressent pas, en me disant dans ma tête : « Pourquoi une assiette si sale est vendue à ce prix ? » etc.
 Au moins, je n’ai pas besoin de me soucier de l'endroit où regarder contrairement à un magasin de lingeries (mais je n’y entre pas). Pourtant le fait que ce soit ennuyeux ne change pas.
 Lorsque nous sommes entrés dans un petit magasin de curiosités à Kyoto, sans savoir pourquoi, j’avais un mauvais pressentiment depuis le début. Le regard de la vieille dame qui accueillait les clients avait quelque chose de néfaste. Elle ressemblait à la sorcière de « Hansel et Gretel ». Elle avait une aura magique, j'ai alors imaginé qu’elle habitait dans une maison faite de Yatsuhashi et Senmaizuke※ au fin fond d’une forêt. J’ai pensé : « J’essaie de ne pas m’en approcher. Ça n'ira sans doute pas. »
Mais comme je m’ennuyais et comme j’avais acquis un peu de connaissances sur les antiquités grâce à ma femme, je murmurais tout seul : « C’est peut-être une assiette de fabrication en série datant de l’ère Meiji. Mais ça n’a pas l’air mal quand même » etc. Et alors que je n’aurais pas dû le faire (pourquoi j’ai fait ça !), je l’ai prise pour la regarder. À ce moment-là, j’ai senti un regard piquant dans mon dos comme si une onde électromagnétique puissante s'y enfonçait. Sans même avoir eu le temps de penser : « Ah, zut », j’ai fait glisser l’assiette ; elle est tombée sur le plancher et s'est brisée.
 « Ne vous en faites pas. Cela arrive qu’une assiette se brise », m’a dit la vieille dame en souriant, mais son regard disait tout le contraire. Sa bouche souriait, mais pas ses yeux. Il y a encore des gens qui peuvent adresser ce genre de sourire portant un message particulier à Kyoto. Tant pis, j’ai finalement acheté un lot de dix assiettes puisqu'elle disait qu'elle ne pouvait pas en vendre qu'une seule. Je n’avais d’autre choix que de toutes les acheter.
« Pourquoi tu as fait ça !? , s’est plainte ma femme plus tard.
« Mais c’était la force de la volonté, me suis-je excusé. La vieille dame m’a envoyé une onde électrique pour faire glisser ma main. »
Évidemment, elle ne m’a pas pris au sérieux. J’utilise encore ces neuf assiettes chez moi. Enfin, ce n’est pas si mal que ça.

Yatsuhashi et Senmaizuke sont des plats japonais traditionnels, spécialités de Kyoto.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire