samedi 10 novembre 2018

''Le coffret à bijoux dans la fontaine'' Yoko Ogawa


 Lorsque je lis une nouvelle magnifique, j’ai envie de l’accaparer comme mon trésor. Je vais la mettre dans mon petit coffret à bijoux, mais bien construit, et le cacher dans un endroit que personne ne connaît.
 Il n'en va pas de même avec les longs romans. Ils s’étalent sur le monde comme la mer ou le fleuve, de sorte qu’il est impossible de les cacher quelque part. Les gens peuvent les contempler ou nager librement dedans quand ils souhaitent.
 J’ai l’impression que la relation que j’ai avec les nouvelles est plus subtile. Au cours d’une lecture, lorsque je suis impressionnée, je dis : « Qu’est-ce que c’est que ça….. ». Quand il s’agit d’une nouvelle, le ton de ma voix s’affaiblit. Je ne crie pas en tapant sur la table, mais je murmure pour moi-même en cachette. Lorsque je termine ma lecture, je cache la nouvelle dans mon coffret à bijoux ; je la verrouille, et l’immerge dans le fond de la fontaine qui jaillit secrètement dans un coin de mon jardin.
 Lorsque je suis si épuisée que je ne peux pas me lever et que je n’arrive pas à atteindre le bord de la mer ou du fleuve, je prends mes bijoux que j’ai caché dans mon jardin. Je plonge la main dans la fontaine et sors le coffret. Je confirme que même un monde si minuscule qu’il tient dans ma main est rempli de vies humaines et je suis rassurée. Ainsi, je peux ressentir que je ne suis pas abandonnée toute seule sur la lande, et que je suis protégée par la chaleur de quelqu’un.
 L’œuvre que j’ai choisie cette fois, « The Many Things That Denny Brown Did Not Know (Age Fifteen) (Beaucoup de choses que Denny Brown ignorait (quinze ans)) » d’Elisabeth Gilbert est très importante pour moi. À vrai dire, j’aurais voulu la laisser dans la fontaine. Ce n’est pas par le désir de possession, mais face à une œuvre si extraordinaire, j’avais peur d’être déconcertée au point de ne plus savoir quoi écrire.  
En même temps, ce n’est pas une histoire tapageuse. Elle ne traite pas de nouveau thème surprenant ; elle n’a pas de truquage méticuleux non plus. Il s’agit simplement de l’histoire relatant les expériences qu’un lycéen de quinze ans ordinaire fait pendant les vacances d’été, dans sa petite ville des États-Unis.
 Comme le titre l’indique, le garçon, Denny Brown ne connait rien du monde. Il ne connait pas l’origine du nom de sa ville, ne sait rien de la mitose des cellules, ignore que Beethoven était sourd. Il ne comprend pas trop en quoi consiste le travail de ses parents, infirmiers, ni pourquoi la grande sœur d’un ami prend sa main dans la sienne. Les deux tiers du roman sont consacrés aux choses qu’il ignore.
 Un jour, un petit hasard a lieu. La sœur d’un ami, la jeune femme attrayante à la forte poitrine qui prend sa main silencieusement, contracte la petite vérole.
 Depuis cet événement, l’histoire se développe de manière tout à fait inattendue. Je le répète : comme ce n’est ni remarquable, ni méticuleux, ni étonnant, même si j’explique avec détail ce qui va se passer, beaucoup de lecteurs seront déçus. Je préfère donc ne rien expliquer pour l'instant. La seule chose claire, c’est que Denny Brown, qui mène, main dans la main, la jeune fille, victime de vérole, dans la salle de bain, touche la partie la plus profonde de l’esprit humain. À cet instant, le garçon qui ne savait même pas que Beethoven était sourd, apprend une chose inexplicable qui n’est mentionnée dans aucun manuel scolaire.
 Elisabeth Gilbert a sauvé un petit miracle de la vie quotidienne qui aurait disparu sans que personne ne le découvre. Elle a accompli cet acte seulement en quelques pages. En relisant et relisant cette nouvelle, à la fois émue et déconcertée, je murmure : « Qu’est-ce que c’est que ça……. ».
 Je pense que le travail des écrivains n’est pas de créer un miracle, mais de le découvrir. C’est aussi l’un des critères qui, pour moi, définissent un bon roman.
 On me demande souvent si je suis plus forte pour le roman ou pour la nouvelle. Je ne suis forte ni pour l’un ni pour l’autre. Que ce soit un roman ou une nouvelle, écrire une histoire est toujours difficile. Je ne peux vraiment pas répondre que je suis forte pour l’un ou l’autre. Cependant, s’il y a des gens qui pensent qu’une certaine technique est nécessaire pour écrire une nouvelle, je pense que c’est faux. Écrire une histoire que l’on a découverte, c’est la chose unique et la plus importante.
 Lorsque j’ai du mal à écrire et que je souffre, je vais à la fontaine de mon jardin, et j’ouvre la serrure de mon coffret à bijoux. J'immerge mon secret dans le fond de la fontaine et je me remets à écrire la suite de mon histoire. C’est ainsi que je continue à écrire.

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