Lorsque je lis une nouvelle
magnifique, j’ai envie de l’accaparer comme mon trésor. Je vais la mettre dans
mon petit coffret à bijoux, mais bien construit, et le cacher dans un endroit
que personne ne connaît.
Il n'en va pas de même
avec les longs romans.
Ils s’étalent sur le monde comme la mer ou le fleuve, de sorte qu’il est
impossible de les cacher quelque part. Les gens peuvent les contempler ou nager
librement dedans quand ils souhaitent.
J’ai l’impression que la relation que
j’ai avec les nouvelles est plus subtile. Au cours d’une lecture, lorsque je
suis impressionnée, je dis : « Qu’est-ce que c’est que ça….. ». Quand il s’agit
d’une nouvelle, le ton de ma voix s’affaiblit. Je ne crie pas en tapant sur la
table, mais je murmure pour moi-même en cachette. Lorsque je termine ma
lecture, je cache la nouvelle dans mon coffret à bijoux ; je la verrouille, et
l’immerge dans le fond de la fontaine qui jaillit secrètement dans un coin de
mon jardin.
Lorsque je suis si épuisée que je ne
peux pas me lever et que je n’arrive pas à atteindre le bord de la mer ou du
fleuve, je prends mes bijoux que j’ai caché dans mon jardin. Je plonge la main
dans la fontaine et sors le coffret. Je confirme que même un monde si minuscule
qu’il tient dans ma main est rempli de vies humaines et je suis rassurée.
Ainsi, je peux ressentir que je ne suis pas abandonnée toute seule sur la
lande, et que je suis protégée par la chaleur de quelqu’un.
L’œuvre que j’ai choisie cette fois,
« The Many Things That Denny Brown Did Not Know (Age Fifteen) (Beaucoup de
choses que Denny Brown ignorait (quinze ans)) » d’Elisabeth Gilbert est très
importante pour moi. À vrai dire, j’aurais voulu la laisser dans la fontaine.
Ce n’est pas par le désir de possession, mais face à une œuvre si
extraordinaire, j’avais peur d’être déconcertée au point de ne plus savoir quoi
écrire.
En même temps, ce n’est pas une
histoire tapageuse. Elle ne traite pas de nouveau thème surprenant ; elle n’a
pas de truquage méticuleux non plus. Il s’agit simplement de l’histoire
relatant les expériences qu’un lycéen de quinze ans ordinaire fait pendant les
vacances d’été, dans sa petite ville des États-Unis.
Comme le titre l’indique, le garçon,
Denny Brown ne connait rien du monde. Il ne connait pas l’origine du nom de sa
ville, ne sait rien de la mitose des cellules, ignore que Beethoven était
sourd. Il ne comprend pas trop en quoi consiste le travail de ses parents,
infirmiers, ni pourquoi la grande sœur d’un ami prend sa main dans la sienne.
Les deux tiers du roman sont consacrés aux choses qu’il ignore.
Un jour, un petit hasard a lieu. La
sœur d’un ami, la jeune femme attrayante à la forte poitrine qui prend sa main
silencieusement, contracte la petite vérole.
Depuis cet événement, l’histoire se
développe de manière tout à fait inattendue. Je le répète : comme ce n’est ni
remarquable, ni méticuleux, ni étonnant, même si j’explique avec détail ce qui
va se passer, beaucoup de lecteurs seront déçus. Je préfère donc ne rien
expliquer pour l'instant. La seule chose claire, c’est que Denny Brown, qui
mène, main dans la main, la jeune fille, victime de vérole, dans la salle de
bain, touche la partie la plus profonde de l’esprit humain. À cet instant, le
garçon qui ne savait même pas que Beethoven était sourd, apprend une chose
inexplicable qui n’est mentionnée dans aucun manuel scolaire.
Elisabeth Gilbert a sauvé un petit
miracle de la vie quotidienne qui aurait disparu sans que personne ne le
découvre. Elle a accompli cet acte seulement en quelques pages. En relisant et
relisant cette nouvelle, à la fois émue et déconcertée, je murmure : «
Qu’est-ce que c’est que ça……. ».
Je pense que le travail des écrivains
n’est pas de créer un miracle, mais de le découvrir. C’est aussi l’un des
critères qui, pour moi, définissent un bon roman.
On me demande souvent si je suis plus
forte pour le roman ou pour la nouvelle. Je ne suis forte ni pour l’un ni pour l’autre.
Que ce soit un roman ou une nouvelle, écrire une histoire est toujours
difficile. Je ne peux vraiment pas répondre que je suis forte pour l’un ou
l’autre. Cependant, s’il y a des gens qui pensent qu’une certaine technique est
nécessaire pour écrire une nouvelle, je pense que c’est faux. Écrire une
histoire que l’on a découverte, c’est la chose unique et la plus importante.
Lorsque j’ai du mal à écrire et que
je souffre, je vais à la fontaine de mon jardin, et j’ouvre la serrure de mon
coffret à bijoux. J'immerge mon secret dans le fond de la fontaine et je me
remets à écrire la suite de mon histoire. C’est ainsi que je continue à écrire.
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