Beaucoup de professeurs de mon
université portaient des noms singuliers.
Par exemple, un jour, sur le tableau
d’annonces était affiché « Le cours de théologie de mercredi prochain de
Monsieur Robot est annulé ».
Monsieur Robot ! Nous étions étonnés.
Est-ce un professeur mécanique ?
Un autre jour, il était affiché « La
salle du cours d’éthique de Monsieur Quoi a été changée ».
Monsieur Quoi ! C’est quoi, Monsieur
Quoi !
Tout cela, c’est parce que mon
université était jésuite. Certains enseignants étaient des prêtres jésuites de
divers pays. Je n’ai jamais réussi à savoir la nationalité de Monsieur Robot.
Le plus impressionnant était Monsieur
Love.
Love ! Peu avant le premier cours,
nous, étudiants en littérature anglaise, étions agités. Est-ce vraiment son nom
?
La porte s’est ouverte, et le
professeur est entré.
Jésus ! a pensé tout le monde.
C’était un blond aux yeux bleus. Un Blanc grand et maigre. Il était barbu et
ses cheveux descendaient jusqu’aux épaules. Ça me semblait étrange qu’il ne
portait pas de couronne d’épines.
Il est monté d’un grand pas sur
l’estrade, et a dit : « My name is….. ». Tout à coup, il s’est retourné ; il a
pris non pas une claie, mais une éponge, avec laquelle il a écrit sur le
tableau entier :
LOVE.
Chacun a retenu son souffle. Les
filles ouvraient légèrement leur bouche. Les garçons baissaient la tête. Le
cœur des filles a été touché. Celui des garçons a été brisé. Mais Monsieur Love
était jésuite. Les Jésuites sont des gens qui ont juré à Dieu de ne jamais
avoir de femme de toute leur vie. On n’avait donc pas le droit d’en être
amoureux. Ça nous a passionnés davantage.
Les cours de Monsieur Love étaient
intéressants. Un jour, on a analysé un poème.
Dans ce poème, il y avait les mots «
les vaisseaux sanguins de la mer ». Personne ne comprenait de quoi il s’agissait.
En y consacrant un cours entier, Monsieur Love nous a fait réfléchir sur ces
mots comme une devinette. Encore aujourd’hui, lorsque je vois des lignes
ressemblant à des sentiers sur la surface de la mer, je me dis : « Ah, ce sont
des vaisseaux sanguins de la mer ».
À chaque cours, il donnait un devoir
de production écrite en anglais. Le sujet était libre, mais il disait toujours
: « Soyez concrets ». Si on écrivait une histoire qui avait une chute ou qui
était un peu ‘’attendrissante’’, il prenait un air triste comme Jésus, et secouait
la tête en disant : « Ce n’est pas du tout concret ».
Au contraire, cela a été un spectacle
le jour où quelqu’un avait écrit ses souvenirs d’une forte fièvre. « Ma
température est montée jusqu’à quarante degrés. J’ai distraitement regardé le
ciel nocturne. Toutes les étoiles sont tombées sur moi. Cela m’a rafraîchi le
front et c’était agréable », avait-il écrit. Monsieur Love, en sautillant sur
l’estrade, avait crié : « Formidable ! C’est très concret ! ».
Mes compositions n’ont jamais été
très estimées, sauf une seule fois. J’ai écrit qu’au lycée, pour le stage
d'entraînement de mon club de sport, j’étais montée au sommet d’une montagne,
la nuit, que de nombreux nuages en forme de choux à la crème flottaient sur
l’horizon et des éclairs brillaient silencieusement.
Dix ans après avoir obtenu mon
diplôme, j’ai trouvé l’avis de décès de Monsieur Love dans un journal. Il était
encore dans sa soixantaine. Le statut de prêtre avait disparu. À côté de son
nom, on donnait, en tant que parent du défunt, celui de son épouse.
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