vendredi 2 novembre 2018

''Les souvenirs de ski'' Sachiko Kishimoto


  Je l’ai déjà dit : je n’aime pas les jeux olympiques.
 J’avais beau le répéter, les jeux olympiques d’hiver ont eu lieu à Vancouver cette année.
 Je déteste les jeux olympiques, mais je déteste particulièrement les jeux olympiques d’hiver.
 Bien que ce soit déjà une fête anormale où des gens anormalement musclés, animés d’une émulation anormale, sautent anormalement haut, ou nagent anormalement vite, ou tournent anormalement, ces jeux olympiques ont lieu en hiver, saison connue pour son froid qui règne au dehors, sur la glace ou la neige. Les joueurs portent un équipement étrange sur eux, et ils sautent anormalement haut, ou glissent anormalement vite, ou tournent ou frottent quelque chose anormalement. Pour moi, c’est de la folie.
 Bien entendu, je pense que les patineurs artistiques sont impressionnants. Je ne peux pas sauter en tournant trois fois et demi sur moi-même, même sur la terre. J’ai fait du patinage quand j’étais enfant. Tout ce que j’ai réussi à faire, c’est de me tenir debout sur la glace. Lorsque je regarde les patineurs sur glace qui tournent ou lèvent la jambe ou sautent, je me rappelle l’odeur du vieux cuir, le froid sur mes fesses mouillées, l’odeur de pétrole émanant du poêle de la salle de séchage, et le rouge du sang qui coulait du nez d’un adulte qu'on emmenait sur un brancard après après sa collision contre un mur. Tout cela me revient à l’esprit, et je suis prise d’une inquiétude inexplicable.
 Le ski aussi me rappelle bien de souvenirs.
 Une seule fois, je suis allée faire du ski quand j’étais étudiante. Mes amies m’ont proposé d’y aller à la place d’une fille qui avait un empêchement. C’étaient des folles qui faisaient du ski tous les weekends pendant la saison. Au début, j’ai poliment refusé leur proposition. Je n’avais jamais fait de ski, je n’avais pas d’équipement. Mais comme on m’a dit : « T’inquiète. Je te prêterai l’équipement de ma grande sœur. On va t’apprendre à faire du ski », j’ai finalement décidé d’y aller.
 Le télésiège m’a conduite jusqu’au sommet de la montagne. Lorsque je me suis retournée pour leur demander de m’apprendre à faire du ski, elles étaient déjà parties. Je suis descendue en tombant environ cent fois. Je me suis plainte en leur rappelant qu’elles m’avaient promis de m’apprendre à skier. Elles m’ont dit : « C'est quelque chose qu'on apprend naturellement ! C’est comme ça ! ». Elles n’étaient plus les mêmes. Elles voulaient faire du ski le plus longtemps possible jusqu'à la tombée de la nuit.
 Le lendemain, elles ont peut-être eu pitié de moi. On a pris une leçon auprès d’un moniteur qui nous apprenait à tourner ou à changer de direction. Cependant, j’ai trop accéléré dans un virage. Je me suis enfoncée dans la neige en essayant de changer de direction. Si on descendait en rang, je suivais cent mètres en arrière. J’ai accroché un de mes skis à un poteau du télésiège et j’ai l’ai fait s’arrêter. Je me sentais trop misérable et j’ai pleuré. Mes larmes ont fait de mes lunettes de ski une piscine.
 Le troisième jour, j’arrivais à descendre toute seule de haut en bas de la piste. Juste au moment où je me disais : « Le ski, finalement c’est amusant », j’ai largement dévié de la piste et je suis tombée dans la neige. Couchée sur le dos, je me suis enfoncée d’environ un mètre. J’ai essayé de me lever à l’aide de mes bâtons. Ils se sont enfoncés profondément et je ne pouvais plus les arracher. « Ohé ! », ai-je crié. Personne n’est venu. J’ai levé les yeux. Le ciel que je voyais du trou qui avait ma forme était bleu. Tout était silencieux. Je ne ferai plus jamais de ski, me suis-je juré.
 Environ vingt ans se sont écoulés depuis lors. J’ai terminé mes études, j’ai trouvé un emploi, je l’ai quitté, et j’ai trouvé mon travail actuel. Je n’ai plus jamais fait de ski depuis cet événement, et je ne regrette pas.
 La seule chose qui me préoccupe, c’est que je ne me souviens pas comment je suis sortie du trou ce jour-là. Quelqu’un est-il venu au secours ? Ou en suis-je sortie toute seule ? En suis-je vraiment sortie ? Tout en écrivant ce texte, j’ai l’impression qu’en réalité, je me toujours toujours dans la neige.

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