Lorsque j’ai commencé à apprendre le
français, j’habitais à Tokyo pour une certaine raison. J’ai d’abord choisi une
école de français qui se trouvait dans un immeuble d’un quartier résidentiel.
C’était un immeuble ordinaire dont un appartement entier, assez spacieux, était
occupé par une école de français. Je me rappelle aussi le nom de mon premier
professeur. Il s’appelait « Robin » et parlait parfaitement le japonais. Il y
avait aussi une autre professeur petite aux cheveux rouges, dont j’ai oublié le
nom. Toutefois, je ne suis pas resté longtemps dans cette école parce que les
cours consistaient majoritairement en dialogues et étaient destinés aux gens
qui souhaitaient apprendre le français joyeusement. Je ne nie pas que cette
méthode être efficace, puisque je ne suis pas spécialiste dans l’apprentissage
des langues étrangères. Toutefois, je pense toujours que la grammaire est
importante. Au bout d’un mois, je me suis mis à chercher une autre école.
À Tokyo, il y a deux écoles de
français réputées. L’un est l’Institut français, qui est reconnu par le
gouvernement français, doté d’une une riche médiathèque et qui organise
fréquemment des événements culturels. L’autre est l’Athénée français, qui n’est
pas reconnu par le gouvernement français, mais qui existe depuis avant la
première guerre mondiale et qui a engendré bon nombre d’écrivains et de
spécialistes en littérature française. J’ai finalement choisi cette dernière,
parce qu’elle était beaucoup moins chère.
Chaque semaine, je prenais la ligne
Chûo pour aller à Ochanomizu. J’avais appris les bases de la grammaire
française en autodidacte. Je me suis donc inscrit au niveau intermédiaire. Mon
professeur de français, un Blanc grand et maigre, habillé toujours de manière
chic, contrairement à Robin, ne parlait pas trop le japonais, bien qu'il était
marié à une Japonaise et vivait au Japon depuis longtemps. Le cours était centré
sur la grammaire et ça m’a plu. Après les cours, j'aimais me promener à
Ochanomizu où il y a beaucoup de librairies d’occasion. Parfois je marchais
jusqu'à Kudanshita. J’achetais souvent des castella (gâteau japonais) en forme
de clochette à la boulangerie.
La plupart de mes camarades étaient
des femmes d’un certain âge qui apprenaient le français en dilettantes. Il y
avait aussi quelques jeunes. Nous étions que deux hommes. Cela m’a étonné que
même des dames âgées apprenaient passionnément le français, parce que je ne
sais pas si j’aurais envie d’apprendre une langue étrangère quand j’aurai leur
âge. Je parlais de temps en temps avec une Coréenne d’un certain âge qui avait
du caractère. Elle avait sa vie au Japon, et elle parlait le japonais si
parfaitement que j’ai appris qu’elle était coréenne beaucoup plus tard. L’autre
garçon venait de l’ouest du Japon. C’était un homme très extraverti qui parlait
le dialecte du Kansai. Une fois, on est allés voir ensemble un film de François
Ozon dans un petit cinéma. Il y avait aussi une dame qui m’a un jour dit
qu’elle ne s’intéressait pas du tout à la France. Je lui ai demandé pourquoi
elle apprenait le français. « J’ai envie d’émigrer au Sénégal, m'a-t-elle dit.
– Je vois », ai-je dit. C'était aussi dans cette école que j'ai rencontré une
dame, interprète professionnelle d'allemand et de japonais. Elle avait vécu
longtemps en Allemagne de sorte qu'elle parlait un excellent allemand. Elle m'a
dit qu'elle continuerait le français jusqu'à ce qu'elle obtienne le diplôme
d'interprète de cette langue. Il y avait aussi une jeune fille qui étudiait la
technologie astronomique, quelque chose de ce genre. Elle apprenait le français
pour entrer dans une université française prestigieuse dont je n'ai pas retenu
le nom. Il s’est révélé que nous avions des goûts très proches en musique et en
cinéma, et elle m’a dit qu’elle n’avait jamais rencontré quelqu’un qui avait
des goûts aussi similaires. Nous avons échangé nos adresses e-mail. Elle était
jolie, mais je ne lui ai rien envoyé. J’avais la flemme.
Tout le monde était passionné pour le
français, et avait un rêve ou une ambition. Je n’avais rien de tout cela. Entre
les deux choix de me suicider et d'aller à l'université française, j’avais
choisi le second. Tout ce que je faisais, c’était de regarder de temps en temps
de vieux films de Jean-Luc Godard et de lire Boris Vian. Mon premier objectif
était d'obtenir le DALF C1, et je l’ai atteint il y a quelques années. Je
continue encore le français, quoique je sois toujours apathique et dénué de
grande ambition. Je me demande ce que ces gens que j'avais rencontrés sont
devenus aujourd'hui.
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