mercredi 31 janvier 2018

Le cauchemar de l'automate

 Le mardi, j’ai cours de neuf heures à quatorze heures. Par rapport au lundi ou au jeudi, je peux rentrer relativement tôt. En revanche, tous les cours se succèdent les uns après autres, si bien que je n’ai pas de pause. Alors que j’avais mis du café au lait dans ma gourde, je n’ai pas eu le temps d'en boire une goutte.
Récemment, je vis comme un automate. Je me lève, je me brosse les dents, je vais en cours, je prends des notes, je rentre et je mange quand c’est nécessaire. Je n’ai donc pas beaucoup de mémoire de ce que je fais à l’université. Comme ça, je suis moins stressé.

 Aujourd’hui la prof de morphologie nous a répété à plusieurs reprises que la forme ‘’fatigable’’ n’existe pas dans le dictionnaire. J’ai tapé ce mot dans mon dictionnaire électrique Casio. "Fatigable" existe bel et bien dans trois dictionnaires, le Petit Robert, le Royale Dictionnaire Français-Japonais, le Robert Grand Dictionnaire Français-Japonais, mais je me suis tu. Vu que ce qu’elle disait n’est pas tout à fait faux. ‘’Fatigable’’ n’est pas un mot qu’on emploie très souvent, de plus, le sens de ce mot semble un peu étrange. ''Fatigant'', c'est compréhensible. Ça qualifie ce qui fatigue. Il y en a beaucoup au monde : le boulot, l'hystérie d'une femme, la maladie, le devoir etc. ''Infatigable'' veut dire ''qui ne peut se fatiguer'', c'est aussi compréhensible. Je ne me fatigue pas à lire un livre intéressant. En revanche, la définition du mot ''fatigable'' est ambiguë. Il n'est écrit que ''Sujet à la fatigue'' dans le Petit Robert. Réfléchir sur le mot ''fatigable'' est fatigant.

 Demain, je n’aurai que deux cours. De plus, je pourrai faire la grâce matinée. Mais la semaine dernière, la professeure m’avait obligé de travailler avec deux filles que je ne connaissais pas. J'avais timidement protesté que je ne suis pas très doué pour travailler en équipe. Elle m’avait dit que c’était alors une bonne occasion pour apprendre. Je n’avais plus rien à dire. J’imagine qu’elles ne veulent pas travailler avec moi mais moi non plus, je ne veux pas travailler avec elles. Les deux filles inconnues avaient toutes les deux l’air sombres. Je pense que l'une est fascinée par une collection de photos parapsychiques, et que l'autre aime disséquer des grenouilles.

''L' étrange histoire d'un magasin d'antiquités" Haruki Murakami



 Je crois avoir déjà écrit quelque part que mon épouse aime les antiquités et qu’à l’occasion d’un voyage, elle visite des magasins de curiosités. Je suis quelqu’un qui essaie de ne pas juger les choses, mais il y a une seule règle que j’ai envie d'établir. C’est que « le fait d’entrer avec sa femme dans un magasin de curiosités et d'y passer une éternité, c'est mortellement ennuyeux pour quelqu’un qui ne s’intéresse pas aux antiquités ». Pendant que ma femme parle avec le patron en utilisant un jargon incompréhensible, je flâne dans le magasin en bâillant. Je suis obligé de regarder des choses qui ne m’intéressent pas, en me disant dans ma tête : « Pourquoi une assiette si sale est vendue à ce prix ? » etc.
 Au moins, je n’ai pas besoin de me soucier de l'endroit où regarder contrairement à un magasin de lingeries (mais je n’y entre pas). Pourtant le fait que ce soit ennuyeux ne change pas.
 Lorsque nous sommes entrés dans un petit magasin de curiosités à Kyoto, sans savoir pourquoi, j’avais un mauvais pressentiment depuis le début. Le regard de la vieille dame qui accueillait les clients avait quelque chose de néfaste. Elle ressemblait à la sorcière de « Hansel et Gretel ». Elle avait une aura magique, j'ai alors imaginé qu’elle habitait dans une maison faite de Yatsuhashi et Senmaizuke※ au fin fond d’une forêt. J’ai pensé : « J’essaie de ne pas m’en approcher. Ça n'ira sans doute pas. »
Mais comme je m’ennuyais et comme j’avais acquis un peu de connaissances sur les antiquités grâce à ma femme, je murmurais tout seul : « C’est peut-être une assiette de fabrication en série datant de l’ère Meiji. Mais ça n’a pas l’air mal quand même » etc. Et alors que je n’aurais pas dû le faire (pourquoi j’ai fait ça !), je l’ai prise pour la regarder. À ce moment-là, j’ai senti un regard piquant dans mon dos comme si une onde électromagnétique puissante s'y enfonçait. Sans même avoir eu le temps de penser : « Ah, zut », j’ai fait glisser l’assiette ; elle est tombée sur le plancher et s'est brisée.
 « Ne vous en faites pas. Cela arrive qu’une assiette se brise », m’a dit la vieille dame en souriant, mais son regard disait tout le contraire. Sa bouche souriait, mais pas ses yeux. Il y a encore des gens qui peuvent adresser ce genre de sourire portant un message particulier à Kyoto. Tant pis, j’ai finalement acheté un lot de dix assiettes puisqu'elle disait qu'elle ne pouvait pas en vendre qu'une seule. Je n’avais d’autre choix que de toutes les acheter.
« Pourquoi tu as fait ça !? , s’est plainte ma femme plus tard.
« Mais c’était la force de la volonté, me suis-je excusé. La vieille dame m’a envoyé une onde électrique pour faire glisser ma main. »
Évidemment, elle ne m’a pas pris au sérieux. J’utilise encore ces neuf assiettes chez moi. Enfin, ce n’est pas si mal que ça.

Yatsuhashi et Senmaizuke sont des plats japonais traditionnels, spécialités de Kyoto.

mardi 30 janvier 2018

La jambe rôtie

 Aujourd’hui, j’avais rendez-vous avec ma psychiatre. Je lui ai parlé de beaucoup de choses, de la mort de Yukio Mishima, de « Un bonbon ou une balle ? » de Kazuki Sakuraba que j’ai traduit et de la petite coïncidence selon laquelle lorsque j’ai terminé de traduire un de ses livres, une maison d’édition française a publié « La légende des Akakuchiba » alors que jusqu’ici c’était une écrivaine totalement inconnue dans l’Hexagone. Je lui ai aussi parlé de la série sur Hannibal Lecter. Comme le frère d’« Un bonbon ou une balle ? » est un hikikomori, je lui ai demandé si elle connaissait ce terme. Elle a acquiescé. Avant j’avais déjà regardé une émission française sur les hikikomori. Une mère française d’un certain âge disait d’un air triste que son fils était un hikikomori. C'était bizarre que ce mot sorte de la bouche d'une Française.
 Je me suis rendu compte que ma psychiatre ressemble un peu à celle du célèbre cannibale. Hannibal est lui-même un psychologue mais il va chez la psychiatre Madame Du Maurier. Évidemment, il ne lui révèle pas que tuer des gens et les manger lui font plaisir, mais Madame Du Maurier se rend compte par elle-même de la singularité du Docteur Lecter. Elle refuse qu’il vienne chez elle. Cependant, dans la troisième saison, ils vivent ensemble comme un vrai couple en Italie pour une raison inconnue. La série Hannibal dont la quatrième saison a été annulée, se termine par la scène où Du Maurier est à la table. La caméra montre d’abord une jambe rôtie qui a l’air vraiment délicieuse sur la table. Sous la table, on remarque que Du Maurier a perdu l’une de ses jambes.
 Je n’ai pas pris de prochain rendez-vous pour le moment parce qu’en ce moment, je déprime moins qu’avant même si la communication avec les autres m'effraie toujours. Je peux communiquer par écrit, mais à l’oral je dois gérer beaucoup plus de choses en même temps (le ton de la voix, l’expression du visage, la manière de parler, le choix des mots) et je panique intérieurement quand je parle avec des gens face à face. On dit que Kafka écrivait énormément de lettres à sa copine, au moins une par jour, mais qu’il était souvent réticent à la voir. Je crois comprendre un peu ses sentiments. Clairement, je ne suis pas fait pour vivre dans ce monde. Je ne trouve ma place nulle part dans la société. Mais je sais bien que je ne pourrai pas vivre tout seul.

dimanche 28 janvier 2018

''Un bonbon ou une balle ?''



 Kazuki Sakuraba est une femme écrivain qui a une carrière particulière. Elle a d’abord débuté comme auteur de ‘’Light Novel’’. Qu’est-ce que ce ‘’Light Novel’’ ? Il s’agit d’un genre de la littérature japonaise. Dans un sens large, ce terme désigne « les romans avec des illustrations en animé, d’un style souvent parlant et facile à lire ».  Comme le mot ‘’light (léger)’’ l’indique, ce genre est souvent sous-estimé. Par exemple, l’écrivain Otsuichi s’exprime ainsi dans la postface de « Goth ».

‘’(…) Lorsque je lisais un magazine de jeux vidéo, il était écrit dans un entrefilet : « Dans le monde d’édition, les light novels ne sont pas reconnus comme ‘’livres’’. Dans l’inconscient collectif, il s’agit de quelque chose de primaire destiné aux enfants ». Moi, je ne sais pas trop, mais les light novels étaient méprisés dans le monde d’édition. J’ai été choqué (…)’’

 Après avoir eu du succès avec des lights novels ‘’Gosick’’ – je ne sais pas si cette façon de dire est correcte – Kazuki Sakuraba a été reconnue en tant qu’écrivain ‘’normale’’. Et en 2008, par « Watashi no otoko (Mon homme) », elle a reçu le prix Naoki, qui est aussi prestigieux que le prix Renaudot en France.

 Je lisais ses livres avec plaisir quand j’étais au collège et au lycée. Mais ensuite, je m’en suis peu à peu éloigné, naturellement. L’été dernier, je me suis tout à coup souvenu de cet écrivain et j’ai eu envie de traduire un de ses livres « Mademoiselle Nanakamado et sept adultes pitoyables (Shôjo Nanakamado to shichinin no kawaisô na otona)».  Je l’ai donc traduit en français pour mon plaisir et pour améliorer mon niveau, puis j’ai demandé à ma correspondante Pauline de corriger le texte. Une fois terminée la traduction, j’en étais content tout seul. Par la suite, j’ai commencé à traduire un autre de ses livres intitulé « Un bonbon ou une balle ? (Satôgashi no dangan wa uchinukenai) » que j’avais adoré. J’ai acheté la version originale sur Amazon Japan, et il a été livré chez moi à Strasbourg. Plus tard, comme j’avais repris les cours, j’avais moins de temps libres que pendant les vacances, mais je l’ai traduit petit à petit et je viens de terminer hier.

 Et aujourd’hui, j’ai découvert que « La légende des Akakuchiba » du même auteur, avait été publié en France en septembre dernier, presqu’au même moment que j’avais terminé la traduction de « Mademoiselle Nanakamado et sept adultes pitoyables » alors que jusque-là, aucun de ses livres n’avait été traduit en français. N’est-ce pas ce que Carl Jung appelle synchronicité ? Je pense que « Mademoiselle Nanakamado et sept adultes pitoyables » et « Un bonbon ou une balle ? » seront aussi traduits et publiés dans l’Hexagone, avec une meilleure traduction que la mienne. Je suis déçu. Cela m'a coupé l'envie de traduire quoi que ce soit pour un bon moment !

 « Un bonbon ou une balle ? » est l’histoire d’une fille de treize ans, Nagisa Yamada. Elle vit avec sa mère et son frère dans un HLM. Son père est décédé dans un naufrage dix ans auparavant. Son frère est un hikikomori (un terme japonais désignant les gens qui ne sortent pas de chez eux pendant des mois, parfois des années), et elle pense à entrer à l’armée d’autodéfense après le collège. Après les vacances d’été, en septembre, une fille excentrique a été transférée de Tokyo à son collège. Elle s’appelle Mokuzu Umino, et elle semble être la fille du célèbre chanteur Masachika Umino. Lorsque le professeur de la classe lui demande de se présenter à ses nouveaux camarades, après avoir bu de l’eau minérale, elle a prétend être une sirène.
 Comme Kazuki Sakuraba écrivait des polars au début de sa carrière, ce livre emprunte des traits à ce genre.  Par exemple, le récit commence, d’une manière assez choquante, par l’extrait d’un article disant que le cadavre démembré de Mokuzu Umino a été découvert dans la montagne. D’autre part, il est difficile de classer ce livre comme roman policier, puisque le lecteur peut facilement deviner qui est le tueur. L’essentiel de ce roman se trouve dans la relation entre Nagisa et Mokuzu.
 La narratrice est Nagisa, si bien que le style est celui d'une fille de treize ans qui parlerait à ses amis, en utilisant beaucoup d'expressions argotiques. On trouve souvent des mots familiers et crus. Il y a même une sorte de transgression des codes littéraires qui donnent un effet comique.

‘’ Il a chancelé deux ou trois fois puis il a dodeliné de la tête. Dès qu’il a baissé les yeux, il a vomi brutalement comme une cascade. 
« Bleuuuurrrrp ! 
- F,f,f,f,f, frérot ?  
- …….Ça va maintenant» 
Tomohiko s’est mis à marcher en titubant.Mais il s’est arrêté. Il a fait à nouveau : 
« Bleuuuuurrrp ! 
- Ouiiinn, frérot ! 
- …….Pardon. Maintenant je vais vraiment mieux. »’’

 La composition est aussi originale que le style. Dans ce roman, deux parties avancent en parallèle, le présent et le passé. Dans la partie au présent, Nagisa et son frère montent la montagne, dans l’autre qui est au passé, Nagisa parle de ses souvenirs de Mokuzu. Et ces deux parties se rejoignent à la fin. La psychologie des personnages est aussi remarquable. Le jour où Nagisa et Mokuzu se rencontrent, cette dernière dit à la première « Meurs » et elle prétend que c’est une façon d’exprimer son affection. Nagisa lui réplique que c’est de la haine. Plus tard, il se révère que Mokuzu subit quotidiennement la violence de son père, et le lecteur comprend que c'est pour cela qu'elle n’arrive pas à distinguer l’affection de la haine. Lorsque Mokuzu a dit à Nagisa « Meurs », elle pensait sérieusement devenir son amie.

 J’ai écrit longuement mais je n’ai pas l’intention de faire un commentaire composé, ni dissertation. J’en fais assez à la fac. De toutes les œuvres de Kazuki Sakuraba, je préfère ce « Un bonbon ou une balle ? ». Ce roman à la fois triste et comique a quelque chose de sincère qui peut toucher le lecteur. Moi-même, je suis resté sidéré un long moment après avoir traduit le dernier chapitre. Pour l’instant, seule ma traduction permet de le lire en français. Mais si vous voulez connaître l'histoire, la version en manga a déjà été traduite en français sous le titre de « A lollypop or a bullet ? ».

vendredi 26 janvier 2018

Une éxcursion à la montagne

 Bien que j’aie imaginé une vieille dame méchante aux dents jaunies avec un fouet à la main, la professeure chargée du cours de ce matin était tout le contraire. Elle est très jeune et pleine de vitalité comme l’héroïne d’une comédie musicale. Elle m’a demandé pourquoi j’étais absent la semaine dernière. « Je dormais », ai-je répondu honnêtement. Ce matin, j’avais réussi à me réveiller à six heures, mais à vrai dire j’étais encore moitié endormi. Je me suis rendu compte que j’avais acheté le premier tome des ‘’Mille et une nuits’’, alors que ce dont on avait besoin dans le cours, c’était le troisième. C’est parce que je n’étais pas là la semaine dernière.
 Je n’ai jamais lu ‘’Les milles et une nuits’’. Si je ne me trompe, c’est l’histoire d’une fille qui s’appelle Shéhérazade. Elle est obligée de raconter une histoire chaque nuit au roi pour survivre. Quand j’étais enfant, j’ai regardé ‘’Doraemon : Nobita’s Dorabian Night’’, mais je pense que c’est différent des ‘’Mille et une nuit’’.
Ce cours a l’air intéressant. S’il commençait un peu plus tard, il serait encore plus intéressant.

 Ensuite, je suis allé au secrétariat pour récupérer ma copie du partiel de la littérature française du XVIII siècle. J’ai demandé à une femme qui ressemblait à une grenouille de la chercher. Elle s’est plainte de ce que le professeur n’avait pas classé les copies par ordre alphabétique. Elle a regardé les copies une par une. À ce moment-là, j’ai su intuitivement que je n’avais pas eu une bonne note, parce que des chiffres tels que ‘’7’’, ‘’2’’, ‘’6’’, ‘’9’’ défilaient devant moi comme un manège. En bref, tout le monde avait de mauvaises notes. Et cette présomption s’est avérée exacte. Néanmoins, j’ai à peine pu valider cette matière. Depuis ma première année, j’ai de mauvaises notes en littérature française et de bonnes notes en littérature générale et comparée. En première année, j’ai étudié un roman français datant du XVI siècle et ça s’est terminé en désastre. Je ne voulais plus qu’il soit dans mon champs de vision et je l’ai jeté. En revanche, j’ai eu un résultat relativement satisfaisant pour des dissertations sur Thomas Mann, Stephan Zweig et Jack London. Ils sont tous étrangers. Je trouve la littérature française merveilleuse et incomparablement féconde. Mais les œuvres imposées dans des cours ne m’ont pas vraiment attiré.

 J’ai déjeuné tard vers 15 heures. J’ai cherché une place mais comme il n’y en avait pas, je me suis installé sur une chaise qui se trouvait au premier étage du Patio. Le sac de papier qui contenait mon sandwich était trempé d’huile. Plus je mâchais, moins je savais si je mangeais du papier ou un sandwich. À un moment donné, deux hommes de service de l’université se sont approchés de moi. J’avais mis un casque anti-bruit et je ne pouvais pas les entendre. Mais comme l’un de ces deux hommes a commencé à ranger une table à côté de moi, j’ai compris qu’ils me demandaient de partir. J’ai perdu à nouveau ma place.
 Je me suis donc déplacé à la cafétéria sale du Patio, mais il n’y avait pas de place. À vrai dire, il avait quelques places, mais je n’avais pas le courage de me mettre entre des gens qui bavardaient joyeusement entre amis. J’ai trouvé une table dans un coin. Une fille qui avait l’air sombre y travaillait toute seule. Peut-être écrivait-elle les noms des gens qu'elle n'aimait pas dans son "death note’’. Un instant, je me suis demandé si c'était ainsi que les autres me voyaient. Mais c'était une question ridicule. De toute façon, personne ne me prêtait attention. Je lui ai demandé si je pouvais m'installer à cette table. Je me suis assis avant qu’elle me réponde. La table était sale. Il y avait des taches de café et des miettes de gâteaux.
 Le vendredi, je ne vais pas à l’université.

mercredi 24 janvier 2018

Get Wild and Tough

 J’ai fait un drôle de rêve et je me suis réveillé à quatre heures du matin. Dans mon rêve, je montais dans une locomotive avec d’autres personnes mais elle ne roulait pas dehors. Elle circulait dans un palais en ruine. Quand elle s’est arrêtée, les autres se sont mis à la démonter. J’étais réticent à la détruire parce que je savais que, sans elle, on ne pourrait plus jamais rentrer. Mais j’étais tout seul contre ceux qui la démontaient. Que pouvais-je faire ? Et c'était la fin de ce cauchemar. Quand on écrit de cette manière, ça n’a pas du tout l’air effrayant, mais en réalité ce rêve était si terrifiant que je ne pouvais plus me rendormir.

 J’avais donc un mauvais pressentiment depuis le matin. Si je commence par la conclusion, ça a été une journée affreuse. Après le cours d’ancien français, la tête brumeuse, je suis sorti du bâtiment. Devant moi, il y avait deux garçons de la classe que j’avais déjà vus mais avec qui je n'avais jamais parlé. J’ai vu qu’ils parlaient de quelque chose avec une fille qui tenait une plaque. Quelques instants plus tard, ils sont partis. Cette fille m’a ensuite adressé la parole, mais elle parlait d'une manière très bizarre. Alors que normalement j’ignore les inconnus, je me suis arrêté pour essayer de comprendre ce qu’elle me disait. Au bout d’un moment, j’ai compris qu’elle était sourde et muette, ou qu’elle faisait semblant d’être sourde et muette. Elle m’a demandé de signer la liste qu’elle tenait. Par la suite, elle m’a demandé de lui donner de l’argent et c’est à ce moment-là que j’ai eu la conviction que c’était une escroquerie. Mon cerveau s'est tout à coup réveillé mais c'était trop tard.
« Combien ? ai-je demandé, tout résigné.
- Cinquante », a dit tout de suite la putain.
 Espèce de connasse, t’es pas sourde toi !
 Je lui ai donné un billet de dix euros pour me débarrasser de ce parasite. Voilà, c’est ainsi que j’ai perdu dix euros aujourd’hui. Si elle avait été belle, j’aurais pu encore me convaincre que ce que j’avais fait qui avait un sens. Mais elle était moche, petite, idiote, connasse, putain, porteuse du sida, infectée de toutes les maladies sexuelles existant sur la terre.

 Je suis ensuite allé à la bibliothèque de japonais, cette fois pour m’y inscrire. J’ai donné un chèque de cent cinquante euros comme caution à la bibliothécaire qui a une tête de bébé. Je me suis mis à choisir des livres. Alors que j’étais venu pour lire un livre de Yukio Mishima, tout à coup, mon corps a commencé à résister à lire son livre. Il faut rappeler que la lecture c’est aussi quelque chose de physique, pas seulement intellectuel. J’ai finalement choisi « La classe de lettres de Yukio Mishima » qui était le plus fin et semblait le plus facile à lire. Avec ce livre, j’apprendrai à écrire une belle lettre. Mais à qui je vais l'envoyer ? J’ai emprunté aussi « Sanshirô » de Sôseki. Pourtant je ne sais pas si j’aurai le temps de lire ce dernier.

 Lorsque j’attendais le tram à l’arrêt Esplanade pour rentrer chez moi, cette fois, c’est un autre type qui s’est approché de moi. Ce gars avec un gobelet de papier n’était pas très vieux. Il portait un manteau sale, une casquette qui ne servait sans doute pas à protéger ses oreilles du froid. Il m’a dit « S’il vous plaît, give me money ». Sa manière de parler m'a rappelé les mômes japonais qui demandaient du chocolat aux soldats ricains juste après la guerre. Il me faisait pitié, mais j’avais déjà donné dix euros à la putain. Je ne voulais absolument pas perdre davantage d’argent. Ne m'en veux pas, plains-toi à la putain. Par ailleurs, s’il voulait de l’argent, il devait faire quelque chose. Cirer des chaussures, raconter une histoire intéressante, chanter et danser etc. Je lui ai dit en français que j’étais désolé. Il est parti vers d’autres personnes.

 C’était sans conteste une journée merdique. Mais j’ai fait aussi une découverte. J’ai trouvé une boisson au soja au supermarché. Je me suis demandé pourquoi il y en avait alors qu’il n’y a pas de tofu en France. Comme je déteste le lait, quand j’étais au Japon, j’utilisais une boisson de soja comme substitut. De toute façon le lait ne sert à rien aux Japonais. Pourquoi ? Parce que la plupart des Japonais ont une intolérance au lactose. Ils ne peuvent pas le digérer. En japonais, le lait se dit « Gyû-nyû ». Ici Gyû signifie la vache, et Nyû, le lait. Ça veut dire donc ‘’Le lait de vache’’ littéralement. Évidemment, on ne doit pas priver les veaux du lait de leur mère. C'est la raison pour laquelle je refuse d'en boire.

mardi 23 janvier 2018

Le sommeil

 Il pleuvait aujourd’hui. Je suis casanier. Quand il pleut, j’ai encore moins d’envie de sortir. Mais je suis sorti parce que j’avais cours.

 Après les cours, je suis allé au bureau du professeur de linguistique diachronique pour récupérer ma copie. Je lui ai dit le numéro de mon siège (78, le numéro du premier Gundam) et mon nom. Comme j’avais prévu, il n’a pas compris mon nom. Je lui ai donc montré ma carte d’étudiant. Il a immédiatement trouvé ma copie. « C’est pas très… », ai-je murmuré. Ce n’était pas mal, mais plus bas que je n’espérais. Il m’a consolé en me disant : « Vous avez eu largement au-dessus de la moyenne ». Mais il n’a pas consolé. Ce n’est pas ce genre de personne, il a juste exprimé un fait. La moyenne de la classe était six. J’ai obtenu XX. Comme je trouvais cette matière difficile, j’avais travaillé plus que pour les autres cours. Peut-être que si je n’avais pas travaillé, j’aurais obtenu encore moins.
 Je l’ai remercié et je suis parti. J’étais le dernier. Il n’y avait plus personne devant le bureau.

 Je suis allé à la bibliothèque U2-U3 pour dormir. Je me suis rendu à mon endroit habituel, mais j’ai découvert que les deux gros coussins avaient disparu. Avant ils étaient posés à côté du chauffage et comme c’est dans un coin, personne ne venait. Je savais qu’il y en avait d’autres. Je les ai donc cherchés. Finalement, j’ai compris que quelqu’un, peut-être les bibliothécaires avait enlevé tous les gros coussins pendant les vacances. Désormais, où pourrai-je dormir ? Il y a des salles pour tout à l’université. Des amphithéâtres, des salles de musculation, peut-être des laboratoires à la faculté de chimie. Mais il n’y a pas une seule salle pour dormir.

lundi 22 janvier 2018

''Les Gommes'' Alain Robbe-Grillet


 J’avais entendu dire que les livres du ‘’nouveau roman’’ étaient difficiles. Personnellement j’ai trouvé que ’’Les gommes’’ d’Alain Robbe-Grillet était si intéressant que je n’ai pas pu m’empêcher de lire toute la nuit.
 Quelqu'un a écrit que ce roman n’avait pas d’intrigue. Au contraire, j’ai eu l’impression que la composition de cette œuvre est solidement élaborée.

 Normalement dans les romans policiers, le héros cherche quelque chose. Dans ce récit aussi, le protagoniste, le jeune inspecteur Wallas essaie d’éclaircir une affaire louche. Il trouve quelques indices. Toutefois, on n’a pas l’impression qu’il approche de la vérité. Il erre dans de mêmes rues : il croise les mêmes personnes : il entre plusieurs fois dans des papeteries pour acheter la gomme d’une marque particulière mais il ne la trouve pas : on lui dit que le louche suspect présumé lui ressemble beaucoup physiquement et un ivrogne lui pose des devinettes sans réponse dans un bar. Des épisodes semblables se répètent comme des motifs dans une composition de musique classique. Mais le récit avance en changeant petit à petit la sonorité des motifs répétitifs. Le héros s’implique de plus en plus dans cette affaire sans s’en rendre compte.
L’écriture n’a rien de compliqué. Elle est simple et descriptive. Il n'y a presque pas d’analyse psychologique des personnages. Parfois on a même l’impression de lire un rapport scientifique.

 Une histoire générale avance d'un point A à un point B tel le courant de la rivière. Il y a un héros qui rencontre tel ou tel personnage il fait ceci ou cela et l’histoire se termine. Dans ‘’les gommes’’, plusieurs dimensions, comme des escaliers, s’entremêlent horizontalement et verticalement. En les suivant, le lecteur perd le sens de l'orientation mais il approche peu à peu du sommet. Je pense que c’est ce qui donne l’impression aux gens que c’est un roman difficile, bien que tous les aspects de l’affaire soient précisés depuis le début.

 La gomme semble être un objet symbolique, puisque beaucoup de choses disparaissent dans ce livre. La gomme que le héros recherche, le cadavre de la victime, les bonnes réponses aux devinettes que pose l’ivrogne, le sosie du héros et l’auteur du crime, où sont-ils ? D’ailleurs, on ne sait pas trop pourquoi Wallas veut cette gomme. Ce n’est qu’une gomme… Après avoir tourné la dernière page de l’épilogue, j’ai eu l’impression que la gomme avait effacé quelque chose d’important de ma mémoire.

dimanche 21 janvier 2018

''Le zoo étrange'' Haruki Murakami



 Comme j’aime les zoos, j'y vais souvent à l’occasion d’un voyage à l’étranger. J’ai donc visité divers zoos dans le monde. 
 Lorsque j’ai visité le zoo de Dalian en Chine, il y avait une cage avec une simple plaque qui disait « Chat ». La cage n'était pas très grande. À l'intérieur un chat était couché. Il était tout à fait ordinaire. Étonné, je l’ai observé attentivement. J'avais beau l'examiner sous toutes les coutures, ce n'était qu'un simple chat tigré marron. Comme j’avais beaucoup de temps libre à ce moment-là, debout devant la cage, j’ai contemplé ce chat longtemps. Il était couché en rond et il ne s’est jamais réveillé. Il semblait dormir profondément. 
 Je me suis demandé pourquoi je devais regarder un chat ordinaire et endormi alors que j’étais venu jusqu’en Chine, mais ce n’était pas mal. Évidemment, il y a des chats endormis partout dans le monde, mais l’occasion de regarder un chat dans une cage au zoo est plutôt rare. J’ai admiré la Chine pour sa démesure.  
 Au zoo de Milan, je jouais toujours avec un ours. C’était un grand ours noir qui mangeait des feuilles. 
 Pendant que je l’observais, l’air heureux, il mangeait de grosses feuilles apportées par le vent dans la cage. J’ai alors cueilli une feuille et je l’ai jetée à l’intérieur. L’ours s’est levé. Il a l'a ramassée et l’a portée à sa gueule. C’était très mignon. 
 Comme j'avais beaucoup de temps à ce moment-là aussi (j’ai souvent beaucoup de temps), j’ai pris de grosses feuilles d’un arbre qui se trouvait tout près et j'ai continué à les jeter vers l’ours pendant environ trente minutes. Il m'arrive aussi de temps en temps d'avoir une folle envie de manger de la salade ; je pouvais donc comprendre Monsieur l’ours. Ce zoo semblait ne pas avoir beaucoup de visiteurs. Il n'y avait eu que très peu de passage pendant tout ce temps. Mais je me demande si c'était bien de lui donner autant de feuilles en si peu de temps. J’espère qu’il n’est pas tombé malade par la suite. 
 Dans un roman de Kurt Vonneghut, il y a l’histoire d’un homme enlevé par des extraterrestres et placé dans un zoo de leur planète. Une plaque où il est écrit « Terriens » est accrochée à la cage (plutôt une chambre aux murs de verre), et les habitants de la planète viennent le regarder. Et une autre personne mise dans cette cage pour être sa ‘’compagne’’ est une belle blonde opulente. Ce n’est pas pour cette raison, mais parfois je pense qu’entrer une fois dans une cage de zoo ne serait pas si mal. Qu’en pensez-vous ? N’y avez-vous jamais pensé ? Ou alors est-ce moi qui suis étrange ?

La copie





 J’ai commencé à recevoir les résultats du semestre précédent. Ma note de linguistique diachronique était plus basse que je ne l’espérais et j’ai été déçu. En revanche, celle d’une épreuve de quatre heures que je croyais avoir ratée était bien meilleure, et j’ai eu une bonne note à une dissertation sur la littérature et l’Italie. Pour le reste, je n’ai pas encore eu les résultats. Mais je n’ai pas particulièrement envie de savoir.

 Ce jeudi, j’ai eu envie de récupérer la copie de ma dissertation sur l’Italie. Comme l’horaire de permanence du professeur commençait à dix-sept heures quinze, je me suis absenté quelques minutes pendant le cours de latin. Je me suis rendu au cinquième étage et j’ai frappé à la porte d'un des bureaux des enseignants. Une voix de femme m’a dit d’entrer. Derrière une table ovale, une vieille dame aux cheveux blancs était assise. Mon professeur n’était pas là. Je lui ai dit que j’étais venu récupérer ma copie. Alors que je n’avais pas dit le nom de mon prof, elle m’a dit : « Monsieur D est dans la salle XXX ». Je l’ai remerciée et je suis retourné au quatrième étage. J’ai marché dans le couloir en cherchant la salle XXX. Il y avait une salle dont la porte était ouverte, et d'où sortait une lumière qui s’introduisait dans la pénombre du soir. J’ai ralenti le pas et j’ai jeté un coup d'œil dans cette salle. Aussitôt, j’ai fait « Ah ! » parce que le professeur que je cherchais était assis. Il m’a aussi reconnu et m’a dit d’entrer.

 Dans la salle, à part lui, il n’y avait qu’une fille. Elle était assise à une table et écrivait quelque chose. Pourquoi était-elle toute seule ? Peut-être était-elle punie ? J'ai dit brièvement au professeur que j’étais venu chercher ma copie. Il s’est mis à fouiller dans un dossier en me disant que ma dissertation était très réussie. Cependant, ma copie ne se trouvait pas dedans. Il m’a dit qu’elle était sans doute chez lui. À ce moment-là, j’ai bien aperçu un sourire se répandre sur le visage de la fille et j’ai aussi eu envie de la punir. Monsieur D m’a demandé de laisser mon adresse e-mail sur une feuille. Ainsi, je n’ai pu ni récupérer ma copie ni lire ses commentaires.

vendredi 19 janvier 2018

Yukio Mishima



 Comme je traduis du japonais en français une thèse sur Yukio Mishima, je suis allé à la bibliothèque de japonais pour voir à quoi ressemblait le style de cet écrivain.
 La bibliothèque de japonais, dont j’ignorais toujours l’existence se trouve au cinquième étage du Patio, juste à côté du bureau des enseignants de la chaire de japonais. Elle est si petite qu’elle ressemble plus à un bureau qu’à une bibliothèque, et il n’y a que des livres sérieux, c’est-à-dire qu’il n’y a par exemple ni ‘’light novel’’ ni manga. Il y a des livres tels que « Œuvres complètes de Jyunichirô Tanizaki », « Le dit du Genji », « L’anthologie de haikus », et bien sûr, beaucoup de livres de Yukio Mishima.
 Avant de découvrir la littérature étrangère, je lisais souvent Yukio Mishima. « La confession d’un masque », « Le Pavillon d’or », « Les amours interdites », beaucoup de nouvelles et plusieurs essais. J’avais le souvenir que le style de Mishima était difficile avec un vocabulaire extrêmement riche (selon une anecdote, il a appris un dictionnaire entier par cœur quand il était étudiant), et des tournures compliquées.
Aujourd’hui, j’ai jeté un coup d’œil à quelques-uns de ses livres, et j’ai découvert que son style était beaucoup plus clair et accessible qu'il ne l'était dans ma mémoire.

 C’est un écrivain qui menait une réflexion sur la beauté. « Le Pavillon d’or » semble illustrer son mode de penser en tant qu’écrivain. Dans l’essai intitulé « Bunshô Dokuhon (Livre de lecture) » il écrit :
« À notre époque, les gens parlent souvent de déguster un roman, que de prendre plaisir à goûter son écriture. On entend rarement dire que l’écriture de tel ou tel écrivain est magnifique ; en revanche on entend souvent dire que son roman est intéressant. Mais l’écriture est l’essence-même du roman, et les mots n'en sont que les ingrédients. » 
« De nombreux classiques japonais ont une belle écriture que l’on peut savourer. Ce que l’on appelle une belle écriture en est un exemple : le contenu importe peu. Comme la cuisine japonaise, agréable aux yeux, faite juste pour goûter. »
 Bien que sa culture ait été profondément ancrée au Japon, il était très influencé par l’Occident. Dans une interview que j’ai entendue, il cite Goethe et Thomas Mann comme ses auteurs préférés. Donald Keene se souvient qu’il y avait un grand nombre de livres européens dans sa bibliothèque. D’ailleurs, Raymond Radiguet était l’un des héros de sa jeunesse. « La mort de Radiguet » est l’un des premiers récits de l’auteur.
 Il était aussi d’extrême droite et impérialiste. En 1970, il est entré dans le ministère des Armées avec ses compagnons et il a pris en otage le général commandant en chef des forces d'autodéfense. Après avoir adressé un discours aux soldats depuis le balcon du bâtiment (Il était difficilement audible parce qu’il n’avait pas de micro), il a sorti un katana et s’est suicidé en s'ouvrant le ventre selon le code d'honneur des samouraïs, le seppuku. Cependant les témoignages de ses compagnons et du général ligoté nous permettent de comprendre que la scène était sanglante et infernale : le "kaishakunin" (celui qui lui tranche le cou immédiatement après que le samouraï s’est ouvert le ventre) n’était qu’un étudiant de vingt-cinq ans. Évidemment, il n’avait jamais de sa vie coupé la tête de qui que ce fût et il n’a pas réussi à décapiter Mishima du premier coup. Mishima décédé, ce garçon qui avait assumé le rôle du kaishakunin, s'est ouvert le ventre et est mort sur place, avant l'arrivée des forces de l'ordre.

 Mishima a essayé de provoquer un coup d’état, mais il est douteux qu’il pensait vraiment réussir. J’imagine qu’il pensait que sa vie était aussi son œuvre. Il a donc cherché une mort héroïque comme celle dont il parle dans « La confession d’un masque ». De surcroît, ne pourrait-on pas penser que « Le Pavillon d’or » parle de la beauté de la destruction ? Selon Donald Keene, Mishima avait peur de vieillir et de devenir laid. En quelque sorte, sa mort était le résultat de sa philosophie esthétique.

 Dans une interview où Mishima parle de Goethe, il s’exprime que lorsque ce grand écrivain allemand a écrit « Les souffrances de jeune Werther », il se trouvait dans une situation semblable. Werther s’est suicidé et Goethe a survécu. Je me demande si la littérature n'aurait pas pu sauver Mishima de la mort.

mercredi 17 janvier 2018

Mon traumatisme

 Je n’arrive pas à croire que les vacances sont terminées. J’ai envie de croire que c’est un mauvais rêve duquel je n’arrive pas à sortir. Pendant les vacances, j’ai lu des livres que je voulais lire, j’ai regardé ‘’La chose’’ de John Carpenter, la série ‘’Hannibal’’ et Gundam Build Fighters. J’ai passé une nuit dans une pièce où il y avait beaucoup de bois de cerf et je suis allé au café de chats. Maintenant tout cela est fini. Je dois me lever tôt chaque matin et endurer ma vie universitaire si monotone qu’il n’y a même ni noir ni blanc.

 S’il y a de bonnes choses, c’est qu’aujourd’hui je n’avais qu’un seul cours parce que les autres commencent la semaine prochaine. C’était un cours de littérature française du XVII siècle. La professeur était mon traumatisme de ma première année. Lorsque j’étais en première année, je ne comprenais pas trop le système universitaire et je n’ai pas pu m’inscrire à des cours de ma préférence. Ainsi, je me suis inscrit au cours de ce professeur, mais elle était très rigoureuse alors que je venais d’arriver à Strasbourg et j’ai été finalement traumatisé.

 J’avais donc déjà un mauvais pressentiment. Et à ce moment-là, dans un amphithéâtre, mon traumatisme m’a dit qu’il fallait jeter un coup d’œil à la bibliographie qu’elle avait mise sur la plateforme pédagogique. Là, il n’y a rien d’étrange. Certains professeurs nous demandent de choisir à partir d’une liste un ou deux livres pour le partiel. Mais là, mon traumatisme m’a dit qu’il fallait lire tous les livres indiqués dans la liste (des pièces, des romans, des anthologies de poèmes du XVII siècle etc). Voilà, c’est le premier jour de mon semestre après les vacances d’hiver.

vendredi 12 janvier 2018

''Novel 11, Book 18'' Dag Solstad


 C’est un livre très étrange. D’abord, le titre est étrange. D’après la postface du traducteur, Haruki Murakami (oui, le romancier japonais le plus célèbre au monde est aussi connu comme traducteur), « Novel 11, Book 18 » signifie ‘’le onzième roman, le dix-huitième ouvrage’’ de l’auteur. C’est comme « Huit et demi » de Fellini. Il signifie ‘’le huitième film et trois co-réalisations considérés comme des demi-films’’ du cinéaste.

 Dans la postface, Haruki Murakami explique sa découverte de ce livre. En 2010, une association culturelle qui s’appelle ‘’La maison de la littérature’’ l’a invité à séjourner à Oslo. « Si vous être d’accord pour faire une lecture à haute voix, vous pourrez rester à Oslo autant que vous voudrez. Nous avons une chambre dans le bâtiment de ‘’La maison de la littérature’’ », lui ont-ils dit. L’écrivain a décidé d’y rester un mois et il a profité de cette occasion pour voyager en Suède. Dans une librairie de l’aéroport d’Oslo, il a découvert ce livre au titre étrange.

 L’histoire raconte essentiellement la vie quotidienne d’un homme d’un certain âge, un haut fonctionnaire qui vit avec sa femme et un enfant de deux ans. Il rencontre une femme séduisante et il abandonne sa famille pour vivre avec elle. Il déménage à la villa que possède sa petite amie, il y trouve un travail de percepteur et sa nouvelle vie commence. Jusqu’ici, il n’y a rien d’étrange. C’est le genre d'histoire qu’on peut trouver dans d’autres livres ou films. Ce qui la rend intéressante, c’est l’écriture singulière de l’auteur norvégien, Dag Solstad. Elle est sobre, sèche et logique, il n’y a ni plus ni moins. Elle me fait penser à un dédale en béton. Une fois perdu dans cette écriture labyrinthique, le lecteur ne peut s'empêcher de tourner la page.

 Plus tard, le héros se sépare de sa copine et il commence à vivre seul. Et son fils, qu’il n’avait pas vu depuis longtemps déménage dans sa ville pour faire ses études d’optique et il propose à son père de vivre ensemble. La plastique de ces deux personnages vus par le héros a quelque chose de si réel qu’ils m’ont semblé même grotesque alors qu’ils sont décrits de manière simple. Solstad est capable d’écrire la psychologie des personnages comme s’il enlevait les pattes d’un insecte une après une.

 Pendant que je lisais ce roman, j’ai pensé que le style de cet écrivain a quelque chose de similaire avec Thomas Bernhard que j’ai étudié dans un cours. La description du paysage est restreinte. L’écriture est solide et répétitive, et de mon point de vue personnel, aucun personnage ne permet au lecteur de s'identifier. Nous observons le monde de ce roman, la ville de Kongsberg comme à travers un microscope.

 Il semble que « Honte et dignité » soit le seul livre de Dag Solstad traduit en français. Et ce « Novel 11, Book 18 » est actuellement son seul roman traduit en japonais. 

mercredi 10 janvier 2018

''Une existence tranquille'' Kenzaburô Ôé


 ‘’Une existence tranquille’’ de Kenzaburo Oe est l’histoire d’une famille japonaise. Le père appelé K est un écrivain. Il subit ‘’une crise’’ qui a commencé depuis qu'il a échoué à réparer les égouts de sa maison, et il part en Californie en tant que ''writer in residence'' avec sa femme en laissant ses enfants au Japon.
 La fille aînée s’appelle Mâ. Elle est étudiante en littérature française. Elle est sérieuse, gentille et sensible. Le fils aîné est appelé Eoyore. Il souffre d'un handicap mental, mais il a des talents de compositeur. Le fils cadet O, caractérisé par son sang-froid, prépare son concours d’entrée à l’université pour l’année suivante. Ils sont tous appelés par leurs surnoms, et on ne connait pas leurs vrais prénoms sauf celui d’Eoyore, Hikari, le même prénom que le fils handicapé mental de l’auteur.
 Pendant l’absence de leurs parents, ils doivent garder la maison si bien que l’histoire décrit leur vie quotidienne la plupart du temps. Toutefois, on ne sait pas vraiment s’ils mènent ‘’une existence tranquille’’. Ce titre me semble paradoxal, puisque l’héroïne Mâ vit plusieurs expériences périlleuses : elle rencontre un satyre attaquer une fillette, un personnage se fait casser les clavicules, un autre personnage se fait agresser si violemment qu'il est défiguré. Dans le bus, une jolie lycéenne insulte son frère handicapé. Et vers la fin du récit, Mâ subit un incident grave que l'on ne peut vraiment pas qualifier de ''tranquille''. 
 Ce livre me semble être basé sur une tension extrême comme un numéro de funambule. L’histoire est tendue entre la vie quotidienne d’une famille et le monde obscur où règnent la froideur de la société, la discrimination et la violence.
J’ai personnellement aimé le passage où Mâ exprime son opinion sur ‘’Rigodon’’ de Céline, autours duquel elle souhaite rédiger son mémoire.

« Céline ? Une jeune fille de bonne famille qui ne sait rien de la vie feindrait-elle une adorable fascination pour le mal ? »Ce à quoi je répondais, fuyante :« Plutôt que Céline, j’aime les chats, alors je pense relever les expressions qui les concernent ».
  «…nos petits crétins eux sont placés, ils ont plus à s’occuper de nous, suédois qu’ils sont, baveux, muets, sourds… je pense là à eux, trente ans plus tard, s’ils vivent toujours foutre qu’ils sont grands l’heure actuelle, là-haut…aussi peut-être qu’ils ne bavent plus, qu’ils entendent très bien, absolument rééduqués…des vioques rien à espérer n’est-ce pas ? mais des mômes, tout… » Je suis bien incapable de critiquer un style en français, mais j’aime la manière d’écrire de Céline qui, contrairement à ce que j’imaginais au départ, traite avec légèreté, sans fioritures, les questions graves. 
 Je n’ai jamais lu ‘’Rigodon’’, mais ce livre d’Oe m’a donné envie d'essayer. En outre, j’ai trouvé que la personnalité et la manière de parler de Mâ ressemblent à celles de Pauline. Elles sont toutes les deux étudiantes en littérature française et aiment les chats. Je lui ai donc envoyé quelques extraits. Elle m’a dit : « Tu trouves ? J’ai déjà entendu parler de ce livre. C’est d’Oe, pas vrai ? ». Mâ est préoccupée par sa tête en forme de petit ballon, tandis que celle de Pauline n’est pas ronde.

 Ce roman a été adapté au cinéma par Jyûzo Itami en 1995 avec la musique de Hikari Oe en personne, néanmoins il reste plutôt enseveli parmi les films de ce cinéaste.

Hannibal

 J’ai vu Aurore vers onze heures trente sur la place Kléber. Je lui ai demandé ce que son médecin lui a dit. Elle n’a pas répondu à cette question. J'ai répondu à sa place que le médecin lui avait dit qu’elle était une dangereuse psychopathe et qu’elle devrait se faire interner. Elle a acquiescé.

 J'ai dit cela parce que ces derniers temps je regarde une série intitulée ‘’Hannibal’’. Elle parle de l’un des plus célèbres psychopathes de l’histoire du cinéma, Hannibal Lecter. L'histoire se passe avant qu'Hannibal ne soit arrêté et ne coopère avec une agent du FBI dans ‘’Le silence des agneaux’’. Toutefois l’acteur n’est pas Anthony Hopkins. C’est l’acteur danois Mads Mikkelsen. De plus, il vaut mieux penser que c’est une série indépendante parce qu’elle n’a pas forcément de cohérence chronologique avec les autres films sur Hannibal.

 Nous avons marché et nous sommes entrés dans un restaurant. Comme je n’ai toujours pas d’appétit le matin, nous avons partagé une tarte flambée champignon. Elle était bonne. La tarte flambée est un mets simple, et c’est ce qui permet de sentir la saveur particulière de chaque restaurant.
 Aurore m’a montré un livre qu’elle a achetée à la librairie Kléber. C’était un livre sur une jeune femme qui, au 19e siècle, se déguise en homme pour travailler en tant que médecin. Elle m’a souligné que c’était une non-fiction. Ce livre avait en effet l’air intéressant.

 Nous avions encore le temps avant que le film commence. Nous avons flâné sous la pluie. Sur le chemin, j’ai vu que l'eau de la rivière était complètement trouble à cause de la pluie d'hier. Des bancs qui se trouvent au bord des berges étaient à moitié submergés. Quelques minutes plus tard, Aurore est entrée dans une ruelle et a passé une porte. On est arrivés au musée alsacien.

 Pendant que je regardais des objets exposés, je me suis tout à coup senti mal. Je me sentais fiévreux, et j’avais un peu de mal à marcher. Nous n’avons donc pas contemplé les objets exposés à loisir. Tu peux rentrer si tu es malade, m’a-t-elle dit. Non, ce n'est rien, lui ai-je dit. Et nous sommes allés au cinéma.
Le cinéma était petit. Il n’y avait ni pop-corn ni hot dog, juste deux distributeurs automatiques. J'ai aimé cette simplicité pragmatique. Le cinéma projette des films, nous les voyons, et rien de plus.
 Il n’y avait que très peu de spectateurs dans la salle. Une fois installé dans le siège mou dans l’obscurité du cinéma, je me suis senti mieux. Après des pubs longues et ennuyeuses, enfin, ‘’Star Wars : Épisode 8’’ a commencé.

 Je pense que l’épisode 8 était mieux que le 7. Du moins, je ne me suis pas ennuyé pendant deux heures et demie. Mais je trouve dommage que les ennemies (Kylo Ren, Snoke, le capitaine Phasma) ne soient pas suffisamment charismatiques par rapport aux autres méchants de Star Wars. Kylo Ren oscille toujours entre le côté obscur et le côté lumineux de la force, ce qui rend sa personnalité floue. Le commandant suprême Snoke, alors qu’il avait l’air très puissant, meurt d’une façon vraiment ridicule. D’ailleurs, il n’y a que très peu de scènes de combats avec des sabres laser. Sinon, la scène de batailles dans l’espace est palpitante. Nous, les fans de SW, sommes des êtres tragiques. S'il y a le mot "Star Wars" dans le titre, on ne peut s'empêcher d'aller voir le film, même si on sait qu’on sera plus ou moins déçu.

 Lorsque nous sommes sortis du cinéma, il était environ seize heures. Nous sommes entrés chez Paul. J’ai pris un café et une part de galette. Aurore a aussi pris la même chose, sauf qu’elle a choisi un thé au lieu d’un café. Contrairement au cinéma, Paul était bondé à cette heure. Nous avons échangé nos avis sur le film. Je lui ai parlé de Kazuo Ishiguro et de ma vie à l’université.

 Nous sommes ensuite allés à la librairie Kléber. J’avais envie d’acheter ‘’L’histoire de l’œil’’ de Georges Bataille mais j’ai changé d’idée parce qu'il était fin et coûtait huit euros tandis que ‘’Les démons’’ de Dostoïevski était gros et il était aussi pour le même prix. J’ai donc acheté ce dernier. Je le lirai sans doute pendant les vacances d’été cette année.

 J'ai de nouveau ressenti ce malaise. Comme il ne faisait pas froid ce matin, je n’avais mis ni écharpe ni gants. J’ai peut-être attrapé froid. Nous nous sommes dit au revoir à la station Homme de fer. Aurore s’est mise à marcher vers la gare centrale et s’est fondue dans la foule de la ville nocturne. Bien que Noël soit passé, la ville était toujours illuminée de joyeuses décorations. 

mardi 9 janvier 2018

Si un livre était un plat


 Si un livre était un plat, je pense que ‘’Le monde selon Garp’’ de John Irving ressemblerait à ‘’un ragoût plein d’ingrédients et trop cuit’’. Du moins, c’est mon opinion personnelle.

 J’ai emprunté ce livre à la bibliothèque parce que j’ai tellement aimé son premier livre ‘’Liberté pour les ours !’’ que j'ai eu envie de lui décerner le prix de L'ourson Talleyrand, et en plus, j’avais lu que ce livre est réputé comme le meilleur livre de l’auteur. D’un point de vue global, je regrette de dire que j’en suis plutôt déçu. Notamment la première partie est parsemée de trop d’épisodes qui me semblent aléatoires et superfétatoires. Étant donné que le protagoniste S.T. Garp est un écrivain, ses trois nouvelles sont inclues dans ce roman. Le problème, c’est qu’elles sont toutes si prolixes et ennuyeuses que j’ai pensé à abandonner la lecture. 

 Certes, j’ai apprécié l’imagination extravagante de l’auteur et quelques épisodes (celui avec la prostituée viennoise et celui de la femme de ménage dans la maison d’édition), mais elle n’était pas suffisante pour m’émouvoir autant que son premier livre.

 Par curiosité, j’ai lu les commentaires sur ce livre et ‘’Liberté pour les ours’’. J’ai découvert que le premier est très estimé tandis que le dernier, beaucoup moins. Je me demande avec inquiétude si ma sensibilité n'est pas trop décalée par rapport à l'opinion générale, parce que le ragoût qu'est cette longue histoire n'a honnêtement pas plu à ma langue.

samedi 6 janvier 2018

Chez le coiffeur

 Aujourd’hui, je suis allé chez le coiffeur. Je ne m’étais pas fait couper les cheveux depuis six ou sept mois. Ils étaient trop longs. Si je lisais un livre, des mèches me tombaient devant les yeux. Après une douche, j’avais besoin de trop de temps pour me sécher les cheveux.
 À vrai dire, je voulais me faire couper les cheveux plus tôt. Toutes les semaines, je pensais aller chez le coiffeur le weekend. Mais le samedi et le dimanche, je me sentais las et finalement, six mois se sont écoulés.
 Je ne suis en effet pas quelqu’un d’élégant. La mode ne m’intéresse pas. Je me lave et je me rase régulièrement. C’est tout. Cependant, il faudrait quand même choisir le salon de coiffure avec prudence. Lorsque je venais de m’installer à Strasbourg, je suis entré dans un salon de coiffure par hasard. Une jeune fille s’est occupée de mes cheveux. À la fin de la procédure, elle m’a demandé ce que je pensais de la coupe. « On dirait un serveur chinois de restaurant dans les films de Jackie Chan. Cool », me suis-je dit, et je n’y suis jamais retourné.
 J’ai pris rendez-vous au téléphone et je suis allé chez mon coiffeur habituel. Lorsque j’y suis arrivé, il était en train de s’occuper d’une femme. J’ai attendu en l’observant. Il séchait les cheveux de la dame en maniant à la fois un peigne et un sèche-cheveux. La femme lui a dit quelque chose. Le coiffeur a ri. Quelques minutes plus tard, elle est partie. Le coiffeur est venu vers moi et m’a dit bonjour.
 C’est un garçon barbu à la peau basané. Cela m’étonne qu’il se soit souvenu de moi. Je me souvenais de lui aussi. Je pouvais me rappeler également la conversation que nous avions eue la dernière fois, mais lui, il doit traiter beaucoup de clients tous les jours, et, c’était qu’il y avait six mois que j’étais venu. Vous avez une bonne mémoire, l’ai-je complimenté. Vous aussi, m’a-t-il dit en riant.
« Comment la voulez-vous, votre coupe de cheveux ? m’a-t-il demandé.
- Vous couperez jusqu’à ce que mes oreilles apparaissent. Je n’aime pas que mes cheveux de derrière toment sur la nuque. Pour le reste, je vous fais confiance. », lui ai-je dit.
 En maniant habilement les ciseaux, il m’a dit qu’il savait comment dire ‘’merci’’ en japonais. Je vous en prie, lui ai-je dit. Arigato, m’a-t-il dit. Comment avez-vous appris ce mot ? ai-je demandé. Dans ‘’Kill Bill’’, a-t-il dit en souriant.
 Il est un peu bavard alors que je suis plutôt réservé, mais je pense que c’est un bon coiffeur. Au moins, je ne ressemble pas à un serveur chinois d’un film de Jackie Chan. Et j’aime aussi les films de Tarantino. 

lundi 1 janvier 2018

''Le voleur de piano'' Amazarashi



Il y a longtemps, j’étais un voleur. Ne crois pas toute mon histoire, c’est un peu pour plaisanter.
Ne me prends pas au sérieux, ne croie pas tout ce que je raconte. C’est une histoire drôle aujourd’hui.
J’étais un voleur. Dans une galerie marchande de Nakano, je cherchais ma cible du dimanche en feignant de m’abriter de la pluie.
Les parapluies de diverses couleurs se sont ouverts et fermés. La parade joyeuse d’un jour férié.

Une boutique d’instruments de musique au coin du numéro deux. Un grand camion s’était garé et on livrait quelque chose.
Il y a encore plus longtemps, j’étais pianiste.
Je ne mens pas. Je donnais souvent des concerts.
J’ai donc tout de suite deviné. C’était un Steinway antique.
Un piano magnifique que tous les pianistes admirent.
Honnêtement, il m’a ébloui. Si je l’avais, je pourrais jouer mieux que n’importe qui au monde.

Je veux voler ce piano et je veux jouer ma ballade classique que je garde en réserve.
Si elle l’écoutait, celle qui m’a quitté changerait d'opinion sur moi qui suis tombé dans la misère.
Je veux voler ce piano et je veux recommencer ma vie de merde.
Ça tombait à pic car j’en avais marre de vivre en me cachant au regard des gens.

Cependant, c’était un gibier trop gros pour moi. Je n’étais qu’un voleur à la tire sans envergure.
Si je ne pouvais pas le voler, cela m'aurait suffi de l’essayer un peu.
Ou non, juste le regarder de près, c’était bon pour moi.
Une fois décidé, je me suis tout de suite introduit dans la boutique.
Le calme des trois heures du matin était mon compagnon.
Je ne pouvais pas rester tranquille devant le piano.
J’ai brusquement fait sonner un accord de ré majeur à trois heures du matin.

Écoutez mon piano.
Qu’en penses-tu de ma ballade classique dont je suis fier ?
Ce qui en coule est la belle mélodie représentant ma vie quotidienne.
Sa mélancolie est un regret des jours qui ne reviendront jamais.
Écoutez mon piano.
De toute façon, je vais finir ma vie de merde en mourant comme un chien.
J’ai volé pour vivre, j’ai vécu pour voler, sur la scène où je n’ai jamais reçu d’applaudissement.

Tout ça, c’est un mensonge. Qu’est-ce que c’est que cette tête ? As-tu cru à une histoire si ridicule ?
Maintenant je dois monter sur scène. Oui, c’est mon tour. Je suis plutôt doué pour le piano.

Écoutez mon piano.
C’est ma ballade classique dont je suis fier.
Ce qui en coule, c’est la mélodie d’un idiot, l’hymne pour un bon à rien en sursis.
Écoutez mon piano.
De toute façon, je vais finir ma vie de merde en mourant comme un chien.
Alors, recevoir des applaudissements sur scène, ce n’est pas si mal que ça.

L'omelette

 Aujourd’hui, c’était le dernier jour de l’année. Je suis allé saluer les deux chats de ma résidence. Le gros chat, nommé Patience faisait une longue sieste tandis que la petite, Mimi guettait les gens qui entraient et sortaient, assise sur son lit. Lorsque je me suis accroupi devant elle, elle m’a salué d’un miaulement. Je lui ai caressé la tête et je suis parti.

 J’ai longé le Rhin. J’ai croisé quelques couples de vieillards. Le courant du fleuve était lent et tranquille. Sous la surface, une immense quantité d’algues flottait comme les cheveux d’une femme. J’ai traversé un pont, et je suis arrivé devant un petit élevage de chèvres. Les bêtes étaient en train de brouter. Il y en avait une qui était noire, une autre était marronne. Elles avaient des cornes blanches. Il y en avait aussi deux petites. Étaient-elles leurs bébés ?

 Elles me fixaient toutes d’un regard curieux. Quelques instants plus tard, la chèvre noire s’est approchée de moi. Je suis désolé, je n’ai rien à te donner, lui ai-je dit dans ma tête. Nous nous sommes regardés un certain temps, puis je l’ai quittée.

 Je suis ensuite allé au parc de l’Orangerie. Les animaux du parc de l’Orangerie ont l'air malheureux. Ce n'est en fait pas un vrai zoo. C'est juste un parc immense où il y a des animaux. Les grilles sont doublées si bien qu'ils sont loin. De plus, la vitre reflète la lumière et cela empêche de bien voir à quoi ils ressemblent.

 J’ai vu un animal semblable à un cerf. Il était loin et reniflait le sol. Des flamants se tenaient debout sur une seule patte. Les cigognes que j’avais vus pendant l’été avaient migré quelque part. Les serpents se cachaient dans leurs abris. Un perroquet essayait d’ouvrir la porte qui l’emprisonnait en poussant des cris terribles. Des paons dodelinaient nonchalamment de la tête. Et la cage des genettes était vide.

 J’ai trouvé le hibou intéressant. Tandis que je l’observais, une mère, son mari et leur bébé sont venus à côté de moi. La mère a imité les cris du hibou : hooo, hooo, hooo. Seule la tête du hibou s’est tournée vers la mère, puis il a tourné à nouveau la tête.

 Il y avait aussi beaucoup d’humains. Ils n’étaient pas dans des cages. Ils marchaient librement sur leurs deux pieds. Il y en avait de petits et de grands. Les petits étaient des enfants, ou sinon des vieillards. Les grands étaient des adultes. Les mâles étaient barbus, les femelles étaient imberbes et avaient souvent de longs cheveux. Assis sur un banc, j'ai contemplé les visiteurs du parc d’Orangerie du dernier dimanche de 2017, et je suis rentré chez moi.

 En 2016, je n’ai parlé à personne sauf aux caissiers du supermarché (‘’Bonjour’’, ‘’Par carte, s’il vous plaît’’, ‘’Au revoir’’). En 2017, j’ai parlé un peu avec des gens en dehors de l’université. J’ai travaillé pour la première fois en tant qu’interprète. J’ai traduit pour la première fois un livre entier en français. C’était juste pour mon plaisir, et je ne peux pas assurer la qualité de ma traduction, mais ce travail a beaucoup amélioré mon français. Je pense donc que 2017 a été quand même plus riche que 2016 où j’avais été désespéré pendant toute l’année. Je me demande à quoi ressemblera mon année 2018. Elle sera sans doute semblable aux autres années de ma vie, rien de spécial, un néant total. Ou il se peut que je meure dans un accident de voiture, ou que je sois poignardé par quelqu'un qui ne m'aime pas. En tous cas, cette année, j’aimerais apprendre à faire une jolie omelette. Une omelette d’un jaune soleil, ovale, parfaitement gonflée et délicieuse.