samedi 19 août 2017

''Bière'' Haruki Murakami

 Mademoiselle Courbette s’appelle en vrai Kyoko Toriyama mais chaque fois qu’elle reçoit des manuscrits d’un auteur, elle s’incline profondément et dit, « Je vous remercie infiniment. Je suis heureuse de recevoir votre manuscrit », les membres de la rédaction l’appellent tous Mademoiselle Courbette.
 C’est une belle femme de vingt-six ans, distinguée et célibataire. Elle a fait des études de lettres à l’Université Tokyo Gakugei, elle travaille dans cette entreprise depuis quatre ans. Elle a une forte poitrine et apprécie les jupes évasées. Ses habits permettent parfois d’entrevoir la rondeur de sa poitrine. Ainsi, les écrivains ne peuvent pas souvent refuser, si c'est Mademoiselle Courbette qui leur demande quelque chose. Elle est la préférée du rédacteur en chef.
« C'est quelqu’un de véritablement instruit et éduqué. Parmi les jeunes femmes diplômées de nos jours, combien respectent la politesse autant qu’elle ? Combien peuvent parler aussi élégamment qu’elle ? »

 Mais personnellement, je connais le secret de Mademoiselle Courbette. Une fois, je l’ai appelée à dix heures un dimanche matin. J’étais désolé de l’appeler tôt un jour de congé, mais il y avait une chose que je devais immédiatement confirmer au sujet d’un délai. C’est sa mère qui a décroché. Mademoiselle Courbette habite avec sa mère à Koganei. J’ai dit poliment à sa mère ;
« Je m’excuse de vous appeler un dimanche matin. C'est pour une affaire urgente, puis-je parler à Mademoiselle Kyoko ?
- Veuillez attendre une minute. Je l’appelle immédiatement. », a dit sa mère aussi poliment.
 Quelques instants plus tard, j’ai entendu la voix de Mademoiselle Courbette qui était étrangement aigue, contrairement à d'habitude. Si je devais la comparer à quelque chose, ce serait à la voix d’une otarie dont on aurait écorché le flanc et dont on aurait frotté la blessure avec du sel. En même temps, c’était évidemment sa voix. 
« Putttaaaaain ! Ça m’fait chier, c’est dimanche matin ! Je veux encore dormir, on est dimanche matin ! Merde ! Ah ? Le téléphone ? Puttaaain, t’façon, c’est Takao. Attends. Je vais pisser, ouais, pisser. Fais attendre ce gars, m'en bats les couilles. J’ai bu trop de bière hier, j’ai la vessie gonflée…….Ah ? C’est pas Takao ? Oh ! Putain ! Mon Dieu ! Il doit m’entendre parfaitement, oh merde ! »
 Bien sûr que j’ai raccroché tout de suite. J’ai eu la chance de ne pas lui avoir dit mon nom.

Encore aujourd'hui, Mademoiselle Courbette reçoit des manuscrits en s’inclinant courtoisement. Quelqu’un m’a dit qu’elle avait des ancêtres nobles. J’ai feint de ne pas l’avoir entendu et je me suis tu.

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