lundi 14 août 2017

‘’Radis blanc râpé’’ Haruki Murakami

 Le plateau à la main, l’homme-chameau descendit l’escalier du sous-sol comme d’habitude. Il était toujours laid et sale. Ou devrais-je dire, il devenait de plus en plus sale et laid de jour en jour. Sa morve gouttait sur le sol, et ses yeux avaient de grosses chassies. Ses dents saillantes étaient jaunies et abîmées, la couleur de ses lobes d’oreilles était altérée à cause de la crasse, ses cheveux longs étaient couverts de pellicules, à chacun de ses pas de la poudre blanche tombait aux alentours. Son haleine était abominable. Il m'était impossible de manger un plat apporté par un tel homme.
 Dès que je le lui dis, l’homme-chameau cracha dans l’assiette et dit joyeusement : « Fais comme t’veux ! Jé m’en fous même si t’meurs de faim ! T’façon, t’mourras bientôt. C’pareil, c’pareil, héhéhéhéhé. »
 Si j’étais dans une situation normale, l’homme-chameau ne serait pas un obstacle pour moi. Mais mes deux bras étaient fermement attachés au mur par une grosse chaîne.
 L’homme-chameau sortit un gros fer de marquage qui était resté dans les flammes de la cheminée, en balançant son embout entièrement rouge dans l'air, il la regarda d’un air content.
« Héhéhéhéhé, quand mon maître sera revenu, t’pourras jouer avec lui tant que t’veux. Il t’fera pleins de trucs drôles. Jé l’aiderai aussi. On ne t’tuera pas facilement. On t’laissera vivant et t’fera souffrir pendant longtemps. Mais au final, t’mourras ! Toi, une bête qui ne craint même pas Dieu, devra payer pour avoir fait la cour à Madame ! »
 Dans le sous-sol, comme l’homme-chameau me l’avait dit, il y avait beaucoup d’instruments de tortures. Il y avait un étau pour broyer un doigt, des entonnoirs et des tuyaux pour la noyade, un pic à glace, des tenailles, un fouet avec des épines. Sur l’étagère, il y avait tous les albums de Tom Jones et Abba.
« Jé pas fait la cour à Madame ! », lui dis-je. Puis je me repris, « Je n’ai pas fait la cour à Madame ! » Je ne sais pas de quel dialecte il s’agissait mais la manière de parler de l’homme-chameau était contagieuse.
« Je lui ai juste servi du thé. »
 L’homme-chameau rit bêtement et lâcha un gros pet.
« Jé sais, jé sais. Jé sais touuut. À ce moment-là, il y avait un éclat de désir sexuel dans tes yeux. En lui servant du thé, t’pensais à la fellation dans té tête. Jé comprends si jé regarde les yeux. Jé suis pas idiot. 
- C’est faux. À ce moment-là, je pensais au radis blanc râpé que j’allais manger au dîner, dis-je.
- T’vois ! T’vois ! C’est exactement comme jé dit ! dit l’homme-chameau triomphalement.
- Hé, attends voir. Comment ça c’est ‘’exactement comme j’ai dit’’ » lui répliquai-je mais il ne m’écouta pas.
« T’souffriras à fond dans ce sous-sol et t’mourras petit à petit ! Héhéhéhéhéhéhéhé. »
 Et pourtant je pensais vraiment au radis blanc râpé.  

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