vendredi 6 juillet 2018

La coupe


 Aujourd’hui, je suis allé chez le coiffeur. Je voulais y aller avant de partir pour le Japon, car les salons de coiffure sont généralement moins chers en France. J’ai pris rendez-vous au téléphone comme à l’accoutumée. J’ai marché sous le crachin sans parapluie. Devant moi, une jeune femme aux cheveux longs marchait en balançant les fesses comme si elle dansait. Curieusement, elle suivait le même chemin que moi. Au bout d’un moment, elle est entrée chez le même coiffeur et m’a tenu la porte.

 Lorsque nous sommes entrés, il n’y avait personne, comme d’habitude. Peu après, le coiffeur qui s’occupait toujours de mes cheveux, un jeune homme petit et potelé, toujours gai comme s’il n’avait jamais connu la tristesse, est sorti de la pièce du fond, et nous a dit bonjour. À ce moment-là, je pensais qu’il allait me couper les cheveux comme toujours. « Vous êtes avec moi », a-t-il dit à la jeune femme, et pas à moi. Tandis que je restais debout, de la même pièce du fond, un homme grand au visage à moitié caché par la barbe et ressemblant à un Égyptien est apparu, et m’a dit : « Vous êtes avec moi » d’une voix grave.

 Choisir un coiffeur en France est difficile, puisqu’ils ne sont pas vraiment habitués à traiter les cheveux des Asiatiques, et j’ai l’impression que la coupe pour les Occidentaux ne va pas souvent aux Japonais. Le petit était l’un des rares coiffeurs qui comprenait bien ce que je souhaitais malgré mon vocabulaire limité. J’ai commencé à m’inquiéter, mais il était trop tard pour arrêter la roue qui s’était déjà mise à rouler.

 J’ai ôté mes lunettes et je ne voyais plus rien. Le monde était troublé comme sous un verre dépoli. M’ayant fait asseoir devant un grand miroir, mon nouveau coiffeur (pseudonyme Mohamed) m’a demandé quelle coiffure je souhaitais. « Euh, plus court…, mais pas trop court… », ai-je bredouillé en cherchant mes mots. Aussitôt, Mohamed a sorti une tondeuse et a commencé à tondre mes cheveux. Ensuite, il a tiré mes mèches si brutalement que j'ai cru qu'il allait les arracher, et s’est mis à parler de la coupe du monde en faisant marcher ses ciseaux.

« Vous êtes de quelle origine ? m’a-t-il demandé.
- Japonaise, ai-je dit.
- C’est dommage pour le foot. Je supportais le Japon, a-t-il dit.
- On a perdu contre la Belgique, mais je pense qu’ils ont plutôt bien joué. Parce que c’est comme si un coq se battait contre un Tyrannosaure, ai-je dit.
- Pourtant le Japon a de bons joueurs, Nagatomo, Sakai, Kagawa, Inui aussi…
- Ils sont bien disciplinés, mais plus petits et ils manquent souvent d’endurance.
- Honda était à A.C. Milan avant, n’est-ce pas ? Où il joue aujourd’hui ?
- Au Mexique ».

 Le coiffeur a sorti de nouveau la tondeuse pour mettre la dernière main à la coupe. Il utilisait la tondeuse beaucoup plus que les ciseaux. Je me suis demandé pourquoi il est devenu coiffeur et pas tondeur. L’appareil ne cessait de bourdonner à côté de mon oreille et j’avais l’impression d’être une pelouse.
 Lorsque notre conversation allait s’épuiser, il a apporté un miroir à trois faces et m’a demandé de remettre mes lunettes. J’ai retrouvé la vue, et pour une raison obscure, il y avait un Kim Jong-Un maigre dans le miroir.

 Heureusement que je suis en vacances et que je ne sors pas tous les jours. Pendant un certain temps, j'essaierai de ne pas me regarder dans la glace.

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