lundi 2 juillet 2018

Voyage au Qatar (fin)


 Mon avion pour Istanbul allait décoller à trois heures quarante du matin. Dans ma chambre d’hôtel, j’ai pris un bain pour la dernière fois et je suis descendu dans le hall vers minuit. Au moment où j’ai rendu la clef, j’ai demandé à la réceptionniste d’appeler un taxi. Assis sur un divan, j’ai attendu en me souvenant de cette journée bien remplie. Un moment plus tard, un portier m’a appelé et tenu la porte pour moi. Devant l’entrée attendait un taxi turquoise. Le chauffeur noir m’a demandé la destination. « À l’aéroport international de Doha, s’il vous plaît », ai-je dit.
 Le taxi a roulé sur la même autoroute qu’à l’arrivée. Des lampadaires de diverses couleurs coulaient derrière nous. J’ai cherché la lune énorme du Moyen Orient, mais il était impossible de la trouver de ma position, ou simplement elle avait disparu. Au bout de la longue autoroute, j’ai vu un avion blanc s’envoler dans le ciel nocturne. Le taxi a ralenti et le chauffeur m’a demandé quelle était ma compagnie aérienne. « Pegasus Airline », ai-je répondu. Il était gentil, car il a garé la voiture près du comptoir de ma compagnie aérienne. Tandis que j’allais régler, il m’a demandé d’où je venais.
« Du Japon. Connaissez-vous ce pays ? ai-je dit.
- Bien sûr ! Les Toyota sont les meilleures voitures.
- Il y a aussi Nissan.
- Ah, Nissan est aussi japonais ! », a-t-il dit l’air impressionné.
 En effet, Nissan est une société japonaise, même si elle est la filiale de Renault aujourd’hui. Aurait-il été étonné si je lui avais dit que c’était une entreprise japonaise qui a construit cet aéroport moderne et gigantesque ? Mais je me suis borné à lui souhaiter une bonne nuit. La nuit d’un chauffeur de taxi doit être longue.

 J’étais encore plus épuisé qu’à mon arrivée. Je n’avais pratiquement pas dormi la veille. Malgré cela, j’étais condamné à faire une nuit blanche. Dans une salle d’attente de l’aéroport, j’ai tué le temps en lisant la suite de « 1984 ». À l’aube, j’ai enfin pu monter dans l’avion. Mais j’avais à moitié perdu conscience et je me suis trompé de place. Une dame douce, peut-être turque m’a indiqué mon erreur. Je me suis excusé et cette fois, je me suis assis sur mon siège entre deux hommes.
 Mon voisin de gauche était un homme entre deux âges au teint pâle et plutôt mince. Il était chauve. En revanche, ses bras étaient si poilus que sa peau était presque invisible. Mon voisin de droite était un jeune homme barbu à la chevelure abondante. Ses bras étaient aussi poilus, mais moins que l’homme chauve. Lorsque je me suis approché, il était déjà assis. Mais on voyait que c’était un homme très grand, plus d’un mètre quatre-vingts ou même quatre-vingt dix, et il essayait vainement de ranger ses longues jambes dans l’espace exigu de la classe économie. Le poil de mon voisin de gauche effleurait mon bras nu. La longue jambe de mon voisin de droite pénétrait dans mon espace. Alors que je suis déjà petit, j’ai dû me faire encore plus petit.
 Dès que l’avion a décollé, mes deux voisins se sont endormis. Immobile comme une statue, l’homme chauve dormait paisiblement tel un nouveau-né. L’homme grand se recroquevillait de temps en temps, mais ses paupières restaient toujours closes. Et moi, je lisais « 1984 ». Après l’avoir terminé, j’ai aussi un peu dormi sur mon siège dur qui n’était pas réglable. Mais ce n’est pas exact. En réalité, je me suis évanoui par intermittence. J’ai repris conscience chaque fois que le bras touffu de mon voisin a touché le mien.
 Après ce vol plein de testostérone, je devais prendre encore un autre avion, celui qui volait d’Istanbul à Bâle. Heureusement, mon deuxième avion était relativement désert. Je n’avais pas de voisin et j’ai pu lire tranquillement « Instantanés d’ambre » de Yoko Ogawa. À un moment donné, il y a eu une annonce du commandant de bord. Il a d’abord parlé en turc, puis a dit sans doute la même chose en anglais. Je ne l’ai pas tout compris, mais j’ai supposé qu’il disait que l’avion aurait du retard à cause du vent. Quelques instants plus tard, l’avion est entré dans un épais nuage. L’appareil a été secoué. Lorsque nous sommes sortis du nuage, par le hublot, j’ai pu apercevoir des champs carrés dorés qui s’étendaient au milieu d’une plaine infinie. C’était la France ! Le temps passé au Qatar m’a tout à coup semblé lointain, comme si cinquante ans s'étaient écoulés.

 À ce moment-là, je ne savais pas qu’une autre mésaventure m’attendait. J’ai passé le contrôle sans problèmes et je suis allé à la gare de Saint-Louis en navette. J’ai jeté un coup d’œil au panneau électrique. Le TER à destination de Strasbourg allait arriver à quatorze heures trente. Toutefois, l’heure venue, le grincement de roues que j’attendais avec impatience ne venait de nulle part. À ce moment-là, j’ai entendu un jeune couple qui se tenait à côté de moi parler d’« un retard de quarante minutes ». En fait, à cause de la grève de SNCF, mon TER avait pris un retard de quarante minutes ! Tant pis, en l’attendant j’ai avalé à l'aide d'un Perrier un sandwich insipide que j’ai acheté au kiosque de la gare.
 Un long moment plus tard, le TER est enfin arrivé. Cependant, à chaque station il s’est arrêté plus de vingt minutes au moins pour une raison obscure. Je me suis dit : « SNCF, pourquoi tu me fais ça ? Alors que je n'ai jamais fraudé. Je n'ai jamais fait de graffiti sur la vitre de ta voiture. J'ai même payé 80 centimes pour tes toilettes insalubres qui sentent la merde. Pourquoi tu m'infliges cette punition ? Je viens de rentrer du Qatar. Tu ne le sais pas ? J'ai toujours montré mes billets et mon passeport au contrôleur, l'as-tu oublié ? ». Le train est resté immobile le plus longtemps à Colmar. Toutefois, je ne sais pas combien de temps il s'y est arrêté, parce que je me suis endormi. Et lorsque je me suis réveillé, le train était encore à Colmar ! Un homme d’un certain âge ventru a pété les plombs et a crié : « C’est encore plus rapide en bus ! Je descends ! ». Au moment où il est descendu, le train a redémarré. Si c’était un film de zombie, il serait mort le premier.
 Finalement il m’a fallu trois heures pour arriver à Strasbourg, alors que normalement j’aurais pu y être en une heure. Il est inutile de préciser que ce soir-là, j’ai dormi d’un profond sommeil.

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