samedi 28 juillet 2018

''La maison d'édition d'Arles'' Yoko Ogawa


 Le premier pays qui a traduit et a publié un de mes romans, c’est la France. Il y a presque dix ans de cela.
 Même si j’écris des romans en japonais, il est peu probable qu’ils seront lus à l’étranger. La littérature japonaise ne peut pas aller à l’étranger aussi facilement que la littérature étrangère vient dans mon pays. En littérature, cette importation excessive dure depuis longtemps.
 C’est pourquoi je ne peux que me réjouir de ce que mes œuvres sont publiées en France depuis dix ans, bien que je n’écrive pas de best-sellers. Je le dois à la rencontre avec ma traductrice et une merveilleuse maison d’édition.  
 Ma maison d’édition s’appelle ACTES SUD. Le siège se trouve à Arles en France. Comme le montre le fait qu’il n’est pas à Paris, c’est une petite maison d’édition. Mais je pense qu’elle était capable de découvrir les romans d’un pays de l’Extrême-Orient et de les traiter avec égards parce qu’elle n’est pas très grande.
 En septembre 2003, j’ai eu l’occasion de visiter Arles. La maison d’édition se trouve dans le centre-ville qui était tout à fait tranquille contrairement à ce que j’imaginais. Devant elle coule lentement le Rhône.
 Elle se trouve dans un bâtiment du Moyen-âge (comme la plupart des maisons d’Arles), le rez-de-chaussée est occupé par un restaurant, un cinéma et une galerie. Le bureau se trouve au-dessus. Non seulement la publication des livres, mais aussi les éléments culturels d’Arles semblaient concentrés dans ce bâtiment.
 Ce qui est unique, c’est qu’il y avait un sauna arabe au fond du restaurant. Je buvais un thé, et quand j’ai levé la tête, j’ai aperçu un homme en peignoir derrière les rideaux. Il avait mis une serviette de bain autour de sa tête comme un turban et lisait tranquillement un livre.
 Un homme qui lit en prenant le frais dans un sauna à côté d’une librairie au rez-de-chaussée d’une maison d’édition. Ce paysage m’a plu. Je ne sais évidemment pas ce qu’il lisait. Toutefois, où que ce soit, une personne qui lit un livre est toujours belle.
 Lors de mon séjour à Arles, le PDG et son épouse m’ont invitée à déjeuner. Leur maison se trouvait à quinze minutes du centre-ville en voiture, au beau milieu des champs de tournesols. C’était une maison magnifique qui, selon eux, est une ancienne ferme construite à l’époque de la Révolution française. Un grand jardin l’entourait ; il y avait un bois d’oliviers. Du lierre couvrait entièrement la maison entière en pierre dans laquelle avait pénétré le temps. Le vent soufflant de la Méditerranée agitait doucement leurs feuilles des arbres.
 Le PDG est Monsieur Hubert Nyssen. Il a monté son entreprise avec seulement cinq personnes. Ainsi, il a créé ACTES SUD et l’a développé. Ses cheveux sont tout blancs, mais il a l’air jeune avec sa chemise bleue et une écharpe de la même couleur autour du cou. Son épouse, Christine, est la traductrice de Paul Auster.
 Ce qu’elle a préparé pour moi, c’était une cuisine chaude faite à la maison. Comme dessert, elle a servi des framboises de son jardin. De la porte de la salle à manger laissée ouverte soufflait le parfum des plantes. De temps en temps, le carillon d’une église sonnait au loin. J’ai beaucoup parlé des romans japonais et de ma langue maternelle. Pendant que je mangeais avec un tel entrain qu’on m’a proposé de reprendre des plats, un vieux labrador dormait à nos pieds.
 Après le déjeuner, Monsieur Nyssen m’a fait visiter son bureau au premier étage. C’était peut-être une pièce d’environ vingt tatamis. Trois murs étaient entièrement couverts de livres jusqu’au plafond. De la fenêtre en arche face au sud, on pouvait voir le bois d’olivier. Dans un coin de la table était abandonné un jeu et Le Monde qui avait l’air récent comme s’il venait de découper la rubrique de littérature. C’était une pièce qui permettait de comprendre la personnalité de son propriétaire.
« On a commencé par là », a dit Monsieur Nyssen en indiquant du doigt l’autre côté de la fenêtre. Selon lui, c’était une ancienne étable.
« Je veux publier de bons livres. Nanti de cette seule passion, j’ai commencé dans cette étable ».
 Sans orgueil, le timbre de sa voix disait sa fierté.
« J’ai tous tes livres ici, a-t-il dit en indiquant les étagères de la pièce. Il y a dix ans, tu étais totalement inconnue en France. Mais aujourd’hui, beaucoup de Français lisent tes romans. Même si tu n’écris plus jamais de livre, tes œuvres demeureront pour toujours. C’est cela mon travail ».
 Le cœur remplie d’émotion, je ne pouvais que répéter « Merci… ». J’ai pensé au long trajet que mes romans, écrits dans ma petite pièce, ont suivi jusqu’à ce qu’ils arrivent dans le bureau de Monsieur Nyssen à Arles. J’ai eu envie de remercier tous les amateurs de littérature qui ont contribué à la création de mes romans.

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