lundi 2 juillet 2018

''La lionne du zoo de Schönbrunn'' Haruki Murakami


 Pendant que je traduisais le long roman de John Irving « Liberté pour les ours ! », j’ai visité le jardin zoologique de Schönbrunn à Vienne. Comme ce zoo est un endroit important dans le roman, je voulais le voir de mes propres yeux. Après avoir visité l’Allemagne, je suis allé à Vienne. Sans avoir grand-chose à faire, je me suis promené dans le zoo toute la journée.
 Depuis longtemps, j’aime les zoos et les grottes. Si j’en trouve au cours de mes voyages, j’ai envie d’y aller. Les zoos calmes et déserts sont mes préférés. Si c’était au beau milieu de l’hiver et si la bise soufflait, ce serait idéal: je pourrais regarder les animaux sans entrave.
 Le jardin zoologique de Schönbrunn se trouve dans le parc du palais royal. À l’origine, il a été construit pour distraire la famille royale des Habsbourg et les nobles. Comme la date de son ouverture est 1752, il se peut que Marie Antoinette ait aussi passé de joyeux moments ici dans son enfance.
 Mais lorsque je l’ai visité il y a vingt-cinq ans, c’était un zoo complètement inanimé. Sans aucune énergie, les animaux aussi avaient l’air las. C’était comme si on disait : « On a mis des animaux dans des cages. Regardez-les si vous voulez ». Personnellement, j’aime une telle atmosphère, détendue et sans but.
 Récemment je suis allé à Vienne après une longue absence. J’ai profité de cette occasion pour visiter le zoo de Schönbrunn et j’ai été très étonné car il était devenu un zoo beau et moderne. On y voyait des animaux rares, comme les pandas et les koalas ; l’équipement aussi avait été rénové. Il semble que la gestion ait été confiée à une entreprise privée pour remédier à la baisse progressive du nombre de visiteurs.
 Toutefois, ce jour-là, une vague de froid traversait Vienne et il n’y avait presque personne. Les lions de ce zoo vivaient dans un environnement proche de la nature ; sans grille, la cage était entourée de vitre en plastique. Tandis que j’observais une famille de lions, une femelle s’est mise à marcher et s’est arrêtée devant moi, puis elle a contemplé mon visage. En bref, cette lionne et moi, nous étions face à face, séparés par un mur transparent.
 C’était une expérience inattendue. Je n’avais jamais regardé un lion de si près. La lionne s’ennuyait peut-être car il n’y avait que peu de visiteurs. Ou a-t-elle trouvé quelque chose d’attirant en un romancier asiatique. J’ai pu sentir dans son attitude une sorte de curiosité innocente que manifestent parfois les félins – au moins, c’est l’impression que j’ai eue.
 Quoi qu’il en soit, cet après-midi glacial de la fin de l’automne, séparés par la paroi transparente, la lionne et moi, nous nous sommes contemplés pendant un long moment, en silence. Je lui ai adressé un sourire, sans réponse de sa part. Elle n’a manifesté aucune émotion. Un moment plus tard, nous nous sommes éloignés du mur (on ne pouvait pas y rester dans ce froid atroce) et nous sommes retourné à notre vie quotidienne.
 Rentré à l’hôtel, j’ai observé mon visage dans le miroir. Mais il n’avait rien de particulier. C’était juste moi, rien de très brillant. La lionne, que cherchait-elle dans mes yeux ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire