Aujourd’hui, je suis allé chez le
dentiste. Mais ce n’est pas parce que j’avais mal aux dents. C’était juste un
examen périodique. Une dentiste, peut-être dans la trentaine, m’a dit qu’elle
avait envie de prendre une radiographie de ma dentition. J’ai été enfermé dans
une pièce exiguë et sombre. Selon les instructions du radiologue, j’ai déposé
ma mâchoire sur le support en mordant dans un petit objet en plastique. Depuis
le judas, la dentiste et un dentiste obèse m'observaient être radiographié. Je
leur ai souri. Mais ils ne m’ont pas souri. J’ai eu l’impression d’être un
gorille au zoo.
Après avoir fait une radio de ma
dentition, d’une voix câline, la dentiste m’a demandé d’aller à son cabinet. Certaines
Japonaises parlent d’une voix très aiguë et câline, un peu comme dans les
animés. Dans son cabinet, elle m’a montré la photo de mes dents prise
auparavant. J’ai contemplé ma dentition. J’ai toujours cru qu'elle était laide, mais quand je l’ai regardée sur la radio, elle semblait plutôt en
ordre. L’ombre de chaque dent blanche était mise côte à côte comme sur un
clavier. Au bout, on pouvait apercevoir quatre dents de sagesse dormantes dans
mes gencives. J’espère qu’elles ne se réveilleront jamais.
Je me suis allongé sur un fauteuil
dentaire ressemblant à un lit. La dentiste l’a mis en position horizontale ;
elle a posé une serviette sur mes yeux et m’a demandé d’ouvrir la bouche.
Aussitôt, ses doigts et une sensation froide de métal sont entrés dedans. Ils ont
longuement fouillé dans ma bouche, passant d’une dent à une autre. « Peut-être
que ça pique un peu. Levez votre main si ça fait mal », m’a-t-elle dit. Il m’a
semblé qu’elle s’était mise à gratter l’espace entre mes dents et mes gencives
avec un instrument. Ma vue était dissimulée par la serviette, mais je pouvais
imaginer la forme de l’outil. C’était quelque chose de pointu pour enlever la
saleté accumulée comme un fossile. Effectivement, ça m’a fait un peu mal, mais
je n’ai pas levé la main. Ce n’était rien par rapport aux autres douleurs que
j’avais déjà subies dans ma vie. Le regard hostile et dédaigneux d’une fille,
quand j'ai été obligé de chanter à l'école primaire, la mort accidentelle de ma
tortue etc. « Rincez-vous la bouche, s’il vous plaît », m’a-t-elle dit, en relevant
le fauteuil dentaire. Je me suis rincé la bouche avec un gobelet en papier. «
Il n’y a pas de carie, mais du tartre qui n’était pas complètement enlevé sur
certaines parties ». Elle a de nouveau mis le fauteuil dentaire en position
horizontale et m’a caché les yeux. Je
vais enlever le tartre avec un appareil qui utilise des ultrasons ». À ce
moment-là, j'ai entendu le bruit aigu d'une machine dans le noir. Encore la
sensation froide de métal dans ma bouche. C’était un autre appareil que celui d’avant.
Il a décapé la surface de mes dents avec un bruit strident. Je ne sais pas
pourquoi, mais j’ai tout à coup eu envie de rire. Si j’avais ri à cet instant,
la machine aurait glissé de la main de la dentiste en blessant mes gencives.
J’avais peur. Mais j’avais envie de rire. J’ai essayé de penser à quelque chose
de triste, aux treize garçons enfermés au fin fond de la grotte en Thaïlande,
par exemple, mais ça n'a pas marché. Finalement, je me suis mis à conjuguer un
verbe du troisième groupe. Je réponds, tu réponds, il répond, nous répondrons,
vous répondrez, ils répondront. Je répondrai, tu répondras, il répondra, nous
répondrons, vous répondrez, ils répondront. Je répondrais, tu répondrais, il
répondrait, nous répondrions, vous répondriez, ils répondraient…Lorsque j’ai
commencé à conjuguer le verbe au passé simple, la machine s’est arrêtée. « À la
semaine prochaine », m’a dit la dentiste.
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