jeudi 12 juillet 2018

La dentiste


 Aujourd’hui, je suis allé chez le dentiste. Mais ce n’est pas parce que j’avais mal aux dents. C’était juste un examen périodique. Une dentiste, peut-être dans la trentaine, m’a dit qu’elle avait envie de prendre une radiographie de ma dentition. J’ai été enfermé dans une pièce exiguë et sombre. Selon les instructions du radiologue, j’ai déposé ma mâchoire sur le support en mordant dans un petit objet en plastique. Depuis le judas, la dentiste et un dentiste obèse m'observaient être radiographié. Je leur ai souri. Mais ils ne m’ont pas souri. J’ai eu l’impression d’être un gorille au zoo.

 Après avoir fait une radio de ma dentition, d’une voix câline, la dentiste m’a demandé d’aller à son cabinet. Certaines Japonaises parlent d’une voix très aiguë et câline, un peu comme dans les animés. Dans son cabinet, elle m’a montré la photo de mes dents prise auparavant. J’ai contemplé ma dentition. J’ai toujours cru qu'elle était laide, mais quand je l’ai regardée sur la radio, elle semblait plutôt en ordre. L’ombre de chaque dent blanche était mise côte à côte comme sur un clavier. Au bout, on pouvait apercevoir quatre dents de sagesse dormantes dans mes gencives. J’espère qu’elles ne se réveilleront jamais.

 Je me suis allongé sur un fauteuil dentaire ressemblant à un lit. La dentiste l’a mis en position horizontale ; elle a posé une serviette sur mes yeux et m’a demandé d’ouvrir la bouche. Aussitôt, ses doigts et une sensation froide de métal sont entrés dedans. Ils ont longuement fouillé dans ma bouche, passant d’une dent à une autre. « Peut-être que ça pique un peu. Levez votre main si ça fait mal », m’a-t-elle dit. Il m’a semblé qu’elle s’était mise à gratter l’espace entre mes dents et mes gencives avec un instrument. Ma vue était dissimulée par la serviette, mais je pouvais imaginer la forme de l’outil. C’était quelque chose de pointu pour enlever la saleté accumulée comme un fossile. Effectivement, ça m’a fait un peu mal, mais je n’ai pas levé la main. Ce n’était rien par rapport aux autres douleurs que j’avais déjà subies dans ma vie. Le regard hostile et dédaigneux d’une fille, quand j'ai été obligé de chanter à l'école primaire, la mort accidentelle de ma tortue etc. « Rincez-vous la bouche, s’il vous plaît », m’a-t-elle dit, en relevant le fauteuil dentaire. Je me suis rincé la bouche avec un gobelet en papier. « Il n’y a pas de carie, mais du tartre qui n’était pas complètement enlevé sur certaines parties ». Elle a de nouveau mis le fauteuil dentaire en position horizontale et m’a caché les yeux.  Je vais enlever le tartre avec un appareil qui utilise des ultrasons ». À ce moment-là, j'ai entendu le bruit aigu d'une machine dans le noir. Encore la sensation froide de métal dans ma bouche. C’était un autre appareil que celui d’avant. Il a décapé la surface de mes dents avec un bruit strident. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai tout à coup eu envie de rire. Si j’avais ri à cet instant, la machine aurait glissé de la main de la dentiste en blessant mes gencives. J’avais peur. Mais j’avais envie de rire. J’ai essayé de penser à quelque chose de triste, aux treize garçons enfermés au fin fond de la grotte en Thaïlande, par exemple, mais ça n'a pas marché. Finalement, je me suis mis à conjuguer un verbe du troisième groupe. Je réponds, tu réponds, il répond, nous répondrons, vous répondrez, ils répondront. Je répondrai, tu répondras, il répondra, nous répondrons, vous répondrez, ils répondront. Je répondrais, tu répondrais, il répondrait, nous répondrions, vous répondriez, ils répondraient…Lorsque j’ai commencé à conjuguer le verbe au passé simple, la machine s’est arrêtée. « À la semaine prochaine », m’a dit la dentiste.

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