dimanche 24 juin 2018

L'état des lieux



 Hier, j’ai fait l’état des lieux avant de quitter mon ancienne chambre. Il y a quelques jours, j’avais pris rendez-vous à dix heures à l’accueil de ma résidence. Dans ma chambre vide, j’attendais l’arrivée d’une femme de ménage en lisant « L’amour aux temps du choléra » de Garcia Marquez, mais personne n’a frappé à la porte bien que l’heure prévue était déjà passée depuis sept minutes. Je me suis finalement levé pour aller chercher quelqu’un. Au troisième étage, dans le bureau des femmes de ménage, était assise une femme noire que je n’avais jamais vue. Je lui ai parlé de l’état des lieux. Elle était au courant. Cependant elle croyait que c’était à dix heures trente. Apparemment elle n’avait rien à faire. « On peut le faire maintenant si vous voulez », m’a-t-elle dit avec un accent africain. Comme  si elle s’en souvenait tout à coup, elle a dit qu’elle avait besoin d’un stylo. Malheureusement, tout ce que j’avais sur moi,  c’était « L’amour aux temps du choléra » du romancier colombien. Au deuxième étage, elle a cherché un stylo dans le bureau des femmes de ménage, mais en vain. Pendant que nous descendions l’escalier, nous avons croisé un homme de service qui portait une échelle sur l’épaule. Elle lui a demandé s’il avait un stylo, mais il a dit non. Au premier étage, elle a de nouveau ouvert la porte du bureau, mais il n’y avait rien d’autre qu'un balai et un seau. Finalement, nous sommes descendus au rez-de-chaussée, et enfin, elle a trouvé un stylo. Retournés au quatrième étage, j’ai ouvert la porte de ma chambre. Au moment où elle est entrée, elle a dit « Oh ! ». Je ne sais pas pourquoi elle a dit « Oh ! ». Était-elle étonnée de la propreté impeccable de ma chambre ? Une fiche à la main, la femme de ménage s’est mise à vérifier l’état de la cage exiguë dans laquelle j’ai été enfermé pendant deux ans. « Le frigo est sale, l’étagère est sale, la fenêtre est sale… », a-t-elle commencé à murmurer en indiquant chaque fois une souillure si minuscule qu’on ne pouvait la voir qu’au microscope. Mon cœur battait à grands coups parce que j’avais peur qu’elle découvre l’espace entre le radiateur et le mur où la poussière emmêlée de toiles d’araignée faisait une épaisse couche noirâtre. Cette inquiétude s’est avérée inutile car elle n’y a jamais prêté attention, jusqu’à ce qu’elle rende un verdict sans appel : « La chambre est en état, mais à nettoyer ».

 Debout dans ma chambre vide, je me souvenais vaguement du jour où j’y étais entré pour la première fois. Le lendemain de mon arrivée à Strasbourg, ma chambre était vide comme hier. Je n’avais pas encore d’oreiller ni couette ni bouilloire ni Internet. Tout ce que j’avais, c’étaient mon ordinateur, quelques vêtements et « La Carte et le territoire » que mon professeur de français m’avait donné pour lire dans l’avion. Allongé sur le matelas dénudé, en contemplant vaguement les toits de maisons en briques et l’aube bleu-rose, le vague à l’âme, je pensais à ma vie en France qui allait commencer.

 Sortis de la chambre, j’ai rendu la clef de ma cage à la femme de ménage. Elle l’a enfoncée dans la serrure, pour enfermer à jamais mes souvenirs de deux ans, depuis mon débarquement en France jusqu’à ce jour, et l’a tournée pour la dernière fois avec un petit « clic ».

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