Hier, j’ai fait l’état des
lieux avant de quitter mon ancienne chambre. Il y a quelques jours, j’avais
pris rendez-vous à dix heures à l’accueil de ma résidence. Dans ma chambre
vide, j’attendais l’arrivée d’une femme de ménage en lisant « L’amour aux temps
du choléra » de Garcia Marquez, mais personne n’a frappé à la porte bien que
l’heure prévue était déjà passée depuis sept minutes. Je me suis finalement
levé pour aller chercher quelqu’un. Au troisième étage, dans le bureau des
femmes de ménage, était assise une femme noire que je n’avais jamais vue. Je
lui ai parlé de l’état des lieux. Elle était au courant. Cependant elle croyait
que c’était à dix heures trente. Apparemment elle n’avait rien à faire. « On
peut le faire maintenant si vous voulez », m’a-t-elle dit avec un accent
africain. Comme si elle s’en souvenait
tout à coup, elle a dit qu’elle avait besoin d’un stylo. Malheureusement, tout
ce que j’avais sur moi, c’était «
L’amour aux temps du choléra » du romancier colombien. Au deuxième étage, elle
a cherché un stylo dans le bureau des femmes de ménage, mais en vain. Pendant
que nous descendions l’escalier, nous avons croisé un homme de service qui
portait une échelle sur l’épaule. Elle lui a demandé s’il avait un stylo, mais il
a dit non. Au premier étage, elle a de nouveau ouvert la porte du bureau, mais
il n’y avait rien d’autre qu'un balai et un seau. Finalement, nous sommes
descendus au rez-de-chaussée, et enfin, elle a trouvé un stylo. Retournés au
quatrième étage, j’ai ouvert la porte de ma chambre. Au moment où elle est
entrée, elle a dit « Oh ! ». Je ne sais pas pourquoi elle a dit « Oh ! ».
Était-elle étonnée de la propreté impeccable de ma chambre ? Une fiche à la
main, la femme de ménage s’est mise à vérifier l’état de la cage exiguë dans
laquelle j’ai été enfermé pendant deux ans. « Le frigo est sale, l’étagère est
sale, la fenêtre est sale… », a-t-elle commencé à murmurer en indiquant chaque
fois une souillure si minuscule qu’on ne pouvait la voir qu’au microscope. Mon
cœur battait à grands coups parce que j’avais peur qu’elle découvre l’espace
entre le radiateur et le mur où la poussière emmêlée de toiles d’araignée faisait
une épaisse couche noirâtre. Cette inquiétude s’est avérée inutile car elle n’y
a jamais prêté attention, jusqu’à ce qu’elle rende un verdict sans appel : « La
chambre est en état, mais à nettoyer ».
Debout
dans ma chambre vide, je me souvenais vaguement du jour où j’y étais entré pour
la première fois. Le lendemain de mon arrivée à Strasbourg, ma chambre était
vide comme hier. Je n’avais pas encore d’oreiller ni couette ni bouilloire ni
Internet. Tout ce que j’avais, c’étaient mon ordinateur, quelques vêtements et
« La Carte et le territoire » que mon professeur de français m’avait donné pour
lire dans l’avion. Allongé sur le matelas dénudé, en contemplant vaguement les
toits de maisons en briques et l’aube bleu-rose, le vague à l’âme, je pensais à
ma vie en France qui allait commencer.
Sortis
de la chambre, j’ai rendu la clef de ma cage à la femme de ménage. Elle l’a
enfoncée dans la serrure, pour enfermer à jamais mes souvenirs de deux ans,
depuis mon débarquement en France jusqu’à ce jour, et l’a tournée pour la
dernière fois avec un petit « clic ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire